Trente-cinq millions de sourciers entretien avec Yves Rocard

En fait, l’intérêt véritable des étu­des sur les sourciers est de relan­cer la question du bio­magnétisme, c’est-à-dire de l’action des champs magnétiques sur les êtres vivants. Scientifique­ment, on se doit d’étudier ces sujets exceptionnels — une per­sonne sur quarante, en moyenne — qui perçoivent les champs magnétiques ambiants sans l’aide d’aucun instrument. Nous avons là le sixième sens magnétique à l’état pur, tel qu’il devait exister chez l’homme de la préhistoire.

(Extrait de la revue Autrement : La science et ses doubles. No 82. Septembre 1986)

Depuis plus de vingt ans, Yves Rocard (1903-1992) étudie scientifiquement le monde des sourciers et démystifie les « secrets » de la baguette ou du pendule. il n’a pourtant rien d’un professeur tournesol. « père » des premières bombes atomiques françaises, le pr Rocard a dirigé pendant près de trente ans le laboratoire de physique de l’école normale supérieure. Il y a formé quelques-uns des plus brillants chercheurs actuels. Ses travaux sur l’effet sourcier, confirmés par plusieurs recherches récentes, mettent à jour chez l’être humain un « sixième sens » magnétique qui a pu jouer un rôle considérable au cours de l’évolution.

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Comment êtes-vous passé de la recherche atomique à l’étude des phénomènes sourciers ?

Yves Rocard. – Une de mes mul­tiples tâches consistait à détecter à distance les effets d’une explo­sion atomique. Lors d’un travail de repérage, un des ouvriers de notre équipe démontra devant moi ses talents de détection à l’aide d’une baguette de sourcier. Ses performances furent telles que mon incrédulité première se transforma en curiosité scientifique.

J’ai donc cherché une explication physique à ces irrésistibles déclenchements de la baguette sourcière en certains lieux. C’est ce que j’ai appelé le « signal du sourcier ».

Qui dit sourcier dit détecteur d’eau. Or, le signal du sourcier est, selon vous, dû à bien autre chose…

Effectivement. Après vingt ans de recherche, j’ai pu démontrer qu’en fait, le réflexe sourcier est provoqué par des anomalies magnétiques liées à la composi­tion géologique du sous-sol.

En ce qui concerne l’eau, le rap­port n’est qu’indirect. Il se trouve que les anomalies magnétiques correspondent à des sites géologi­ques de ruissellement et d’accu­mulation des eaux. C’est pour­quoi, bien souvent, le sourcier « trouve » en effet… de l’eau.

Après la baguette, vous décidez d’étu­dier le pendule. Là, on vous accuse carrément de sombrer dans la radiesthésie !

Mon but était au contraire de démystifier le phénomène. Lorsqu’on sait que les mouvements du pendule dépendent eux aussi de petites variations du champ magnétique, on n’est plus dupe des prétentions occultes de la radiesthésie. Je suis très clair là-dessus : la détection sur carte, zéro ; la détection sur photo : zéro ; la détection sur objet-témoin : zéro… J’ai donc été très surpris quand certains milieux qui se veulent « rationalistes » m’ont accusé de faire le jeu des radiesthésistes, alors que je rame­nais le phénomène dans le cadre de la physique classique. Pour contredire mes résultats, on a même publié contre moi des expé­riences purement fictives !

Cela dit, d’autres scientifiques ont repris mes expériences et m’ont fait part d’observations et de cri­tiques qui m’ont été précieuses pour améliorer encore les condi­tions d’expérimentation.

À l’étranger, vos travaux ont reçu une consécration expérimentale assez impressionnante.

Ce fut même à mon insu. J’avais arrêté mes recherches pour ne pas compromettre la carrière de mes élèves, qui risquaient d’être notés davantage comme « sour­ciers » que comme physiciens !

Pendant ce temps-là, mon premier ouvrage était traduit en russe. Un clan de géologues sourciers s’en est inspiré pour imposer le phé­nomène, rebaptisé « effet biophy­sique », devant les instances offi­cielles. Ils ont pu convaincre les commissions du Plan et obtenir d’importants crédits. Des expé­riences de grande envergure ont été lancées. 700 sourciers ont prospecté sur des centaines de kilomètres carrés dans le Kasakhstan, en Carélie du Nord, etc. Ils étaient suivis par des héli­coptères qui prenaient des relevés magnétiques là où les sourciers détectaient de l’eau ou des gise­ments métalliques.

Cette opération a révélé que les indications des sourciers concor­dent entre elles à 90 % et que la corrélation entre points sourciers et anomalies magnétiques est très réelle. Ce qui fut confirmé par une recherche menée aux États-Unis par l’Utah Water Research Laboratory et portant sur cent cinquante sujets. Pour revenir à l’URSS, les détections de gise­ments métalliques se sont avérées correctes, ainsi que la recherche d’eau puisque, sur 1200 puits forés d’après les indications sour­cières, plus de 1100 ont effective­ment permis de trouver l’eau.

Plusieurs recherches récentes confir­ment chez l’être humain cette sensi­bilité magnétique dont vous faites état et que l’on croyait réservée à quelques espèces animales, migratrices par exemple.

C’est l’aspect essentiel du pro­blème. Il existe certainement chez l’homme un sixième sens magné­tique, très émoussé par les condi­tions de vie et l’environnement moderne, mais que l’on peut réé­duquer en milieu magnétiquement calme.

Jusqu’à l’âge de fer, ce sixième sens constituait un facteur de sur­vie appréciable. L’homme pouvait se laisser guider par d’infimes signaux magnétiques vers les sites où la présence d’eau était géolo­giquement probable.

À cette époque, où l’environne­ment magnétique n’était nulle­ment saturé, la baguette de détec­tion n’était pas nécessaire. Les sujets sensibles pouvaient « tom­ber en arrêt » sur les endroits favorables par une réaction amplifiée, exagérée, aux anoma­lies magnétiques. Encore aujourd’hui, au passage de telles anomalies, certaines personnes hypersensibles réagissent par des nausées, des syncopes légères, etc.

A-t-on identifié les « récepteurs magné­tiques » responsables de ce sixième sens ?

Il s’agit de cristaux de magnétite, un matériau à aimantation fragile. Les biologistes ont trouvé ces cristaux dans la tête des pigeons et des dauphins, animaux réputés pour leur sens de l’orientation. On trouve ces mêmes cristaux dans l’abdomen des abeilles. Chez l’homme, ils sont situés à six niveaux bien précis qui déclen­chent la réaction sourcière. Ce sont les tempes et les muscles oculaires, le cervelet, le cou, les glandes surrénales, les coudes et les genoux. Si on applique un fai­ble champ magnétique à l’un de ces endroits, on modifie les réactions obtenues à la baguette ou au pendule.

Dans la nature, ce sont des écarts très faibles du champ magnétique terrestre qui agissent sur ces cen­tres récepteurs. Ils provoquent un bref relâchement musculaire qui fait « partir » la baguette ou tour­ner le pendule. Que nous soyons sensibles à des variations magnétiques aussi infimes (1/5000e du champ terrestre) étonne le physi­cien comme le biologiste, mais c’est un fait désormais bien établi.

Vous dressez d’ailleurs des « cartes d’identité magnétique » pour chaque sujet. Et vous déclarez qu’il existe en France « trente-cinq millions de sourciers »…

La carte d’identité magnétique permet des recoupements intéres­sants quant à la transmission héréditaire du don sourcier. Et j’estime en effet à trente-cinq mil­lions le nombre de Français qui peuvent obtenir des signaux vala­bles à la baguette ou au pendule. Cela dit, les résultats dépendent du bon équilibre électro­magnétique de chaque sujet. Au C.E.A., j’ai eu souvent comme assistants d’anciens officiers de marine : ils étaient tous très bons sourciers. Vingt-cinq ou trente ans de vie en mer leur avait con­servé une certaine « virginité magnétique ».

A-t-on encore besoin de sourciers à l’époque des magnétomètres à protons ?

Les magnétomètres actuels sont plus précis que le sens magnéti­que humain. Mais chaque appareil coûte plus de dix millions de cen­times ! Et puis sur le terrain, il est parfois plus rapide de détec­ter à la baguette ou au pendule, quitte à faire ensuite des relevés quantitatifs au magnétomètre.

En fait, l’intérêt véritable des étu­des sur les sourciers est de relan­cer la question du bio­magnétisme, c’est-à-dire de l’action des champs magnétiques sur les êtres vivants. Scientifique­ment, on se doit d’étudier ces sujets exceptionnels — une per­sonne sur quarante, en moyenne — qui perçoivent les champs magnétiques ambiants sans l’aide d’aucun instrument. Nous avons là le sixième sens magnétique à l’état pur, tel qu’il devait exister chez l’homme de la préhistoire.

Nous étudions également com­ment la sensibilité sourcière varie sous l’Équateur magnétique. Nous avons envoyé en Bolivie de très bons sourciers dont les capacités se sont trouvées très amoindries une fois sur place. Et nous n’avons pu trouver aucun Bolivien qui soit sourcier. Même chose à Freetown, en Sierra Leone : nos sujets les mieux doués perdent leur sensibilité et aucun indigène ne se révèle sourcier. La faculté sourcière est donc bel et bien dépendante du magnétisme terres­tre puisqu’il n’y a pas de sour­ciers sous l’Équateur magné­tique !

propos recueillis par — Alexandre Armel