Jean Klein
Une autre perspective

Je vous propose une expérience intéressante qui vous fera mieux comprendre ce que je vous expose. Allez un soir à un concert écouter une musique qui vous plaît. Elle vous semble attrayante, merveilleuse, extraordinaire, elle vous bouleverse. Vous êtes donc pleinement attentif. — Le rideau se ferme. — Vous êtes alors renvoyé à vous-même puisque vous n’avez plus de prise, Tout dynamisme de saisir est éliminé et se perd dans votre conscience. On se sent être présence, sans pourtant l’appréhender, la fixer, on se sait intuitivement vivre en harmonie, dans la réalité. Je ne sais si vous me suivez ? Apprenons à regarder sans affects notre vie, notre environnement. Les situations, tout ce qui apparaît prend alors une tout autre signification, une autre perspective. Nos affectivités nous font bâtir un monde illusoire, en nous et autour de nous. Sans ces fantasmes, ce sont les choses qui nous saisissent, elles ne se rapportent plus à un point de vue, mais à la globalité et le changement se produira grâce à la compréhension ainsi obtenue. Si vous voulez vous libérer de la peur, de l’inconfort, regardez-les lucidement, sans fuir, acceptez ces perceptions afin de les traverser, les dépasser ; ne les refusez pas, afin de leur donner l’occasion de finalement vous révéler la présence qui est vôtre.

(Revue Être. No 3. 15e année. 1987)

Le titre est de 3e Millénaire

Qu’entendez-vous exactement pas « l’attention » ?

Nous sommes généralement attentifs à quelque chose. Ce n’est pas ce dont nous parlons ici. Imprégnez-vous d’une évidence : l’observation sans interférence d’aucune sorte, que ce soit jugement, évaluation ou comparaison, nous libère de la personne. Cette conviction entraîne la disparition des complémentarités : bien, mal, positif, négatif et votre vigilance non dispersée se développe, elle prend de l’acuité, devient plus lucide, elle a une autre dimension. Vous ne pouvez le percevoir, ce n’est pas un objet, ce qui est regardé est regardé sans que vous « accrochiez » ce regard, vous écoutez, vous prêtez l’oreille à ce que vous entendez, mais vous écoutez l’entendement, jamais l’écoute. Voyez la différence : il ne s’agit pas de saisir mais d’accueillir, vous serez autant à l’écoute de l’autre que de vos réactions, créant ainsi une distanciation. Ce recul permet la véritable attention que rien ne peut troubler, et à ce moment-là, c’est votre présence, source de toute chose, votre centre. Cet axe ne peut être circonscrit comme un objet, ni vu, ni entendu, ni touché, ni senti, ce n’est pas non plus un concept. Et pour finir, les mots axe, centre sont également impropres pour nommer ce qui ne peut l’être.

Je vous propose une expérience intéressante qui vous fera mieux comprendre ce que je vous expose. Allez un soir à un concert écouter une musique qui vous plaît. Elle vous semble attrayante, merveilleuse, extraordinaire, elle vous bouleverse. Vous êtes donc pleinement attentif. — Le rideau se ferme. — Vous êtes alors renvoyé à vous-même puisque vous n’avez plus de prise, Tout dynamisme de saisir est éliminé et se perd dans votre conscience. On se sent être présence, sans pourtant l’appréhender, la fixer, on se sait intuitivement vivre en harmonie, dans la réalité. Je ne sais si vous me suivez ? Apprenons à regarder sans affects notre vie, notre environnement. Les situations, tout ce qui apparaît prend alors une tout autre signification, une autre perspective. Nos affectivités nous font bâtir un monde illusoire, en nous et autour de nous. Sans ces fantasmes, ce sont les choses qui nous saisissent, elles ne se rapportent plus à un point de vue, mais à la globalité et le changement se produira grâce à la compréhension ainsi obtenue. Si vous voulez vous libérer de la peur, de l’inconfort, regardez-les lucidement, sans fuir, acceptez ces perceptions afin de les traverser, les dépasser ; ne les refusez pas, afin de leur donner l’occasion de finalement vous révéler la présence qui est vôtre.

Au fond, y a-t-il une différence entre l’attention et la présence ?

Remplacez le mot attention par lucidité, pour mieux la discerner. C’est une faculté inhérente à la fonction cérébrale, elle est forcément, comme tout phénomène, une expression de la réalité. Si nous la maintenons, sans la perturber par une manipulation de la personne, elle peut s’approfondir, s’ouvrir, devenir totalité. Elle est alors la conscience. Notre langage est dualiste, on est conscient de quelque chose ; ici, il est uniquement question de la pure conscience.

La recherche intellectuelle est-elle un prétexte ou une aide ?

C’est une information, le mental est informé. Ce que vous êtes foncièrement, fondamentalement ne peut être enseigné puisqu’en fait, il n’y a rien à apprendre, à savoir. Admettez-le tout simplement et par la suite, vous comprendrez que tout effort en ce sens est un éloignement. L’enseignement verbal ou écrit cherche, au contraire, à faire saisir à votre esprit que chaque pas dans cette direction vous écarte. Nous ne pouvons penser ce que nous sommes profondément, cela dépasse les possibilités de notre intellect. Le constater provoque le lâcher prise qui enfin vous dégagera.

Devons-nous considérer le mental comme une fonction d’un membre de notre corps ?

Le corps a des fonctions qu’il doit remplir, mais l’amour, la joie, la paix ne sont pas de son domaine ; ce ne sont pas des concepts. Rappelez-vous les moments de votre vie pendant lesquels vous aviez l’impression que tout était parfaitement accompli, le champ de votre conscience était non meublé, sans représentation. L’espace et le temps s’étaient effacés, car il n’y avait plus de pensées. Vous pouvez communiquer au moyen de la parole, mais non transmettre l’esprit, celui-ci se transmet dans le silence, dans la présence intérieure commune à tous.

Vous avez parlé un jour de maturation, lorsque nous nous posons souvent des questions sur notre vie : Qu’est-ce ? Pourquoi cette activité ? Qui suis-je ?

Vous ne pouvez évidemment pas avoir de réponse. Vivez avec cette interrogation. Au début, vous raisonnez : « Je ne sais pas » ou alors, « J’ai tel âge, je me souviens de mes diverses occupations, de toutes les connaissances que j’ai acquises, des événements vécus, des plaisirs, des désagréments traversés ». Laissez ces péripéties se dérouler devant vos yeux et demandez-vous ? Est-ce la vie ? A la suite de cette investigation, déposez ces éléments de votre existence sur une table, constatez ces faits se présentant devant vous, puis restez en attente. A votre étonnement, vous verrez, vous sentirez qu’il se forme un immense espace, un décollement si je puis dire, tout perdra l’importance momentanée que vous lui aviez donnée, seul restera un : Je suis, qu’on ne peut définir.

Vivez avec cette découverte, sans chercher à arracher une information complémentaire, car elle viendrait de votre mémoire. La réponse est en vous, elle surgira un jour du silence, non de ce que vous connaissez déjà. Bien sûr, la personne se sent en très grande insécurité pendant cette recherche, car dans : je ne sais pas ou dans une attente sans volition, elle trouve sa mort mais, en même temps, sa vraie naissance. Tout ce qui apparaît se rapporte à ce silence et doit se déployer complètement sans mémoire psychologique. L’action en découle directement, sans évaluation, comparaison et chaque situation apporte elle-même sa solution.

Dans cette dimension, c’est notre centre qui commande ou plutôt ce qui n’a ni centre ni périphérie. La joie de vivre, la vie, toutes les apparitions, toutes les représentations en sont des expressions et font partie de notre vrai nous-même. Elles en proviennent pour s’y perdre à nouveau. Aucune intention ne se manifeste dans cette pause, c’est une suffisance absolue, totale en soi, tandis que si nous objectivons, si nous représentons, nous formons constamment des projets ; l’insécurité nous oppresse, nous nous sentons isolés, inquiets.

Le sentiment de joie que nous éprouvons alors n’a plus rien de personnel ?

Non, dans l’enthousiasme, l’émerveillement, la personne n’est pas présente. Quand vous dites : j’ai été émerveillé, votre mémoire a joué son rôle, l’individu s’est approprié cet instant privilégié.

Sachez vivre avec vos questions. Un jour, vous remarquerez qu’elles surgissent directement de leur réponse. Aimez-les, sans essayer de les violer, et spontanément, lorsque vous serez prêt, la solution apparaîtra clairement, bien que sur un autre plan. La demande se sera consumée dans votre attente, votre ouverture, elle ne laisse aucun résidu dans ce cas.

Ce que vous appelez résidu, est-ce la mémoire ? Qu’est-ce au juste ?

Ce sont les éléments de vos interrogations non entièrement épuisés qui continuent à vous perturber. Quand un problème à résoudre vous plonge dans une immense insécurité, vous cherchez souvent son règlement par l’intermédiaire de votre mémoire, si bien qu’il reste concret, angoissant ; c’est le laisser-faire, sans intervention d’aucune sorte qui provoque la métamorphose. Cette attente sans volition contient en quelque sorte la réponse, toujours vivante au « Qui suis-je ? » Celle-ci ne se laisse pas formuler, mais vous révèle votre totalité. Vous l’expérimentez sans expérimentateur, vous la vivez dans une parfaite unité.

Savoir attendre est un très grand art, la personne qui n’a plus aucune prise se sent dans un immense inconfort. Situez-vous dans ce vide plein, afin qu’elle abdique ; la mémoire restera, elle sera toujours active sur le plan fonctionnel, mais plus dans le domaine de l’essentiel. L’inquiétude, l’élément psychologique est éliminé.

Bien entendu, ce dont nous parlons en ce moment se réfère à l’ultime question « Qui suis-je ? Qu’est-ce que la vie ? » Cela seul est important, le reste n’est que fractionnel, illusoire et cette réalité primordiale le résoudra.

Vivre avec la question, cela veut-il dire qu’elle est toujours là, mais sans que je la concrétise ?

Vous pouvez l’exprimer par des mots, mais non la réponse. Si vous ressentez profondément, avec acuité « Qui suis-je ? Qu’est-ce que la vie ? » Vous n’avez pas de prise pour converser avec ce malaise, cette angoisse parfois. Cependant, habiter avec cette demande pressante en vous élimine tout ce que vous n’êtes pas. C’est le plus souvent un problème de temps, d’attente sans impatience. — Tout ce qui n’est pas réel, qui n’a pas d’existence en soi s’effacera peu à peu par une discrimination s’effectuant parfois lentement. Vous comprendrez enfin que la conscience seule n’a pas besoin d’intermédiaire pour être connue. Cette investigation profonde déclenche la consumation de ce qu’on n’est pas jusqu’au jour où elle révèle ce que j’appellerai notre axe. Nous le cherchons constamment, plus ou moins consciemment. Sachez vivre avec cette question, elle est très fragile, difficile à cerner en un sens, car dans notre existence, nous ne savons manipuler les événements que par l’intellect, la mémoire. Toute évocation, toute action, toute émotion, notre manière d’approcher notre environnement, tout émane de ce centre.

Ici, la pensée, la mémoire ne jouent pas ?

La mémoire est une façon de penser. Le passé est aussi une notion actuelle sur laquelle nous collons une étiquette, hier, il y a deux mille ans, ou demain ; dans tous les cas, l’idée nous effleure toujours à l’instant même.

Être présent d’une façon très attentive, très ouverte à ce qui se manifeste est donc pour nous la seule approche possible ? Le « je » qui juge et veut se rassurer ne se montre plus ?

Oui, très exactement. Nous sommes alors dans une parfaite unité, sans division ni jeu entre positif, négatif, agréable, désagréable, plaisant, déplaisant. Nous comprenons enfin vraiment que tout cela est purement mental.

Pour ma part, je suis préoccupé actuellement par la difficulté de transposer ; c’est-à-dire : dans un moment de tranquillité, semblable à ceux que nous avons ensemble, je peux toucher en quelque sorte cette paix dont vous parliez tout à l’heure, mais il est difficile pour moi de garder au cours de la journée ce goût d’intériorité. Bon nombre d’évasions le font disparaître. Il me semble qu’il manque un sentiment de continuité entre ce que nous faisons ici et le reste de notre existence, quand nous sommes repris par nos problèmes à résoudre.

En ce moment, vous êtes totalement ouvert, dans une attente sans choix ni sélection, c’est une lucidité où ne peut intervenir rien d’extérieur ni d’intérieur, aucune énergie excentrique ni concentrique n’est sollicitée. Par cet accueil spontané, vous serez amené à la présence constante, elle est derrière toute formulation, toute existence, elle est continuité. Vous allez d’abord la vivre entre deux pensées, deux perceptions, deux états, lorsqu’un objet désiré est atteint ou à la faveur d’une rencontre. Chaque activité, chaque pensée en sont une expression. Vous le savez bien, nous ne parlons pas ici de la tranquillité du mental, de l’esprit ; celui-ci peut être calme de temps à autre — sa nature n’est pas non plus agitation, elle est action — mais la sérénité qui nous occupe a une autre dimension. Du reste, ceci est aussi une formulation incorrecte ; elle est en dehors de tout plan.

Votre vacuité, votre espace ne peut se mesurer, cette présence est absence totale d’un vous-même. Familiarisez-vous davantage avec ce moment, ne cherchez en aucun cas à l’objectiver, on entre et sort de l’état : je suis tranquille ; c’est d’un non-état que tout surgit. Évitez de brusquer, de vouloir intervenir, évitez toute impatience lorsque vous vivez intimement avec vous-même. Comment pourriez-vous acquérir ce que vous avez déjà, ce que vous êtes pleinement ? Cette certitude vous fera saisir que tout exercice, toute action, toute croyance ne sont qu’éloignement.

Les instants de tranquillité, d’émerveillement que nous traversons parfois vont-ils agir et déclencher en nous une joie véritable ?

C’est incontestable. Prenons un exemple : notre attention est davantage éveillée devant la nature ; celle-ci se révèle chaque fois d’une manière inconnue et une prolongation de l’observation, fonction purement cérébrale au début, deviendra ensuite vigilance, puis conscience. Apparemment, une croissance pourrait être détectée, mais si la situation vous amène à maintenir cette ouverture sans vouloir vagabonder vers quelque référence au passé, à vos désirs, elle reste devant l’objet et vous donnez à celui-ci l’occasion de se dévoiler entièrement.

Vous pouvez alors sentir cette expansion, cet élargissement de la perception qui deviendra lucidité, conscience. Au début, on dirait que vous avez mis une masse d’énergie sur l’objet, puis une démarche à rebours va se produire et au fur et à mesure que la réalité se révèle, elle se vide en quelque sorte de l’observation.

C’est ainsi que l’instrument nous conduit à notre présence attentive, parce qu’en vérité, chaque chose trouve sa raison d’être, son existence dans notre attention, elle n’en a pas en elle-même. En fait, la conscience et son objet font un, celui-ci perd donc son intérêt grâce à notre compréhension, il nous renvoie à l’essence primordiale, à l’essentiel.

Ne laissons pas notre imagination vagabonder, certains objets sont fascinants, comme la musique, l’architecture, la sculpture ; nous avons tant à découvrir que nous ne pouvons nous arracher à un tel enchantement.

Si j’ai bien suivi, à un moment enfin, on se sait présent, l’objet nous a renvoyés à l’ultime sans l’intervention de la personne ?

Une intuition, un parfum nous donne le pressentiment d’être au seuil du réel. Quand cet arôme se maintient d’une manière vivante en nous, une réorchestration se fait sur d’autres plans. Nous regardons différemment nos activités de tous les jours, nos centres d’intérêt changent d’eux-mêmes, nous sommes en quelque sorte orientés. Une transformation de notre existence courante se fait déjà par cet aiguillage.

Nous vivons notre autonomie, notre liberté dans cette écoute ; nous ne ressentons plus de pesanteur, pas de charges, tout se joue dans cet espace, cette ouverture. Nous comprenons que le connu est toujours dans le connaisseur et que l’inverse ne peut se produire.

Vous dites : le connu est dans le connaisseur, sinon il n’y aurait pas de connaissance. Je prends une image : au moment où l’homme cherche à capter les caractéristiques de son corps, par exemple, il découvre que celui-ci est le connu dans le connaisseur ?

Oui, il est une expression de la conscience, il n’existerait pas sans elle. Je me connais en tant que corps uniquement parce qu’il émane de la présence qui, elle, n’est pas psychologique. Essayez de sonder profondément, de méditer sur ce qui vous est le plus proche, l’ultime sujet. Il est vous-même et se manifeste, si l’on peut dire, à travers chaque chose créée, vécue, pensée.

C’est magique ! Par la suite, vous interprétez à la lumière de votre expérience passée ; si elle est agréable ou désagréable, vous l’identifiez avec un autre objet mais en vérité, vous connaissez le plaisir qu’il vous a procuré ou les affres qu’il a suscitées, sans plus.

Prendre en considération de cette manière, sans juger ni évaluer les situations qui vous sollicitent tout au long des jours est un premier pas, éminemment important. Rien n’est jamais identique, on peut noter de temps à autre une certaine ressemblance, mais nous ne pouvons codifier notre comportement puisque les circonstances, les problèmes se modifient, ne se répètent pas, notre vue en est très partielle, très incomplète.

Notre relation avec les êtres qui nous entourent est souvent superficielle, il y a beaucoup plus de richesses en eux qu’il ne nous paraît. On invente un répertoire dans lequel on puise ensuite pour se sécuriser, se faciliter, croyons-nous, les contacts ; sans faire vibrer les différentes palettes qui sommeillent en chacun.

Le jour où nous voyons ce jeu si peu créatif, si peu imaginatif, si négatif, il s’arrête. On ne projette plus rien, on vit l’instant dans toute sa plénitude. Ce sont des moments très importants, en dehors de l’espace/temps ; sachons les accueillir. Éveillons-nous, ne soyons plus inertes, sans ressort, passifs, tant de choses extraordinaires ne demandent qu’à se révéler si nous nous ouvrons à elles, afin de les recevoir avec joie, avec amour, avec compréhension.

Je voudrais savoir comment, dans mon existence quotidienne, l’attention apportée à chaque chose alterne avec l’observation ?

Nous allons reprendre votre exemple : vous donnez l’ordre à votre corps, à vos sens de se comporter d’une certaine manière, c’est une intention. Quittez la région où celle-ci se localise et il vient une perception corporelle globale. Vous vous rendez compte que, généralement, vous utilisez la mémoire pour chercher vos sensations. Essayez de voir, de sentir votre corps dans toute sa fraîcheur, comme s’il était nouveau pour vous, comme si vous ne l’aviez jamais mis à l’épreuve. Restez donc à l’écoute de cette sensation globale, regardez-la se former sans vouloir provoquer quoi que ce soit. Nous anticipons habituellement, nous sommes dans le devenir, non dans une perception pure. Quand, au contraire, vous observez sans appréciation d’aucune sorte, vous faites un avec ce que vous percevez et cette écoute dépourvue d’intention, de qualification est tout simplement un regard pouvant provoquer une transformation physique.

Il en est ainsi sur tous les plans ; au début vous regardez ; à un moment donné, l’observateur et la chose observée font un : cela semble encore une faculté, mais cette lucidité va croître en quelque sorte et elle vous conduira à en prendre conscience. Néanmoins, comprenez bien, vous ne pouvez objectiver cette prise de conscience, elle est en dehors du temps et de l’espace.

Dans l’existence quotidienne, il est important de ne pas être collé à l’activité, de ne pas s’y noyer, d’être pleinement présent à l’instant, certes, mais en sachant garder une distance, un recul, en ne grossissant pas la valeur réelle des choses. En d’autres mots, vous en êtes le témoin.

Nous devons donc avoir une confiance totale dans le résultat des ordres donnés sur le plan corporel ?

C’est notre observation qui permet au corps de trouver sa sensation. Observer signifie : regarder sans juger, sans comparer, sans apprécier. Du reste, ce mot lui-même est inadéquat en la circonstance car il suppose que vous créez une fixation sur ce qui est en question, vous ne pouvez prendre de recul. Il semblerait plus juste de dire : accueillir ce qui se passe à chaque instant, être totalement ouvert, réceptif, ce qui donne pleine liberté à la perception et lui permet de se déployer, de s’épanouir. Celui qui juge, interprète, domine a disparu et c’est votre totalité, votre espace qui vous guide.

Une constatation foudroyante, éblouissante vous fait saisir que les objets, les représentations n’ont pas d’existence intrinsèque. Ils dépendent obligatoirement de votre présence consciente qui saisit alors les différents plans de l’être et opère la transformation.

Vous avez pu le remarquer dans un monde phénoménal ; le jour où vous avez bien compris quelque chose, vous passez sans plus vous attarder à un autre sujet.

Je peux très bien suivre mentalement ce que vous exposez mais pas en profondeur.

Attendez sans impatience le changement, ne faites rien. Vous enregistrez d’abord intellectuellement. Vivez sans but, sans désir d’aucune sorte avec cette adhésion, cet accord ; peu à peu, imperceptiblement, un mûrissement se développera en vous et vous constaterez enfin avec surprise la métamorphose survenue entièrement à votre insu.