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Marc BEIGBEDER (1916-1997)
Issu d’une famille de bourgeoisie protestante d’origine béarnaise établie à Nancy, Marc Beigbeder entreprend des études de théologie à la Faculté protestante du boulevard Arago et participe en 1937-1938 (avec, entre autres, Paul Ricœur) au comité de rédaction de la revue Être, qui succède à Hic et Nunc en associant à la diffusion de la pensée du théologien suisse Karl Barth un engagement dans le combat social. Il est aussi étudiant en philosophie à la Sorbonne, disciple et bientôt ami de Jean Wahl qui l’introduit chez Gabriel Marcel. Il lit alors Esprit et fréquente les groupes. Ayant renoncé à la théologie, il se consacre dans la pauvreté à la littérature, écrit en 1938-1939 une pièce de théâtre, de la poésie et l’apologue Philoctète que Jean Schlumberger apprécie mais que Paulhan refuse pour la NRF. Mobilisé, il envoie en janvier 1940, sur la suggestion de Jean Wahl, des poèmes au Lyonnais Marc Barbezat qui s’apprête à lancer une revue littéraire ; ils sont publiés dans le premier numéro de L’Arbalète (mai 1940).
Démobilisé, il s’installe à Lyon en octobre, avec une petite aide financière de sa famille pour préparer l’agrégation de philosophie. Il y retrouve Gabriel Marcel, qui l’amène aux réunions chez Jean Lacroix, et le pasteur barthien Roland de Pury, résistant et ami d’Esprit. Il entre en relation avec Mounier, ainsi qu’avec Fumet dont il côtoie les filles à la faculté ; il donne à Temps nouveau, dès le n° 2 (27 décembre), des billets anonymes. Présenté par Marcel à Mme Bados, sa disciple et amie très chère, professeur de philosophie à Lyon, il anime à partir de décembre le Cercle Charles Péguy qu’elle a fondé pour la formation civique des étudiants par des conférences et des échanges. Mais certains interprètent le patronage de Péguy dans un sens « antimoderne » (celui de la philosophie politique de Gabriel Marcel) et d’autres, avec Beigbeder, dans le sens de la démocratie personnaliste ; il projette en outre l’élargissement du Cercle, auquel il veut attirer des étudiants en droit et en sciences à côté des littéraires. Après avoir débattu de la patrie, en janvier, et invité Lacroix, le Cercle met au programme en février le thème « Autorité et liberté » ; Beigbeder prévoit d’inviter Joseph Hours et Mounier. Un groupe de participants, proche de l’Action française ou de Vichy (le jeune philosophe Pierre Boutang est influent dans le Cercle), s’oppose à l’invitation de Hours, que Marcel tient pour un démocrate chrétien sectaire au dogmatisme dangereux. Beigbeder proteste, croit que Mounier est également écarté et décide en mars, après une tentative de conciliation avec la présidente, de quitter le Cercle, suivi par un groupe d’étudiants autour du jéciste Gilbert Dru, qui anime aussi à la faculté une Amicale des Lettres. Ceux-ci continuent de se réunir entre eux et entrent dans « l’intergroupe de jeunes » que crée Beigbeder à l’invite de Mounier. C’est ce nouveau cercle proche d’Esprit qui lance en mai le chahut du film Le Juif Süss.
Beigbeder aide Mounier, depuis décembre, à nourrir les chroniques culturelles de la revue (théâtre, cinéma et littérature) et lui fournit de la documentation – notamment les extraits de presse utilisés dans les savoureux et impertinents montages des « Textes pour servir à l’histoire de notre temps ». Esprit publie en mars son Philoctète sous le titre « La patience d’Ulysse » et en mai une méditation sur le rapport des écrivains à la société, puis en juillet le « Supplément aux Mémoires d’un âne » qui provoque l’interdiction. Beigbeder fréquente Barbezat et le groupe littéraire des anciens élèves de Jean Wahl, écrit des pièces de théâtre et des poèmes et participe au printemps à la fondation de la revue littéraire Confluences dont il est le secrétaire général (auteur en août 1941 d’un article sévère sur la NRF), bientôt écarté par le fondateur Jacques Aubenque puis rappelé lorsque René Tavernier reprend la revue à l’automne. Ayant échoué à l’agrégation, il est entré sur la recommandation de Mounier au service des éditions de Jeune France ; il en est éliminé, après avoir été « interdit de séjour » à Lourmarin, sans doute en punition des réflexions impudentes de l’âne Cadichon.
Après l’interdiction d’Esprit, il poursuit son activité culturelle, collaborant aux revues littéraires et poétiques résistantes, en contact avec la Suisse et nouant de nombreuses amitiés (Auguste Anglès, Roger Breuil, Jean-Marie Domenach, François Houang, Joseph Rovan). Après son mariage en 1943, il revient à Paris, se partage entre l’enseignement, l’écriture et des expériences de théâtre populaire. Auteur de chroniques sur le théâtre, dans Esprit en 1947-1949 et dans d’autres périodiques, il milite aux côtés du parti communiste (aux Combattants de la Paix) et rompt violemment avec Béguin. Professeur à Tunis, engagé dans les luttes anticoloniales, resté pauvre, il ne cesse de s’enflammer et de témoigner ; il publie, entre autres, un petit André Gide pénétrant (Éditions universitaires, 1954), un Portrait de Dieu et, en 1980, une charge contre la Nouvelle Droite. Il distribue à ses amis « La bouteille à la mer », lettre « non périodique, autotapée, […] librement reproduisible » ; il donne libre cours dans cet « étonnant samizdat » à ses enthousiasmes et à ses colères d’«homme de Dieu, protestant doublement protestant, […] homme de Dieu et ami des humains ».Bernard Comte
http://www.esprit.presse.fr/whoarewe/author/detail.php?author=BEIGBEDER%20Marc
(Extrait de: Portrait de dieu ou la nouvelle figure de dieu par Marc Beigbeder. Édition Robert Morel 1978)
Je reprends, malgré tout, les vieux mots : âme, Au-delà, Lieu. Ils flottent sans terre, mais ne demandent qu’à se ré-enraciner. Ils sont là comme des soupirs. À nous de mettre des notes. Il y en a, comme jamais peut-être, un immense besoin.
Voile longtemps qu’il me possède. Toutes ces interventions de justice, qui m’ont requis des années, y puisaient leur raison, quand même celle-ci, au bas de manifestes, au drapeau de manifestations, pouvait paraître muette.
Le constat de Camus était juste, quoique trop intemporel. Rien dans la vie elle-même, comme du moins nous nous la présentons depuis trois siècles — réserve qui lui échappait — ne fonde le respect de la vie ni l’amour de l’autre. Les assumer par protestation, comme il l’a voulu généreusement, ne tient que de la bravade. La bonne volonté de Sartre n’a pu contrer Stirner et Nietzsche. Si la liberté n’est pas une valeur, si je ne pars que de la mienne, celle de l’autre n’y est pas incluse nécessairement, et je puis faire n’importe quoi. Les engagements de Sartre, comme ses condamnations, n’ont point de base, hors sa bénévolence [1].
L’existence, comme se l’est figurée cette culture, n’est même pas absurde. Elle est vide d’indication. Elle ne contient aucune fin. En placer une dans l’évolution biologique, comme l’a tenté puissamment Teilhard de Chardin, en en faisant une marche à l’accroissement de spiritualisation et de fraternité en même temps que d’intelligence, s’effondre. À l’évidence, gueulante aujourd’hui, celle-ci diminuerait plutôt celles-là ; elle est grevée d’une domination; elle n’est peut-être bien que la face agressive, possessive, ethnocentrique, d’une relation au monde, que l’on pourrait estimer supérieure dans le reste de la création [2]. Accrocher les valeurs, leur production, à une classe, comme l’ont fait en somme les marxistes, mus par une louable commisération, c’est s’exposer, quand cette classe est promue — ou seulement ses Commissaires —, à la retrouver sans leur grelot. Il ne s’y est jamais trouvé, d’ailleurs, si les valeurs n’existaient pas en elles-mêmes; en ce cas il n’était que le tintement d’intérêts, pas plus respectables ni légitimes dès lors que d’autres.
L’univers, l’existence, pour notre culture : machines qui tournent comme ça. Jacques Monod a dû le subir : acculé à quémander à l’Éthique de fonder l’Objectivité de la Science — principale responsable du désert, ce qu’il s’était mis en situation d’ignorer [3]. Michel Foucault prend le parti des enfermés. Arbitraire. De son œuvre minutieusement descriptive, il pourrait aussi bien opter en sens inverse — ou s’abstenir [4].
Culture de signifiants sans signifiés. Elle réduit les meilleurs à la braverie, à la bénévolence, à l’illusion, à la mendicité, ou à jouer aux dés. Comment faire autrement ?
Cela n’est pas facile. Il y faut déjà deux dures conditions : la franchise et l’humilité.
Crever les bulles de nos penseurs, c’était franchise. Mais, sur l’autre versant, sa tâche est aussi rude. Nous voilà empêtrés, Églises, croyants, dans une double pensée, dans une hypocrisie. Nous répétons les mots d’hier — Incarnation, Résurrection, Salut — sans plus rien, généralement, de leur contenu. Amputé de la Grâce, le baptême n’est qu’une présentation familiale. La Communion, sans mutation du vin en sang, du pain en chair, n’est qu’un bain de foule. La rémission des péchés, sans l’intercession de la Croix, n’est qu’une thérapie mondaine. La prière, sans l’intimité du Destinataire, n’est qu’un dégagement du larynx. Le mariage, sans fusion dans un Tiers Éternel, n’est qu’un contrat chez le notaire. L’histoire, sans l’information d’un plan divin, n’est que le bruit des hommes. Nous ne croyons plus à la substance de ce que nous confessons. La franchise, c’est, au risque de tout perdre, de ne plus accepter, en moi-même, cette duplicité.
L’humilité. Qui suis-je, d’abord, pour parler ? Pas un fondateur de nouvelle religion, en tout cas, même si je coupe le moulin de l’ancienne. Un vivant, qui tend l’oreille à nos craquements, à ce qu’ils enfantent. Je n’ai que l’avantage, disponible à chacun, de ne pas me fermer.
Mais l’humilité ne serait pas trop dure si elle n’était qu’un comportement personnel. C’est aussi une soumission collective au temps, à sa relativité. C’est pourquoi si, comme je le criais naguère [5], la réduction du religieux au social est un détournement naïf, l’enfoncement dans le Même est vanité et stérilité. L’intégriste garde le Dieu mort dans ses bras, en prétendant le réchauffer, au lieu d’en faire un autre. On peut reprendre les vieux mots : à condition de les remplir de nouveau.
Souffler sur le passé éteint est, je dirai même, sacrilège. Il se peut que l’Un soit. Mais ce ne doit pas être sa volonté d’être reconnu comme tel : il n’apparaît que dans la multiplicité. À celle-ci notre culture a cru longtemps pouvoir mettre un escalier. De l’animisme on montait au polythéisme, puis aux monothéismes, enfin au nôtre. Cette hiérarchie n’était que hallucination de notre orgueil, ricochet de mœurs locales. La multiplicité de Dieu est horizontale. Mille yeux l’ont vu, chacun dans sa perspective, comme chaque pierre réfléchit le soleil. J’admire que certains se convertissent encore à l’une des religions existantes, et je ne suspecte pas leur sincérité. Mais rien ne les autorise à ériger leur choix en supériorité. En exclusivité. La plupart du temps, d’ailleurs, ils ne font que revenir à l’écurie de leur naissance. Quelle mentalité de village ! Quel manque de soif de voyages, de communications, d’espaces, d’éclatement, à une époque planétaire ! Il y a là, même illuminés d’une vision authentique, de la facilité, de l’étriquement, du repliement frileux sur la colline, à la Barrès. Il y a là, surtout, besoin de fanatisme. Or c’est ce que nous devons dès l’abord nous arracher, si Dieu se donne dans l’histoire, à chacune différemment, sans étages. Puisque la présente s’en va en ruines, il faut construire une autre maison. Sans nous effrayer ou scandaliser de ce qu’elle puisse n’être pas la même. L’Évangile y autorise, où Jésus dit : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père ».
Les fondateurs de religions profèrent; leur langage marie l’affectivité et le sens. Autant que mon ambition, mon style suffirait à m’en distinguer. Je suis seulement un participant, un réfléchissant de la nouvelle Aventure, que prévoyait. André Malraux, dans ses dernières années. Si mon cœur n’est pas absent, c’est ma tête avant tout qui effectue la reconnaissance. Les fondateurs de religions débouchent tout bottés dans l’histoire, sans rien lui demander. Au lieu que ce qui va me retenir ici, tout au long, c’est la considération attentive et plus modeste, l’examen laborieux et plutôt chiant de ce qui, dans ce temps, par ce qui y meurt et y sourd, préparerait leur voie. Je ne suis pas qualifié pour proclamer, pour dire les nouveaux mythes. Ma seule capacité, comme ma seule visée, est de contribuer à en faire pressentir le contenu, en scrutant de toute mon intelligence les cendres du mythique qui s’éteint.
Le plus souvent, il est vrai, une partie de ce mythique, comme celui de la Quantification universelle, du Hasard, du Non sens originel, de l’Historicisme, ne nous apparaît pas mythique. Tout n’est pas faux dans ce sentiment. C’est du mythique et c’est, en même temps, le contraire.
L’une des particularités de notre culture est d’avoir séparé le sacré et le profane, nous répètent les sociologues depuis cent ans. Le constat n’est pas inexact; il est trop court. Car qu’est-ce qui se cache derrière cette séparation, cette prétendue et réelle séparation ? La principale de nos idéologies, celle de la possibilité d’une objectivité pure, d’une liberté arbitrale neutre. Elle va au mythique et n’y va pas.
Pour commencer à réaliser la nature de cette idéologie, vis-à-vis du mythique, regardons un instant vers deux champs importants où elle est déployée, l’École et la Science.
Notre École repose, dans ses proclamations et ses procédures, depuis cent ans, sur l’Idée de distribuer un savoir dépourvu de tout présupposé, un savoir en soi, en somme. De donner la capacité d’un jugement vide de toute subjectivité, sans aucun arbitraire, un jugement en soi, en somme. Maintenant, lisez tous ces déchiffrements de notre École, qui ont précédé immédiatement 1968, ou déferlé depuis sa coupure, dont le plus approfondi reste sans doute celui des auteurs des Héritiers [6]. Vous y verrez que, en réalité, notre École — comme aussi bien notre Famille ou nos Mass Media — enfourne un ensemble de dispositifs mentaux orientés, un « habitus » circonstanciel et polarisé. L’Idée qui supporte notre école, comme notre éducation et notre diffusion culturelle, est en fait idéologie. Peu me chaut, maintenant, que ce qui meut généralement nos vaillant décrypteurs, ce soit une autre idéologie, un Mythe même par certains aspects, celui de l’égalité de tous, l’un des plus beaux d’ailleurs. Qu’importe, en cet instant, que la lumière sur le fondement de notre École, de nos systèmes d’éducation familiale et de diffusion de la culture, résulte du choc de deux borgnes, puisque l’éclair jaillit.
Du côté de la Science, le décryptage est réalisé depuis longtemps. Mais non, il ne l’est pas : il reste limité aux experts. Malgré leur unanimité, il n’a pas pénétré.
Consultez n’importe quel épistémologue, n’importe quel théoricien de la scientificité. Il vous dira que la Science n’est pas une photographie; que le fait scientifique n’est pas une constatation, mais une construction; que tout fait scientifique, comme cette électricité que vous voyez (ou plutôt ne voyez pas) courir, est inséparable d’une théorie, c’est-à-dire d’un ensemble de concepts, lui-même in séparable des faits qu’il abstrait, édifie, organise. Que les concepts n’ont rien d’absolu; que ce sont des modes dialectiques de relations entre l’homme et le monde; qu’ils se transforment et même changent assez radicalement avec le temps, et du même coup les faits [7]. Que l’histoire des Sciences n’est pas tant celle d’une addition ou d’une cumulation de connaissances que de mutations de connaissances; pas tant celle du déploiement de la Raison que de métamorphoses de raison; pas tant continuité conceptuelle que discontinuité conceptuelle. Bref, la Science, c’est une succession — quand ce n’est pas une juxtaposition — hétérogène autant que homogène, de grilles, c’est-à-dire de modèles ou supermodèles, qui intelligibilisent et opèrent circonstanciellement le « réel »; la dernière grille ayant l’avantage de résoudre les difficultés des précédentes, jusqu’à ce que se découvrent les siennes, et ainsi de suite indéfiniment.
C’est la discipline clef, la Mathématique, plus ou moins opérante dans tous les secteurs, qui a inauguré cette relativité dialectique de la connaissance, qu’il ne faudrait pas confondre avec un scepticisme, comme certains imbéciles d’hier. L’apparition de géométries non euclidiennes, d’espaces dits abstraits, leur utilisation en Physique, ont obligé d’admettre que toute mathématique est, comme on dit, hypothético-déductive, qu ‘elle repose sur des présupposés logiques, cohérents, mais indémontrables, non évidents, arbitraires, en sorte que les fruits de sa rigueur et de son ingéniosité — théorèmes, équations — ne sont plus validés que par leur fécondité opératoire. Qu’il y a autant de types d’espaces que l’on peut s’en donner, sans qu’aucun soit proprement « réel », si l’euclidien à trois dimensions, en raison de dispositifs plus encore culturels que physiologiques, est sans doute, par rapport à notre quotidien adulte historique, le seul « concret » [8].
Ainsi la Mathématique a frayé la voie à une relativisation dialectique de l’opération de connaissance, que confirmeraient, à leur façon, l’étude scientifique de l’enfant, la psychophysiologie, l’ethnologie et la sociologie, comme la haute Physique. Celle-ci a puissamment contribué au mouvement, du fait de son lien étroit — et réciproque — avec la Mathématique, comme par la prise de conscience de la Relativité de la notion de mesure. Mais, avec la microphysique, la route s’est creusée.
Avec la microphysique quantique, n’importe quelle tête compétente vous le dira, les lois — comme on avait dû commencer à l’admettre pour la cinétique des gaz — cessent, partout, d’être rigoureuses dans leur principe, pour n’être plus que probabilitaires et statistiques, pour n’être qu’expressions de grands nombres, de moyennes. Et, dans ces conditions, l’espace et le temps eux-mêmes s’avérant notions statistiques, ils perdraient leur sens à l’échelle d’une particule.
Ce n’est pas tout. À opérer à cette échelle, sans grandes masses, comme on dit — à échelle individué, je dirai, plutôt —, on s’aperçoit que non seulement il est pratiquement et théoriquement impossible d’obtenir avec précision, en même temps, la vitesse et la position d’une particule, mais que la précision sur la mesure séparée de l’une ou de l’autre est limitée par un plafond, défini mathématiquement par les Relations dites d’incertitude de Heisenberg. On s’aperçoit encore que L’objet est un monstre, une équivoque — onde ou corpuscule, onde et corpuscule, ondo-corpuscule, comme dit Alfred Kastler —, et que ses apparitions, comme ses figurations ou ses représentations conceptuelles, sont étroitement liées aux dispositifs opératoires, et réciproquement. Ce que nous avons ici ce n’est pas, comme dans la perspective classique, un sujet ou dispositif opératoire d’un côté, et un objet ou observé de l’autre, mais des interactions de ce qui s’appelait sujet et objet. On pourrait dire aussi bien, d’ailleurs, qu’il n’y a pas, ici, proprement d’objet : tout ce que nous avons, en somme, pour en parler, c’est une « onde de probabilité », définissant une zone fluente, un « volume » d’apparition. Non seulement il y a perte de la localisation ponctuelle, mais tout ce que nous tenons, ou qui nous tient, ce sont des équations mathématiques, foncièrement probabilitaires de surcroît.
Bien entendu, la « subjectivité individuelle » du savant n’est pas en cause, ici. Toutes les expérimentations à l’échelle d’une particule, effectuées avec les mêmes dispositifs, entraînent pour chacun, aujourd’hui, le même curieux résultat. Mais les dispositifs renvoient aux concepts dont ils procèdent; les concepts à une culture ou à un moment de culture. L’objectivité s’en rétrécit en intersubjectivité dialectique historique. Ou plutôt seulement en rapport à une certaine grille : la Relativité einsteinienne est indispensable à la microphysique quantique; mais celle-ci, pour certaines interférences, comme entre deux ondes lumineuses dites cohérentes, impliquerait une inséparabilité des deux ondes, une communication entre elles à une vitesse supérieure à celle de la lumière, que la Relativité exclut [9].
Ces révélations ont d’autant plus de poids qu’elles ne datent pas de la dernière pluie — elles sont généralement sur la table depuis quelques dizaines d’années, ce qui est beaucoup aujourd’hui — et que la microphysique circule dans un très grand nombre de champs, physiques, astronomiques, biologiques, neurophysiologiques, etc. Pascal mettait la profondeur dans l’esprit de finesse. La finesse de l’esprit serait aujourd’hui au niveau physique fin. La microphysique a notamment imposé, avec l’universalité de la constante de Planck, que, partout, les lois soient probabilitaires et statistiques, dans leur principe, et que, partout, comme un Edgar Morin vient, à son tour, de fort bien l’exposer [10], il n’y ait qu’interactions, observations d’interactions. Mais la notion d’interaction affère évidemment à une grille, et les interactions observées ou provoquées sont celles que cette grille définit, construit, permet.
Si nous ne connaissons qu’au travers de grilles dialectiques, indéfiniment variables, si les bases de toute axiomatique mathématique sont des décisions, si l’objet microphysique, c’est-à-dire tout objet au niveau fin, et si tout objet à tout niveau, ne sont que relations d’interactions, si la notion d’interaction est elle-même circonstancielle et opératoire, si l’espace et le temps ne sont que les cadres d’une certaine échelle, qui renvoie elle-même à un moment de culture et à un choix, l’objectivité de papa est morte, ou plutôt, puisque son idée persiste, elle participe, comme je l’avançais, de l’idéologie.
Que demeure l’idée d’objectivité pure, de jugement neutre, en soi, malgré tant de démentis autorisés, l’attitude du public à l’égard des découvertes scientifiques, le style de notre enseignement des sciences, en seraient les preuves quotidiennes. Mais aussi le comportement de tant de savants, et non des moindres. Celui-ci peut avoir la forme d’un empirisme grossier, ou en revêtir une plus élégante, le résultat est le même. Postuler pour la Science l’Objectivité à partir de l’Éthique, comme l’a fait un Jacques Monod, par exemple, c’est s’imaginer que le mort est vivant, c’est donner seulement plus finement dans l’idéologie commune.
Ainsi l’idée d’objectivité pure, de jugement en soi, et d’abord en Sciences, c’est de l’idéologie : c’est-à-dire une idée qui n’a pas de valeur opératoire, même dialectiquement, sur le monde, qui outre-passe ce que permet une grille donnée, qui en effectue une sublimation que celle-ci interdit elle-même. Elle n’a pas une fonction scientifique. Elle est l’expression d’une autre fonction sociale historique. Il est facile de voir que celle d’objectivité pure, de jugement en soi, a la fonction sociale historique de renvoyer la Mystique et le Mythique historiques à la subjectivité pure, comme l’instituteur « laïque » de rejeter à l’irrationalité, au nom d’un Savoir certain et neutre la Messe et le curé. L’idéologie apparaît alors ce qu’elle est, et qui pouvait la faire prendre pour du mythique : du contre-mythique.
Du coup se démasque ce qui se cachait derrière la fameuse séparation du sacré et du profane, qui spécifiait notre culture. Du coup s’éclaire qu’elle soit à la fois réelle et prétendue. Notre culture a créé, se crée cette séparation, et l’idéologie l’incante, pour dissimuler sa véritable nature. En réalité le sacré et le profane ne sont pas séparés : ils sont couplés en relation antagoniste et complémentaire. Ce qui les distingue, ce n’est pas que l’un serait mythique et l’autre pas : c’est que l’un est mythique et l’autre contre-mythique. Ils sont opposés et unis comme l’action et la contre-action cybernétiques.
De là le visage plus étroit, la liberté créative plus restreinte, le teint sec, du contre-mythique, généralement, comparativement au mythique. Il est commandé par la riposte, il n’est que réplique enchaînée à la question, il n’a que la pauvreté d’imagination d’une censure. Aussi n’exalte-t-il guère. Cela fait son affaires : il doit apparaître froideur scientifique. En même temps, cela ne l’arrange pas : il est privé du concours de l’affectivité. Aussi, pour circonvenir celle-ci, pour l’avoir dans son jeu, tend-il souvent à se dépasser en production de faux mythes, en « anti-mythique » inverse du mythique, ce qui lui-donne alors une figure ambiguë, contradictoire même.
Une conséquence ou corrélation importante, ce sera que toute philosophie ou conception du monde qui revendique pour assurance, en ce siècle, d’être « scientifique » en s’imaginant ainsi sans présupposés et sans arbitraire, comme par exemple le Scientisme et le Marxisme, non seulement n’a rien compris à la démarche contemporaine de la Science, non seulement a une épistémologie d’avant le déluge, en sorte qu’il faut la renvoyer sur les bancs de l’école [11], mais s’avère par là comme à structure idéologique, se démasque comme part de notre contre-mythique, liée à notre mythique comme le rat, chez La Fontaine, à la grenouille qu’il étreint, et promis à la même noyade.
Un contre-mythique, en effet, justement parce qu’il est contre-action, n’a pas d’autre raison d’être, d’autre excitation à l’existence, quelque autre bois qu’il puisse saisir pour son alimentation énergétique, que de ruiner le mythe auquel il est associé, et le jour où il en vient à bout, le jour où, par son travail, il a réussi à s’insinuer complètement en lui, à corrompre de sa négation toutes ses fibres, à le désinformer, à n’en faire qu’une coque vide, le voilà qui meurt aussi. Le Capitole, pour le contre-mythique comme pour César, débouche sur la roche tarpéienne. Parce que mythique et contre-mythique sont couplés, historiquement, le second cesse de respirer quand il a ôté le souffle à l’autre. Mais attention : il n’y a pas de destruction pure, pas plus qu’il n’y a de construction absolue. Les meurtres comme les enfantements, dans l’ordre mythique, sont toujours, comme au théâtre, dialectiques. L’acteur mort se relève pour jouer un nouveau rôle, dans une autre pièce, et son assassin idem. Aucune cybernétique n’étant entièrement négative, et celle de l’Histoire étant même assez créatrice, comme on verra, la bataille du Mythique et du contre-Mythique engendre, avec leur mort, leurs transformations. La corruption, l’évidage du mythique, par la sape du contre-mythique qui lui est associé, produisent, avec leurs disparitions, le nouveau mythe, comme sa nouvelle réplique. Hamlet et Laërte se tuent : apparaît Fortinbras.
Conséquence ou corrélation plus étendue encore : cette laïcisation des valeurs, dont toute une sociologie, depuis Durkheim, a fait, en liaison avec toute une philosophie, devenue lieu commun, le contenu principal de l’évolution historique et du « progrès », ne constitue qu’un moment, et polémique, à l’intérieur d’une histoire, n’est qu’un avatar idéologique, contre-mythique.
Cerveau puissant et ambitieux, Durkheim pensait apporter, par l’évolution sociale, à la philosophie, les valeurs sur un nouveau plateau, en produire une démonstration Objective. De ce point de vue il a échoué et ne pouvait qu’échouer. La philosophie a depuis longtemps fourni la preuve de l’impossibilité de démontrer les valeurs, par son impuissance. C’est flagrant, à lire les penseurs qui ont prétendu y parvenir, et c’est immédiat quand le spéculateur a l’intelligence, comme Kant, par exemple, d’en convenir dès le départ. Je dis cela sans aucun mépris à l’égard de l’exercice philosophique, que je pratique. L’échec peut être aussi instructif et fécond — à condition de savoir le lire — que la réussite, comme en a été un exemple, en Physique, l’expérience de Michelson et Morley, d’où émergèrent la Relativité einsteinienne et ses transformations positives.
Durkheim ne se trompait pas entièrement, comme en témoigne sa formule célèbre et un peu maladroite, « la religion est fille de la cité ». Il s’est abusé seulement, et toute une sociologie à sa suite, en s’imaginant que cette règle n’est valable que pour les sociétés primitives, et que l’histoire et le progrès se font contre elle. Il n’a pu voir, étant lui-même un des agents inconscients du contre-mythique historique et de sa dissimulation, non seulement que le mythique est co-constitutif de toute société, de tout groupe, non primitif comme primitif, mais que, en toute société, en tout groupe, non primitif comme primitif, il y a coexistence polémique de mythique et de contre-mythique — s’élevant même éventuellement à l’anti-mythique — et que notre séparation du sacré et du profane participe du contre-mythique.
En prenant quelque distance avec sa critique de l’ethnocentrisme, un Claude Lévi-Strauss a été plus heureux. Il dit volontiers que nous avons nous aussi nos mythes, et les met du côté de nos idéologies politiques. On voit cependant qu’il ne distingue pas entre mythique et contre-mythique. Cette carence est essentielle. Il n’est certes pas facile de démêler mythique et contre-mythique dans la description sociale : à cause de la polémique même, ils sont assez mélangés, et chacun, en outre, est très diversifié. Mais sans la dialectique conflictuelle du mythique et du contre-mythique, sans leur antagonisme complémentaire, comment comprendre qu’il y ait d’incessantes transformations, et même tout simplement qu’il y ait mouvement ?
Mais surtout ce que toute une sociologie, toute une ethnologie, toute une anthropologie — comme toute une psychologie et toute une linguistique corrélatives, — n’ont pu saisir du tout, c’est que le comportement mythique est un rapport spécifique de connaissance. Cette « incapacité » a eu un impact si considérable que, à l’oreille commune, depuis 150 ans, mythe et mystification sonnent quasiment comme synonymes. Elle n’est pas plus innocente qu’une surdité psychique. Elle va de soi, elle est obligée, elle a un sens hors de celui qu’elle proclame, si justement cette sociologie, cette ethnologie, cette anthropologie — comme la psychologie et la linguistique corrélatives — sont chargées principalement de cacher, si elles existent principalement pour mettre la lumière sous le boisseau, si elles ont pour fonction principale d’être l’expression contemporaine du Refus, et ce lors même qu’elles répudient l’ethnocentrisme, ou plutôt s’imaginent le répudier. Même en ce cas plus éclairé, elles ne dépassent pas, en effet, l’amadouement d’un officier des affaires indigènes : c’est encore, et même plus que jamais, avec les instruments fourbis par l’idéologie et le contre-mythe de la conscience claire et objective, qu ‘elles démontent et s’assimilent les mythes, en y perdant, enterrant leur moelle, comme ce serait leur fonction antagoniste, leur mission luciférienne.
D’où la nécessité, l’urgence, aujourd’hui, de clarifier dès l’abord cette conscience claire, de lui faire subir à son tour l’épreuve de vérité, de lui arracher le masque sous lequel elle dissimule et doit dissimuler. La tâche est considérable. Je ne pourrai en indiquer ici que quelques éléments, en renvoyant pour complément d’information et de justification à mes ouvrages plus spécialisés, comme aux travaux de quelques grands novateurs, au premier rang Stéphane Lupasco et Raymond Abellio, en France, tenus jusqu’ici, presque autant que moi, malgré leur valeur reconnue, dans la marge, et pour cause. La tâche, surtout, est éprouvante. En nous-mêmes le contre-mythe résiste, comme sa trame au psychanalysé, comme le démon à Jésus, car il est la substance, ou plutôt l’anti-substance, de ce temps, son aliénation typique fondamentale, sa personnalité ou plutôt sa dépersonnalité de base, et quand même je regarde l’Être à travers les barreaux, je suis dans la prison du Non-Être de ce temps.
La tâche est facilitée tout de même. De tous côtés, éparsement, dans le désordre de la revivification, la conscience claire et objective est mise maintenant à la question, découverte comme idéologique, aliénatrice, fabulatrice. Ce renfort n’est pas à mépriser, quand même il serait le plus souvent, en employant la même arme que l’adversaire, bagarre de jeune borgne contre vieux borgne, quand même, dans ces conditions, il ne dépasserait guère, en général, l’aimable mais court jeu du bilboquet.
Ce qu’il faut, avant toute chose, réaliser, et qui ne L’est guère plus de ce côté que de l’autre, c’est la nature de l’opération conceptuelle, puisque les nervures de cette conscience dite claire et objective, ce sont, chacun en convient, des concepts.
Or qu’est-ce qu’un concept ? Si la neurophysiologie ne peut encore nous dire beaucoup à son sujet, la logique et la psychologie en ont depuis longtemps une certaine capacité, et c’est elles qu’il faut maintenant un peu questionner.
Un concept, à lire nos experts, c’est une entité purement intellectuelle, dépourvue en principe de toute intuition, fondé sur la seule cohérence. Ce qui doit déjà alerter : cela signifie que le travail par lequel il est produit ne va pas sans éliminations, même si on les baptise épurations, à la manière des politiques gagnants. Mais il y a un peu plus à lire.
J’ai dit que le concept est donné comme fondé sur la cohérence. C’est la situation d’aujourd’hui. Pendant longtemps, les penseurs dominants ont voulu lui trouver une assurance supérieure, une garantie absolue. Ainsi a fait Descartes avec les idées innées, « claires et distinctes », mises dans l’homme par Dieu, à la Création. Ainsi Kant, avec les catégories a priori de l’entendement et de la sensibilité, « nouménales » de nature, transcendantales d’origine, mais ne pouvant avoir d’exercice valide que « phénoménalement », c’est-à-dire en perception et en connaissance scientifique, à l’exclusion de la métaphysique, bien que ce soit celle-ci qui les fournisse et les fonde — sans pouvoir les prouver. Modernité assez géniale de Kant, justement relevée par Maurice Clavel. Mais ce qu’il nous faut enregistrer, pour l’instant, c’est que les garanties externes, absolues, du concept, ont disparu comme l’Atlantide au XXème siècle, à cause notamment de cette relativisation des bases de la Mathématique, de ce caractère dialectique, pour notre épistémologie, de l’opération de connaissance conceptuelle, comme de toutes ces révélations de la microphysique quantique, que j’évoquais. Du four contemporain, le concept ressort précaire, sinon épisodique, soumis au changement; il devient interaction circonstanciée, arbitraire, avec le monde; il n’est plus démontrable, ni évident; il ne vaut plus, n’est plus légitimé, que par sa cohérence et une fécondité opératoire temporaire.
Or, déjà, cette cohérence cesse d’exister, devant par exemple l’équivoque d’un objet microphysique se profilant onde-corpuscule. Il n’est pas possible d’éviter la ruine en prétendant, comme quelques esprits brefs et peureux, que les mots de corpuscule et d’onde n’ont rien à faire ici, qu’ils correspondraient seulement à des images, que la Théorie quantique bannit. C’est vrai que la microphysique moderne a dû renoncer complètement aux images, bien qu’on ne s’en douterait guère à lire nos manuels d’enseignement, à écouter nos émissions culturelles, toujours figuratifs et chosistes. Le grand Louis de Broglie a tenté de remettre des images en microphysique, dans la seconde partie de son existence. En vain. Mais si la microphysique moderne est sans images, elle ne peut se passer de concepts. Le corpusculaire c’est le concept de localisation; l’onde, le concept de champ, indéfiniment étendu de surcroît, à ce qu’il semble maintenant [12].
Il ne faudrait pas dire, comme me l’objectait aimablement Louis Leprince-Ringuet à ma soutenance sorbonique, en 1970 [13], qu’il n’y a pas de concepts, en microphysique quantique, parce que le langage et la représentation même n’y seraient plus que mathématiques. Aucune mathématique n’existe sans définitions, et les définitions se font avec des concepts, il le sait bien. Quand l’objet microphysique apparaît ou est réputé corpusculaire, c’est que la physique mathématique qui opère est à localisation; quand il apparaît ou est réputé ondulatoire, c’est que celle qui opère est champ. Et ce qui doit retenir l’attention, c’est que les concepts de corpuscule et d’onde tendent dans l’expérimentation microphysique — comme, de façon plus générale, dans l’histoire de la physique — à s’exclure, qu’ils sont contradictoires entre eux : ce qui les fait tenir pour incompatibles; ce qui porte le physicien lui-même, lorsqu’ils se trouvent mêlés, comme en microphysique, à parler de paradoxe, sinon d’incohérence.
Mais qu’est-ce qui les fait tenir pour incompatibles, qu’est-ce qui porte à taxer leur union d’incohérente ? Immédiatement, pas autre chose que cette nécessité de « cohérence », qui soutient seule le concept, jointe à son efficacité opératoire dialectique et temporaire. Du coup, le contenu de notre cohérence historique se précise : il s’agit que le concept ne renferme en lui-même aucune contradiction et n’en ait aucune avec ceux qui fonctionnent dans le même ensemble.
Cette précision importante, l’examen des conditions mises à une axiomatique, en mathématiques, nous l’aurait fournie aussitôt. La plus essentielle, c’est que les axiomes posés — C’est-à-dire : en langage moderne, aussi bien ce qu’on appelait classiquement les axiomes que ce qu’on appelait postulats et définitions — soient non contradictoires en eux-mêmes et entre eux. Cette limitation à l’arbitraire oblige le mathématicien créateur, ou ses culottiers, à toutes sortes d’opérations préalables ingénieuses, pour établir la non contradiction interne et relationnelle. Or elles ne sont jamais vraiment achevées, comme l’a établie Gödel.
Quand, en microphysique, l’objet est ondo-corpusculaire, il est donc ou se donne donc contradictoire. Il serait d’une mince astuce de chercher à le voiler en prétendant que les concepts opposés ne sont pas employés dans le même ensemble, que dans chacune des opérations de mesure il n’y en a qu’un en scène. L’examen attentif — que je ne puis développer ici — montre que, en réalité, pour chacun des deux dispositifs de mesures, les deux concepts opposés sont en présence, que l’un tend à dominer l’autre, à le refouler, à le potentialiser, comme dit Stéphane Lupasco, sans y parvenir totalement. C’est ce qui fait que l’on ne peut avoir une mesure précise de la vitesse de la particule en même temps qu’une mesure précise de sa position, et réciproquement. C’est ce qui fait que la précision sur la vitesse, comme sur la position, est limitée par un plafond. Telle est la signification épistémologique des relations dites d’incertitude de Heisenberg — qui dominent la microphysique contemporaine — comme il a bien voulu me le confirmer, en 1972, après avoir reçu mon Contre-Monod, par une lettre où il apportait toute son approbation à ma position dans la controverse.
La non contradiction soutient seule, aujourd’hui, le concept, jointe à la fécondité opératoire circonstancielle. Elle spécifie notre notion historique de cohérence. On peut la préciser à son tour en observant que, comme aspect de la cohérence interne, elle consiste en ce que le concept soit exclusivement ceci et aucunement cela — corpusculaire ou ondique, — ; que, comme aspect de la cohérence relationnelle, elle consiste en ce que l’ensemble conceptuel auquel il appartient — finalement toute la microphysique — soit exclusivement ceci et aucunement cela, et que chacun de ses éléments soient exclusivement du côté de ceci et aucunement du côté de cela. Sinon il y a, bien entendu, contradiction. Et partant il y aurait — c’est ce qui nous intéresse — forcément incompatibilité, forcément incohérence.
Seulement, en fait, la non contradiction, en mathématique même, n’est jamais totale, jamais démontrable entièrement. Et, dans l’expérimentation microphysique, comme un Kastler vient encore de le dire, il y a une large tache d’équivoque, de contradiction. Surtout le processus de non-contradiction apparaît couplé, dynamique, relatif, antagoniste. Le concept privilégié est obtenu en potentialisant son contradictoire, sans y arriver jamais absolument, même à l’échelle macro-physique, puisque, comme le rappelle Kastler, la constante de Planck joue encore ici — partant les relations de Heisenberg — quand même son effet est alors négligeable pratiquement.
Voilà qui paraît anodin. Pourtant en prennent un coup toute une psychologie, toute une logique, toute une philosophie, encore dominantes dans notre culture, pour lesquelles un concept — et un ensemble de concepts — existe comme ça, comme une entité indépendante, autosuffisante, immobile. Grave amputation, tronquage considérable, si tout concept — et tout ensemble de concepts — ne se produit, ne se développe et ne se maintient que par un mouvement incessant de refoulement, de potentialisation de son concept antagoniste et complémentaire; s’il n’y a pas de concept sans anti-concept relationnel; si, en tant que tels, concept et anti-concept sont également cohérents. Cela entraîne deux conséquences ou corrélations.
D’abord, on peut poser qu’un concept — ou un ensemble de concepts univoque — est nécessairement incomplet, et même tronquant, vis-à-vis de la « réalité ». Puisqu’il tend à enfoncer plus ou moins dans l’invisible son complément antagoniste, pour se produire, se développer et se maintenir, tout se passe comme si nous n’avions guère avec lui qu’une moitié de billet, ce qui n’est pas forcément équivalent à une moité de vérité. À moins de soutenir que l’autre moitié ne vaut rien, que seul, par exemple, le blanc — ou le corpusculaire, ou la localisation — est vrai ou réel, à l’exclusion du noir. Mais je n’ai rien à ma disposition pour le soutenir, dans cette raison : cette cohérence, cette non contradiction, qui légitime mon concept de blanc, je ne puis m’en servir contre le concept de noir, en tant que tel, puisque, en tant que tel, il est autant cohérent, non contradictoire. Je ne sacre donc le blanc que par diktat; je pourrais aussi bien, au nom de la cohérence, de la non contradiction, sacrer le noir, et c’est d’ailleurs ce que tant de marginaux ont fait, durant ces mêmes siècles. Tout diktat entraîne un certain aveuglement. J’ai obtenu un concept tendant à être tout à fait clair, distinct, cohérent, non contradictoire, sans y arriver totalement, savoir que l’opération n’est pas complètement réussie, qu’elle ne tient que par des descentes de police, qu’elle s’est faite et continue à exister par exclusion. L’opposition ne peut avoir la parole en dictature, et même elle ne peut pas exister au regard du dictateur, qui pourtant n’existe que de l’empêcher, autant qu’il peut, de paraître. Les dernières années de Franco, les syndicats ouvriers clandestins avaient une action d’importance : mais ils n’étaient pas reconnus, quand même il fallait en tenir compte, pratiquement.
Ainsi, première conséquence ou corrélation, la conceptualisation est une opération de connaissance, inséparablement doublée d’une méconnaissance et d’une inconnaissance. D’une méconnaissance: elle implique la non valeur des concepts opposés à ceux de son ensemble conceptuel; les chaînes de raison, devant lesquelles Descartes s’extasiait, deviennent suspectes d’étroitesse, de camouflage, de tronquage; mais ce qu’elles refoulent ne se trouverait pas en meilleure position, si c’est une non contradiction conceptuelle inverse. D’une inconnaissance : elle entraîne d’ignorer que cet ensemble conceptuel suppose, pour exister, un ensemble conceptuel qui lui est contradictoire, qu’il exige, pour se maintenir, un incessant et actif refoulement de cet ensemble, de cet anti-ensemble conceptuel, qui lui résiste, non sans plus ou moins de succès d’ailleurs.
Retrouver ainsi le processus de la connaissance conceptuelle comme polémique, restrictif, assez ignorant de soi, n’est pas, bien entendu, lui refuser titre de connaissance. C’est seulement le préciser, le situer. Bien des problèmes s’en trouveraient mieux éclairés. Par exemple, qu’aucune théorie scientifique, même la plus grandiose, comme celle de Newton ou celle d’Einstein, ne puisse être achevée, qu’aucune philosophie ne puisse tout boucler ni se boucler : tout soleil de concepts entraîne des mise à l’ombre. Que la grille qui s’impose, à un moment donné, n’est pas forcément la plus « cohérente ». C’est souvent celle qui, tout en faisant dominer le concept sur son anti-concept, sait faire un compromis avec celui-ci, produire un mixte. Cela vaut particulièrement pour la Science, commandée par un maximum d’efficience, mais cela jouerait aussi pour les philosophies. On aperçoit aussi que l’inéluctabilité des changements, en sciences et en philosophie, tient immédiatement à la nature incomplète de l’Opération conceptuelle, et que s’il y a de la discontinuité dans l’évolution scientifique et philosophique, c’est notamment à cause de la nécessité d’intégrer des anti-concepts. On voit encore que démasquer l’incomplétude, la fermeture, la partialité ou partialité d’une connaissance donnée, que décrypter ce qui s’agite sous elle, est soupçonnable des mêmes « défauts », si l’on procède avec des instruments conceptuels.
La deuxième conséquence ou corrélation de cette structure à couplage antagoniste et complémentaire de tout concept — ou ensemble de concepts — est plus importante encore.
Si ce n’est que par décret que blanc ou noir sont chacun sacrable en exclusivité, si l’un et l’autre se soutiennent aussi bien, en tant que tels, devant la raison non contradictoire dont on use, si blanc n’arrive d’ailleurs jamais à exclure totalement noir, s’il doit toujours plus ou moins l’intégrer, et réciproquement, si une grille et même un concept scientifiques, en fait, ne sont jamais pleinement univoques pourquoi ne pas admettre que blanc et noir sont ensemble vrais et réels, pourquoi ne pas proclamer que c’est l’ensemble blanc-noir qui est le plus complet, le plus vrai, le plus réel ? Eh bien, pour une raison parfaitement rigoureuse, à l’intérieur de ce cadre. Ils ne peuvent être tenus pour simultanément vrais, réels, puisqu’ils sont contradictoires entre eux, et que la non contradiction est ici le critère magistral. Tout juste peut-on faire, pour raison d’efficience, un compromis sous la table, en parlant vaguement de « paradoxe ». Pour que chacun des deux concepts non contradictoires en eux-mêmes et contradictoires entre eux puisse être magistralement reconnu, dans la simultanéité, comme valable, pour que l’ensemble contradictoire devienne officiellement le plus complet, il faut évidemment changer de cadre logique, opter pour une logique des complémentarités antagonistes et contradictoires.
Une telle logique est-elle non logique ? Devant une logique de la non contradiction pure, sans aucun doute. Mais le démenti, la condamnation de celle-ci, sont sans validité : ils sortent de leur champ d’exercice; ils sont faits à partir d’elle-même. Au XXème siècle, la logique a été atteinte elle aussi par la relativisation dialectique, même si trop de logiciens font encore comme si cela n’était pas arrivé. Une logique, elle aussi, aujourd’hui, c’est un certain ensemble d’axiomes ou principes hypothético-déductifs, c’est une grille. Il n’y a donc pas « la » logique, comme on persiste à dire ou à penser souvent encore. Il y a une diversité de logiques, de grilles, possibles, comme d’ailleurs l’ont découvert l’ethnologie, avec Whorf : par exemple, la psychologie de l’enfant, la psychopathologie, et l’histoire des idées, avec Michel Foucault. Il y a autant de logiques que d’histoires sinon d’individus. Accorder à l’une un pouvoir judiciaire sur l’autre serait comme penser que la géométrie euclidienne pourrait réfuter une géométrie non euclidienne, et vice versa : seule, ici, la Physique, c’est-à-dire une expérience dialectique, historique, circonstancielle, peut provisoirement — et relativement — arbitrer.
On peut encore trier les grilles, les logiques, aujourd’hui; mais seulement de façon toute relative, avec les critères modestes et circonstanciés de la fécondité opératoire et de la capacité d’intégration. Si une grille met fin pour maintenant — aux embarras, à l’inadéquation des autres vis-à-vis d’un certain nombre de phénomènes, tout en comprenant l’explication et l’opération des phénomènes pour lesquels ces grilles marchaient, tout en intégrant celles-ci, en somme, on peut la réputer actuellement préférable, supérieure.
Or, justement, telle est la situation présente d’une logique des complémentarités antagonistes en face d’une logique de la non contradiction pure.
La confrontation entre la logique de la non contradiction et la logique des complémentarités antagonistes et contradictoires peut être effectuée sous deux angles, inséparés mais séparables par commodité : sous l’angle formel et sous l’angle opérationnel.
Sous l’angle formel : il est facile de montrer qu’une logique des complémentarités contradictoires peut contenir celle de la non contradiction, alors que la réciproque est impossible.
Une logique des complémentarités contradictoires, comme celle de Lupasco, admet, implique même, que lorsque l’actualisation de l’une des deux composantes, contradictoires entre elles, est extrêmement poussée, au point d’entraîner, par là-même, le refoulement, la potentialisation extrêmement poussés de la composante antagoniste, il n’y a pratiquement alors, dans l’actualisation, que du non contradictoire, quand même il ne s’actualise que sur le refoulement, que par la contradiction de son opposé. Elle tient que, lorsque nous nous trouvons devant une non contradiction non plus seulement pratique, mais absolue, totale, nous avons accompli un passage à la limite, une idéalisation.
Ainsi, formellement, une logique des complémentarités contradictoires de l’opposition — faite de deux non contradictoires inverses — contient, comme l’une de ses situations, comme l’une de ses figures, pratique ou idéale, la logique de la non contradiction. Par contre, il est tellement évident que celle-ci ne peut faire de place à celle-là, que je n’ai pas besoin de vous en faire la démonstration.
Bien entendu, l’intégration s’accompagne d’une certaine réécriture, d’une certaine relativisation et localisation : la logique de la non contradiction n’est plus qu’une branche d’une logique générale à plusieurs branches, et elle ne peut être absolue sans idéalisation.
L’avantage de commencer par regarder sous l’angle formel, même si cela a l’inconvénient d’être abstrait, c’est qu’une partie du travail à effectuer pour la comparaison, sous l’angle opérationnel, des logiques de non contradiction et de contradiction, est déjà, par là-même, sur les rails. On peut poser que, pour tous les phénomènes ou une grille de la non contradiction s’est avérée efficace, fonctionnelle, il n’y a pas de mutation logique profonde à faire, seulement des aménagements.
Ceux-ci ne sont pas négligeables, il est vrai. L’expérimentateur devra savoir que, dans les champs même où il l’apporte avec succès, cette grille de non contradiction a un exercice relatif, relationnel, non exclusif. C’est par cette non exclusivité, cette relationité et cette relativité qu’il peut comprendre le caractère toujours approximatif et plafonnant des résultats.
Par exemple, même au niveau macrophysique, les lois qu’il obtient, si elles sont formulables idéalement avec une totale rigueur, sont seulement probabilitaires et statistiques dans leurs applications : c’est que s’agitent, ici, deux règles (ou ensembles de règles) couplées et opposées, l’une à orientation logique d’identité, d’homogénéité, l’autre à orientation de différence, d’hétérogénéité. Parce que toute non contradictoire, la formulation idéale fait comme s’il n’y avait qu’une règle (ou qu’un ensemble de règles). Par contre, l’expression statistique correspond à la dominance pratique et relative de l’une des deux règles (ou de l’un des ensembles de règles), pour l’ensemble des actualisations. Cela implique — sans que l’on s’en soit encore bien rendu compte que l’autre règle (ou ensemble de règles) n’est jamais totalement potentialisée, et qu’elle peut même parfois venir à s’actualiser, dans certains événements, de façon dominante, passagèrement, en provoquant ce que j’ai appelé des exceptions réglementaires.
Ce n’est pas sans conséquence pratique. Ainsi, par exemple, si l’appareil génétique n’est pas seulement à règle de réplication, de répétition, de fidélité, s’il est — conformément à ses phénomènes — couplage de règle d’identité, de répétition, et de règle de différence, de variance, avec seulement dominance statistique de la première dans les actualisations, les mutations appartiennent au système, et, si elles y sont minoritaires, elles ne relèvent pas que de l’erreur de copie, du Hasard.
D’autre part, nos appareils, construits généralement en fonction d’ensembles assez univoques, à un seul type logique de règles ou y tendant, sont susceptibles de ne pas saisir, ou de ne pas bien saisir, ces « exceptions réglementaires », ou cas minoritaires statistiques. Or on peut penser que ceux-ci offriraient les conditions de possibilité de certains phénomènes dits paranormaux, comme je l’ai montré récemment [14].
Mais le principal, plutôt que cette pointe vers l’abyssal, c’est de réaliser que toute loi statistique — c’est-à-dire, aujourd’hui, toute loi — est conflit de deux orientations logiques opposées, plus ou moins imbriquées et mixées; que tout phénomène se produit sur le refoulement relatif de son anti-phénomène; que, par exemple, en biologie, en cybernétique, une homéostasie s’établit sur la répression incessante d’une hétérostasie toujours menaçante, jamais entièrement supprimée, et réciproquement.
Le mathématicien serait concerné autant que le physicien par ces réaménagements entraînés par l’intégration de notre logique de non contradiction, culturellement encore dominante, à la logique de la contradiction. Si, comme celle-ci le pose, il n’y a pas de non contradiction absolue, sauf par passage idéalisant à la limite, le mathématicien peut en comprendre mieux l’irréductibilité du théorème de Gödel, c’est-à-dire l’impossibilité pour une axiomatique de se démontrer par elle seule sa non contradiction, le renvoi indéfini vers l’extérieur de cette preuve. Autrement dit, il peut mieux comprendre l’imperfection que connaît, devant elle-même, la raison mathématique de la « cohérence ». Il peut surtout, en réalisant que la non contradiction d’identité, que régit l’ensemble de nos mathématiques, n’est qu’une des branches logiques, être amené à concevoir d’autres axiomatiques, à logiques différentes, pour répondre à la demande de champs où, justement, les mathématiques à non contradiction d’identité s’avèrent assez insuffisantes.
Si, en effet, on peut se contenter, assez généralement du moins, en macrophysique et pour tout ce qui lui est structuralement assimilable dans les autres champs, de notre raison traditionnelle de non contradiction d’identité, à condition seulement de la réaménager, c’est-à-dire de la situer et relativiser, les autres champs de la connaissance scientifique réclament, majoritairement, par les structures mêmes qui s’y offrent opérationnellement, et qui échappent assez largement à une grille de non contradiction d’identité, une lecture à la lumière des complémentarités antagonistes et contradictoires. Pour en faire prendre pleinement conscience, il me faudrait plus de pages que je n’en dispose ici. Force me sera donc de me borner encore à quelques indications, en renvoyant d’avance ailleurs.
Ces champs où soupire puissamment une autre grille, ce sont essentiellement les champs biologiques et les champs microphysiques, ceux aussi des sciences humaines. Il va nous falloir les considérer successivement, car leurs manques et leurs réclamations ne sont pas les mêmes.
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1 Cf. de l’auteur L’homme Sartre, étude critique, Bordas, 1947 ; Trois et Un, La Bouteille à la mer (Alpha N°3), 1965, et Contradiction et nouvel entendement, Bordas, 1973.
2 Cf. de l’auteur Dialogue de A et B avec Teilhard de Chardin, La Bouteille à la mer N°4,1962.
3 Cf. Le Contre-Monod, Grasset, 1972.
4 En suivant les cours de Michel Foucault à l’Université de Tunis, journal à plusieurs voix, Esprit, 1967, et Contradiction et nouvel entendement, Bordas, 1973.
5 Les Vendeurs du Temple, éditions de Minuit, janvier 1951.
6 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, éditions de Minuit, 1964; et La Reproduction, éditions de Minuit, 1973.
7 Dans le cadre newtonien, il fallait une instantanéité, la vitesse de la lumière devait être infinie. Celle-ci ne peut plus l’être, et en même temps devient vitesse-plafond, dans le cadre einsteinien. De même, en raison des nouvelles relations qu’elle entretient avec le mouvement et la vitesse, la masse cesse d’être constante, avec Einstein : or n’importe quel corps est atomes en mouvements.
8 La fameuse « perspective », imposée à des générations d’écoliers par les professeurs de dessin, et qui, plus généralement, faisait classer « Primitifs » tout ce qui n’y correspondait pas, dans l’histoire de l’Art — dénomination qui, du reste, demeure ! —, est ainsi grille circonstancielle.
9 Alfred Kastler, Cette étrange matière, Stock, 1976, p. 152.
10 Edgar Morin, La Méthode, éditions du Seuil 1977.
11 Sartre a voulu rendre le service au marxisme de fonder a priori, de démontrer « de façon apodictique », la dialectique, et s’est étonné, après avoir écrit six cents pages très brillantes — La Critique de la raison dialectique —, de n’avoir pu y arriver. Il aurait dû savoir qu’une telle entreprise est aujourd’hui dépourvue de tout sens.
12 Pour la mécanique quantique actuelle, n’importe quelle particule dite libre se dilue dans l’espace tout entier par le train d’ondes qui lui est associé, et remplit ainsi tout l’univers.
13 Président du jury de Thèse : Paul Ricœur ; membres du jury : Jean Wahl — directeur de Thèse —, Louis Leprince-Ringuet, Gilbert Simondon. Mention très honorable : ce qui n’aurait pas plus d’importance qu’une médaille en chocolat sans la relation suivante : D’usage, qui obtient la dite mention est admis sur la liste d’aptitude aux fonctions de Maître de Conférences. Or le Comité consultatif des Universités, obstinément, m’y refusa — comme il devait le faire un peu plus tard, non moins exceptionnellement, pour un Michel Butor et un Louis Althusser. Il s’ensuivit cette protestation — à laquelle André Malraux s’associa par une lettre —, en 1972 : « Les soussignés protestent contre la décision de la 10ème section du Comité consultatif des Universités d’écarter une nouvelle fois M. Marc Beigbeder de la liste d’aptitude à l’enseignement supérieur et de la liste d’aptitude aux fonctions de maître de conférences. Cela est incompatible avec la liberté intellectuelle et d’ailleurs en contradiction avec le jugement du jury de thèse ». Simone de Beauvoir, Alain de Benoist, Maurice Blanchot, Pierre Boujut, Jean-Maurice Bugat, Jacques Derrida, Mikel Dufrenne, Pierre Emmanuel, Claude Bourdet, Antoine Faivre, Alfred Fessard, Michel Foucault, Stanislas Fumet, Bernard Gorceix, Edmond Humeau Pierre Klossowski, Jean Lescure, Jacques Lemarchand, Clara Malraux, Louis Martin-Chauffier, Alain Mercier. Robert Morel, Maurice Nadeau, Michel Ragon, Jean-François Revel, Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Vercors, Alexandre Zviguilsky.
14 La Clarté des Abysses, Fondements des Phénomènes Paranormaux et Extrasensoriels, éditions Morel. 1977