(Revue Question De. No 24. Mai-Juin 1978)
Les coptes sont les chrétiens d’Égypte qui pratiquent la religion chrétienne avec une liturgie qui leur est propre. Dans cette liturgie, de nombreux rites sont directement hérités des rites pharaoniques et en particulier des « mystères osiriens ». Le père Gérard Viaud vit depuis plusieurs années dans la partie nord du delta égyptien, à Facous, et, s’occupant de plusieurs paroisses, célèbre la liturgie dans le rite copte. Ses travaux personnels le conduisent à étudier les traditions populaires égyptiennes, non penché sur les vieilles pierres ou sur d’anciens manuscrits, mais en observant les gestes quotidiens de ses fidèles. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les coptes dont « la Liturgie des coptes d’Égypte » aux éditions Jean Maisonneuve. Sans vouloir présenter toute la liturgie copte, c’est essentiellement sur les liens entre les rites coptes et les rites pharaoniques que nous avons interrogé le père Viaud. Nous avons à cette occasion découvert une expression culturelle et religieuse fort riche et fort méconnue.
G. Viaud : Les coptes sont les descendants directs des Egyptiens de l’époque pharaonique. Il est difficile de les recenser exactement. En avril 1977, le gouvernement égyptien a publié des statistiques officielles : il y aurait 3 millions de coptes sur 40 millions d’habitants en Egypte. Mais ces chiffres sont incontrôlables car les registres sont mal tenus et peu accessibles. On doit compter en fait 6 à 7 millions de coptes, soit 15 % de la population. Bien qu’il ne soit pas d’un intérêt premier d’insister sur la différence entre coptes catholiques et coptes orthodoxes, il faut savoir qu’elle existe. Les coptes catholiques sont sous l’autorité du pape de Rome, les orthodoxes sous celle du pape d’Alexandrie, le patriarche Shenûdah III. Sous l’autorité de ce patriarche, on compte en France environ 3 500 fidèles, tous d’origine égyptienne, et deux évêques, qui se réunissent dans leurs églises : le prieuré Saint-Marc au Plessis-l’Evêque, dans la Seine-et-Marne, et l’ermitage Saint-Marc au Revest-les-Eaux, dans le Var.
LA PERMANENCE DES TRADITIONS POPULAIRES
H. Renard : Les coptes d’aujourd’hui ont-ils conscience de prolonger les traditions de leurs ancêtres de l’époque pharaonique ?
G.V. : Absolument pas. Quand je le leur fais remarquer, ils sont les premiers étonnés. Par exemple, tous les proverbes, tous les contes, toutes les histoires qui circulent en Egypte, chez les coptes comme chez les musulmans, ont les mêmes thèmes que ceux que l’on peut lire dans les manuscrits anciens. La tradition orale survit.
L’art populaire, celui de la poterie par exemple, est exactement le même depuis des milliers d’années. Pour le vérifier, il suffit de regarder les peintures pharaoniques et les croquis relevés par l’expédition Bonaparte. J’ai d’ailleurs l’intention d’ouvrir à Facous un musée local de poteries… pour que la tradition encore vivante ne se perde pas !
Tous les centres chrétiens de pèlerinage étaient d’anciens lieux de culte pharaonique très populaires. A Abydos, par exemple, tombeau d’Osiris où étaient célébrés les mystères, il y a aujourd’hui un pèlerinage à saint Moïse, moine égyptien.
Les anciens Egyptiens croyaient en la survie de l’âme. J’ai observé — sans pouvoir encore approfondir cette notion de métempsycose que — de nos jours les Egyptiens, coptes ou musulmans, croient en une sorte de réincarnation de l’âme dans un animal et surtout dans le chat [1].
Autre exemple : vous savez qu’on enterrait les morts en leur donnant des provisions « pour le grand voyage ». C’est pourquoi on a retrouvé dans les tombeaux tant de vaisselle, de poteries, de graines. Aujourd’hui, on n’enterre plus les morts avec leurs objets familiers, mais il existe une coutume : le treizième jour, après la mort, le quarantième jour et tous les ans au moment des fêtes, la famille porte au défunt de la nourriture, et, si le mort ne peut évidemment pas manger, il peut au moins partager, « communier » avec les vivants, et on distribue cette nourriture aux pauvres qui viennent dans les cimetières.
L’origine du mot « copte »
Le mot « copte » n’est que l’abréviation, par la suppression de la diphtongue initiale, de « Ai Guptos », terme formé par les Grecs sur le mot pharaonique « Het-Ka-Ptah » (la maison du Ka — âme — de Ptah), nom de l’ancien sanctuaire de Memphis. Ce mot de formation grecque fut transformé par les Arabes au VIIe siècle, qui désignèrent sous le nom de « Coptes » les habitants de la vallée du Nil. La langue copte, c’est l’ancien égyptien parlé. Dans l’ancienne Egypte, il y avait la langue écrite, les hiéroglyphes, et la langue parlée, totalement différente et qui ne s’écrivait pas. Ce sont les Grecs qui ont transcrit cette langue parlée avec les 24 caractères grecs plus 7 signes complémentaires. La langue copte est donc la langue parlée de l’Egypte ancienne. Aujourd’hui, personne ne la parle plus ni ne la comprend. Pourtant, la liturgie copte est toujours célébrée dans cette langue… dont les prêtres ont appris par cœur les prières. Cependant, de jeunes étudiants commencent à étudier cette langue pour comprendre les paroles de la liturgie.
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LA SURVIVANCE DES RITES DES TEMPLES PHARAONIQUES
H.R. : Certains rites coptes proprement religieux continuent-ils les rites des temples égyptiens ?
G.V. : Oui, surtout les rites qui entourent la naissance, le baptême et les rites funéraires. C’est également très frappant de voir la continuation, en même temps que la christianisation des rites pharaoniques, dans toutes les cérémonies de la Semaine sainte, particulièrement celui de l’ensevelissement du Christ et de sa résurrection qui rappelle absolument les mystères osiriens. Nous pouvons entrer plus à fond dans ces rapprochements.
La fête du Nil
De nos jours, les coptes célèbrent le baptême du Christ dans le Jourdain le jour de l’Epiphanie, le 19 janvier, et il semble bien qu’il y ait là la christianisation d’une des fêtes du Nil. C’est en effet à cette époque que l’eau du Nil est la plus pure, la plus limpide. Les Egyptiens, à cette date, puisaient l’eau qui servait à remplir les citernes et à faire le vin de dattes. Cette fête du Nil était autrefois célébrée très bruyamment par des processions de nuit ; le fleuve était illuminé et le peuple plongeait dans l’eau pure pour se préserver des maladies.
La bénédiction de l’eau qui sert à baptiser se fait toujours cette nuit-là, et certains coptes vont se laver dans le Nil et rapportent un peu de cette eau chez eux. Pour fêter cette nuit, les coptes font des petites lanternes avec des oranges creusées et des bougies.
La renaissance d’Osiris
Pendant le mois de Kyhak — car les coptes ont gardé le calendrier julien* — , les coptes jeûnent. C’est le mois de l’attente de la Nativité. Ce mois de Kyhak (du 18 décembre au 8 janvier) tire son nom de Ka-Ha-Ka, le taureau sacré, le bœuf Apis, symbole de fertilité dans la procréation. Ce mois est donc synonyme d’énergie vitale dans la force créatrice. C’est pendant ce mois qu’étaient célébrés les mystères osiriens. Ils s’accomplissaient dans certaines salles retirées des temples. On façonnait alors des petites statues d’argile humide en l’honneur d’Osiris. Des grains de blé étaient mêlés au limon de ces statues qui étaient ensuite déposées sur un lit ; les grains germaient et donnaient une sorte de vie à la représentation d’Osiris, qui ainsi passait de la mort à la vie. Actuellement, pendant le jeûne de la Nativité, les coptes mettent des grains de blé, de maïs, de pois chiches, de lentilles à germer dans toutes sortes de récipients, continuant ainsi, sans le savoir, le geste du mystère osirien.
Le culte d’Isis
Le dimanche des Rameaux commence, dans la liturgie copte, la célébration du mystère pascal dont certains rites rappellent aussi ceux de l’ancienne Egypte : la prière des quatre Evangiles sur l’eau contenue dans un ballâs ; la procession du dimanche dont la croix fleurie remplace la statue des dieux ; au soir du Vendredi saint, l’ensevelissement du Christ dont les aromates assurent une volonté de survie ; enfin le deuil, très caractéristique dans l’Eglise copte, deuil mêlé de joie et d’allégresse la nuit du Samedi saint, rappelle le deuil qui accompagnait la recherche d’Osiris et la joie éprouvée lors de ses retrouvailles. Saint Augustin écrivait (Saint Augustin De civitate Dei, V 14) :
« Sénèque s’est moqué de ce que, dans le rite égyptien, on pleure Osiris perdu puisqu’on le retrouve aussitôt avec une grande joie, alors que le perdre et le retrouver sont des fictions, tandis que cette douleur et cette liesse sont réellement exprimées par ceux qui n’ont rien perdu ni rien trouvé. »
Ces célébrations des mystères d’Isis et d’Osiris se continuent pour ainsi dire pendant la Semaine sainte copte ; alors les rites liturgiques, comme la mentalité populaire, expriment violemment et très sérieusement le deuil comme la joie.
La liturgie de l’ensevelissement du Christ ne pourrait être mieux décrite que par ce texte de Firmicus Maternus :
« Voici l’essentiel du culte d’Isis : ils possèdent au fond du temple une image d’Osiris enseveli ; ils la pleurent dans une fête funèbre annuelle, se rasent la tête… se frappent la poitrine, se déchirent les bras, rouvrent les cicatrices de leurs anciennes blessures, pour que se renouvelle dans leurs âmes, à l’occasion de ces lamentations annuelles, cette funeste et pitoyable mort. Et lorsqu’ils ont fait ceci aux jours déterminés, alors ils font mine de rechercher les restes de ce corps déchiré, et quand ils les ont trouvés, alors ils se réjouissent car leur deuil a pris fin.» (Firmicus Maternus : De errore profanorum religiosum, II ; F. Cumont: les Religions orientales dans le paganisme romain Paris, 1931).
Au matin du dimanche des Rameaux, l’église copte est ornée de palmes tressées en forme de croix. Les palmes jouaient un grand rôle dans l’Egypte ancienne, elles figuraient toujours dans les processions, elles étaient jetées en offrande au Nil au moment de la crue, elles accompagnaient aussi les cortèges funèbres. Cette procession d’aujourd’hui avec les croix en palmes tressées rappelle celle des anciens rites où c’étaient les statues des dieux qui étaient ainsi promenées.
Les rites funéraires
Les pleureuses, les femmes marchant sur leurs bas ou pieds nus en agitant leurs voiles, se roulant à terre ou se mettant de la poussière sur la tête… ces sacrifices d’animaux sur le seuil de la maison du mort, ces offrandes portées au cimetière, ces hommes qui se laissent pousser la barbe… tout rappelle les rites de l’ancienne Egypte. Ces coutumes funéraires sont d’ailleurs communes aux coptes et aux musulmans. Au moment de la mort, les femmes poussent de grands cris, si bien que tout le quartier ou le village sait instantanément que quelqu’un est mort. Les condoléances à l’église se font entre hommes et en silence. On offre du café sans sucre en signe de deuil. Le troisième jour après la mort, le prêtre se rend à la maison du défunt pour le renvoi de l’âme. Les coptes croient en effet que l’âme du mort erre dans la maison. Alors, on enlève les nattes sur lesquelles tout le monde était assis en signe de deuil. Et le prêtre asperge la maison et les vêtements du mort avec de l’eau salée bénite. Les coptes n’acceptent pas le mot « purgatoire » ; ils croient que, pendant quarante jours après la mort, l’âme passe à travers divers secteurs « douaniers », comme pour se purifier avant d’entrer dans sa destinée éternelle.
L’HERITAGE DES FETES POPULAIRES
H.R. : Y a-t-il des fêtes marquant l’année liturgique copte qui soient elles aussi héritières de l’Egypte ancienne?
G.V. : Il y a la fête de Nairouz. Elle fut instituée par le roi Manaouich à l’époque de la VIIe ou VIIIe dynastie. La célébration de cette fête se déroulait pendant sept jours, et les Egyptiens mangeaient et buvaient en l’honneur des astres. Cette fête, « le jour nouveau », le premier jour de l’an copte, est aujourd’hui caractérisée par trois éléments : l’eau, dont il est superflu de rappeler le rôle primordial dans la civilisation du Nil ; le feu : le jour de Nairouz, les coptes allument de grands feux en souvenir de la nuit où Abraham fut sauvé du feu ; des cadeaux : les Egyptiens anciens étrennaient des vêtements neufs, les coptes s’offrent des cadeaux et surtout des fruits, goyaves et dattes.
La fête de l’ivresse
A l’époque de Ramsès II, la fête du Nil commençait le 15 Thot (Tût) et durait quinze jours. Le calendrier de Dendérah appelait cette période la « fête de l’ivresse ». Ce temps sacré commémorait le souvenir du genre humain sauvé de l’extermination. Le dieu Râ, en effet, après avoir lancé la déesse Sekhmet contre ses blasphémateurs, s’était vu dans l’impossibilité de mettre un terme à la rage destructrice de la vengeresse qui menaçait d’annihiler l’humanité. A la faveur de la nuit, le dieu Râ répandit sur la terre un breuvage enivrant couleur de sang dans les parages où dormait la déesse Sekhmet. A son réveil, la déesse se désaltéra à ce breuvage et son ivresse lui fit passer le goût du carnage. Depuis lors, toute l’Egypte se réjouissait en s’abreuvant du liquide sauveur. Cette période de la crue du Nil, dont les eaux chargées de limon devenaient rouges, était ainsi liée à l’idée de vie et de salut. Les coptes ne firent que continuer cette symbolique avec la fête de la Croix qu’ils célèbrent le 17 Tût (27 septembre). Le prêtre porte solennellement une croix fleurie et, au cours de la procession, s’arrête devant des stations, sorte de petits reposoirs, où il dépose une offrande d’encens et entonne un psaume. Des documents datant surtout de l’époque gréco-romaine permettent de reconstituer les cérémonies de l’ancienne Egypte, qui commençaient par une veillée au cours de laquelle étaient allumées des lampes autour des maisons ; ceux qui habitaient loin du lieu de la cérémonie arrivaient en barques illuminées avec des torches. A l’aube du premier jour, la procession quittait le temple et se dirigeait vers le fleuve, portant en cortège les effigies des dieux du sanctuaire: A l’époque romaine, ces effigies seront remplacées par la statue du dieu Nil et le vase destiné à contenir l’eau sacrée. Les prêtres récitaient des prières, jetaient des offrandes dans le Nil et mesuraient la hauteur atteinte par les eaux. Ils annonçaient la bonne nouvelle au peuple. La procession revenait au temple et l’on buvait beaucoup en l’honneur de Sekhmet. Même à l’époque islamique, la célébration copte de la fête de la Croix prenait une ampleur exceptionnelle. Le patriarche copte se rendait au Nilomètre du Caire en procession avec les croix et les icônes. Il récitait la prière de la crue, puis, élevant la croix, il appelait le Nil par trois fois. Après avoir plongé la croix à trois reprises dans les eaux du fleuve, il l’y jetait ensuite. Alors, des plongeurs allaient la rechercher. Aujourd’hui, et depuis le XIXe siècle, la cérémonie de la croix ne se fait plus sur les bords du Nil mais à l’intérieur des églises.
Nous avons passé en revue quelques-uns des rites coptes qui sont directement héritiers de l’Egypte pharaonique. Mais il faudrait, bien sûr, pour présenter toute la liturgie copte dans son ensemble, parler des rites qui sont proprement chrétiens. Ce que je fais dans mon livre la Liturgie des coptes d’Egypte, et ce que nous ne pouvons faire ici puisque vous avez désiré axer notre entretien sur cet aspect particulier de notre liturgie. Mais, vous le voyez, si les religions se succèdent, les rites restent souvent immuables… L’Egypte chrétienne est en tout cas un merveilleux exemple de fidélité aux anciennes traditions, de bonne « assimilation » des rites primitifs.
Pour connaître les coptes… il faut lire :
• Viaud, Gérard : (éd. Maisonneuve) la Liturgie des coptes d’Egypte et Pratiques populaires des coptes (éd. Présence).
• Bourguet, Pierre du : l’Art copte (éd. Albin Michel) et Histoires et Légendes de l’Egypte mystérieuse (éd. Tchou).
• Chauleur, Sylvestre : Histoire des coptes d’Egypte (éd. La Colombe).
• Wassef, Cérès Wissa : Pratiques rituelles et alimentaires des coptes (Le Caire, Bibliothèque des Etudes coptes, t. IX, I.F.A.O., 1971).
• Guide de l’Egypte chrétienne (Le Caire, Société d’archéologie copte).
• Guide Bleu, Egypte : p. 125-137.
• Revue le Monde copte.
A visiter : les salles coptes du musée du Louvre, à Paris.
[1] En Egypte, on ne frappe jamais un chat de peur de frapper un de ses aïeux. Dans le delta, à Bubaste, il existe un temple du chat dans lequel on a retrouvé plus de 30000 squelettes.