John Horgan
La fin de la physique ?

HOBOKEN, 20 NOVEMBRE 2025. Igor Pikovski, un physicien du Stevens Institute of Technology, m’a récemment demandé de parler à son département de mes décennies de reportage sur la physique. Voici, plus ou moins, ce que j’ai dit dans mon exposé, que j’ai intitulé « La fin de la physique ? » – John Horgan Lorsque je […]

HOBOKEN, 20 NOVEMBRE 2025. Igor Pikovski, un physicien du Stevens Institute of Technology, m’a récemment demandé de parler à son département de mes décennies de reportage sur la physique. Voici, plus ou moins, ce que j’ai dit dans mon exposé, que j’ai intitulé « La fin de la physique ? » – John Horgan

Lorsque je suis devenu écrivain scientifique au début des années 1980, l’idée que la physique approchait une sorte de culmination était dans l’air. Stephen Hawking, dans un article de 1981 intitulé « Is the End in Sight for Theoretical Physics? (La fin de la physique théorique est-elle proche ?) », affirmait que la physique était sur le point de découvrir une théorie si puissante qu’elle mettrait fin à la physique. Cela pourrait arriver bientôt, d’ici 1999.

Cette « théorie du tout » unifierait la physique quantique et la relativité générale, qui sont mathématiquement incompatibles, et rendrait compte de « toutes les observations possibles », selon Hawking. Cette « théorie ultime » expliquerait aussi pourquoi quelque chose existe plutôt que rien, et pourquoi, parmi tous les univers possibles, nous vivons précisément dans cet univers-ci, qui permet notre existence.

Dans son best-seller monumental de 1988, Une brève histoire du temps, Hawking dit qu’une théorie unifiée pourrait nous permettre de connaître « la pensée de Dieu ». C’était une plaisanterie. Hawking était athée, et pensait qu’une théorie finale éliminerait la nécessité d’un créateur divin.

Je suis devenu écrivain scientifique en partie parce que je voulais couvrir la quête d’une théorie unifiée. Les physiciens allaient résoudre l’énigme de la réalité ! Quoi de plus exaltant ?

J’ai couvert la physique pour Scientific American après être devenu rédacteur en 1986. J’ai visité le CERN, Fermilab et d’autres grands laboratoires. J’ai passé du temps avec Hawking et d’autres sommités lors d’une conférence sur la naissance du cosmos en 1990.

J’ai interviewé d’autres figures majeures de la quête d’une théorie finale, notamment Steven Weinberg, Murray Gell-Mann et Edward Witten. Witten était considéré par certains comme le physicien le plus brillant, en termes de talent mathématique pur, depuis Newton.

Witten a convaincu de nombreux physiciens que la théorie des cordes était le meilleur candidat pour une théorie unifiée. La théorie des cordes affirme qu’au fin fond des choses, à la base de la matière, de l’énergie et même de l’espace et du temps, d’infimes cordes vibrent dans dix dimensions ou davantage.

Lorsque j’ai parlé avec Witten en 1991, j’ai réalisé que la théorie des cordes et d’autres candidates à une théorie unifiée sont confrontées à un problème sérieux : elles ne peuvent pas être testées. Ces théories postulent des phénomènes se produisant à l’échelle de Planck, soit 10 puissance moins 35 mètres. C’est bien trop petit pour être sondé par une expérience concevable.

Quand j’ai insisté auprès de Witten sur la question de la testabilité de la théorie des cordes, ou de son absence, il a répondu : « Les bonnes idées fausses sont extrêmement rares, et de bonnes idées fausses pouvant même vaguement rivaliser avec la majesté de la théorie des cordes n’ont jamais été vues ». En d’autres termes, la théorie des cordes est trop belle pour être fausse. Dans un portrait de Witten pour Scientific American, je l’ai appelé le « joueur de flûte » de la théorie des cordes.

J’ai encore accentué mes critiques dans mon livre de 1996 The End of Science. La quête d’une théorie unifiée est vouée à l’échec, ai-je soutenu, à cause du problème de la testabilité. Nous ne saurons jamais pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Nous ne saurons jamais pourquoi, parmi tous les univers possibles, nous vivons dans cet univers particulier qui permet notre existence.

Nous ne saurons probablement jamais non plus comment la vie a exactement commencé ni comment la matière produit des esprits conscients. J’ai prédit que la science, dans ses tentatives vaines de résoudre ces mystères, deviendrait de plus en plus « ironique », c’est-à-dire spéculative et non testable, à ne pas prendre trop au sérieux. Comme la philosophie, la critique littéraire ou même la fiction.

Les physiciens ont dénoncé The End of Science. Philip Anderson a forgé le terme « Horganisme » pour décrire un pessimisme injustifié, peut-être autoréalisateur, à propos de la science. Je suis resté campé sur mes positions.

En 2002, j’ai parié mille dollars avec le vulgarisateur de la physique Michio Kaku que d’ici 2020, personne ne recevrait un prix Nobel pour la théorie des cordes ou toute autre théorie unifiée. Lorsque j’ai gagné le pari, le physicien Peter Woit a publié un article avec mon titre préféré de tous les temps : « Les prix Nobel annoncés, John Horgan gagne ».

The End of Science est encore discuté. Le physicien Michael Nielsen et l’entrepreneur Patrick Collison me créditent d’avoir anticipé la stagnation actuelle de la physique. Sabine Hossenfelder, physicienne dissidente, et des économistes étudiant le déclin de la science « perturbatrice » aussi.

L’ironie est que, ces dernières années, je suis devenu plus optimiste sur l’avenir de la physique. J’ai toujours été un peu gêné de pontifier sur la physique sans formation académique formelle. (J’ai étudié la littérature anglaise.) Alors, en 2020, au début de la pandémie de covid, j’ai entrepris d’apprendre les mathématiques qui sous-tendent la mécanique quantique.

J’ai révisé la trigonométrie, les logarithmes et le calcul, que je n’avais plus étudiés depuis l’université, et j’ai tenté de me familiariser avec l’algèbre linéaire et les nombres complexes. J’ai suivi PEP553, un cours de mécanique quantique enseigné ici à Stevens par mon ami Ed Whittaker.

PEP553 m’a écrasé, c’était beaucoup trop difficile, mais j’ai quand même beaucoup appris. Une conclusion était que les mathématiques qui sous-tendent la physique ne sont pas aussi élégantes que les vulgarisateurs de la physique le prétendent.

L’équation de Schrödinger, par exemple, peut donner une description exacte d’un atome d’hydrogène, mais pas d’un atome d’hélium, qui est trop complexe. Pour décrire l’hélium ou tout système plus complexe, il faut des ajustements ad hoc et des approximations.

L’hélium est un exemple de problème à trois corps, qui résiste aux solutions exactes. Découvrir les problèmes à trois corps ou plus dans le cours d’Ed Whittaker m’a rendu encore plus sceptique quant aux prétentions des physiciens à pouvoir élaborer une description mathématique de tout.

Et pourtant ! Mon Expérience Quantique, comme j’ai fini par l’appeler, m’a fait entrevoir une voie possible pour la physique. Après avoir lu un article sur mon projet dans Scientific American, un physicien nommé Terry Rudolph m’a contacté.

Rudolph se trouve être le petit-fils de Schrödinger. Plus important encore, Rudolph est le cofondateur de PsiQuantum, l’un des leaders dans la course à la production d’un ordinateur quantique commercial. Rudolph est aussi l’auteur de Q Is for Quantum, qui, avec de simples opérations arithmétiques et algébriques, explique le fonctionnement de l’informatique quantique.

Après avoir lu le livre de Rudolph et parlé avec lui, j’ai commencé à penser que l’informatique quantique, bien qu’exagérément vantée, pourrait sortir la physique de son marasme. Les ordinateurs quantiques pourraient recréer la boucle de rétroaction positive entre théorie et expérience qui a propulsé la physique durant la première moitié du XXsiècle.

C’est mon espoir. Car je n’ai jamais souhaité que la physique se termine. J’aime la physique, je veux qu’elle continue à générer de nouvelles perspectives profondes sur l’existence indéfiniment, même si ces perspectives ne nous disent jamais vraiment pourquoi nous sommes là.

L’un de mes physiciens préférés était John Wheeler. Lorsque je l’ai interviewé en 1991, il insistait : « Nous pouvons et nous comprendrons. C’est la chose centrale que je voudrais défendre. Nous pouvons et nous comprendrons ».

Au cours du siècle écoulé, la physique, et en particulier la théorie quantique, ont rendu la réalité encore plus difficile à comprendre. Je m’en tiens avec réticence à ma prédiction selon laquelle la physique, aussi loin qu’elle nous mène, ne dissipera jamais le mystère de notre existence. Mais j’espère me tromper.

Merci. Des questions ?

Lectures complémentaires :

Voir l’édition 2015 de The End of Science et mon livre en ligne gratuit My Quantum Experiment.

Texte original publié le 20 novembre 2025 : https://johnhorgan.org/cross-check/the-end-of-physics