(Revue 3e Millénaire – ancienne série. No9. Juillet-Août 1983)
Monument unique au monde, Borobudur est une construction humaine essentiellement conçue pour exalter la spiritualité et la seule spiritualité. Rien n’y permet les rites religieux humains et la lente progression dans son enceinte est un chemin initiatique qui mène au stupa qui coiffe l’édifice et ce stupa symbolise la vacuité, le vide, le rien, le tout, le retour à l’Un. Chaque terrasse, chaque sculpture est placée pour aider l’homme à retourner à l’Esprit. Suivons Michel Random et oublions le monde terrestre.
Il n’est question que de cela : vivre son royaume, habiter son mandala, gravir son unité. On ne revient pas impunément de Borobudur, on n’épouse pas le roc de lumière, l’archipel des Bouddhas, jeté dans la claire hauteur du centre, le centre de la majesté, celle du lieu, celle de la géographie, celle du symbole, celle du voyage qui renouvelle indéfiniment son sens et ses formes pour que tout se conjoigne, que tout se renforce dans une seule et unique signification : le voyage au Centre.
Dans ce lieu tout est pierre, tout est présence, tout est lumière. Les Bouddhas ont depuis toujours placé leurs mains, ouvert leurs paumes, dressé leur buste dans la solennelle attitude : celle de l’être, qui est présence à soi-même, présence au temps, présence au réel, présence à l’instant, présence à l’éternité. Je suis Bouddha de chair ou Bouddha de pierre, quelle différence ? Je n’ai ni vertu, ni sagesse, ni désir, ni non-désir. Je suis au-delà de toutes formes, la contemplation même des formes, au-delà de cette contemplation j’écoute la langue première, celle qui n’est ni née, ni morte, celle qui, me construit et m’établit au-dedans du dedans, comme la joie est au-dedans de la joie, le mouvement au-dedans du mouvement, la danse au-dedans de la danse et ainsi indéfiniment. Parce que je sais cela, je suis le Bouddha.
Ainsi les cinq cent quatre Bouddhas de Borobudur ne sont qu’un seul Bouddha, comme tout le triangle de pierre n’est qu’un seul point. Les mille quatre cents hampes de pierres qui pointent sous forme de clochetons leurs doigts verticaux vers le ciel ne sont aussi qu’un seul doigt. Borobudur l’innombrable n’est construit que pour manifester cela : la vision unique, d’une ascension unique dans la joie et la splendeur de mille milliards de naissances. Ainsi plus je suis multiple, plus je découvre l’immensité de l’UN.
Comme le veut la vision initiale, il est probable que le reflet fait partie de la forme, que les eaux devaient à l’origine entourer le monument, que les lumières qui jouent sur la pierre devaient refléter les symphonies de lumières et les jeux du ciel et Borobudur n’aurait été que cela un orgue de lumière, un instrument merveilleux, une science de la lumière faite pierre.
Ainsi jamais le mariage du matériel et de l’immatériel n’aurait été plus évident, jamais la beauté, la science, la sagesse, la méditation et l’architecture n’auraient formé qu’un seul et même tout. Les eaux de Borobudur auraient achevé un rêve qui est la perfection de la vision et la perfection ne serait pas restée inaccessible à ce monde. L’homme et la nature, le matériel et le spirituel, tout aurait intimement convergé pour faire de la Beauté la réalisation de la pure vision.
Que les sages me pardonnent s’ils ne sont que sages, que les fous regrettent de n’être que fous. Borobudur s’adresse à l’homme des voyages, à celui qui vient de loin, à l’homme qui trace ses pas du dehors vers le dedans ou du dedans vers le dehors et qui, quoi qu’il advienne, demeure l’Errant, l’amoureux et le méditant. Me voici donc ici, pèlerin de l’absolu, au terme d’une longue rencontre pour découvrir tous les arcanes et raconter mon propre voyage.
L’architecture de la bouddhéité
Il était donc une fois Borobudur. J’imagine les vieux (ou les jeunes ?) architectes qui sont tous des moines, qui sont tous de gais vivants, qui sont tous de grands voyageurs. Le roi Sailendra les a réunis, ou bien le roi les a écoutés. La vision du mandala est celle de la bouddhéité elle-même. L’instrument de cette bouddhéité qui doit franchir les siècles et les temps doit être construit. Les raisons sont celles non de la logique, mais de l’émerveillement. Le regard amoureux partage tout de l’amour, mais l’amour ne souffre que la perfection.
Si je fais silence en moi, si cette bouddhéité me pénètre, si ce grand sourire vainqueur de toutes formes, de la vie et de la mort m’enveloppe, que puis-je ? Je n’ai comme définition que l’action incluse dans la non-action, que la non-action créatrice d’action. Je vais donc construire en dur, rassembler des millions de pierres, édifier une masse colossale pour que tout cela s’élève de la pesanteur à la non-pesanteur, de l’être au non-être, de la matérialité la plus solide à l’immatérialité la plus parfaite. C’est cela le voyage de la bouddhéité. C’est s’établir autrement dit dans la conscience du réel et étendre ce réel comme une chair de plus en plus subtile, comme une onde de plus en plus vaste enveloppant les autres ondes, et concevoir que tous les corps et toutes les chairs de ce réel participent de moi, et construisent ce moi, qui en son sens ultime me réalise par l’abandon total et inconditionnel de ce même moi. Paradoxe des paradoxes, je rassemble tout ce qui me ressemble mais quand enfin j’ai établi toutes les faces et toutes les structures de ma réalité, je me dépouille de toute réalité car celle que je revêts est réellement sans formes et sans paroles. La conscience a réalisé la totalité de ses réels. Et l’âme est devenue universelle. Ce point que je suis est désormais lui aussi le point impersonnel et unique de tout l’univers. Je suis Borobudur.
Désormais les formes peuvent me changer et je peux changer de forme. Je suis à chacun des degrés, à chaque pas de ces degrés, à la fois unique et divers. Celui qui gravit cette montagne sacrée fait l’ascension de soi-même, devient pèlerin de soi-même, découvre tout au sommet de son propre sommet.
La vision de ce voyage est inscrite partout. Borobudur est une spirale dont la pointe est celle de l’ultime et grandiose stupa. Je vais gravir la spirale, c’est-à-dire avancer de galerie en galerie jusqu’au sommet en marchant de droite à gauche, mais chaque pas cache un autre pas. Je vais dans ce voyage infiniment petit réaliser le mouvement même de tout le mouvement cosmique la spirale. Ce faisant mon voyage s’étend à tout l’univers connu. Je ne fais qu’un avec cet univers, car je réalise ici son propre sens, sa propre giration. C’est pourquoi l’univers et moi nous nous ressemblons, nous sommes de même nature et de même essence. Et la réalité vivante de l’un c’est que je cesse de distinguer ceci du cela, j’allie toutes choses et toutes formes dans cette vision unique de l’Un qui fait de moi le poète et le bouddha du vivant.
Cette ultime essence, cette ultime corporéité à la fois que je suis et que je réalise avec Borobudur, c’est la lumière elle-même. Nous sommes ensemble un même corps de lumière. Et c’est cela notre commune réalité.
L’infinité de l’Un et le bouddhisme ésotérique
Se confondre avec la réalité ultime c’est gagner l’état d’homme libre. La liberté consiste à percevoir dans toutes les formes l’essence de l’Un, dans l’essence de l’Un l’apparition de toutes les formes. Borobudur c’est aussi ce message. On passe par l’ascension et l’on réalise la descente. Toutes les péripéties de ce double voyage ont un sens. C’est-à-dire une incarnation sans cesse identique et cependant sans cesse nouvelle car les conditions de cette double réalité sont sans cesse différentes : la structure du multiple est remarquablement organisée à Borobudur, les trois kilomètres et demi de bas-reliefs qui décrivent en panneaux les vies de Bouddha, les neuf degrés de l’ascension, les clochettes, les quatre directions de l’espace, la structure à la fois horizontale et verticale, tout cela forme un ordinateur de la complexité ou l’échiquier des mille milliards de possibles, car, comme les mille reflets d’un prisme, Borobudur change aussi selon le ciel, le niveau, la lumière, le temps, et le paysage qui l’entoure. Cette diversité fait que l’on peut cheminer dans une structure rigoureusement symétrique et y découvrir la plus fantastique variété de formes, d’états et de lieux que l’on puisse concevoir. Tel est en fait le secret de toute vraie architecture traditionnelle.
N’oublions pas que Borobudur est une réalisation du bouddhisme ésotérique, à une époque, le IXe siècle, où le bouddhisme subit l’influence de l’hindouisme.
Borobudur ou les secrets du Mandala
N’oublions pas que Borobudur est bâti sur l’image de la fleur sacrée de Bouddha, le lotus aux huit pétales dont le motif se répète inlassablement sur tous les socles des 72 bouddhas supérieurs et à la base du grand stupa central. Le centre du lotus symbole de pureté, sur lequel règne le Bouddha non affecté par l’environnement boueux ou marécageux d’où naît la fleur (samsara) est aussi l’axe du monde, le mont Méru. Nous avons dit que Borobudur était un centre dans un centre. C’est aussi le cœur d’un immense lotus qui dans l’intention des constructeurs devait probablement à l’image de la fleur elle-même être entouré, nous l’avons dit, par les eaux. Le mandala dans son ensemble exprime le cœur de Bouddha. Mais il n’est pas différent de notre être et de notre cœur. Chacun de nous est à son tour l’image du même mandala. Découvrir le mandala de Borobudur c’est découvrir notre propre mandala. Revêtir autrement dit un corps affranchi de la dualité, notre corps de Bouddha (ou mieux la Bodhi dont la définition est : connaître tel qu’il est son propre cœur). Car « le cœur, la sphère de l’espace et la Bodhi, ces trois choses ne font qu’une seule » (Dainychikyo Taisho, vol. XVIII, p. 58).
Si l’on se réfère à la description de la réalisation spirituelle telle que la conçoit l’un des plus anciens textes du bouddhisme ésotérique, le Dainychikyo (VIe ou VIIe siècle) nous voyons que Borobudur apparaît comme la réalisation matérielle contenant un ensemble de réalités spirituelles qui s’interpénètrent successivement : « Connaissant l’infinité (apramana) du cœur, tu connaîtras l’infinité du corps. Connaissant l’infinité du corps, tu connaîtras l’infinité de la connaissance. Connaissant l’infinité de la connaissance, tu connaîtras l’infinité des êtres. Connaissant l’infinité des êtres, tu connaîtras l’infinité de l’espace. Maître des Mystères ! Le cœur étant infini, tu peux obtenir les quatre espèces d’infini. Les ayant obtenues, tu acquerras l’illumination parfaite, tu possèderas les dix forces de la connaissance, tu triompheras des quatre espèces de démons, et libre de toute crainte tu rugiras comme le lion. » (Taisho, vol. XVIII, p. 40)
Borobudur est sans conteste un modèle de cette doctrine de la connaissance qui est une doctrine de la délivrance. L’homme est comme un lion. Ce qui nous donne à penser à cet adage chinois selon lequel chaque poil du lion est aussi un lion. Les lions protecteurs qui se tiennent à l’entrée des quatre grands escaliers représentent en ce sens le commencement et l’achèvement de toute réalisation. Par définition le lion est symbole de puissance, mais aussi de la force pénétrante qu’est la lumière, il est la corporéité du Verbe, c’est-à-dire le son originel d’où découle toute la Création. Il est aussi le symbole alchimique de l’or. De même Bouddha est dit le lion des Shakya. Le lion correspond à Vairocana, suprême Bouddha central. Réaliser la nature de Bouddha correspond à l’accès au stupa ultime qui symbolise aussi l’Illumination (et non uniquement l’aspect de tertre funéraire contenant des reliques). De la base au sommet le lion et le stupa manifestent très probablement la même vision de la puissance spirituelle réalisée par le Verbe. Il n’existe aucun document permettant de définir si ce Verbe pouvait à son tour se définir par un son précis. Mais dans le Dainychikyo, ce son est A. Le stupa ultime est de ce fait assimilable au Pur Cœur de Bodhi où existe la syllabe a. Spirituellement l’homme qui a disposé sur les divers points de son propre corps toutes les syllabes découlant de a transforme son corps en un corps de lumière (dharmadhatu-mandala). Ainsi s’épanouissent et se réalisent toutes les vertus qui préexistent en lui-même. A forme AM qui est défini comme « le mantra du rayonnement universel des Cent Splendeurs ». De cette syllabe AM procèdent les cent syllabes qui sont toutes des développements de A. La lettre A symbolise la cause et M l’effet. Les cent syllabes issues de AM symbolisent l’effet qui est la réalisation de l’état de Bouddha.
Une méditation chiffrée
Borobudur est incontestablement un monument chiffré. Il est évident qu’une lecture exhaustive et ésotérique de tous les nombres le composant peut conduire à maintes exégèses. Quel rapprochement faire par exemple entre les 100 syllabes et les 100 gargouilles en forme de têtes de monstres ? Faut-il voir un simple jeu de formes stylisées et sans signification, ou ce qui est plus probable une manière de définir le monde animal tel qu’il se déploie dans l’ensemble de l’architecture traditionnelle en Asie mais aussi au Moyen Age européen, de Byzance à l’art copte et à l’art sumérien. La description est purement graphique et allégorique. Le monstre est avant tout une bête mythique. Et l’influence chinoise qui depuis toujours est importante en Indonésie est plus que probable dans l’illustration des dragons, des rapaces et des carnassiers.
En gravissant les premières marches et Borobudur, le pèlerin quitte le monde des passions (Kama-dhatu). Il existe de ce côté-ci, des apparences dans l’illusion des formes et des images, des identifications et des fascinations. A ce deuxième niveau, les images qui correspondent à notre monde quotidien foisonnent. Chaque pierre est pratiquement décorée, ajourée, embellie. La première galerie raconte en 120 bas-reliefs la vie historique de Bouddha jusqu’à sa première prédication. La partie inférieure de 120 panneaux également développe les vies antérieures de Bouddha (jakata) et certains récits édifiants (avadana). La seconde galerie continue le récit des vies antérieures et des histoires édifiantes (372 panneaux supérieurs) et 128 panneaux inférieurs et 100 bas-reliefs pour la balustrade. Commence ici l’histoire d’un jeune homme qui nous rappelle François d’Assise : son nom est Sudhanakurama. Fils d’un riche marchand comme François d’Assise, il quitte lui aussi les biens terrestres et va errer dans le monde à la recherche de la sagesse divine. Son histoire se poursuivra sur les parois principales de la troisième galerie et s’achève dans la quatrième galerie. Cet extraordinaire récit d’un voyageur en quête de la sagesse et suivant les doctrines de plus de 50 maîtres est l’une des choses les plus surprenantes de Borobudur. Ce récit est décrit dans le texte bouddhique du « Gandavyuha ». Le deuxième niveau décrit donc la quête de la vérité. C’est l’état où se manifeste le disciple, il situe le plan de sa recherche et établit les conditions de sa réalisation.
Le chemin aux « dix étapes » du bouddhisme est-il aussi le chemin aux maîtres ou aux 50 aspects de la vie spirituelle ? N’oublions pas que l’aspect dominant du Mahayana est l’ouverture sur les autres. Personne ne peut faire son salut seul. Chacun est non seulement solidaire de tous, mais chacun doit aider les autres. C’est le principe de la nonséparabilité qui est enseigné ici du point de vue spirituel. Tous nos actes (bons ou mauvais) influencent les autres êtres vivants. Le vaisseau qui orne l’un des bas-reliefs de Borobudur rappelle que chaque homme est comme un guide, ou un capitaine de vaisseau qui entraîne tout le monde après lui. Le vaisseau étant de surcroît le salut offert à tous les hommes. L’homme et l’univers sont unis par un principe absolu. Ils sont indissociables. C’est un principe commun à la pensée hindoue (l’Atman), au bouddhisme du Mahayana et à la Nouvelle Physique. Les huit étapes représentent l’infini de toutes les formes manifestées. C’est l’extrême complexité qui, dans sa globalité, forme le temps et l’espace tout en étant elle-même hors du temps et de l’espace. L’infini est égal à un. Par contre, les 50 maîtres sont la manifestation des états de l’être. L’unité se manifeste par le triangle. Et nous voyons d’innombrables représentations du triangle ponctuer à tous les niveaux l’architecture de Borobudur. Mais la Manifestation elle-même s’inscrit dans les quatre directions, les quatre espaces. Et c’est bien l’entrée du mandala de Borobudur ouvert aux quatre directions par les quatre grands escaliers. Cependant, le clou de toute réalisation est l’accès au sommet qui est le point central : donc le cinq. Par le cinq, Borobudur ressemble à un hexagone apparent, dont la seconde moitié est invisible. Le cinq est le point d’union, la rencontre entre le visible et l’invisible, entre la verticalité et l’horizontalité. Les 50 maîtres à nouveau expriment le 5, soit l’unité de toutes réalisations.
Le mandala de Borobudur exprime parfaitement cette pensée fondamentale du bouddhisme ésotérique : l’égalité de la pensée, de la parole et du corps.
La splendeur de l’évidence et la roue des mudra
La doctrine bouddhique repose sur ce qui est et rien que sur ce qui est : l’homme est lui-même l’objet de son salut car il possède toutes les ressources en lui-même pour atteindre l’état d’homme éveillé. C’est éveil est accès à la claire vérité, c’est-à-dire à la splendeur de l’Evidence, la Vérité de la claire réalité étant la réalité elle-même.
Les Bouddhas de Borobudur (au nombre de 504) sont là pour manifester les attitudes qui expriment l’ouverture de l’être à la vérité. Apparemment l’attitude est la même, ce qui diffère, ce sont les gestes des mains (mudra) et ces gestes manifestent six attitudes fondamentales, soit :
1. — Le mudra de la terre. (Bhumi-sparsamudra). La main droite repose la paume en dedans sur le genou droit touchant la terre pendant que la main gauche est placée au centre du corps, la paume tournée vers le ciel. Ce mudra rappelle le moment durant lequel le Bouddha en appela à la déesse Terre pour réfuter les maléfices du prince des Démons, Mara, qui vint le tenter durant sa méditation à Bodh-Gaya. (Dhyani Bouddha Aksothya – Est).
2. — Le mudra de la donation (Varada-mudra) ou mudra de la charité. La paume de la main droite est tournée vers l’extérieur, pendant que la main gauche est toujours placée au centre et tournée vers le ciel. C’est le geste d’exaucer les vœux. (Ratnasambhava – Sud)
3. — Le mudra de la méditation (Dhyana-mudra). Les deux mains sont ouvertes et placées au centre, la main droite au-dessus de la main gauche. Les pouces se touchent. C’est une posture Zen qui exprime la clairvoyance du futur. (Amitabha – Ouest.)
4. — Le mudra de l’absence de crainte (Abhaya mudra). La main droite se dresse verticalement au-dessus du genou droit, la paume dirigée vers l’extérieur. La main gauche est toujours ouverte au centre. C’est la délivrance de la peur. (Amoghasiddhi – Nord.)
5. — Le mudra de l’esprit de la loi (Vitarba mudra). Le geste du sermon de la vérité. La main gauche est ouverte au centre. La main droite soulevée, la paume à l’extérieur. Le pouce et l’index forment un cercle. (Mahavairocana – les 4 directions du 4e couloir.)
6. — Le mudra de la Roue de la Loi (Dharma-cakra-mudra). Qui représente la mise en mouvement de la Roue de la Loi. Sermon de l’éternité. Les deux mains sont à la hauteur de la poitrine, la main gauche au-dessus de la droite, l’annuaire touchant le pouce. Pendant que l’annuaire de la main droite touche le petit doigt de la gauche. (Sakyamuni – sur les trois terrasses circulaires.)
Ces cinq Bouddhas sont l’émanation du Bouddha originel lui-même (Adi Buddha le Suprême ou
Premier Bouddha) qui n’est représenté par aucune forme tangible. C’est le stupa dans son ensemble qui, par son sens global et symbolique, représente le Bouddha. Il faut inclure dans cette représentation le stupa lui-même et l’ensemble de son environnement. C’est-à-dire la totalité visible et invisible du monde cosmique.
Il est probable que l’ultime stupa, un énorme massif de pierres de onze mètres de diamètre, n’a jamais lui-même contenu aucune statue de Bouddha et de ce fait symbolise la parfaite Vacuité.
Les statues des Bouddhas se trouvent toutes au deuxième (rupadhatu) et troisième (a-rupadhatu) niveaux. Les galeries diminuant de taille, la première (la base) compte 104 Bouddhas, la seconde
aussi 104, la troisième 88, la quatrième 72 et la cinquième 64. Le tout fait 432 statues. Les statues du troisième niveau (le ciel) se trouvent placées dans des stupas ajourés. La première terrasse circulaire compte 32 statues, la seconde 24 et la troisième 16, soit en tout 72 Bouddhas. Ces statues sont visibles uniquement par les petites ouvertures des stupas. Autrement dit, au troisième niveau la vraie réalité est pratiquement voilée, bien que toujours présente et intensément manifestée. L’ensemble de toutes ces statues forme 504 Bouddhas.
Le mandala est par excellence le support qui permet de transmettre la doctrine secrète. Il sert d’enseignement initiatique, il produit et conduit à l’état d’Eveil. Il est très probable que le monument a été construit sous la direction de moines bouddhistes et que son architecture revêt dans ses plus petites parties une science et une philosophie spirituelle cachée. L’influence et les emprunts à l’art Indou sont d’autant plus apparents que ce sont effectivement des hindouistes qui ont certainement achevé Borobudur après la brusque chute de la dynastie des Sailendra.
Borobudur est à l’image de la fleur de lotus à huit pétales. Il est spirituellement placé au centre de ce lotus, qui lui-même flotte sur l’eau. La forme gigantesque de Borobudur représente la vacuité.
La forme n’est rien d’autre que du vide
le vide n’est rien d’autre que forme
ce qui est forme, cela est vide,
ce qui est vide, cela est forme.
C’est la réalité ultime expérimentée par le sutra de l’essence de la sagesse parfaite (prajna-paramita-hrdaya-sutra). Le pèlerin de Borobudur a devant lui le monde innombrable des formes, mais toutes ces formes, y compris celles des 504 Bouddhas figés dans leurs attitudes méditatives, toutes ces formes sont couronnées par la Vacuité. En même temps, Borobudur est une initiation fantastique au monde des formes. Ainsi Borobudur est comme un code, un alphabet, un message à déchiffrer. Peut-être découvrirons-nous un jour qu’il existe beaucoup plus qu’une structure symbolique. Le secret de Borobudur est sans doute d’être un corps réel et d’exprimer, outre son aspect spirituel, une physiologie qui pourrait peut-être servir à expliquer le fonctionnement du cerveau, des neurones, et qui sait la structure de l’espace-temps. Il me semble, pour rappeler une fois de plus le physicien Geoffrey Chew, que Borobudur est un « bootstrap » au sens où tout est, s’interpénètre et devient infiniment.