Henri Hartung
Le Christianisme : Un Amour vécu

(Extrait de L’Iris et le Lotus 1985)  Si je cherche à analyser les raisons de mon attachement pour Venise, je dois vite y renoncer. Je ne suis pas un passionné de la mer, les vestiges historiques, surtout ceux du moyen âge et de la renaissance, me laissent aussi indifférent que le commerce des épices et […]

(Extrait de L’Iris et le Lotus 1985) 

Si je cherche à analyser les raisons de mon attachement pour Venise, je dois vite y renoncer. Je ne suis pas un passionné de la mer, les vestiges historiques, surtout ceux du moyen âge et de la renaissance, me laissent aussi indifférent que le commerce des épices et je me méfie instinctivement de tout ce qui se réfère à l’art et à la culture. Pourtant, Venise est la seule ville au monde où, dès mon arrivée, je sais que c’est la part essentielle de ma personne qui, pendant quelques jours, va y vivre. Avec profondeur et amour. Je m’y promène interminablement, dans l’or éclatant de midi que renvoient les mille coupoles dorées de ses églises, comme dans la brume diaphane du couchant, quand je m’éloigne de la pacifiante Santa Fosca de Torcello pour retourner au centre de la cité. Je retrouve les tableaux de Bellini ou du Titien et me laisse pénétrer par eux, avant de ne faire qu’un avec les témoins de la tempête, de Giorgione, ou de méditer devant des icônes d’un minuscule musée abrité par l’église S. Giorgio dei Greci. Mais je reviens irrésistiblement à la basilique Saint-Marc et je reste immobile, à gauche de la coupole centrale de l’ascension, dans la chapelle de la vierge Nicopeia. Là se trouve une icône si glorieusement belle, que la verticalité transperçante de la vierge et de l’enfant transforme en un instant ce lieu en centre du monde. Peu importe qu’elle date du IXe siècle, qu’elle soit ici à la suite de la quatrième croisade. Hiératique, porteuse de pureté et de sagesse, elle touche en moi, dans le silence matinal de l’église encore préservée de ses visiteurs indifférents, ce qui me relie à l’essentiel de mon être. Un jour, dans une solitude partagée par les innombrables mosaïques de ce haut lieu, je me sens basculer dans un monde sans frontière et je sais tranquillement qu’il est plus vrai que tout ce que peut enregistrer ma raison. Est-ce celle-ci qui, un instant plus tard, enregistre la présence à mes côtés, debout, immobile, de mon vieux maître ? Tout s’efface bientôt et, sans me réjouir de tout ce côté imagerie de ce que je viens de vivre, je garde au fond du cœur la joie d’un partage. Ce que fait également celui avec qui je viens de vivre cette prière commune et qui me dit, quand je lui raconte notre « rencontre », qu’il était, à ce moment, en train de méditer, lui aussi tranquillement, chez lui, à un millier de kilomètres de Venise.

Cette présence en moi du Christ, je la vis avec régularité depuis mon enfance. Un jour, en priant la vierge au pilier, dans la cathédrale de Chartres, alors même que les manifestations organisées autour de celle-ci, comme les vers de Péguy, me sont étrangers. Une fois, en me recueillant dans la minuscule chapelle Saint-Germain, qui domine le lac d’Annecy, en un site préservé, alors même que j’ignore qui est Saint-Germain et pourquoi je me trouve en ce lieu. A un autre moment, en partageant une messe, célébrée en haute-montagne, dans un immense décor naturel, ou en participant à un culte, dans le temple nu d’un village insoucieux, alors même que la hiérarchie, catholique et protestante, souffle en moi circonspection et scepticisme, et que je ne trouve plus, depuis longtemps, dans le rituel dominical, le moindre support pour mon travail intérieur.

Né au sein d’une famille dont le protestantisme libéral était si libéré qu’il devenait plus social que spirituel, j’ai beaucoup écouté et n’ai pratiquement rien entendu. Je garde cependant certains précieux souvenirs, dont celui de mes rencontres avec le pasteur Marc Boegner. Je n’en mentionnerai que trois. D’abord, à l’occasion de mon baptême, où il a plus parlé que moi. Ensuite, le jour de mon mariage, qu’il bénit en prenant pour thème de sa prédication cette phrase de saint Paul : « Vous ne vous appartenez pas à vous-même » (I Corinthiens, VI, 19) : impressionnant. Enfin, quelques semaines avant sa mort, où il authentifie, en termes émouvants, mon cheminement spirituel et ma rupture sans nuance, au lendemain de mai 1968, avec « la » société. Et cela avec ses critères religieux, dont il me sait éloigné.

Je n’ai compris le message chrétien qu’après avoir été éveillé à moi-même par la force indestructible du non-dualisme vedântin et par la présence de Ramana Maharshi. Ce détour nécessité par ma petite histoire personnelle m’a longtemps conduit à établir des comparaisons. J’évite, certains jours avec difficulté, cette faiblesse et c’est pour moi une immense bénédiction de pouvoir vivre avec régularité, comme je viens de l’indiquer, des rencontres spirituelles au sein du Christianisme. Aujourd’hui je connais son message, et le fait de ne le voir réalisé que rarement par tant et tant de gens qui se disent chrétiens, ne diminue en rien sa réalité. C’est celle-ci qui est essentielle, je la vois aussi incarnée chez certaines personnes et la destinée me permet parfois de la partager. Alléluia.

L’être humain, porteur du divin et mis par sa condition dans la possibilité de le réaliser, c’est un message clairement énoncé et pas seulement dans des textes dont l’origine est, ou pourrait être, contestée. « Le Royaume de Dieu est en vous » (Luc, XVII, 21) ; « Je dispose pour vous du Royaume comme mon Père en a disposé pour moi » (Luc, XXII, 29) ; « Qui m’a vu a vu le Père » (Jean, XIV, 9) ; « Moi et le Père, nous sommes un » (Jean, X, 30). L’évangile selon Thomas est encore plus explicite : « Mais le Royaume est le dedans de vous » (logion III, 7) ; Quand vous ferez le deux UN et le dedans comme le dehors, et le dehors comme le dedans… alors vous irez dans le Royaume » (logion XXII, 9…21). Quant à maître Eckhart, il écrit : « Nous sommes totalement transformés en Dieu et changés en lui… parce qu’il me fait son être UN et non pas simplement semblable ». [Sermons] Certes, de tels propos sont rarement mis en avant dans les discours officiels des représentants actuels de l’église ou alors, ils sont écoutés par beaucoup machinalement, avec une attention éloignée de la réalité des mots ; mais sont-ils entendus ? Il serait naïf d’imaginer qu’un tel éloignement des vérités principielles se limite au monde chrétien. Nous pouvons en avoir l’impression en entendant l’ensemble d’une population considérée comme chrétienne. Il en est sans doute de même en Extrême-Orient, mais l’occidental intéressé par ces questions y rencontre des personnes concernées par ce sujet et donc bien au fait de la réalité spirituelle. Mais je voudrais aussi dépasser le problème ainsi posé en notant qu’au-delà des citations mentionnées, et qui, il faut bien le constater, réapparaissent toujours quand l’ultime message du Christ est évoqué, existe une consistance chrétienne que trop d’églises et de temples désertés font oublier. Sans même m’arrêter aux communautés de base, elles aussi régulièrement mentionnées dans un pareil débat, je veux seulement souligner ces innombrables couvents où dans l’anonymat et la pauvreté, la vraie, des hommes et des femmes méditent et prient jour après jour. Comme je peux évoquer, ces non moins nombreuses associations laïques dont les membres vivent authentiquement un rapport précieux avec le Christ. L’ambiance n’est ni celle d’un ashram, ni celle d’un monastère Zen. Bien sûr. Pourquoi le serait-elle ? La terminologie est imprégnée de la culture occidentale mais elle veut bien dire ce qu’elle a à dire. A savoir, encore et toujours, que l’homme a deux natures et que c’est en se dépouillant de l’humaine qu’il réalise en lui sa vocation divine. Le témoignage, qui peut apparaître comme fort éloigné du point de vue métaphysique, de sainte Thérèse d’Avila, recèle des trésors de spiritualité et une série de directives qu’il serait bien étrange de ne pas considérer comme autant de jalons sur la Voie chrétienne. D’abord, le cheminement intérieur est ce qu’il est, c’est-à-dire un cheminement qui est intérieur : « Ne vous imaginez pas, mes Sœurs, qu’en négligeant de contenter le monde, vous n’aurez pas de quoi manger. Ne recherchez jamais votre subsistance par des artifices humains ; sans quoi, je vous l’assure, vous mourrez de faim, et ce ne sera que justice » [1,a]. Que conseiller d’autre à ceux qui parlent d’initiation, mais en se gardant de changer quoi que ce soit à leur existence profane ? Sécurité oblige. « Si Dieu est content de vous, les personnes qui vous sont les moins dévouées vous viendront en aide… » [1,b] Mais ce désinté­ressement du monde profane est fort éloigné de l’indiffé­rence à autrui : « L’amour profond que nous devons aux autres » [1,c] doit éviter l’excès et combattre l’insensibilité. La voie du milieu, qui englobe la gaîté, conseil peu fréquent dans certains milieux ecclésiastiques, « mais sans manquer ni à la discrétion, ni à l’obéissance ». [1,d]

La transformation de notre individualité passe alors par une pratique permanente de l’oraison : « Considérez ce que dit saint Augustin. Après avoir cherché Dieu en beaucoup d’endroits, il le trouva au-dedans de lui-même. Croyez-vous qu’il importe peu à une âme qui se distrait facilement de comprendre cette Vérité… ? » [1,e]. L’établissement d’un dialogue vrai avec Dieu est porteur de bénédiction : « Ne soyez pas si sottes que de ne rien demander » [1,f]. Et la mutation, alors, bouleverse notre individualité, en quelque sorte, la spiritualise : « Si la fille d’un pauvre laboureur se mariait avec un roi et qu’elle en eût des enfants, est-ce que ces enfants ne seraient pas de sang royal ? Eh bien, si Notre Seigneur accorde à une âme cette faveur si haute de s’unir à elle sans qu’il n’y ait plus de division entre elle et lui, quelles œuvres héroïques pourront naître de cette union… » [1,g].

Ainsi du message chrétien et de la possibilité, pour certaines personnes, de l’entendre et de le vivre : « Car la communion avec Dieu, c’est la vie, et la séparation d’avec Dieu, c’est la mort » [2]. Mais cet éloignement reste toujours une possibilité chez toute personne : « Le Grand Architecte de l’Univers conçut et réalisa un être doué des deux natures, la visible et l’invisible ; Dieu créa l’homme, tirant son corps de la matière préexistante qu’il anima de son propre Esprit » [3]. Ainsi l’homme peut-il comprendre qu’il est, selon la formule d’Origène, « un univers en petit » et qu’il y a en lui « soleil, lune, étoiles aussi ».

La Voie est toute tracée : l’Union avec Dieu par l’Unité de la personne. Et les moyens sont également clairs : l’ascèse, la méditation, enfin la vision directe de Dieu. « Prenez garde, ne vous laissez pas séduire par la philosophie et ses vaines subtilités, inspirées des traditions humaines et des principes du monde et non des enseigne­ments du Christ. Car en lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité. Et vous, vous avez tout pleinement en lui… » [4]. Se dépouiller du vieil homme, se revêtir du nouveau. Cette « réalisation » spirituelle laisse ceux qui la mènent à bien entièrement humain de par leur nature et entièrement Dieu de par son Esprit. Unité des deux natures. « L’intérieur caché recouvrira complètement l’exté­rieur apparent » [5].

Message clair, message sans ambiguïté. La qualification intérieure des êtres humains reste ce qu’elle est. Compren­nent ce message ceux qui le comprennent.

Mais dans la mesure où elle forme un tout avec le rattachement à une organisation traditionnelle et un travail actif sur la Voie, la question chrétienne se complique. Il me semble que c’est cette complication qui peut expliquer la relative incompréhension, par beaucoup de gens, d’un message pourtant aussi précis et j’ajouterai aussi simple. C’est que l’homme chemine rarement seul, qu’il a besoin de partage et de soutien et que la simplicité pour définir un objectif ne signifie aucunement qu’il est facile à atteindre. Or, il est un fait historique c’est celui de l’existence ou de l’inexistence de groupements initiatiques chrétiens dont le but est l’union des deux natures de l’homme. Ce constat signifie-t-il l’absence de toute organisation ? Mais, l’église chrétienne n’est-elle pas, justement, une organisation ? Ceci n’est pas niable. Faut-il en conclure qu’elle existe bien, mais qu’elle a changé de finalité par rapport au message originel ? Et si elle ne l’a pas modifié, quels moyens donne-t-elle alors à ceux qui prennent à la lettre la finalité ultime indiquée par le Christ ? Essayons de faire le point.

Donc, un message précis.

Mais une interprétation actuelle qui l’est beaucoup moins. Pourquoi ? il me semble possible d’avancer deux explications, même en restant parfaitement conscient que le sujet est complexe, difficile et, de plus, chargé d’affectivité meurtrie quand il est abordé en milieu chrétien.

En premier lieu, la Tradition chrétienne, fidèle dans ses débuts au message du Christ jusque dans son ultime aboutissement, se présente comme une doctrine initiati­que. Chaque postulant reçoit d’abord l’enseignement traditionnel avant de se préparer, par le silence et le jeûne, au rite du baptême par triple immersion dans l’eau courante. Il poursuit ensuite son cheminement à travers des étapes bien analysées marquées par un travail intérieur également parfaitement connu et enseigné et de caractère ésotérique.

Très vite, dès le troisième siècle, s’effectue une « adapta­tion qui, malgré les conséquences regrettables qu’elle eut forcément à certains égards, fut pleinement justifiée et même nécessitée par les circonstances de temps et de lieu » [6]. Il s’agit d’un passage de l’ésotérisme à l’exotérisme et à une forme religieuse institutionnalisée dès le Concile de Nicée en 325. Subsisterait alors une double structure, l’une extérieure, plus religieuse, l’autre intérieure, initiatique. Selon ce point de vue, l’ouverture de la Tradition à l’ensemble des croyants, l’évolution du rite du baptême montrant bien cette « évolution », offre alors l’avantage d’une sauvegarde religieuse de la mentalité occidentale. De plus cette généralisation ne garde sa signification qu’en restant, quelque part, respectueuse de l’aspect ésotérique qui la relie à sa Source. Ainsi s’instituent ce que le Christianisme appelle les petits et les grands mystères. Les premiers aboutissent à la perfection de l’état humain, alors que les seconds concernent la réalisation des états supra-humains jusqu’à la Délivrance finale.

La projection, dans le monde chrétien contemporain dun tel vocabulaire, est presque toujours incomprise. La métaphysique est la métaphysique, et sa finalité spirituelle ne saurait être tronquée sous le prétexte que peu de personnes en comprennent le sens. Mais là réside, de toute évidence, une série de malentendus, d’abord entre Guénon et certains de ceux qui se réfèrent à lui, ensuite entre ceux qui sont métaphysiciens, pour ne pas écrire guénoniens, et l’ensemble des Chrétiens pour qui l’obtention de la perfection de leur état relève déjà de… l’inhumain. Mon propos n’est pas de refaire l’historique d’un tel débat [7], mais de chercher à situer la question, telle qu’elle se pose aujourd’hui, du rattachement à une organisation initiatique chrétienne.

Analyser le christianisme contemporain sous le seul angle de l’initiation aux grands mystères aboutit à un constat de carence apparente, sans retenir pour autant la somme impressionnante de vertus d’humilité, d’amour, de pauvreté manifestée par un grand nombre de chrétiens, religieux et laïcs. Jusqu’où ces vertus quotidiennes sont-elles exotériques ? ésotériques ? Et une telle question a-t-elle un sens de nos jours ? Est-ce tomber dans l’exotérisme le plus sentimental, de poser une telle question ? Mais ne pas la poser ne relève-t-il pas d’un péché contre l’Esprit, en ne prenant pas en considération l’authentique soumission à Dieu des femmes et des hommes vivant leur christianisme avec toutes leurs forces ? Un guénonien encombré de citations intellectuelles est-il plus sur la Voie que le curé d’Ars ou que mère Teresa ? Mais un chrétien peut-il, inversement si je puis dire, ignorer la réalité spirituelle Totale vécue par le Christ, et la possibilité donnée à l’être humain de la grande Délivrance, sans scier la branche sur laquelle il est, certes inconforta­blement, installé ?

En second lieu, l’incompréhension actuelle de l’église devant la Totalité du message christique, en dehors de l’évolution interne de l’institution chrétienne, s’explique aussi par son environnement culturel. Or, je constate ici en quelque sorte une autre « descente », équivalente sur le plan philosophique, au passage de l’ésotérisme à l’exotérisme dans le domaine religieux. Équivalente, mais historiquement antérieure de plus de trois siècles, puisqu’il s’agit du message universel de Platon ésotérisme et de son interprétation exotérisme par Aristote. Un message, même Traditionnel, s’il influe en profondeur sur les populations auxquelles il est destiné, s’imprègne également des lignes de force de la pensée dominante. Or, l’ambiance culturelle de l’Occident, depuis Aristote, de­vient imperméable aux notions-clefs des grandes Traditions non-dualistes. Lorsque Platon écrit : « Ce qui communique la vérité aux objets connaissables et à l’esprit la faculté de connaître, tiens pour assuré que c’est l’idée de bien » [8], ce dernier mot a la même signification, pour lui, que la non-dualité hindoue ou le vide bouddhiste. Il expose un point de vue de métaphysicien sur la transcendance de l’Idée. Dès lors, qu’après lui, Aristote refuse toute connaissance supra-humaine, l’Occident le suivra sur ce chemin. Dans le vocabulaire utilisé dans ce livre, je peux dire que Platon reconnaît les deux natures de l’homme, alors qu’Aristote n’en accepte qu’une, la nature humaine, même si, au sein de celle-ci, une « région céleste » s’y caractérise par rapport à un « monde » plus contingent. Les deux natures, ici les deux mondes de Platon, l’intelligible et le sensible, n’en forment plus qu’une. L’homme ne peut plus se dépasser lui-même. Raphaël, dans sa célèbre fresque sur « l’école d’Athènes » peint un Platon un doigt levé vers le ciel, et Aristote abaissant le sien vers la terre. Symbolisme terrible, encore accentué par ses successeurs en philosophie, ce refus d’une réalité transcendante va imprégner les intelligences et contribuer à barrer la route à une acceptation « intellectuelle » de toute formulation méta­physique. Il n’est pas exagéré d’écrire que le sort actuel de l’Occident est, quelque part, la conséquence de ce double refus, de la philosophie puis de l’église, de ce que Georges Vallin appelle « la coïncidence entre la transcendance intégrale de l’Absolu et son immanence intégrale à la manifestation » [9].

Qu’est-ce que l’ensemble de ces remarques signifient par rapport à la situation actuelle du christianisme ? Et comment une femme ou un homme, poussés par une aspiration intérieure à la véritable finalité de cette Tradition « Moi et le Père nous sommes Un » peuvent-ils se situer dans l’église contemporaine ?

Par rapport au double point de vue métaphysique et initiatique, il est impossible actuellement de relever « une organisation traditionnelle » chrétienne. Les lecteurs de Guénon savent que les espoirs que celui-ci mettait dans la régénération spirituelle de deux organisations, « l’Estoile internelle » et la « fraternité des chevaliers du divin Paraclet », ne se sont pas réalisés [10]. En fait ce désert ne date pas d’hier et il est au moins possible d’indiquer une étape, probablement décisive, de sa constitution : 1307-­1312, lors de la condamnation des Templiers, dans les dernières années du règne de Philippe le Bel. René Guénon a, dans ce domaine, dit et écrit ce qu’il avait à dire et à écrire en vue d’une restauration éventuelle d’un cheminement initiatique traditionnel au sein du Christianisme, notamment français, au XXe siècle. Mais, dès 1932, il ne se faisait plus d’illusions, comme il le souligne dans une lettre rendue publique il y a peu de temps. « …certaines portes, depuis quelques années, du côté occidental, se sont fermées d’une façon définitive… je n’avais pas le droit de paraître négliger certaines possibilités… » [11].

Le constat biblique : « Il y a des trésors précieux et de l’huile dans la demeure du sage », encore compris et vécu au XIIe siècle [12], devient, peu après, ce que la fin de ce verset annonce : « Mais l’homme insensé les engloutit » [13]. Comme si se réalisaient les prédictions les plus sombres des Évangélistes : « La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point accueillie » [14]. La mainmise sur l’église, donc sur son message, par les « justes » installés dans l’engourdissement de leur bonne conscience, stoppe toute percée vers l’Être et immobilise toute recherche. « Jésus a dit : les pharisiens ont pris les clefs de la gnose et ils les ont cachées. Il ne sont pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, ils ne les ont pas laissés faire » ; « Pauvres d’eux, les pharisiens ! Ils ressemblent à un chien couché dans la mangeoire des bœufs : il ne mange, ni ne laisse les bœufs manger » [15]. Car le refus de goûter à un met précieux, s’accompagne presque toujours de l’interdic­tion, à d’autres personnes, de le savourer.

Un texte sacré, non-dualiste, note que la dimension Principielle, supra-personnelle, du Soi, constitue les trois quarts du réel, le dernier quart englobant Dieu, l’homme et le monde. L’Occident ne s’occupe que de ce quart et ne peut ainsi que se débattre petitement dans les oppositions et les banalités. Exactement au même titre que les philosophes modernes, modernes depuis Aristote…, discu­tent indéfiniment de ce quart de la réalité. Oui, l’homme occidental, ce dernier mot étant pris dans un sens géographique, historique et, bien sûr symbolique, « c’est l’homme du coucher du soleil, du déclin, de l’inhibition, de la disparition de la connaissance orientale, de la connais­sance originaire et de l’intuition intellectuelle » [16].

A la suite de mes rencontres, nombreuses et régulières, avec des chrétiens, il me semble possible de distinguer chez eux trois tendances. Si je prends le risque de les nommer c’est, non pas pour figer un tel débat dans des catégorisations étanches, mais pour faciliter l’analyse de la situation actuelle vue sous l’angle traditionnel.

En premier lieu, le petit nombre de ceux pour qui le message chrétien est d’abord et prioritairement, de nature sociale. Comment ne pas être auprès d’eux devant le spectacle de la société moderne qui perdure, en tout cas jusqu’à ce jour, à travers les événements les plus révélateurs de son injustice, de son ignorance, de sa violence éclatante ou sournoise. Trop souvent, néanmoins, je ressens chez eux une réserve pour toute approche qualifiée de spirituelle. La générosité est trop rare pour ne pas être attachante et ne pas entraîner un soutien. Mais, selon cette phrase-clef qui revient régulièrement sous ma plume depuis la première page de cet ouvrage, une vie intérieure est une vie qui est intérieure. Pour eux, à mon point de vue, l’engagement social s’amplifierait en s’appro­fondissant et en s’ancrant dans une conscientisation de Qui ils sont. Et selon la Bible, « le reste viendra de surcroît », car un sage ou un saint, méditant et priant, dans la solitude, est plus important que quiconque pour l’harmonie du monde.

En second lieu, le petit nombre également de ceux sur qui l’éclairage de l’actualité est intense, peut-être parce qu’ils sont appelés d’un nom qui intéresse : les intégristes. A première vue, ils se montrent respectueux, mais avec quelle violence peu contenue, des valeurs authentiques de toute Voie traditionnelle ? Mais ce respect va de pair avec deux tendances à mes yeux objectivement contraires à toute spiritualité. D’une part, une sympathie politique pour tout conservatisme, fût-il étroit, violent et d’un ethnocen­trisme caricatural. D’autre part, et c’est d’une gravité exceptionnelle, par leur refus, sans nuance et totalement illogique avec leur attachement au passé, de tout ce qui ressort de l’ésotérisme. J’ai déjà évoqué [17] cette crispation sur la forme d’un message spirituel considéré comme « supérieur » aux autres. C’est toujours l’incompréhension de la partie ésotérique, dans le Christianisme comme dans les autres Traditions, qui suscite le danger d’un tel rejet sectaire. Pour ma part, promouvoir un ordre sacré, tout en récusant son origine supra-humaine, ne correspond à rien tout en comportant des possibilités de prises de positions réactionnaires absolument étrangères à toute spiritualité. Ma réponse à leurs demandes se situe invariablement au niveau de la réalité de leur vie intérieure personnelle. Et lorsqu’ils évoquent Julius Evola et se réfèrent à lui, je leur propose de lire avec attention ses livres. Si un chrétien considère sa Tradition comme la meilleure, sinon même l’unique Voie, « il ne s’agit pas de foi ou d’incrédulité, mais bien de connaissance ou d’ignorance. Persister dans l’exclu­sivisme constituerait de la part d’un catholique d’aujourd’hui un non-sens comparable à celui qui consisterait à défendre certaines conceptions de physique et d’astronomie contenues dans l’Ancien Testament et aujourd’hui totalement dépassées » [18].

En troisième lieu, enfin, la grande majorité des chré­tiens, catholiques et protestants, qui vivent aussi bien que possible leur foi en ne sachant plus très bien de quoi elle est constituée en définitive. Mais leur rapport au Christ est si évident et son message si authentiquement étudié, qu’ils représentent une source de lumière à laquelle je m’abreuve avec régularité. La situation cyclique est telle que, pour la plupart d’entre eux, les questions que peuvent soulever l’initiation et la métaphysique leur paraissent hors de leurs univers spécifiquement religieux. Certains se qualifient de « chrétiens à trois pattes » : baptême, mariage, enterre­ment, mais ont conscience d’appartenir à une confrérie, certes anonyme, mais réelle, de personnes qui cheminent dans la même direction. Nombreux sont ceux qui viennent échanger sur cette impression « d’échec de la condition humaine », de cette condition qui conduit si souvent pourquoi ? à nier la nature divine de la personne. Cette sensation de rejet de toute vie intérieure, est-elle si vraie que cela : « ne pas en vouloir aux autres, c’est beaucoup demander mais quand j’y réussis, je me sens vraiment chrétien ». Après un long partage en silence, l’un deux me dit : « Je vous vois comme à la tête d’un immense cortège de pauvres, comme un porte-drapeau, attentif à leurs âmes atrophiées, pulvérisées, inexistantes… ils seront les premiers à vous critiquer… Mais : « Crie à plein gosier, ne te retiens pas, Élève ta voix, comme une trompette » [19].

Je ressens souvent chez mes visiteurs comme une blessure qui ne serait pas cicatrisée : oui, l’église vit souvent mal l’enseignement du Christ. Combien l’ont quittée à la suite d’un, ou de plusieurs, événements spirituellement douloureux. Mais la culpabilité s’infiltre. Est-ce assez grave pour quitter une organisation : oui, mais en même temps, un homme crucifié peut nous dire quelque chose : non. Dilemme ? Alternative ? Et cette culpabilisa­tion, d’où vient-elle ? Et fait-elle donc partie du dogme et qui est responsable, ? Et de quoi ? Et par rapport à qui ?

Le lien profond, le lien décisif, entre le point de vue spirituel et la recherche de type religieux éclate toujours à un moment donné quand l’un et l’autre sont authentique­ment vécus. D’ailleurs, la question est parfois posée : « Un Christianisme sans gnose existe-t-il ? » [20]. Bien sûr que non, et ce n’est pas le moindre paradoxe de la situation actuelle que de voir des Chrétiens retrouver la dimension intérieure de leur nature divine, tout en s’inquiétant de quoi ? au seul mot gnose. Pour redécouvrir, mais il y faut du temps et de la patience, que sans cette Connais­sance leur recherche tourne sur elle-même, au niveau, indépassable sans « gnose », de leur raison limitée, d’un mental reproduisant indéfiniment ses propres fantasmes et de sentiments qui se veulent passionnément sans passion. Ce sont à eux que s’adressent les indications sur le travail actif sur la Voie. Ils ne sont pas au sein d’une organisation initiatique ? Non, mais qui, aujourd’hui, y est ? La pratique exotérique du Christianisme est sans doute une réponse insuffisante, du moins par rapport aux critères de rattachement rappelés par Guénon. Mais en toute conscience, et devant la situation actuelle de l’église, que pourrait reprocher ce dernier à ceux qui, respectant le rituel religieux, le complètent par un double travail, spéculatif et opératif, inspiré par un point de vue traditionnel ?

« Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruit ; car, hors de moi, vous ne pouvez rien faire » [21]. Que faut-il donc « faire » ? « Le principe de toute activité agréable à Dieu, c’est l’invocation, pleine de foi, du Nom sauveur de Notre Seigneur Jésus-Christ » [22]. Avec régularité revient ce conseil : invoquez le nom du Seigneur, mais il apparaît que c’est surtout dans l’orthodoxie, que beaucoup de chercheurs considèrent comme un pont jeté entre l’Orient et l’Occident, que cette récitation s’y est développée sous la forme d’une véritable méthode d’oraison. C’est Hésychius, supérieur du monastère de Batos, au VIIe siècle, qui décrit longuement cette pratique qui repose sur l’hésykhia, qui veut dire repos en grec [23]. Nicéphore le Solitaire, puis le pseudo-Syméon le Nouveau Théologien, enfin et surtout Grégoire Palamas, au XIVe siècle, vont donner sur elle précisions et conseils. Elle repose sur l’alliance entre la respiration, l’assise et la répétition du Nom divin et elle est appelée aujourd’hui la prière du cœur.

L’archevêque de Thessalonique, notamment dans sa « défense des saints hésychastes » commence par situer le travail du pratiquant au niveau de la globalité de sa personne : « Aux sens, nous fixons l’objet et la limite de leur exercice, par la « tempérance » ; à la partie passionnée de l’âme, nous procurons la meilleure manière d’être qui porte le nom « amour » ; et nous améliorons aussi la partie raisonnable en rejetant tout ce qui empêche l’intellect de s’élever vers Dieu : cette partie de la loi, nous la nommons « sobriété » [24,a]. Pourquoi chercher la gloire de Dieu au-dehors quand elle provient du dedans ? tempéré, aimant, sobre, celui qui se recherche ainsi peut alors « entrer dans sa chambre, s’asseoir dans un coin » et respirer en étant attentif à son expiration, puis à son inspiration. Ainsi se dessine la méthode psycho-physique » de la prière [24,b] qui sera critiquée sous le nom de coeliopsyque qui évoque ceux pour qui « la loi de Dieu est au milieu de leur ventre » [24,c]. En même temps que la position du corps et la respiration sont ainsi étudiées, le pratiquant, en liant chaque mot à son souffle, récite une prière : « Seigneur Jésus, ayez pitié de moi » [25]. La formule s’installe dans le récitant qui ne fait plus qu’un avec elle [26]. Incline la tête, laisse-toi respirer, regarde à l’intérieur de ton cœur et chasse tes pensées par l’inlassable répétition de la formule sacrée, porteuse de la transforma­tion intérieure. Prie sans cesse !

« Veillez donc en tout temps et priez » [27]. Le message de l’apôtre a été entendu et il est plus important pour le Chrétien d’aujourd’hui de le suivre à son tour, que de se demander pourquoi cette instruction spirituelle lui vient de l’orthodoxie et comment il se fait que celle-ci soit séparée des autres branches du Christianisme. René Guénon note d’ailleurs à ce sujet, « qu’une certaine initiation a dû se maintenir dans ces églises d’Orient, et, effectivement, c’est ce qu’on y trouve avec l’hésychasme, dont le caractère réellement initiatique ne semble pas douteux » [28]. L’initia­tion est ici constituée par la transmission régulière de la prière du cœur et par le travail sur soi-même que suppose et nécessite sa récitation continue.

Il est clair, à mes yeux, que ce précepte essentiel d’une prière continue, d’une méditation permanente est renfor­cée par la possibilité donnée aux chrétiens qui en ont compris l’opportunité spirituelle, de la pratiquer dans la posture Za-Zen. Je me suis déjà expliqué sur ce point et au-delà de toutes les susceptibilités exotériques, celles de la raison et celles des sentiments, je constate chaque jour ses effets bénéfiques. Au fond, je pose ici la question qui est au cœur de la rencontre de deux Traditions. Je vois des Occidentaux dont la réponse est une conversion, même si le mot est rarement employé, au Bouddhisme. Pour beaucoup d’autres, la pratique de Za-Zen, respectée rigoureusement, est devenue un support privilégié pour leur cheminement chrétien. C’est le cas du Père Jacques Breton. A la fin d’une retraite communautaire sesshin que nous venions de vivre ensemble, je lui demande ce qu’il pense de ces questions : Za-Zen ? Bouddhisme ? Christianisme ? « Il n’y a pas incompatibilité et il ne peut y en avoir, car il n’y a qu’un être, il n’y en a pas deux, cela serait impensable et je suis intimement persuadé que les Bouddhistes font l’expérience de l’être, comme Saint Jean de la Croix peut faire l’expérience de l’être ». C’est exactement ce que souligne le père Jésuite allemand, dont le nom Enomiya Lassalle est symbolique d’une synthèse vécue : « le professeur Veda de Kyoto dit que le Za-Zen est pour les moines Zen la même chose que la communion chez les catholiques : union avec l’être » [29]. Donc unification de la conscience.

J’ajoute encore deux remarques. Pour beaucoup de chrétiens, centrés sur la notion d’amour, ce mot n’existe pas dans le Zen. Peut-être, mais sa réalité, elle, existe. C’est encore le Père Breton qui me dit avoir posé la question au maître Zen Yuho Seki : « C’était difficile de bien comprendre sa réponse, idée et mots compliqués et le filtre de deux interprètes, mais au moment où il me parlait je me suis senti envahi par un amour indicible et j’étais prêt à donner ma vie toute entière ». La base du Christianisme, Dieu est amour, eh bien ! ce moine Zen la vivait. Son expression est, bien évidemment différente de la nôtre, car les deux cultures sont vraiment éloignées, mais il n’y a qu’une seule réalité spirituelle. Une différence subsiste : Pour le bouddhiste, Dieu, l’Être, il n’en parle pas : c’est une Réalité qui est en-deçà de tout ce qu’il peut « penser », imaginer, il ne peut rien en dire sinon : « je suis » alors que pour le Chrétien, c’est Dieu qui se révèle et se fait connaître : Il se dit. Un lien s’établit alors entre Lui et la créature. Cela n’est pas la même approche pour celui qui pratique Za-Zen avec une vision non-dualiste. Certains moines, dont parle le Père Lassalle, découvrant en Za-Zen le Vide, abandonnent ce chemin où ils ne trouvent plus Dieu. Alors que chez un Saint Jean de la Croix ou un maître Eckhart la non-dualité est une certitude. Le Christ était à la fois profondément Dieu et homme, il y avait unité et non deux personnes. Quand il voulait c’était Dieu qui voulait et tout chrétien est appelé à devenir le Christ, donc à vivre cette non-dualité. Car si un chrétien dit adorer un Dieu extérieur, n’est-il pas resté à l’état adolescent ? Il lui faut se rapprocher de Saint Jean… Ce qui signifie, en définitive, que si j’emploie le mot différence à l’occasion de cette dernière remarque, c’est par rapport à la démarche générale actuelle du christianisme et non à sa substantifi­que moelle. Et celle-ci passe par une renaissance à soi-même, « à l’image de Celui qui nous a créés et jusqu’à ce que nous parvenions à la pleine connaissance » [30].

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1 Sainte Thérèse de Jésus, « Œuvres complètes », les éditions du Seuil, 1949. a : p. 587 ; b : p. 587 ; c : p. 602;d:p. 620 ; e : p. 721 ;f: p. 722; g: p. 1423.

2 Irénée de Lyon, « Contre les hérésies », Collection des Sources chrétiennes, les éditions du Cerf.

3 Grégoire de Naziance, cité par Olivier Clément « Sour­ces », les éditions Stock 1982, p. 72.

4 Saint-Paul, Épître aux Colossiens, II, 8 à 10.

5 Grégoire de Nysse, cité par Olivier Clément, ouv. cité, p. 240.

6 René Guénon, « Aperçus sur l’ésotérisme chrétien », les éditions Traditionnelles, 1954, p..13.

7 Ceux qui seraient intéressés par cette question peuvent lire les articles et livres suivants : Michel Vâlsan : « la fonction de René Guénon et le sort de l’Occident », les Études tradition­nelles, juillet-novembre 1951, p. 213 ; René Guénon : « Aperçus sur l’ésotérisme chrétien », les éditions traditionnelles, 1954, notamment le chapitre « Christianisme et initiation », p. 8 ; Jean Robin : « René Guénon, témoin de la tradition », les éditions de la Maisnie, 1978, pages 184 et suivantes et p. 332 et suivantes, mais tout l’ouvrage, remarquable, est à lire.

8 Platon, « la République », VI, 508, E.

9 Georges Vallin, « le tragique et l’Occident », la Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 3, juillet-sept. 1975.

10 Jean Robin, « René Guénon », Témoin de la Tradition, les éditions de la Maisnie, 1978, p. 185. L’auteur souligne à juste titre que pour Guénon, « l’initiation confère à ceux qui la reçoivent un caractère qui est acquis une fois pour toutes et qui est véritablement ineffaçable, mais que cette notion de la permanence du caractère initiatique s’applique aux êtres humains qui le possèdent et non pas à des rites ou à l’action de l’influence spirituelle à laquelle ceux-ci sont destinés à servir de véhicule ». (René Guénon, « Aperçus sur l’ésotérisme chrétien », les éditions Traditionnelles, 1954, p. 11.

11 Jean Robin, ouv. cité, p. 184. N’oublions pas que ces « possibilités » étaient celles des premières décennies du siècle. Aujourd’hui ce sont jusqu’au nom de ces deux organisations qui paraissent étranges. Je sais bien que, depuis soixante-dix ans, le monde ne cesse de s’éloigner du point de vue traditionnel et que les expressions spirituellement normales peuvent nous apparaître originales. Mais, à trop rechercher, en 1985, un cadre initiatique chrétien, ne risque-t-on pas une rigidité plus traditionaliste que traditionnelle ? Alors qu’à notre portée immédiate subsistent non seulement la « Prière du cœur » que j’évoque à la fin de ce chapitre, mais les Prières de la Vierge, du Saint Nom de Jésus et du Saint-Esprit, dont la vertu incantatoire conduit ceux qui les récitent à l’Universel.

12 Marie-Madeleine Davy, « Initiation médiévale », les édi­tions Albin Michel, 1980.

13 « Les Proverbes », XXI, 20.

14 « St-Jean », I, 5.

15 « Évangile selon Thomas », Collection Metanoia 1979, logia 39 zt 102.

16 Georges Vallin, « Voie de gnose et voie d’amour », les éditions Présence, 1980, p. 12.

18 Julius Evola, « les hommes au milieu des ruines », les éditions des sept couleurs, 1972, p. 139. Nouvelle édition G. Trédaniel, 1984.

19 Ésaïe, LVIII, 1.

20 Jean Biès, « Passeport pour des temps nouveaux », les éditions Dervy-livres, 1982, p. 194.

21 Saint-Jean, XV,5.

22 Calliste et Xanthopoulos, « Méthode et règle détaillée, inspirée des saints, à l’usage de ceux qui ont élu la vie hésychaste », « Petite Philocalie », les éditions des Cahiers du Sud, 1953, p. 288.

23 Le rapprochement des deux noms est surprenant ou significatif, selon le point de vue où l’on se place…

24 Jean Meyendorff, « Grégoire Palamas : Défense des saints hésychastes », Louvain Spicilegium Sacrum Lovaniense, 1973, a: p. 76 ; b. p. XXXI ; c : 96.

25 En grec : « Kyrie eleison » ou « Christe eleison » ; en slavon ; « Gospodi pamiloé » ; en anglais : « Lord Jesus, have mercy on me » ; en allemand : « Gott erbarme ».

26 « Récits d’un pèlerin russe », les éditions de la baconnière et du Seuil, 1948. Lire aussi l’excellent petit livre du docteur Serge Bolshakoff, « Rencontres avec la prière du cœur », éd. Claude Martingay, Genève, 1981.

27 Saint Luc, XXI, 36.

28 René Guénon, « Aperçus sur l’ésotérisme chrétien », les éditions traditionnelles, 1954, p. 24.

29 « Le Zen et la Foi », les éditions du Carmel, 1974. Un dossier présenté par Alain Delaye, p. 8. La sœur Monique Contant y écrit : « Pendant mon Za-Zen, je cherche surtout à m’établir dans le silence intérieur en me situant au-dessous de mes facultés intellectuelles, dans la zone où l’on peut mieux saisir les suggestions de l’Esprit… Il me semble que petit à petit cette pratique me met sur la voie de l’indifférence ignatienne (bien comprise) et du détachement sanjuaniste » p. 47. Lire aussi de H.M. Enomiya Lassalle : « Méditation Zen et prière chrétien­ne », les éditions du Cerf, 1973 et « le Zen chemin de l’illumination », les éditions Desclée de Brouwer, 1965.

30 Saint Paul, Épître aux Colossiens, III, 10.