La théorie de l’information
Le mot français information vient du latin informatio : l’action de donner une forme. C’est un terme d’origine philosophique, dont la signification remonte à Aristote. Ultérieurement, et dans le langage des juristes, le terme d’information a désigné, nous dit Littré, l’instruction à laquelle on procède pour la recherche ou la constatation d’un crime ou d’un délit, puis l’acte judiciaire où l’on rédige les dépositions des témoins sur un fait, en matière criminelle.
Aujourd’hui, le terme d’information a deux sens : 1. L’acte de communiquer ou de recevoir des renseignements, une connaissance, une science. 2. L’acte d’informer une matière multiple pour constituer soit un organisme vivant, soit une œuvre d’art, par exemple une statue.
En 1948, Claude Shannon travaillant aux Bell Téléphone Laboratories s’est appliqué à dégager les lois générales de la transmission des messages.
Supposons qu’un opérateur transmette des signaux, par exemple un télégramme, par le moyen du télégraphe Morse ordinaire. Comme chacun sait, les signaux Morse sont de deux types seulement : les traits et les points. Si un singe dactylographe capable de taper sur l’appareil s’amuse à envoyer des signaux, il est hautement probable que sur un très grand nombre de ces signaux nous aurons une distribution des traits et des points qui tendra à être à peu près égale. Mais l’ensemble ne constituera pas un message, il ne contiendra pas d’information. Si l’ensemble des signaux contient un message, c’est que la distribution des traits et des points est hautement improbable a priori. De même, si vous laissez un gorille taper sur votre machine à écrire, le résultat ne contiendra pas d’information. Ce sera du galimatias informe, dépourvu de toute signification. Là où il y a information, là où il y a message et signification, c’est qu’il y a une intelligence qui se trouve à l’origine.
Dans notre expérience humaine, tout message intelligible, toute information provient d’une intelligence. Si vous prenez quelques millions de caractères d’imprimerie et si vous les jetez en l’air, lorsqu’ils retombent à terre ils se distribuent dans un certain ordre, mais cet ordre ne contient pas d’information, il ne comporte pas de message. Il faut donc distinguer soigneusement entre l’ordre et l’information. De toute manière, les caractères d’imprimerie que vous avez jeté en l’air retombent et constituent un certain ordre. L’existence de cet ordre n’est pas un mystère. Il est une nécessité. Mais vous aurez beau jeter ainsi en l’air pendant des milliards de siècles des caractères d’imprimerie, vous n’obtiendrez pas par cette méthode un ouvrage, un livre contenant une information.
Pour qu’il y ait de l’information dans un ordre, par exemple dans une composition typographique, il faut qu’une intelligence ait composé une multitude de caractères d’imprimerie. Cette composition demande du travail, de la part de l’auteur d’abord. Elle demande d’autant plus de travail et d’autant plus de génie que la composition est plus riche en information. Il faut plus de génie pour composer un roman de Dostoïevski ou le petit article que le jeune Albert Einstein écrivit en 1905 et qui contenait les principes de la Relativité restreinte, que pour composer un roman de la Comtesse de Ségur. Lorsque l’œuvre est composée, on l’envoie à un imprimeur et le typographe à son tour effectue un travail de composition, qui n’augmente pas l’information du texte qui lui est confié, mais qui peut la diminuer s’il commet des fautes de copie.
Supposons qu’un ouvrage soit composé en caractères distincts les uns des autres (monotype), que les composteurs soient mal serrés, et que la composition se trouve sur le marbre chez l’imprimeur. Supposons encore qu’un ouvrier maladroit ou mécontent jette par terre cette composition : les caractères d’imprimerie tombent et se répartissent au hasard dans un certain ordre, mais cet ordre ne contient plus d’information. Il a fallu un long travail de la pensée et des mains pour composer cet ouvrage. Il ne faut qu’un seul instant et il ne faut aucune intelligence pour détruire cette composition. Une fois que les caractères d’imprimerie sont à terre, dans un certain ordre mais dans un ordre qui ne contient plus aucune information, vous pouvez vous amuser à jeter les caractères d’imprimerie en l’air pendant des milliards de siècles pour voir si vous retrouverez ainsi le texte qui vient d’être détruit. Un texte contenant de l’information est hautement improbable parce que, par cette méthode, on ne peut ni le créer ni le retrouver. Il est d’autant plus improbable que l’information est plus riche. En jetant des caractères d’imprimerie en l’air, vous obtiendrez assez facilement le mot français zut. Mais vous n’obtiendrez pas le petit article d’Albert Einstein sur la Relativité ni la thèse de Louis de Broglie sur la Mécanique ondulatoire.
Il a fallu des milliards d’années pour composer le système le plus complexe que nous connaissions jusqu’à ce jour dans l’Univers : le cerveau humain, avec ses milliards de cellules nerveuses coordonnées entre elles. Il suffit d’une seconde au premier imbécile venu pour détruire cette merveilleuse composition en appuyant sur la gâchette d’un pistolet. La création de l’information demande toujours de l’intelligence ou du génie. La destruction de l’information ne demande que de la sottise. C’est peut-être même la définition la plus précise de la sottise : la destruction de l’information ou la résistance à l’information.
Supposons maintenant qu’Albert Einstein, à Princeton aux États-Unis, veuille envoyer à son ami Louis de Broglie, qui habite à Paris, un message qui relate une découverte importante en physique. Einstein s’adresse à une télégraphiste américaine. Supposons qu’elle ne connaisse rien à la physique. Supposons encore que celle-ci transmette le message de l’illustre physicien à une seconde télégraphiste, et cette dernière le transmet à une troisième, et ainsi jusqu’à cent télégraphistes, qui se transmettent l’une à l’autre le message initial. Nous pouvons être sûrs et certains qu’à l’arrivée, lorsque le Prince Louis de Broglie va recevoir le message de son confrère, ce message ne sera pas amélioré. Des fautes de copie, des erreurs se seront accumulées et le message se sera détérioré en cours de transmission. Il n’est pas sûr qu’il soit encore intelligible lorsqu’il sera remis à son destinataire. Pour comprendre ce qu’a voulu lui communiquer Albert Einstein, Louis de Broglie sera obligé d’effectuer un véritable travail de reconstitution. Il sera obligé de redécouvrir par ses propres moyens ce que son collègue voulait lui faire savoir. L’information s’est dégradée dans les transmissions. Les erreurs de copie ont diminué l’information. On dit que l’entropie du système a augmenté. Le mot entropie est tout simplement le décalque d’un mot grec qui signifie : l’acte de retourner en arrière, la régression, l’involution.
Un message a une tendance naturelle à se dégrader lorsqu’il se transmet. Une grande pensée a tendance à se dégrader lorsqu’elle est enseignée par d’autres. L’histoire des manuscrits anciens nous le montre : lorsque les erreurs de copie s’accumulent, la richesse en information diminue.
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Le Prince Louis de Broglie a enseigné la physique quantique à l’Institut Poincaré à Paris. Supposons cent étudiants dans son amphithéâtre. Louis de Broglie enseigne des découvertes nouvelles qui ont demandé de sa part de l’intelligence et du travail. Sur cent étudiants, une partie écoute distraitement. Les uns parlent avec leur voisine. D’autres lisent un journal. L’information communiquée par Louis de Broglie passe mal. Une faible fraction est reçue et assimilée. D’autres étudiants s’appliquent à écouter, mais ils ne sont pas suffisamment préparés pour comprendre l’enseignement nouveau qui leur est proposé. Quelques étudiants comprennent presque tout ce qu’enseigne Louis de Broglie. Dans ce cas, l’information est à peine diminuée dans la communication. Au mieux, elle est reçue entièrement, mais elle n’est pas augmentée. Mais si un étudiant sur cent non seulement comprend intégralement ce qui lui est communiqué mais, de plus continue de créer et d’inventer à partir du message qu’il reçoit, alors il fait à son tour croître l’information. Il n’est plus seulement récepteur passif. Il devient à son tour créateur. Dans tous les cas, lorsque Louis de Broglie communique une science, qu’elle soit reçue ou qu’elle ne le soit pas, dans tous les cas Louis de Broglie ne perd pas la science qu’il communique. Cette remarque est capitale pour la théorie de la Création. Celui qui communique la science ne la perd pas. Le message peut se dégrader dans les transmissions. Mais, même communiqué à une multitude d’autres, le message reste auprès de celui qui le communique.
Tous les enfants des écoles communales savent que dans chaque cellule vivante il existe un noyau. Dans ce noyau, se trouvent des molécules géantes qui portent l’information génétique du vivant, c’est-à-dire les plans de construction, les instructions requises pour composer le vivant en question, avec ses milliards de cellules différenciées et coordonnées. Par exemple, dans la tête du spermatozoïde, se trouve une molécule géante qui contient tous les renseignements qui sont nécessaires pour construire un enfant qui va ressembler à papa. Dans le noyau de l’ovule, se trouve une molécule géante de même taille qui contient elle aussi tous les renseignements requis pour composer un bébé qui va ressembler à maman. Ces deux messages génétiques s’unissent, s’associent pour constituer un unique message qui va commander à la construction de l’enfant qui ressemblera un peu à son père et un peu à sa mère.
Comment, à partir de deux messages génétiques fusionnés, un être va commencer d’exister qui sera une personne ? Nul ne le sait. Nous constatons le fait, qui se reproduit des millions et des milliards de fois. Comment deux messages vont-ils donner une personne ? C’est ce qui pour l’instant reste incompréhensible. Ce qui est sûr et certain, c’est que dans le spermatozoïde et dans l’ovule, se trouvent inscrits physiquement, comme dans des livres, comme dans une bibliothèque, toutes les instructions qui sont nécessaires pour composer un enfant d’homme, ou un enfant de lion. Le message génétique de l’homme tient dans une masse de quelques millionièmes de milligrammes. Déroulé, il fait à peu près trois mètres de long. Il contient une science, des renseignements qui ne pourraient pas être inscrits dans tous les livres de la Bibliothèque Nationale. Car non seulement ces messages génétiques contiennent toutes les instructions qui sont requises pour composer un enfant d’homme, ou de lion, — et cette composition, dans le cas de l’homme, va durer au moins vingt ans — mais de plus ces messages contiennent des instructions qui portent sur le comportement, individuel et social, de l’animal ainsi construit, sur ses instincts, sur son intelligence. Tout ce dont l’être vivant a besoin pour se développer et pour vivre est ainsi inscrit physiquement dans ces molécules géantes qui se trouvent pelotonnées dans les noyaux des cellules. Claude Bernard disait au siècle dernier : Ce qui définit un être vivant, c’est une Idée directrice. Nous savons aujourd’hui que cette Idée directrice qui constitue le vivant est inscrite physiquement dans des molécules géantes qui se trouvent dans ce qu’on appelait depuis longtemps les chromosomes.
Nous disions dans notre chronique précédente que le terme d’information a deux sens : 1. Communiquer un message, une science ; 2. Construire un organisme en informant une matière multiple. La biologie moderne vient de nous apprendre que les deux significations du terme information se rejoignent : c’est un message, un télégramme géant, une information au premier sens de ce terme, qui va commander à la construction de l’organisme vivant, — deuxième sens.
Car lors de la conception, lorsque les deux messages génétiques, celui qui vient du père et celui qui vient de la mère, s’unissent, à la conception il y a un message génétique qui résulte de la fusion des deux précédents. Et c’est ce message qui va commander à la construction de l’organisme vivant. Il va commander en particulier à l’assimilation des molécules qui se trouvent dans le milieu ambiant, par exemple dans la matrice, pour construire l’organisme nouveau. C’est le message génétique qui a l’initiative. C’est lui qui est actif. Il choisit ce qui lui convient, il rejette ce qui ne lui convient pas. Il transforme les molécules qu’il trouve dans le milieu ambiant pour en faire les molécules dont il a besoin pour ses propres constructions.
Depuis 1953, nous savons comment sont constituées ces molécules géantes qui portent l’information génétique, le message créateur de tout l’organisme. Nous savons qu’elles sont constituées de deux fibres enroulées l’une sur l’autre en forme d’hélice. Ces fibres sont constituées de molécules et parmi les molécules, quatre d’entre elles sont analogues à des mots, à des signes. C’est avec ces quatre signes, composés trois par trois, que sont écrits tous les textes qui commandent à la construction de tous les êtres vivants depuis les origines de la vie, il y a plus de trois milliards d’années.
La langue que la nature a utilisée pour composer tous les êtres vivants, des millions et des millions d’espèces différentes, est unique. La biologie nous a donc appris qu’il existe une langue immanente à la nature, bien avant l’apparition des langues humaines, et cette langue de la nature se sert d’un système à trois éléments ou, si l’on préfère, de mots constitués de trois signes, tout comme les vieilles langues sémitiques dont les racines sont aussi constituées de trois lettres. Les biologistes ont aussi découvert que non seulement il existe une bibliothèque dans le noyau de la cellule, mais aussi un système pour transmettre les messages : ce sont des molécules messagères qui transmettent l’information contenue dans le noyau de la cellule à des chaînes de montage sur lesquelles sont composées d’autres molécules géantes, les protéines. Elles sont composées d’après les plans qui leur sont transmis par ces molécules messagères.
Si vous voulez faire sérieux et présenter une thèse de philosophie dans une Université, vous dites cela en grec. Au lieu de dire qu’il y a une pensée, une raison et une langue dans la nature, bien avant l’homme, vous dites : Il y a du logos dans la physis.
Paru dans La Voix du Nord, 26/27 octobre 1977
L’origine de l’information
Ce que les sciences de l’Univers et de la nature nous ont appris depuis le début de ce siècle, c’est que tout, dans l’Univers et dans la nature, est information. Ce que les Anciens appelaient de la matière, ce sont en réalité des compositions physiques extrêmement complexes que les physiciens n’ont pas fini d’analyser. Un atome est une composition, une molécule est une composition, tout est composition dans la nature. La poussière est le résultat d’une décomposition. Elle n’est pas première. Elle est seconde. Elle est ce qui reste de l’organisme lorsque le principe d’information est parti. Mais si vous examinez de près cette poussière, vous verrez que ce sont des molécules en train de se décomposer et la décomposition va jusqu’aux atomes, qui sont des compositions. Il n’existe pas dans la nature de matière intégralement décomposée, il n’existe pas de poussière à l’état pur. Il existe simplement des compositions plus ou moins complexes.
Ce que les sciences de l’Univers et de la nature nous ont appris aussi, depuis le début du XXe siècle, c’est que dans l’histoire de l’Univers, la matière, c’est-à-dire les premières compositions, va des compositions les plus simples aux plus complexes. Il existe une histoire de la genèse de la matière, ce que les savants des siècles passés ne savaient pas. La matière la plus simple, à savoir l’atome d’hydrogène, est aussi la première, la plus ancienne. C’est progressivement, à l’intérieur des étoiles, que se composent des structures physiques de plus en plus complexes, ce qu’on appelle en physique les noyaux lourds. Et ces noyaux lourds, lorsqu’ils sont composés, ont une tendance spontanée à se décomposer par émission de particules, et à se transformer en d’autres éléments.
Sur les obscures planètes, voici à peu près trois milliards d’années, la matière s’est composée en structures encore plus complexes : les molécules, puis les compositions constituées à partir de molécules, puis ces molécules géantes constituées de diverses molécules très complexes, et qui portent inscrits physiquement les messages génétiques qui vont commander à la construction des systèmes vivants, depuis les plus simples, constitués d’une seule cellule, jusqu’aux plus complexes, les Mammifères et l’Homme. Au cours du temps, dans l’histoire naturelle des espèces, les messages génétiques, les télégrammes qui portent l’information, sont de plus en plus riches en information. Il faut davantage de renseignements pour construire une libellule que pour une amibe, et davantage encore pour composer Wolfgang Amadeus Mozart. Donc, au cours du temps, l’information augmente dans l’Univers, depuis ses origines jusqu’aujourd’hui, et nous n’avons aucune raison de penser que ce soit achevé.
L’Univers est donc un système spatio-temporel, un système physique historique, dans lequel constamment, au cours du temps, l’information augmente, et cela d’une manière irréversible. Jamais et à aucun moment de son histoire l’Univers ne suffit par lui-même et seul à rendre compte de cette nouvelle information qui apparaît en lui, qui semble surgir en lui. L’Univers dans son histoire est tout à fait comparable à une symphonie en train d’être composée, et inachevée : jamais le passé de cette symphonie ne suffit à rendre compte de son avenir et on ne peut pas déduire son avenir de son passé, parce que toujours, dans cette composition en train de se faire, l’avenir est plus riche en information que le passé.
La question se pose donc à tous ceux qui connaissent ce fait, et ils sont nombreux sur la planète, aussi bien des Soviétiques que des Américains ou des Français : comment comprendre cette genèse continuée d’information créatrice dans l’Univers ? Comment comprendre que l’Univers se présente à nous comme un système en train d’être composé depuis quelque quinze ou vingt milliards d’années ? Comment comprendre la nouveauté de l’information qui apparaît à chaque instant dans l’Univers et dont l’Univers passé ne peut pas rendre compte ?
C’est le problème de l’origine de l’information. C’est le problème métaphysique numéro un aujourd’hui aux yeux des savants qui étudient l’Univers et son évolution. Les philosophes régnants ne s’en occupent pas, ils n’en soupçonnent même pas l’existence, parce qu’ils n’ont pas pris le soin d’aller étudier un petit peu ce qui se passe du côté de la cosmologie, de la physique et de la biologie. Mais des savants, par milliers de par le monde, sont en arrêt devant ce problème de l’origine radicale de l’information.
Vous pouvez appeler comme vous voulez cette origine ou cette source de l’information, cela n’a aucune importance. Mais le fait est là : l’Univers est un système qui, au cours du temps, au cours de son histoire, reçoit constamment de l’information. Ce n’est pas un système fixe. Ce n’est pas un système qui se suffit. Ce n’est pas un système préformé non plus. Les messages génétiques qui ont commandé à la construction de Mozart ne préexistaient pas, cachés dans les nuées d’hydrogène qui constituaient l’Univers il y a dix ou douze milliards d’années. Non, ces messages génétiques ont été inventés, ils ont été composés progressivement au cours du temps, au cours de l’histoire de l’Univers et de la nature. Ce n’est pas la matière multiple non plus, ce ne sont pas les atomes qui ont suffi, seuls et par eux-mêmes, à rendre compte de ces compositions qui ont abouti à constituer les gènes de Mozart, pas plus que les caractères d’imprimerie ne suffisent seuls à rendre compte d’une composition qui comporte et contient un message.
Pour rendre compte d’une composition qui contient un message intelligent et intelligible, contenant une information, il faut une intelligence. Pour rendre compte de l’existence et de la composition des gènes, du message génétique qui a constitué Mozart, qui était intelligent, il faut une intelligence aussi. L’intelligence ne peut pas apparaître au bout de l’histoire de l’Univers, à son terme actuel, avec l’homme, si elle n’est pas déjà au commencement, pour inventer et composer l’homme intelligent.
Toute création dans l’Univers et dans la nature s’effectue par communication d’une information, d’un message. Un nouveau type d’être vivant, c’est d’abord un nouveau message génétique, un nouveau plan de construction, inédit, qui commande à la construction d’un organe ou d’un dispositif biologique nouveau qui n’existaient pas auparavant. Certains savants ont proposé, il y a une vingtaine d’années déjà, une théorie très amusante pour expliquer la genèse continuée au cours de l’histoire naturelle des espèces de nouveaux plans de construction. C’est la théorie des erreurs de copie. Les molécules géantes qui portent l’information génétique ont pour propriété de se recopier elles-mêmes pour, à partir d’une cellule, produire deux cellules. Le plus souvent, cette copie est correcte et aboutit à deux textes identiques. Mais parfois, par suite d’accidents physiques, il y a des ratés, des erreurs de copie. C’est ainsi, nous disent ces savants américains, recopiés par des savants français, que s’expliquent la genèse et l’invention de nouveaux plans de construction commandant à la construction de systèmes biologiques inédits.
Ainsi, vous prenez le plan de la brouette, vous le faites recopier par des idiots, et dans la montagne de copies pleines d’erreurs vous trouvez le plan de la fusée qui est capable d’aller sur la planète Mars. Ou bien encore, vous prenez un livre de calcul de la classe maternelle, vous le faites recopier par des débiles, et dans le tas vous trouvez le traité de mathématiques supérieures de Nicolas Bourbaki.
Nous, nous savons par notre expérience constante que toujours la genèse d’une nouvelle information est l’œuvre d’une intelligence créatrice et que toujours les erreurs de copie, bien loin d’augmenter l’information, la diminuent et finissent par la détruire. Voilà donc des savants qui prétendent nous faire croire que dans la nature les fautes de copie font croître l’information et qu’elles sont créatrices d’information nouvelle. Que d’efforts pour éviter de reconnaître que manifestement une création géniale est à l’œuvre dans l’Univers depuis qu’il existe jusqu’à ce jour…
La Voix du Nord, 28 octobre 1977
La mort
Les philosophes qui font aujourd’hui l’opinion, lorsqu’ils parlent de la mort, partent d’un présupposé qui leur paraît évident : la mort, c’est le néant, l’annihilation complète de la personne humaine. On comprend, dans ces conditions, que nos contemporains qui vivent sous l’influence des idées répandues par les philosophes régnants, aient horreur de la mort et la fuient, pour eux- mêmes, de toutes les manières.
Mais le présupposé dont partent les philosophes qui font aujourd’hui la pluie et le beau temps (rarement) dans l’opinion, ce présupposé est totalement arbitraire et sans fondement nulle part, ni dans l’expérience ni dans l’analyse rationnelle.
Rappelons ce que nous écrivions dans une chronique précédente : un organisme vivant quelconque, c’est une multiplicité matérielle, physique, une multitude d’atomes et de molécules, informée par un principe que vous appellerez comme vous voudrez mais que vous pouvez aussi bien appeler « âme » puisque le mot existe. Il n’est pas nécessaire d’en inventer un autre. Lorsqu’un homme meurt, il reste un cadavre, c’est-à-dire la multiplicité des atomes et des molécules qu’il avait informée en dernier lieu, je dis bien en dernier lieu puisque auparavant, et durant toute son existence, il avait informé bien d’autres ensembles d’atomes et de molécules. Les atomes et les molécules entrent et sortent constamment. Quelque chose subsiste : c’est l’homme vivant qui manifeste donc une relative indépendance à l’égard de cette matière multiple qu’il informe.
Lorsque l’homme meurt, ce qui reste ici dans notre expérience sensible, c’est une multiplicité matérielle qui avait été informée et qui ne l’est plus. Mais ce qui informait cette multiplicité d’atomes pour constituer un organisme vivant, ou celui qui informait, n’est plus là. Il n’est plus dans le champ de notre expérience. Il n’est plus accessible à notre expérience sensible, pour une raison très simple, c’est que, pour être objet d’expérience sensible, il faut être un corps, une composition physique. Peut-on en inférer pour autant que ce qui, ou celui qui informait une matière multiple pour constituer cet organisme vivant que je pouvais voir et toucher, peut-on en déduire que celui-là n’existe plus? Aucunement. Ce serait un paralogisme grossier qui reposerait sur le présupposé ou le principe suivant : Tout ce qui sort du champ de notre expérience sensible cesse d’exister. Ou, sous une forme encore plus simpliste : N’existe que ce que je vois. C’est proprement puéril et encore c’est faire injure aux petits enfants que de leur prêter des raisonnements aussi simplets.
Nos philosophes qui font les importants (la modestie n’est certes pas leur vertu préférée) abusent donc le petit peuple lorsqu’ils traitent pesamment de la mort et qu’ils présupposent ce qui est justement en question en affirmant comme une évidence allant de soi que la mort c’est l’annihilation.
L’âme humaine constitue un corps vivant en informant une matière multiple pendant une durée de quelques dizaines d’années. Rien ne nous dit et rien ne nous permet d’affirmer qu’elle cesse d’exister dès lors qu’elle cesse d’informer une matière pour constituer un organisme. On peut parfaitement émettre l’hypothèse que l’âme humaine continue d’exister sans exercer cette fonction d’information.
Mais pouvons-nous aller plus loin ? Oui, nous le pouvons. Considérons l’Univers entier dans son histoire. Nous l’avons rappelé précédemment : c’est l’histoire d’une composition progressive qui va du simple au complexe, de la matière la plus élémentaire aux systèmes les plus complexes, et le système le plus complexe que nous connaissions aujourd’hui dans l’Univers c’est le cerveau humain. Manifestement et objectivement l’évolution cosmique, puis physique et biologique est orientée vers la genèse des psychismes de plus en plus conscients et vers la formation de la personne. Croit-on vraiment que la « nature », pour parler comme nos compagnons matérialistes et athées, croit-on vraiment que la nature se serait livrée à cet immense travail de composition, d’invention, de création, qui dure depuis au moins quinze ou vingt milliards d’années, pour parvenir à susciter un être capable de pensée, de réflexion, de prévision, de souvenir, un être qui aime l’être et qui a horreur du néant, afin de précipiter cet être personnel dans le néant après quelques instants d’existence ? Ce serait absurde. Mais aussitôt j’entends les philosophes régnants s’écrier : « Nous vous l’avions bien dit ! L’Univers est absurde. D’ailleurs tout est absurde. L’être est absurde. Et d’ailleurs, le monde est en trop. »
Ceux qui disent cela, par exemple le philosophe français Jean-Paul Sartre, il est notable qu’ils n’ont aucune formation scientifique. Ils n’ont jamais étudié de près ni l’Univers en sa structure et en son histoire, ni la matière en sa composition, ni les être vivants avec tous les systèmes biologiques qui les constituent. Les savants, mêmes athées, qui ont étudié la nature ne disent pas, ils ne disent jamais qu’elle est absurde, bien au contraire. Ils savent que tout est pensé en elle, et certains ont tendance à considérer la Nature comme un grande Pensée immanente. Celui qui étudie la structure de l’Univers comme Albert Einstein, et celui qui étudie la langue immanente à la nature vivante, comme le biochimiste et le biologiste, savent bien que tout est intelligible dans la nature. Ils n’ont aucune tendance à la déclarer absurde. Pour déclarer, comme Sartre, que le monde est absurde, il faut vraiment ne pas le connaître.
Il est donc peu vraisemblable que ce long travail cosmique, physique et biologique qui a abouti à l’homme, aujourd’hui à l’aube, soit destiné à déboucher sur le néant pour cet être qui vient d’apparaître et qui sait qu’il existe et qui aime l’existence.
Ce qui est étonnant c’est que nos contemporains qui, pour une grande part d’entre eux, ont adopté les idées des philosophes qui nous assurent que la mort c’est le néant, il est étonnant que nos contemporains qui ont une telle peur de la mort pour eux-mêmes, la donnent si volontiers aux autres et si facilement. Jamais autant qu’au XXe siècle l’humanité n’a accumulé les massacres.
Première Guerre mondiale : dix millions de cadavres. Seconde Guerre mondiale : cinquante millions de cadavres. Troisième Guerre mondiale ? Celle que préparent avec tant de zèle les nations dites civilisées : il sera sans doute plus aisé de compter les survivants, je veux dire ceux qui vont mourir lentement du cancer du sang, ou des os, ou de la peau, après les bombardements nucléaires. Dans les pays dits civilisés, les belles dames se font extraire par centaines de milliers les enfants qui n’ont pas encore la taille, ni le poids, ni l’âge suffisants pour protester. Et dans certaines cliniques de pays très civilisés, certains médecins achètent ces enfants avortés pour faire des expériences. Notre civilisation, si l’on ose dire, qui a horreur de la mort, une horreur souvent grotesque parce qu’elle s’imagine que la mort est le néant absolu, est aussi la plus hideusement cruelle que l’histoire humaine nous fasse connaître.
La Voix du Nord, 2 novembre 1977