Entretien trouvé sur Internet et traduit librement
Voici une interview de Jean Klein datant du début des années 1990, qui a été publiée, à ma connaissance, uniquement dans un petit journal spirituel de Seattle.
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Q. Vous parlez souvent du « Je suis », le silence au-delà de la pensée. Par quels moyens peut-on atteindre cet état, et pourquoi vaut-il la peine de le rechercher ?
Jean Klein : C’est « atteint », comme vous dites, lorsque vous voyez qu’il n’y a rien à atteindre. Ce que vous êtes fondamentalement n’est pas un objet à atteindre. Dans chaque atteinte, nous trouvons des objets. Ce que vous êtes est le sujet ultime, la conscience sans objet, le sujet de tous les objets possibles. Il n’y a rien à rechercher. Un jour, vous verrez peut-être que celui qui cherche est celui qui est cherché ; celui qui cherche est ce qu’il cherche. Ce n’est qu’un esprit ambitieux qui cherche désespérément autour de lui dans l’ignorance. Un esprit clair et innocent est toujours ouvert, constamment disponible à la grâce.
Q. Mais dans vos causeries et vos livres, vous utilisez l’expression « chercheur de vérité », donc il doit y avoir une certaine forme de recherche.
JK : Notre désir profond est d’être et ce désir vient de l’être, lui-même. Lorsque vous donnez tout votre amour, toute votre intelligence et tout votre sérieux à ce désir, cela vous amène à ce que vous désirez le plus : l’absence de désir. Le désir est l’ombre qui, si vous la suivez, vous amène à sa substance. Mais vous devez lui donner tout votre amour, sinon vous ne conserverez que l’ombre du désir. Un vrai chercheur de vérité est poussé par la Vérité elle-même. L’élan vient de la Vérité. Toute autre réalisation appartient à l’esprit, aux idées, aux aspirations.
Q. De nombreux maîtres de la pensée orientale semblent appeler à renoncer à tout désir et à toute ambition. Mais pour que le monde fonctionne, que des bâtiments soient construits, que des récoltes soient faites, que des découvertes soient faites, il faut que quelqu’un ait une vision, un plan et la volonté de transformer cette vision en réalité. Et il semblerait qu’il en soit de même en ce qui concerne la croissance personnelle ou spirituelle. Le désir et l’ambition ne sont-ils pas nécessaires dans une certaine mesure ?
JK : Il n’y a rien de mal au désir, mais il doit être clair, être passé par la discrimination. Un esprit ambitieux est un esprit aveugle. Seul un esprit clair et informé est ouvert à l’ultime. C’est une fausse notion que pour fonctionner efficacement et harmonieusement, nous avons besoin d’ambition, d’objectifs et ainsi de suite. Le fonctionnement adéquat découle des faits de la situation elle-même. Ce n’est pas nous qui trouvons la solution, mais la situation qui offre sa solution. L’important est donc de se familiariser pleinement avec les faits, les circonstances réelles, et vous ne pouvez pas voir les faits lorsque vous vivez d’un point de vue personnel et fragmentaire. En regardant une situation sans jugement ni idées préconçues, la situation est libre de se déployer. Vous ne pouvez pas imposer une vision parce que la personne n’en a pas. Vous devez attendre que la vision vienne à vous. Cette attente sans attente est notre vraie nature, l’ouverture, où il n’y a plus le sens d’être l’acteur (doership).
Q. N’est-ce pas un état passif ?
JK : Pas du tout. On agit toujours, mais il n’y a plus de « faiseur ». Vous n’êtes passif que par le fait que vous n’imposez pas les vieux schémas, les idées, les opinions, les jugements, en bref, vous-même. Lorsque le « vous » est absent, ce qui reste est une présence alerte. Dans cette présence alerte, tout se produit.
Q. L’Advaita insiste sur l’unité du sujet et de l’objet, de celui qui perçoit et du perçu. En essayant de comprendre ce concept, on se retrouve face à la question : Qui suis-je ? Car si moi et le monde sont identiques, l’individu n’existe pas. N’est-ce pas ? C’est une pensée terrifiante.
JK : Terrifiant pour qui ? Bien sûr, essayer de « comprendre le concept » de l’Unité, c’est faire fausse route, car l’Unité du sujet et de l’objet n’est pas un concept à comprendre, c’est une réalité à « sentir », un Océan dans lequel il faut plonger, et dans lequel le plongeur et les concepts disparaissent. Pour « plonger dans l’océan », il ne faut pas essayer de comprendre quoi que ce soit…
Q. On a parfois l’impression que la vie est une pièce de théâtre qui se déroule et que nous sommes comme le public qui regarde la représentation. L’idée d’effort semble alors inutile. Ce sentiment a-t-il une quelconque validité ?
JK : Oui. N’interférez pas avec la pièce et ne créez pas de relation psychologique avec les événements. Restez un admirateur silencieux. Ne vous prenez pas pour un « faiseur », laissez faire. Lorsque vous intervenez en tant qu’acteur, vous interrompez l’action.
Q. Existe-t-il un moment où l’illumination frappe et où l’on est changé pour toujours, ou cela se développe-t-il progressivement ? L’idée même d’illumination ou d’éveil est-elle fausse ?
JK : Demandez-vous d’abord qui est là pour être attaché ou pour être libéré ? Qui est là pour être illuminé ? L’éveil est seulement quand vous voyez qu’il n’y a personne à illuminer. Lorsque vous voyez que vous êtes l’absence totale, c’est le moment le plus frappant de votre vie. À ce moment-là, vous êtes la présence ultime, mais pas la présence en tant qu’objet. Cet insight est instantané mais ses conséquences sont dans l’espace et le temps.
Q. Voulez-vous dire que l’intégration de l’insight sur le plan psychosomatique se fait dans l’espace et le temps ?
JK : Oui. Parce que nous vivons dans l’espace et le temps. Toutes les apparences sont dans l’espace et le temps, mais l’insight soudain de notre absence est hors de l’espace et du temps. Donc, découvrez ce qui ne change jamais en vous, ce qui est intemporel en vous.
Q. L’insight est-il permanent ou le conditionnement revient-il ?
JK : L’intuition est pour toujours, mais il est important qu’il soit établie à tous les niveaux de l’existence. Après l’insight, la vie continue, mais maintenant chaque circonstance est une indication de l’ultime. Vous voyez très clairement vos conditionnements endocrinien, culturel, linguistique et ainsi de suite, mais vous n’êtes plus lié à eux. Vous les affrontez depuis l’ultime et ils pointent vers l’ultime.
Q. Le chercheur sérieux est-il, en fin de compte, mieux loti que la personne qui est béatement ignorante des questions spirituelles ?
JK : Le soi est toujours présent. La seule différence est que l’un l’ignore et l’autre l’est. Ce que nous sommes fondamentalement nous attend. Il n’y a aucun effort à faire pour atteindre notre vraie nature. Nous ne pouvons jamais aller vers elle, nous pouvons seulement être disponibles pour elle, pris par elle. C’est ce qui est le plus proche de nous. « La solution/voie se déploie à partir de la situation elle-même » – « ce qui est ». Il n’y a pas le moyen d’être immobile ; Être l’Immobilité est le moyen. Oui – la voie est l’origine de la situation, sans origine, le déroulement de la situation, sans déroulement, la résolution et la libération de la situation, sans être résolue – et n’est donc pas attachée au début, à la situation ou à la résolution … La voie est sans voie … la tranquilité.
Q. L’Advaita insiste sur l’unité du sujet et de l’objet, de celui qui perçoit et du perçu. En essayant de comprendre ce concept, on se retrouve face à la question : Qui suis-je ? Car si moi et le monde sont identiques, l’individu n’existe pas. N’est-ce pas ? C’est une pensée terrifiante.
Comme le dit Jean Klein : « Rester un admirateur silencieux » de nos mondes intérieur et extérieur, sans s’identifier à aucun côté. L’admirateur silencieux est aussi un concept, un symbole utile, une astuce de maître qui peut aider à se débarrasser d’un point de vue erroné. Un ancien philosophe grec a écrit : « Dieu est un cercle, dont le centre est partout et la circonférence nulle part ». Le centre partout est un « nouveau point de vue », pas de dehors, pas de dedans, un seul monde.