J. Krishnamurti
Comprendre le fabricant des problèmes

1ère Conférence et questions du 9 avril 1950 à Paris. Le titre est de 3e Millénaire Nous sommes, presque tous, assaillis par toutes sortes de problèmes, non seulement individuels, mais collectifs, qui dépassent nos vies individuelles, qui nous affectent en tant que citoyens, en tant que membres de divers groupes ; et, au delà des […]

1ère Conférence et questions du 9 avril 1950 à Paris. Le titre est de 3e Millénaire

Nous sommes, presque tous, assaillis par toutes sortes de problèmes, non seulement individuels, mais collectifs, qui dépassent nos vies individuelles, qui nous affectent en tant que citoyens, en tant que membres de divers groupes ; et, au delà des questions sociales et économiques, nous avons encore des problèmes spirituels – si je puis employer ce mot. Or, plus nous nous efforçons de résoudre ces difficultés innombrables, plus elles semblent s’étendre, se multiplier et nous plonger dans la confusion ; nos efforts ne font ainsi qu’augmenter la souffrance et la douleur. Donc, l’important n’est pas de traiter quelque question particulière mais de savoir comment aborder les questions au fur et à mesure qu’elles surgissent, afin d’éviter qu’elles se compliquent et se multiplient. Le problème de l’existence ne peut pas être résolu sur un plan unique : cela tombe sous le sens. C’est sur tous ses plans à la fois que nous devons l’aborder. Ainsi, si nous cherchons à résoudre les difficultés économiques individuelles ou collectives, indépendamment de leur aspect spirituel ou psychologique, nous n’y parviendrons jamais. Pour trouver la solution d’une question particulière, il nous faut comprendre le créateur du problème : c’est cela l’important.

Notre plus grande difficulté n’est donc pas de résoudre des problèmes mais de comprendre profondément, totalement, le créateur des problèmes, c’est-à-dire nous-même.

Envisagée de la sorte, l’étude de soi n’est pas une façon d’éviter les difficultés ; au contraire, se connaître, se comprendre, est bien plus important que d’obtenir des résultats en agissant sur le problème lui-même en vue de le transformer.

Ainsi que je viens de le dire, il importe moins de chercher des solutions aux difficultés économiques ou autres, individuelles ou collectives, que de comprendre le créateur de ces difficultés. Et cela exige une attention bien plus aiguë, bien plus lucide.

Étudier ce créateur, ce fabricant de problèmes, qui n’est autre que nous-même, n’implique pas l’isolement, la retraite. Nous avons tendance à nous imaginer qu’il nous faut déployer une grande activité à la recherche de solutions, car cette agitation nous donne l’impression de « faire, du moins, quelque chose », tandis que nous avons pris l’habitude de considérer l’étude du fabricant des problèmes, c’est-à-dire la connaissance de soi, comme un processus d’isolement et de confinement, donc de négation de l’action. La première chose qu’il importe de voir, par conséquent, c’est que l’étude de soi n’est pas un processus d’isolement, de ségrégation, d’inactivité, mais exige au contraire une extraordinaire attention, une lucide vivacité, une clarté, non pas superficielle, mais intérieure.

Et, après tout, lorsque nous parlons d’action, n’est-ce pas de réactions que nous parlons en réalité ? Nous réagissons presque tous à des influences extérieures, nous sommes empêtrés dans ce processus, et c’est cette suite de réactions que nous appelons « chercher des solutions aux problèmes humains ». Comprendre nos réactions est le commencement de la connaissance de soi. Je le répète : la recherche de solutions est beaucoup moins importante que la connaissance des réactions de chacun de nous à tel stimulant, à telle influence, à telle condition. L’étude de soi est beaucoup plus valable que celle de tous ces « problèmes » auxquels la plupart d’entre nous ont consacré leurs vies. Ces « problèmes », on les a étudiés sous tous les angles ; mais celui qui les confectionne – qui, pour chacun, est soi-même – on ne l’a jamais étudié dans ses profondeurs. Pour nous étudier, nous devons nous comprendre tels que nous existons dans nos rapports avec tout ce qui nous touche, car le fabricant de problèmes n’existe que là. Étudier ces rapports, en vue de comprendre l’origine de nos difficultés, est le commencement de la connaissance de soi. Je ne vois pas comment nous pourrions comprendre la vie, ou aucune question, quelle qu’elle soit, sans nous comprendre nous-mêmes. Sans la connaissance de soi, l’on n’a aucune base pour penser ou pour agir, l’on n’a de base pour aucune transformation ou révolution.

Commencer à comprendre notre comportement avec tout ce qui nous entoure, et découvrir ainsi le « fabricant de problèmes » est de la plus haute importance. Et cette fabrication est mentale. Pour comprendre le fonctionnement de l’esprit, ce qui est requis n’est pas l’habileté : il nous faut étudier, dans sa totalité, le processus de nos propres réactions psychologiques. Si nous ne comprenons pas la totalité du processus mental, quoi que nous tentions pour résoudre nos innombrables problèmes, individuels ou collectifs, économiques, sociaux, nos guerres, nos nationalismes et le reste, nous ne trouverons pas d’issue. Notre problème à nous, n’est donc ni la guerre, ni les crises économiques, mais le fonctionnement par lequel nous fabriquons mentalement ces problèmes, dans nos rapports avec les gens, les choses, les idées. La pensée ne peut pas être considérée comme un objet que l’on puisse isoler et étudier dans un laboratoire, nous ne pouvons la connaître que dans l’acte de relation.

Notre processus mental est, en fait, le résultat du passé. Ce que nous sommes, vous et moi, est l’aboutissement de nombreux hiers : nous sommes leur somme totale, et si nous ne comprenons pas ce passé, nous ne pouvons pas aller de l’avant. Or, pour le comprendre, est-il nécessaire d’examiner tout son contenu, tous ses éléments? Nous pouvons, soit l’étudier en fouillant, en allant rechercher très loin les mémoires de la race, du groupe, de l’individu, ce qui implique l’étude de l’analyste ; soit nous demander si l’analyste est distinct de ce qu’il analyse, si l’observateur est distinct de l’observation. Tant qu’existe un analyste il est en train d’examiner le passé, et il est évident que, puisqu’il est lui-même le résultat du passé, tout ce qu’il examinera et analysera, sera conditionné, donc inadéquat. L’analyste est une partie intégrante de l’analysé ; les deux ne sont pas séparés, ce qui semble bien évident aussitôt qu’on se le dit. Il n’y a pas de penseur en dehors de la pensée. Aussitôt que l’on suppose un penseur indépendamment de la pensée, aussitôt que l’on envisage un penseur qui « examine » la pensée, quel que soit le résultat de cet examen, il sera inévitablement conditionné, donc inadéquat. Voilà pourquoi, avant de comprendre nos problèmes, quels qu’ils soient – guerres, crises économiques, etc. – nous devons comprendre le penseur qui les analyse. Je le répète : un problème n’est pas une chose différente du penseur ; le penseur n’est pas différent de la pensée ; c’est la pensée qui crée le penseur.

Si nous parvenons à voir cela, nous découvrons qu’il n’y a que « penser » et pas de penseur, d’observateur.

Ce penseur qui cherche à disséquer, à analyser, à mouler une pensée dans une forme particulière, si nous parvenons à voir qu’il n’existe pas, qu’il n’y a que « penser », il sera possible à la pensée d’aboutir, de parvenir à son terme, sans processus de lutte, d’effort, d’analyse. Aussi longtemps qu’existe un penseur en tant que « moi » et que « pour-moi » [1], il y a un centre d’où émane toute action. Ce centre est, de toute évidence, le produit de notre esprit et celui-ci est le produit de notre conditionnement ; et lorsque le penseur ne fait que se détacher de son conditionnement et essaye de provoquer une action, un changement ou une révolution, ce centre demeure quand même en tant que permanence. Notre problème se pose donc ainsi : comprendre et dissoudre ce centre qu’est le penseur.

Mais la difficulté est, pour la plupart d’entre nous, n’est-ce pas, que notre pensée est conditionnée. Nous sommes français, anglais, allemands, russes ou hindous, avec tout un arrière-plan particulier, religieux, politique, économique, et c’est à travers l’écran de ces conditionnements que nous prétendons résoudre les problèmes de la vie, ce qui, naturellement, ne fait que les compliquer davantage. Nous n’abordons pas la vie dénués de conditionnement. Nous l’abordons en tant qu’entités, avec toute une armature, tout un entraînement, tout un bagage d’expériences. Étant conditionné, chacun de nous a son point de vue particulier, de sorte qu’il ne fait qu’engendrer de nouveaux problèmes. Il est bien évident qu’il nous faut donc comprendre et éliminer ces conditionnements si désastreux, mais la plupart d’entre nous ne se rendent pas compte qu’ils sont conditionnés et que cet état de fait est le résultat de leur propre désir et de leur aspiration à la sécurité. Après tout, notre société est le produit de notre désir de sécurité. Nous voulons nous sentir à l’abri et permanents dans le sein même de notre forme particulière de conditionnement. Et, je le répète, étant inconscients de ce conditionnement, nous continuons à fabriquer de nouveaux problèmes. Nous avons une telle accumulation de connaissances, tant de préjugés, d’idéologies, de croyances auxquels nous nous accrochons! Et à cause de tout cela, nous sommes incapables d’aborder la vie telle qu’elle est en réalité. Nous l’abordons, elle qui est une incessante provocation, à travers nos réactions inadéquates, de sorte que nous ne la comprenons jamais que déformée par nos particularités. La provocation est vie, constante transformation, flux incessant, et ce qu’il nous faut comprendre ce n’est pas la provocation, mais notre réaction à la provocation.

Notre conditionnement est mental. Son siège est notre esprit même, avec ses connaissances, son expérience, ses croyances, ses traditions, son identification avec tel parti, tel groupe, telle nation. Notre esprit est le résultat du conditionnement ; il est l’état conditionné ; donc son intervention ne peut que compliquer les problèmes au lieu de les résoudre. Tant que l’esprit s’empare d’un problème, à quelque niveau que ce soit, il ne peut que multiplier les conflits, les malheurs, la confusion. Est-il donc possible d’affronter la provocation de la vie, sans tout ce processus mental, sans toute cette accumulation d’expériences qu’est l’esprit? En d’autres termes, est-il possible de répondre adéquatement aux provocations de la vie, en évitant la réaction de notre esprit, qui est le conditionnement du passé? Une provocation produit toujours un effet en nous, sous forme de réaction, et lorsqu’on l’observe, on voit que cette réponse de notre esprit est toujours conditionnée. Une telle réponse ne peut qu’engendrer de nouveaux problèmes et une plus grande confusion. Cela se produit toujours.

La question est donc de savoir s’il est possible d’aborder la vie sans ces réactions conditionnées. Ce n’est qu’à la faveur d’une crise que nous affrontons les provocations de la vie, sans l’ingérence de la pensée. Au moment d’une crise aiguë, nous pouvons constater que la pensée ne répond plus : l’arrière-plan qui la constitue ne réagit pas.

Ce n’est que dans cet état-là, où l’esprit ne réagit pas en tant que processus de pensée, que nous pouvons résoudre les problèmes qui se présentent à chacun de nous.

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QUESTION : La seule arme que vous donnez aux victimes de l’injustice sociale est la connaissance de soi. Pour moi, c’est une dérision. L’Histoire nous enseigne que les peuples ne se sont jamais libérés que par la violence. L’état de la société me conditionne, je dois donc la briser.

KRISHNAMURTI : Avant de briser la société, nous devons comprendre ce qu’elle est, et comment l’on doit se comporter vis-à-vis de cette société dans laquelle on se trouve pris. L’important n’est pas de chercher à la détruire, afin de s’en libérer, mais de comprendre sa structure car, dès l’instant que nous comprenons cette structure dans ses rapports avec nous, nous sommes capables d’agir à son égard de façon efficace.

La société n’est-elle pas le produit de nos rapports réciproques? Des échanges entre vous, et moi, et les autres? Ce sont ces relations qui sont la société. Elle n’existe pas en dehors de nous. Donc, modifier la structure de la société actuelle sans comprendre les relations humaines c’est tout simplement la prolonger, sous une forme modifiée. Notre société actuelle est passablement corrompue, elle est un processus de corruption et de violence, qui comporte toujours de l’intolérance, des conflits, de la douleur ; et pour obtenir une modification fondamentale de ce dont nous sommes partie intégrante, il nous faut nous comprendre nous-mêmes. Cette compréhension n’est certainement pas une « dérision », ni une action qui s’oppose à l’ordre actuel. Il n’y a d’opposition que dans la nature des réactions. Une modification radicale de la société peut se produire, non par des idées, non pas au moyen d’une révolution basée sur des idées, mais par ma propre transformation, dans mes rapports avec les autres.

Notre société a un besoin évident de transformation : toutes les sociétés ont toujours besoin d’être transformées. Cette transformation, doit-elle être élaborée à partir d’une idée, c’est-à-dire sur de la pensée, sur des calculs, sur d’habiles exercices de dialectique?

Ou, puisque toute préfabrication ne peut que provoquer des oppositions, cette révolution ne devrait-elle pas avoir lieu sans se conformer à un plan préétabli? Il ne peut y avoir de révolution que lorsque cesse l’idée du « moi » en tant qu’entité indépendante de la société ; et ce « moi » existe tant que dure le processus mental, le désir conditionné de sécurité, sous ses différentes formes.

Nous savons tous, nous admettons tous qu’un changement radical de la société est nécessaire. Et il existe des personnes pour dire que cette transformation doit être basée sur une idée, sur une idéologie. Mais une idée engendre invariablement une opposition, et l’on a ainsi des révolutions selon la gauche ou la droite. Mais une révolution est-elle possible et est-elle même une révolution, lorsqu’elle est basée sur une idée, sur une croyance? Lorsqu’elle n’est que la conséquence d’un processus de pensée qui est une réaction à un conditionnement, peut-elle faire autre chose que donner au passé une continuité modifiée? Peut-on dire que c’est une révolution? Une révolution, dans le vrai sens du mot, n’est possible que lorsque l’esprit n’est pas le centre de l’action, lorsque la croyance, l’idée, n’est pas le facteur dominant. Voilà pourquoi l’on doit se comprendre soi-même si l’on veut transformer radicalement la société : soi-même, c’est-à-dire tout le conditionnement d’idées, d’expériences, de connaissances, de souvenirs, dont on est fait.

QUESTION : Mon mari a été tué au cours d’une guerre, mes enfants sont morts au cours d’une autre guerre, et ma maison a été détruite. Vous dites que la vie est un éternel état de création, mais tout ressort est brisé en moi et je sens qu’il m’est impossible de participer à un renouveau.

KRISHNAMURTI : Quel est l’obstacle à ce constant renouveau, dans nos vies? Qu’est-ce qui empêche le nouveau de survivre? N’est-ce pas le fait que nous ne savons pas mourir chaque jour? C’est parce que nous vivons dans un état de continuité, dans un constant processus qui consiste à reporter d’un jour sur l’autre nos souvenirs, nos connaissances, nos expériences, nos soucis, nos chagrins, nos souffrances, que nous n’abordons pas la nouvelle journée sans la mémoire de la veille. Pour nous, la continuité est la vie : savoir que « je » continue en tant que mémoire identifiée à tel groupe, à telles expériences, c’est cela, pour nous, vivre. Mais ce qui a une continuité, ce qui se transmet par le souvenir, ne peut jamais se renouveler, n’est-ce pas? Un renouvellement n’est possible que lorsque l’on comprend l’entier processus du désir de durer. Il n’y a de renouvellement que lorsque cette continuité, en tant qu’entité, en tant que « je » pensé, parvient à sa fin.

Après tout, nous sommes un amas de souvenirs : souvenirs d’expériences ; souvenirs amassés au cours de notre vie et par notre éducation ; et le « je » est le résultat d’une identification avec tout cela. Nous sommes le résultat d’une identification avec un groupe particulier, français, hollandais, allemand ou hindou. Sans identification, sans groupe, sans maison, sans piano, sans telle idée, sans telle personne, nous nous sentons perdus ; nous nous accrochons à notre mémoire, à notre identification, et celle-ci nous confère une continuité. C’est cette continuité qui empêche le renouveau de se produire. Et il n’est, certes, possible de se renouveler que lorsqu’on sait mourir et renaître chaque jour, c’est-à-dire être libre de l’identification qui engendre la continuité.

La création n’est pas un état de souvenir. Elle n’est pas un état où l’esprit est actif. La création est un état où la pensée est absente ; tant que fonctionne le processus de la pensée, il ne peut y avoir de création. Le déroulement de la pensée est continu ; il est le résultat d’une continuité d’identification ; il ne peut passer que du connu au connu ; il ne peut, évidemment, jamais être l’inconnu. Donc il est important de comprendre ce qu’est la pensée et de la faire parvenir à une fin. Mettre fin à la pensée, ce n’est pas se retirer dans la tour d’ivoire d’une abstraction. C’est, au contraire, la plus haute forme de compréhension, qui engendre un état créatif [2] de renouvellement.

Mais, tant que la pensée se prolonge il ne peut y avoir de renouveau. Voilà pourquoi il est plus important de comprendre la façon dont nous pensons que de chercher un moyen de nous renouveler. Quand je puis comprendre la manière dont ma pensée fonctionne, voir toutes ses réactions, non pas aux niveaux superficiels mais dans les profondes couches inconscientes, alors, dans cette compréhension de moi-même, la pensée peut prendre fin.

La fin de la pensée est le commencement de la création, le commencement du silence.

Mais cet état ne peut pas se produire par la contrainte, ni par aucune forme de discipline. N’avons-nous pas tous eu des moments où l’esprit était très calme, spontanément calme, sans aucun sens de discipline, sans motif, sans que nous ayons eu le désir de le rendre silencieux? Nous avons certainement tous eu des moments où l’esprit était complètement immobile. Or une telle immobilité n’est jamais le produit d’une continuité, le résultat d’une forme particulière d’identification. C’est un état où le processus de la pensée a cessé de fonctionner ; je parle de la pensée en tant que réaction à un conditionnement, et d’un état où cette réaction n’existe plus. C’est cette fin de la pensée qui est un renouveau. Et c’est en cette fraîcheur que l’esprit peut recommencer à neuf.

La compréhension de la pensée, non pas en tant que penseur, mais seulement en tant que pensée, cette perception directe de l’esprit en tant que pensée, sans que l’on y mêle aucune condamnation, ou justification, ou aucun choix, met un terme à la pensée.

Vous pourrez voir alors – si vous en faites l’expérience – que lorsque la pensée cesse, il n’y a plus de penseur. Lorsqu’il n’y a pas de penseur, l’esprit est silencieux. Le penseur est l’entité douée de continuité. La pensée, se voyant fugitive, fabrique le penseur en tant qu’entité permanente et lui confère une continuité ; et alors, le penseur devient l’agitateur : il maintient l’esprit dans un état de constante agitation, de constante recherche, de poursuite, d’aspiration. Et ce n’est que lorsque l’esprit comprend la totalité de son propre processus, sans y être contraint, que s’établit le calme où le renouveau devient possible.

Dans toutes ces questions, l’important est donc de comprendre le processus de l’esprit ; il ne s’agit pas là de s’isoler dans de l’introspection ; ce n’est pas un refus de la vie ; cela ne comporte pas une retraite dans un ermitage ou un monastère, ni le confinement dans une croyance religieuse particulière. Au contraire, toute croyance conditionne l’esprit. Toute croyance engendre l’antagonisme. Un esprit qui croit, ne peut jamais être calme. Un esprit pris au piège d’un dogme ne peut jamais être créateur.

Donc, nos problèmes ne peuvent être résolus que lorsque nous comprenons le processus de notre esprit, créateur des problèmes ; et ce créateur ne peut cesser d’exister que lorsque nous comprenons les rapports qu’il entretient avec les objets, les idées, les personnes. L’état de renouveau, cet état créateur, n’est engendré que lorsque l’esprit est totalement tranquille, et non confiné dans une forme particulière d’activité ou de croyance. Lorsque l’esprit est silencieux et immobile, il y a création, parce que la pensée a pris fin.

Paris, le 9 avril 1950

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1 As the « me » and the « mine »

2« Créatif » : qui a la vertu de créer, se distinguant de « créateur » : qui crée. Il y a là la même nuance qu’entre constructif et constructeur.