Traduction libre
Extraits d’une session de questions et réponses avec Toni Packer lors de la conférence Le Bouddhisme en Amérique à Boston en janvier 1997.
Q1 : J’ai une question fondamentale à propos de toutes les pensées qui nous envahissent. Il faut certainement s’asseoir tranquillement pour arriver à observer ses pensées. Pour moi, toutes ces pensées qui surgissent sont un fait incroyable. Et j’ai une question fondamentale : Quelle est la source qui produit toutes ces pensées ?
Toni: Pourquoi voulez-vous le savoir ? [Rires]
Q1 : C’était en fait ma deuxième question : Est-ce que ça a trop d’importance, ou dois-je simplement l’accepter ? C’est ce que c’est, mais c’est assez extraordinaire.
Toni: D’où viennent toutes ces choses ?
Q1 : De façon miraculeuse, il y a une curiosité naturelle — d’où cela vient-il ?
Toni: Les pensées viennent-elles de la mémoire ? Examinons cela directement. Pouvez-vous penser maintenant à la maison dans laquelle vous vivez ? Le souvenir de votre maison génère des pensées et des images à son sujet, n’est-ce pas ? Comme je n’ai aucun souvenir de votre maison, aucune image de celle-ci n’est générée dans mon esprit.
Maintenant — où se trouve cette mémoire ? Se trouve-t-elle dans notre cerveau ou existe-t-il des mémoires ailleurs, quelque part dans « l’espace », dans « l’air » ? Il existe toutes sortes d’idées à ce sujet, et il y a même une théorie scientifique proposant que les souvenirs pourraient être des champs — des champs de mémoire non locaux au-delà des cerveaux individuels. La diffusion florissante des compétences informatiques parmi les personnes de tous horizons pourrait indiquer l’existence de champs de mémoire non locaux facilitant cet apprentissage. Un vaste champ de mémoires collectives stockées pourrait se manifester dans les cerveaux individuels.
Maintenant, vous pourriez dire : OK, c’est très bien, mais d’où vient la mémoire ? Elle vient des expériences, mais d’où viennent les expériences ? D’où vient tout ? Si cette interrogation persiste et ne vous laisse pas en paix, pouvez-vous vous rester avec elle sans connaître la réponse ? Tant que l’on sait quelque chose et que l’on veut en savoir plus, l’esprit continue de tourner de manière intéressante, en créant des théories. Mais s’asseoir tranquillement avec tous les souvenirs, les pensées et les sentiments, sans être capable de comprendre d’où ils viennent ; voir l’envie de spéculer à ce sujet, et pourtant ne pas y entrer, juste s’ouvrir au simple non-savoir — il y a un moment vide dans ce ne rien savoir qui laisse être ce qui est sans aucune interférence. Dans ce moment, il n’y a pas d’avant ni d’après, pas « d’ici à là » ni d’entre-deux. Tout ce qui se passe est une présence complète sans temps ni frontières.
Et soudain, on se dit : « Oh, j’ai trouvé ! » ou « Ai-je vraiment trouvé ? »
D’où cela vient-il ?
Un instant avant, il y avait le silence, et maintenant il y a une pensée à mon sujet. Apparaît-elle clairement ou reste-t-elle floue ? Soit la pensée a pris le dessus, remplissant l’esprit d’un réseau d’idées, soit, en voyant et en écoutant, elle s’estompe, laissant une simple conscience, une présence.
En y réfléchissant, direz-vous maintenant que les pensées viennent de la conscience — de la présence ? Je laisserais de côté toute conceptualisation. Il suffit d’observer. Les pensées qui surgissent. Nous ne pouvons même pas dire qu’elles surgissent… Elles sont là ! Il n’y avait pas d’attention pour saisir leur première apparition. Ou bien y en avait-il ?
Vous vouliez savoir d’où viennent les pensées. Viennent-elles du fait de vouloir quelque chose ? De l’envie de savoir ? Du désir de changer ? De vouloir s’illuminer ? Vouloir ? D’où vient le désir ? Pouvons-nous nous asseoir tranquillement, écouter intérieurement sans savoir ?
Q2 : Je ne sais pas trop comment poser cette question, alors je vais juste parler comme je peux. Mon père est mort récemment. J’étais très proche de lui. Quelques jours avant sa mort, dans son lit à la maison, au moment du coucher du soleil, nous parlions. Nos yeux se sont rencontrés, et dans ce regard, le moi est tombé. Il n’était pas lui, et je n’étais pas moi, quelque chose a transcendé. Puis nous sommes directement retournés. C’était comme ce moment, et, ah, c’était très puissant, quand j’y pense. Il y avait une paix — comme un cadeau, un de ses cadeaux d’adieu que j’ai ressenti. Et euh, ensuite il est mort. J’ai regardé son cercueil être mis en terre, et mon esprit s’est engourdi…
Et donc je ne sais pas trop qu’elle est ma question, mais juste que quelqu’un que vous avez connu pendant quarante et un ans n’existe plus sur la planète sous la forme que vous lui connaissiez. C’est comme la plus grande perte de tous les temps. Je ne sais pas si j’ai une question ou si je dois la laisser sortir et voir ce qui vient de vous à ce sujet.
Toni: En ce moment même, à ce moment précis où nous regardons et écoutons ensemble, où est ton père ?
Q2 : Cela ressemble à un tas de souvenirs, de pensées et de sensations.
Toni: Oui, oui, et puis il y a ce moment où il n’y a pas eu de moi. À ce moment-là, était-il même votre père ?
Q2 : Non.
Toni: Est-ce que c’est ce qu’il est en ce moment — ce moment présent sans « père » ou « fille » ? Un être simple.
[Pause]
Mais est-ce que cela devient immédiatement une pensée réconfortante, quelque chose à laquelle se raccrocher ?
Alors, qu’était-il vraiment ? Celui dont vous vous souvenez avoir été proche pendant quarante et un ans — beaucoup, beaucoup d’images de mémoire différentes pendant de nombreuses années — ou celui qui est en train de mourir, celui qui se trouve dans le cercueil abaissé ? Avant sa naissance, qu’était votre père ?
[Pause]
Vous voyez, nous sommes envahis par les pensées et les sentiments qui émergent d’une histoire triste ou heureuse. C’est ce qui fait le plus pleurer, n’est-ce pas ? Je ne me moque pas de votre situation.
Au dernier jour de la retraite, j’ai lu des maîtres anciens et contemporains, et de la poésie. Il y en a un de Mary Oliver intitulé Boston University Hospital. Quelqu’un le connaît-il ? C’est un très beau poème. Quelques fois en le lisant, j’étais émue. Mon mari est malade, et ce poème m’a serré la gorge. C’est à propos d’un ami cher qui se rétablit juste à côté de l’endroit où quelqu’un d’autre est mort. Je ne l’ai pas lu récemment, parce que je ne veux pas m’émouvoir en lisant un poème. Sans ce poème, où sont les larmes ? Je ne dis pas que les larmes ne sont pas nécessaires ou qu’elles ne devraient pas être versées — juste pour écouter en silence et s’interroger sur tout cela.
Une grande partie de la douleur liée à la mort d’un proche est liée à la peur dans sa propre vie et sa propre mort, n’est-ce pas ? Comment vais-je vivre sans lui ? Il me manque terriblement. Comment vais-je mourir quand mon heure sera venue ? Serait-ce une mort douloureuse et prolongée ? Je ne serai plus là pour voir le soleil du matin se lever sur les collines — toute cette réflexion, cette imagination et ce souvenir, avec des émotions douloureuses et actives.
Dans l’écoute silencieuse, intérieurement, il peut y avoir une merveilleuse illumination du corps-esprit conditionné et réactif. Il devient de plus en plus transparent avec une conscience soutenue. Et pourtant, il est facile de s’empêtrer dans ce qui se révèle — les désirs, les peurs, tous les états émotionnels et physiologiques liés à la mémoire et à l’anticipation. Tout cela exerce une attraction d’une puissance étonnante, se faisant sérieusement passer pour la réalité. S’empêtrer dans ce qui se présente, c’est s’éloigner instantanément de la simple présence lumineuse, comme si l’on entrait dans une maison de jeu sombre aux lumières enchanteresses.
En cet instant, pouvons-nous voir l’histoire de notre vie imprégnée de conscience ? La contempler tranquillement au milieu de la respiration et des palpitations.
[Pause]
Il n’est pas nécessaire de poursuivre l’implication dans l’histoire et l’émotion, quelles que soient la force et la conviction avec lesquelles le corps vibre avec les souvenirs. Est-il possible de passer simplement de l’enchevêtrement des histoires à l’écoute ouverte, à ce moment précis ?
En cela, il n’y a aucune crainte de disparaître. Les venues et les départs se produisent dans le vaste vide, sans limitation, sans temps. Ce sont les jeux de l’ego qui produisent tous les spectacles d’amour et de haine, d’amusement et d’horreur, de douleur et de plaisir, sous une lumière artificielle. Pères, maris, mères, bébés — venir et partir, venir et partir, venir et partir — présence intemporelle. L’amour sans peur.