Gary Lachman
Francs-maçons, sociétés secrètes, conspirations, la Conscience et les maîtres cachés

Traduction libre Entretien avec Gary Lachman par Richard Smoley Un courant négligé mais puissant circule à notre époque. Il se trouve dans un petit groupe d’écrivains et de penseurs qui tentent de surmonter le matérialisme et le rationalisme de l’époque actuelle et de redécouvrir les vérités éternelles qui se cachent derrière toute religion. Ces écrivains […]

Traduction libre

Entretien avec Gary Lachman par Richard Smoley

Un courant négligé mais puissant circule à notre époque. Il se trouve dans un petit groupe d’écrivains et de penseurs qui tentent de surmonter le matérialisme et le rationalisme de l’époque actuelle et de redécouvrir les vérités éternelles qui se cachent derrière toute religion. Ces écrivains sont aux prises avec les voies occultes et ésotériques du passé et du présent. Ils tentent d’explorer ces mouvements sans tomber dans la crédulité ou le scepticisme aveugle. Parmi eux figurent Jay Kinney, fondateur du magazine Gnosis et auteur de The Masonic Myth ; Mitch Horowitz, un éditeur new-yorkais dont les propres ouvrages comprennent Occult America et One Simple Idea : How Positive Thinking Reshaped Modern Life ; et Erik Davis, auteur de TechGnosis et Nomad Codes : Adventures in Modern Esoterica.

Dans cette petite mais distinguée compagnie se trouve Gary Lachman. Il a débuté dans les années 1970 sur la scène new-yorkaise du rock en tant que membre fondateur du groupe révolutionnaire de la Nouvelle Vague Blondie. En 1996, il s’est installé à Londres, où il s’est établi comme écrivain à plein temps, contribuant à des publications telles que le Fortean Times, The Guardian et le Times Literary Supplement.

Depuis 2001, Gary a produit un flux constant de livres, dont Turn Off Your Mind : The Mystic Sixties and the Dark Side of the Age of Aquarius ; The Secret History of Consciousness ; A Dark Muse : A Dark Muse : A History of the Occult ; et Politics and the Occult : The Right, the Left, and the Radically Unseen. Ces dernières années, il a publié des biographies de grandes figures ésotériques, dont P.D. Ouspensky, Emmanuel Swedenborg, Rudolf Steiner, Carl Jung et H.P. Blavatsky.

L’ouvrage de Gary, publié en 2015 par Tarcher/Penguin, est The Secret Teachers of the Western World, est une œuvre monumentale qui dévoile les maîtres ésotériques qui ont façonné le développement intellectuel de l’Occident, de Pythagore et Zoroastre à des figures méconnues du XXe siècle comme Jean Gebser et René Schwaller de Lubicz.

Cette interview, a été réalisée en juin 2015 par e-mail avec Gary sur les courants secrets de la tradition occidentale.

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RICHARD SMOLEY (RS) : Beaucoup de gens ont l’impression, même faible, que ce qui se passe dans les médias n’est que la surface la plus fine d’un océan de luttes et de forces que nous pouvons à peine concevoir. Êtes-vous d’accord avec cette évaluation ?

GARY LACHMAN (GL) : Je soupçonne que ce dont nous sommes conscients, la plupart du temps, n’est qu’une sélection de ce qui se passe réellement. Je dis cela dans le sens le plus large possible. En ce qui concerne les médias, il est raisonnable de supposer qu’il y a une variété de filtres en place qui font qu’une version modifiée des choses nous parvient. Mais il y a aussi des gens qui consacrent leur énergie à « découvrir » la vérité et à « révéler » les faits sur tel ou tel événement. Il me semble que l’on pourrait se perdre en essayant de trouver la « vérité » sur les choses, en termes de situations politiques, économiques et sociales. Je veux dire les théoriciens de la conspiration qui cherchent une solution insaisissable au mystère de qui est « vraiment » au pouvoir et de ce qui s’est « vraiment » passé dans telle ou telle situation.

Je pense qu’il est important de faire preuve de discernement quant à ce que nous acceptons de nos sources et d’être conscient que chaque source a ses propres préjugés. Personnellement, je suis plus intéressé par tout ce qui est en dehors de ce genre d’« herméneutique de la suspicion », pour reprendre l’expression du philosophe Paul Ricœur. Je veux dire la philosophie, la pensée, etc. Je pense que c’est toujours le bon moment pour poursuivre le bon, le vrai et le beau, quel que soit celui qui dirige le spectacle. Je pense aussi qu’il y a moins de contrôle caché que ce que certains croient, mais il semble de rigueur aujourd’hui de penser que tout ce que nous voyons aux informations est faux. Le spectacle en lui-même est finalement sans importance. C’est une nuisance inévitable dont nous devons néanmoins être conscients afin de poursuivre nos objectifs.

RS : Le romancier Ishmael Reed a écrit : « Sous ou derrière toute guerre politique et culturelle se cache une lutte entre des sociétés secrètes ». Quelle part de vérité pensez-vous qu’il y ait dans cette déclaration ?

GL : Eh bien, je ne sais pas. Je l’ai rencontré pour la première fois, comme beaucoup de gens, dans leur histoire fantastique de conspiration Illuminatus de Robert Anton Wilson et Bob Shea. Y a-t-il vraiment des sociétés secrètes à l’œuvre, qui manipulent les événements et contrôlent le monde ? Si c’est le cas, elles ne semblent pas faire un très bon travail.

Je pense qu’à différentes époques, il y a eu des sociétés ou des groupes de personnes qui ont travaillé ensemble pour apporter un changement ou introduire une idée dans les sociétés de leur temps. Je parle de certains d’entre eux dans mon nouveau livre, The Secret Teachers of the Western World. Mais il s’agissait de groupes relativement petits qui étaient actifs à une certaine époque, et lorsque vous regardez ce qu’ils faisaient, l’aura de mystère et de sensationel qui les entourait en tant que « secrets » s’est dissout. Ce n’est pas ce qui était important chez eux. Prenez les Fedeli d’Amore de l’époque de Dante et dont Dante était membre. Ils n’étaient pas secrets au sens où nous l’entendons de Skull and Bones (Crâne et Os) ou ce genre de choses (et je dois dire ici que mon livre ne parle pas de ce genre de groupe secret). Mais c’était un groupe relativement privé de poètes qui voulaient introduire des idées sur la divinité féminine ou Sophia dans la conscience de leur temps. Ils ressemblaient davantage à ce que G.I. Gurdjieff et P.D. Ouspensky entendaient par « cercle intérieur de l’humanité » ou « école ésotérique ». Je ne dis pas que les Fedeli d’Amore étaient des agents d’écoles ésotériques, mais que leurs objectifs et leurs pratiques ressemblaient aux leurs, plutôt qu’à une cabale de puissants individus dirigeant les événements depuis les coulisses, ce qui est la manière dont les sociétés secrètes sont généralement imaginées.

Dans un sens, je pense que la conscience de conspiration est un bon signe, de la façon dont Jung parlait des névroses, comme une tentative de la psyché pour traiter un problème. Cela montre que nous avons une soif de sens. Nous préférons sentir que quelqu’un est responsable, même si nous ne savons pas qui c’est, que de sentir que personne ne l’est et que tout est le fruit du hasard et de l’arbitraire. La soif de sens est bonne, c’est le moyen de la satisfaire que je trouve discutable. Nous sommes des êtres intentionnels qui recherchent des schémas et des significations. Les grands récits – la religion, le progrès – ne satisfont plus notre appétit de sens, et nous le cherchons donc ailleurs. L’une des idées du livre est que le sens est là, mais que nous ne le trouverons pas en le cherchant en dehors de nous-mêmes.

RS : Une période où les ordres occultes ont été particulièrement influents est le XVIIIe siècle, où des loges comme les francs-maçons ont joué un rôle crucial dans la transformation de l’ancien ordre féodal et ecclésiastique en un monde moderne. Avez-vous des réflexions ou des idées sur cette évolution ?

GL : La franc-maçonnerie a été un moyen très important pour la diffusion de certaines idées fondamentales sur la modernité. Je veux dire des idées sur la tolérance, la justice sociale, la démocratie, la valeur de l’individu indépendamment du rang social ou économique. C’est la diffusion de ces idées par le biais de différentes loges qui a contribué à préparer l’esprit (zeitgeist) du XVIIIe siècle aux changements radicaux qui se sont produits avec les révolutions américaine et française. Mais c’est une erreur de penser, avec l’abbé Barruel et des auteurs plus récents, qu’il y a eu une influence maçonnique sur ces événements, que la franc-maçonnerie les a organisés ou mis en scène. Il y avait des maçons des deux côtés de la Révolution américaine, et les Illuminati – la vraie société, et non son idée romantique populaire qui est présente sur Internet – n’étaient pas « responsables » de la Révolution française. Les idées qui ont inspiré la ramification maçonnique éphémère et inefficace d’Adam Weishaupt ont certainement été des forces actives dans la révolution, et elles se sont répandues par le biais des loges maçonniques. Mais je pense qu’il faut créditer le zeitgeist du temps plus que Weishaupt et Cie pour la prise de la Bastille. En fait, dans un sens, nous pourrions dire que la franc-maçonnerie elle-même était le produit du changement de conscience qui a commencé à cette époque.

RS : Un de vos livres s’intitule Les enseignants secrets du monde occidental. S’ils étaient secrets, comment ont-ils pu avoir une telle influence ?

GL : Eh bien, encore une fois, mes enseignants secrets ne sont pas nécessairement secrets dans le sens où personne ne les connaît. Car, s’ils étaient si secrets, comment aurais-je pu les connaître ? On peut être un enseignant secret en enseignant des secrets, ou on peut être un enseignant secret dans le sens où l’influence et l’importance de vos idées n’ont pas été reconnues ou ont été mal comprises. Vous pouvez aussi être un secret dans un autre sens, comme c’est le cas pour plusieurs penseurs importants qui ont été marginalisés ou qui ne correspondent pas au modèle standard de la conscience occidentale. Il s’agit d’un terme général qui fait référence à une variabilité d’états plutôt qu’à un groupe spécifique de personnes. Jésus Christ, par exemple, est l’un de mes enseignants secrets, et la plupart des gens le connaissent. Mais il y a toute une école de pensée qui soutient que ce que nous avons accepté comme étant du christianisme a vraiment peu à voir avec les enseignements originaux associés à Jésus. Les gnostiques, par exemple, sont considérés comme étant plus en accord avec ce que Jésus a réellement enseigné que l’église pétrinienne de Rome.

Ou prenez Madame Blavatsky. Si les gens la connaissent, elle est considérée comme une spiritualiste divertissante mais frauduleuse du XIXe siècle, avec beaucoup de chutzpah (audace). Mais elle a eu une influence énorme sur le monde moderne, dans tous les domaines, de l’art, de la religion et de la science et de ce qu’on a appelé la « contre-culture ». Je ne dis pas que tout ce qu’elle a dit sur la science ou la religion est « vrai ». Ce n’est pas la question. Vrai ou non – et elle est plus souvent à la hauteur que vous ne le pensez – ses idées ont eu une influence considérable, et je suis étonné que les féministes ne s’y réfèrent pas. Je soupçonne que les connotations occultes les ont repoussé. Elle n’est pas secrète, mais son influence n’est généralement pas reconnue.

Je dois dire que l’idée centrale de mon livre est que toute la tradition hermétique et ésotérique est victime d’une guerre qui se déroule dans nos têtes. Je veux parler de la rivalité entre nos deux hémisphères cérébraux. L’une des inspirations du livre est venue de la lecture de l’ouvrage très important de Iain McGilchrist, The Master and His Emissary, qui traite du cerveau gauche et du cerveau droit et des différences entre eux. En bref, McGilchrist reprend la discussion sur le cerveau gauche et le cerveau droit en montrant que la différence entre eux ne réside pas dans ce qu’ils font – comme on le croyait à l’origine – mais dans la façon dont ils le font. Ils réagissent au monde de manière très différente, et la manière dont ils présentent le monde est également très différente. Dans le sens le plus simple, le cerveau droit présente une image globale du monde. Son mode de conscience est relationnel, connectif, holistique. Il présente ce que McGilchrist appelle la « vue d’ensemble », le schéma global, mais son image est floue, vague. Il fonctionne avec des métaphores et des symboles, et se concentre sur le caractère vivant de l’être. Il est conscient des significations implicites, des significations que nous connaissons et ressentons mais que nous ne pouvons pas exprimer explicitement. (Pensez à notre appréciation de la musique : nous savons qu’un quatuor à cordes de Beethoven signifie quelque chose, mais il nous serait difficile de dire quoi exactement).

Le cerveau gauche a pour but de décomposer l’image globale en petites pièces qu’il peut manipuler. Sa principale fonction, comme l’a dit Henri Bergson il y a longtemps, est de nous aider à survivre. Il réduit l’ensemble vivant et fluide présenté par le cerveau droit à une sorte de carte qui nous permet de manœuvrer efficacement à travers le monde. Il s’intéresse aux arbres ; le cerveau droit s’intéresse à la forêt. L’un regarde dans un microscope, l’autre en un panorama.

Les deux sont nécessaires et, la plupart du temps, chacun s’entend avec l’autre dans un système de freins et contrepoids, chacun inhibant les excès de l’autre. Mais McGilchrist soutient – de manière convaincante, je crois – qu’au cours des derniers siècles, le gauche a pris de plus en plus d’ascendant sur le droit et a, dans un sens, mené une campagne de dénigrement contre lui. L’une des expressions de la pensée du cerveau droit que le cerveau gauche visait était la tradition hermétique et ésotérique, qui a été discréditée avec l’essor de la science mécaniste – elle-même un exemple de la pensée du cerveau gauche. Avec le rejet de la tradition ésotérique, celle-ci a été transformée en ce que l’historien James Webb a appelé « la connaissance rejetée ». Ce que mes enseignants secrets enseignent, c’est cette connaissance rejetée.

RS : Parmi les personnalités que vous incluriez parmi ces enseignants secrets, lesquelles considérez-vous comme les plus influentes ?

GL : C’est difficile à dire, et je dois souligner que le livre n’est pas un « top dix » ou une liste des « dix meilleurs » ou quelque chose comme ça. Platon est certainement l’un des plus influents ; à bien des égards, les chemins ésotériques et hermétiques mènent tous à lui. On pense qu’il est « allé à l’école » en Égypte, et ce qu’il a pu y apprendre est censé nourrir sa philosophie. Mais que Platon ait étudié en Égypte ou non, ses idées sur les Formes, dont les essences idéales dont les réalités physiques du temps et de l’espace ne sont que des ombres, sont certainement au cœur de la tradition ésotérique. Et le platonisme a influencé le christianisme, l’hermétisme, le gnosticisme et d’autres enseignements ésotériques. Nous pouvons discuter et rejeter ou accepter différents aspects ou éléments de sa philosophie, mais je dirais que pour l’Occident, Platon est certainement l’une des sources les plus importantes, sinon la plus importante, de la pensée ésotérique, ou de la pensée en général. Alfred North Whitehead a dit il y a longtemps que toute la philosophie occidentale n’est qu’une série de notes de bas de page de Platon.

En disant cela, je ne dis pas que je pense que Platon est le « meilleur ». Ma propre formation philosophique est plutôt axée sur Nietzsche, Bergson, Whitehead, William James et l’existentialisme. Mais Platon est toujours là aussi.

RS : Lequel de ces personnages admirez-vous le plus ?

GL : Je ne sais pas trop comment répondre à cette question. Il y a beaucoup de figures admirables dans le livre, mais aussi des figures plus douteuses, et aussi quelques martyrs, comme Hypatie la néoplatonicienne et le théosophe persan Sohrawardi, qui ont tous deux été victimes de persécutions religieuses, ainsi que des enseignants vraiment secrets comme le soi-disant Denys l’aréopagite qui a uni le néoplatonisme au christianisme. Nous ne savons pas qui il était vraiment, tout comme nous n’avons pas de noms pour les hermétistes de l’ancienne Alexandrie.

Je peux dire qui a eu une influence sur moi. L’un des premiers écrivains sur l’ésotérisme que j’ai lu était P.D. Ouspensky. Ses livres Tertium Organum et A New Model of the Universe m’ont beaucoup marqué, avant même que je lise In Search of the Miraculous (Fragments d’un enseignement inconnu) et que je devienne intéressé par Gurdjieff. J’ai lu ces livres pour la première fois il y a quarante ans, et Ouspensky m’a semblé être un modèle du type de penseur que je voulais être : il combinait une ouverture romantique aux idées, à la poésie et à l’art avec un esprit critique rigoureux et il reste le meilleur écrivain de ce que j’appelle « l’âge d’or de l’ésotérisme moderne », qui a eu lieu dans les années 1920, lorsque des gens comme Ouspensky, Gurdjieff, Rudolf Steiner, Jung, Crowley et d’autres étaient tous actifs. Encore une fois, je ne dis pas qu’Ouspensky est le « meilleur » – c’est aussi inutile que de se disputer pour savoir qui est le meilleur guitariste. Mais la lecture de ses livres m’a enthousiasmé et m’a donné envie d’en savoir plus. J’ai tendance à aimer les personnages qui combinent l’imagination et la pensée critique, que l’on peut voir comme le cerveau droit et le cerveau gauche travaillant ensemble, ce qui est un autre thème récurrent dans le livre.

RS : Un thème que vous avancez dans votre livre est que le cosmos est un être vivant et conscient, et que nous devons redécouvrir ce fait. Dans quelle mesure pensez-vous que cette redécouverte se produit réellement dans le monde d’aujourd’hui ?

GL : Il semble qu’une certaine forme de cette idée ait été ravivée et présentée de différentes manières au cours du siècle dernier et dans le notre. Bergson en a soutenu une forme, tout comme Whitehead. Au XIXe siècle, nous avons Gustav Fechner, qui a écrit sur la Terre en tant qu’être vivant bien avant James Lovelock. Le philosophe David Chalmers a plaidé pour une sorte de panpsychisme, ce qui signifie que dans un certain sens, l’univers entier est conscient. On ne sait pas très bien quels modification cette idée a permis dans notre « modèle standard » du cosmos. Il nous faudrait interroger de nombreux scientifiques, je suppose, et passer en revue les chiffres. Je pense qu’il y a plus de gens aujourd’hui qui en ont une idée que, disons, au XIXe siècle – du moins, le genre d’image mécaniste du monde qui était populaire à l’époque l’est moins aujourd’hui. Bien sûr, tout scientifique qui considére l’idée au pied de la lettre et en parle est soumis au mépris de ses pairs. Mais cela aussi est l’expression de la rivalité entre les deux modes de pensée. Le « dur » cerveau gauche se moque du « besoin » du « gentil » cerveau droit de voir un univers agréable et confortable qui se soucie de lui, tandis qu’il montre à quel point il est « coriace » en disant qu’il n’a pas besoin de cela et qu’il préfère la « vérité » sur le cosmos froid et indifférent. J’écris à ce sujet dans un livre précédent, The Caretakers of the Cosmos, où l’idée d’un cosmos vivant est un thème central.

RS : Il y a trente ou quarante ans, il semblait possible de croire que nous étions à l’aube d’une nouvelle ère de conscience et de compassion. C’est un peu plus difficile à le croire maintenant. Comment réagissez-vous personnellement aux espoirs et aux rêves d’une nouvelle ère à venir (aussi imaginaire soit-elle) ?

GL : Je ne suis pas très enthousiaste à l’idée de prédire une nouvelle ère. L’histoire occidentale en est jonchée. Je pense que le pessimisme actuel, ou plus exactement le nihilisme, est une sorte de « barrière sonore » que notre culture, notre civilisation, doit franchir. Nietzsche l’a prédit à la fin du XIXe siècle. Je pense que nous avons des idées quelque peu naïves sur une nouvelle ère. Je crois qu’il y a des changements dans la conscience. L’un des penseurs auxquels je fais référence dans ce livre et dans d’autres est le philosophe allemand peu connu Jean Gebser, qui parle des différentes « mutations » de la conscience qui se sont produites au cours de l’histoire. Mais ces mutations sont le résultat de notre propre participation ; je veux dire que nous sommes des acteurs actifs, et non des récepteurs passifs de ce qui se passe dans les étoiles ou selon certains anciens enseignements.

Le véritable nouvel âge arrivera lorsque nous apprendrons à maîtriser notre propre conscience. Cela signifie la comprendre. Cela demande un travail acharné et déterminé. Je ne pense pas que le nouvel âge viendra à cause de belles pensées ou de raves amusantes ou à cause d’une conférence ou d’un festival. Elle commencera à apparaître chez les individus qui ont une obscure faim pour un but plus élevé ou plus exigeant que ce que notre vie ordinaire peut leur offrir. Ces types incarnent sous une forme embryonnaire une nouvelle conscience qui exige une nouvelle sorte de liberté intérieure.

Nous avons tendance à considérer la liberté comme une libération, comme étant libre de quelque chose. Les nouveaux types veulent une liberté plus importante, la liberté pour un but plus grand que la simple satisfaction de leurs besoins individuels. Dans The Caretakers of the Cosmos, j’emprunte un terme au philosophe existentiel russe Nikolai Berdyaev et je parle d’une « minorité créative ». Ce sont les individus qui, en silence et solitairement, font face aux exigences de la nouvelle conscience qui émerge en eux. Nous avons tendance à penser qu’une nouvelle forme de conscience sera très sympa et pleine d’extase. Mais le plus souvent, les personnes qui font l’expérience d’un autre type de conscience, avec des besoins et des appétits différents, ont tendance à se sentir inadaptées et doivent mener une longue lutte pour actualiser leurs possibilités. J’ai une façon de penser très évolutive. J’ai l’impression que tout développement important rend la vie plus difficile, au début, pour ceux qui le subissent. Ceux qui peuvent surmonter les difficultés initiales développent une force qui les aidera à imposer leur nouvelle vision au monde qui les entoure.

RS : Quelles sont les personnes vivantes que vous considérez comme les plus importantes et les plus impressionnantes pour favoriser cette prise de conscience ?

GL : Le plus important pour moi a été Colin Wilson, qui est malheureusement décédé fin 2013 à l’âge de 82 ans. J’ai été un fervent lecteur de Wilson depuis 1975, date à laquelle j’ai lu pour la première fois The Occult. Après cela, j’ai retrouvé et lu autant de ses livres que j’ai pu trouver. J’ai, en fait, écrit un livre sur son travail et ses idées, qui constituent plus ou moins la base d’une grande partie de mes propres écrits. Wilson a passé toute une vie à analyser la conscience de manière déterminée et a développé ce que je trouve être un argument très convaincant pour expliquer pourquoi notre conscience est comme elle est et ce que nous pouvons faire pour l’intensifier. Ce n’est pas pour tout le monde, mais j’ai personnellement tiré le meilleur parti de sa démarche.