René Allendy
La Justice intérieure - Les croyances

(Extrait de La justice intérieure 1931) Il faut s’attendre à trouver dans les croyances religieuses une expression plus exacte encore du sentiment de justice, parce que celles-ci, élaborées comme un rêve collectif, avec les ressources infinies de l’imagination, peuvent en toute liberté satisfaire aux aspirations affectives des hommes sans être altérées par les difficultés matérielles […]

(Extrait de La justice intérieure 1931)

Il faut s’attendre à trouver dans les croyances religieuses une expression plus exacte encore du sentiment de justice, parce que celles-ci, élaborées comme un rêve collectif, avec les ressources infinies de l’imagination, peuvent en toute liberté satisfaire aux aspirations affectives des hommes sans être altérées par les difficultés matérielles d’une pratique quotidienne. C’est en quelque sorte de réalisation pure de l’idéal inconscient de justice qu’on doit trouver dans ces croyances, et leur étude peut être particulièrement révélatrice.

Les hommes, en effet, ont toujours tendance à croire ce qu’ils désirent. Ils commencent par se complaire aux images d’un rêve, puis, comme on l’observe dans la psychologie des jeunes enfants, ils finissent par attribuer à ce rêve une réalité, c’est-à-dire qu’ils ne distinguent bientôt plus l’imaginaire qu’ils ont souhaité du réel qu’ils ont éprouvé. Il n’est donc pas étonnant que les hommes aient projeté, dans un au-delà très éloigné de leur vie actuelle, leurs rêves de justice insatisfaits ici-bas.

Mais les croyances à la justice divine remplissent encore un autre but. L’homme, issu d’un monde sauvage, enfanté sous le régime de la guerre implacable, a dû, pour s’adapter à la vie sociale, refouler profondément un grand nombre de ses tendances égoïstes d’origine : là est à la fois le grand mérite et la grande misère des hommes, et tout progrès vers la paix extérieure implique une intériorisation de la guerre, c’est-à-dire un conflit intime d’instincts. En réalité, l’être humain éprouve les plus grandes peines à maintenir ses acquisitions dans cette voie et à dompter ses impulsions asociales. Il lui faut fixer intensément sa libido sur ce but d’organisation et détester intensément toutes les tendances perturbatrices de sa nature, tout comme il a pu haïr les sévices exercés sur lui par autrui. L’image des enfers où le crime est soumis à des supplices affreux, cette élimination haineuse du mal, représente en réalité, comme projetée en un symbole cosmique, sa volonté éperdue d’adaptation. Ce n’est pas seulement son désir de jouir éternellement d’une récompense céleste, sa soif de se voir cruellement vengé de ses ennemis (les méchants) ; c’est encore l’image freinatrice, élaborée pour servir de contrepoids aux tentations mauvaises, et réalisant, sous forme d’angoisse et de terreur, le mécanisme d’autopunition que nous avons en vue. De toute façon, à en juger par leur caractère excessif, on peut affirmer que les croyances religieuses sur la justice divine répondent à des facteurs psychiques intenses.

Or, il est assez surprenant de constater que ces croyances, dans leur évolution, montrent moins de plasticité encore que les institutions sociales. Est-ce précisément leur manque de contact avec des faits réels et quotidiens, leur indépendance vis-à-vis de toute contrainte ou réprobation du milieu, leur éloignement, voire leur opposition à la vie sociale est-ce l’intensité exceptionnelle des facteurs affectifs qui y sont attachés, leur caractère essentiellement irrationnel ? Toujours est-il que celles-ci, pour un peuple particulier et à un point de civilisation donné, se montrent assez souvent en retard sur le niveau de perfectionnement atteint par les institutions judiciaires, traduisant une conception de la justice plus primitive et servant de refuge à des aspirations archaïques. On peut en effet distinguer, dans les croyances, différents stades du sentiment de justice, et ces degrés correspondent exactement à ceux que nous avons reconnus dans les institutions, comme si religions et législations suivaient une ligne de développement analogue, en rapport avec une évolution définie du psychisme humain.

D’abord, c’est un fait remarquable que tous les hommes, des plus primitifs aux plus civilisés, ont cru à une survivance de l’âme après la mort du corps. On a dit que la mort, concept négatif, ne répond à rien dans l’esprit des hommes et que, tout naturellement, ils ne peuvent réaliser intellectuellement ce que serait une cessation définitive de leur existence, mais pareille explication n’épuise pas le problème. Il serait étrange qu’une nécessité biologique comme la mort, attachée à la vie comme son envers, agissant perpétuellement sous l’aspect du catabolisme, ne réponde strictement à rien sur le plan psychique. Au contraire, les déformations pathologiques qu’on observe dans le désir d’anéantissement, les velléités de suicide ou les obsessions de la mort permettent de croire à 1′ existence d’un véritable instinct de la mort [1]. D’ailleurs les hommes possèdent dans leur inconscient une représentation qui peut correspondre à l’idée de la mort, c’est celle de la vie fœtale, plus proche du grand mystère de l’origine et de la fin, toujours empreinte de sérénité solitaire et silencieuse, et d’une ineffable douceur. On voit ces images prénatales inspirer aussi bien les mythes collectifs du paradis perdu que certains rêves individuels survenant à la veille d’efforts pénibles, car de même qu’à l’homme douloureux les religions font espérer le retour au paradis originel, de même l’instinct de l’individu, fatigué par la vie, aspire à retrouver dans son terme l’équivalent du bienheureux état fœtal, toujours plus profondément, jusqu’à l’inconcevable renversement d’existence.

L’idée d’une survie répond assurément à toutes ces tendances, mais sur cette représentation de béatitude les hommes, peu à peu (car l’idée de damnation n’apparaît qu’après une assez longue élaboration), et par antithèse ont greffé leurs craintes, leurs angoisses de culpabilité ou de rancune, et finalement leur instinct de justice parce que l’idée de survie encadre mieux que toute autre le rêve d’une rétribution suprême. La survie devient nécessaire pour rationaliser les efforts et les souffrances de toute la création. Pour cette raison sans doute, les hommes y ont toujours cru, à l’exception de quelques esprits philosophiques modernes, assez distingués pour exprimer un doute de la raison, trop rares pour dénaturer la portée de l’aspiration instinctive commune. Or, ce qui nous intéresse ici, c’est précisément que l’instinct ou l’intuition de l’homme répugne nettement à l’idée d’anéantissement final et aspire à une espèce de régulation post mortem. Ceci est le fait psychologique humain et universel dont nous devons partir. Quant à savoir si cette croyance à la survie, issue de l’instinct, n’y répond que d’une manière illusoire, si cette aspiration psychique vers l’au-delà ne correspond à aucune réalité, c’est une question à laquelle la science, cantonnée dans le monde objectif et limitée aux voies de la déduction, tournant le dos, comme dit Bergson, à l’essence même de la vie, est condamnée à ne pouvoir répondre, ni pour affirmer ni pour nier. Le savoir humain dispose encore des disciplines philosophiques, des spéculations métaphysiques ou de certains processus intuitifs auxquels il faut abandonner le problème, nous n’avons pas à nous y attarder ici.

Donc, pour justifier les souffrances actuelles, souvent senties comme imméritées, les hommes ont cru à un autre monde où les injustices seraient rétablies et les rôles renversés, le mauvais riche devant être tourmenté de misère et le bon mendiant comblé de confort. En fait, l’idée d’une justice vraiment équitable a été aussi lente et aussi hésitante à s’élaborer dans ce domaine des croyances qu’elle l’a été dans celui des institutions et même davantage.

Si nous comparons l’eschatologie des différentes civilisations et religions, nous pouvons distinguer trois degrés schématiques. Au premier, le plus primitif, il n’existe aucune justice, c’est-à-dire aucune relation précise et définie entre le sort dans l’autre monde et les mérites de cette vie. Au deuxième, les fautes sont punies et les bienfaits récompensés, mais les sanctions (les punitions surtout) sont d’une sévérité disproportionnée : les dieux vengeurs sont féroces. La responsabilité n’est pas nettement personnelle. La peine subie ne sert qu’à satisfaire la colère des dieux et ne profite en rien au coupable. Au troisième degré, les dieux deviennent bons et compatissants ; la croyance se modifie pour proposer une sanction modérée et utile à l’amendement ultérieur du pécheur. Ce dernier n’est plus rejeté sans espoir ; ses souffrances ont pour but de l’adapter en vue d’un retour à la communauté des âmes bonnes. Les dieux peuvent même disparaître et tous les êtres s’acheminer, avec plus ou moins d’errements, vers l’unité finale.

Correspondant exactement aux aspects de la justice sociale dans ses institutions successives, ces stades évoluent du principe de l’élimination haineuse du coupable à celui de son amendement et de sa réintégration.

Ici s’impose une remarque tout à fait capitale : Nous avons dit qu’une législation donnée reflète tout un jeu d’aspirations perfectionnées ou arriérées qui coexistent, pour chaque société humaine, dans l’esprit des individus différents qui la constituent, selon leur niveau moral. Il est naturel de trouver une complexité semblable dans les croyances religieuses à un même moment et dans un même lieu : les individus les plus cultivés entretiennent des croyances d’un stade plus élevé que les individus plus grossiers. Encore, quand il s’agit d’une législation, on peut toujours, pour juger de son esprit général, se référer aux lois promulguées et aux usages officiels. Il est plus difficile de prendre, un critérium dans le domaine religieux, même en présence d’un dogme d’état, parce que trop d’éléments affectifs, subjectifs, variables, viennent colorer ce dogme dans l’âme des fidèles, et à plus forte raison quand on ne dispose que d’informations incomplètes, comme pour les religions anciennes. Chaque peuple présente, à un moment donné, des superstitions, des légendes populaires plus ou moins grossières, puis une croyance moyenne, générale, en quelque sorte officielle, enfin, pour les initiés plus instruits, une théologie savante, une philosophie, un ésotérisme. Ces différentes couches religieuses coexistent, superposées à des niveaux différents et il n’est pas toujours facile de les distinguer. On peut, par exemple, décrire les dévotions d’une Bretonne illettrée à des saints qui ne sont même pas canonisés mais qui, moyennant un culte naïf et extérieur, passent pour soutenir les procès ou faire retrouver les objets perdus, voire faire marier les filles qui plantent des aiguilles dans leur statue on n’aura pas donné une idée exacte de la religion catholique qui, pourtant, tolère et intègre ces pratiques. De même trouvera-t-on de grandes différences de profondeur et de valeur philosophique entre le dogme officiel d’un catéchisme et certains aspects de la théologie. Les archéologues n’ont pas toujours suffisamment tenu compte de cet élémentaire bon sens, d’où leurs différences d’appréciation ou d’interprétation des croyances antiques. Si un archéologue des prochains millénaires affirmait, d’après les documents retrouvés, que notre époque a cru à un personnage céleste passant par les cheminées la nuit de Noël, ou a rendu un culte aux fétiches sur les glaces-arrière des autos, il dénaturerait évidemment d’une manière profonde l’esprit religieux de notre époque avec de sérieuses apparences de documentation scientifique. On ne saurait trop insister sur ce point. Il serait aussi déloyal de prendre les grossières superstitions de quelques jaunes dits bouddhistes, pour les comparer à la haute théologie chrétienne, qu’il le serait de mettre les purs enseignements du Bouddha de niveau avec les aberrations de quelques nègres baptisés, pris comme champions de l’église. Et pourtant beaucoup d’écrivains pieux ont commis cette improbité intellectuelle. Nous devrons nous en garder soigneusement.

Aussi bien, dans cette étude, ce n’est pas la religion moyenne d’un grand peuple ou d’une grande époque qu’il faut envisager, prise en bloc, pour entreprendre des comparaisons nationales. Il faut au contraire dissocier les éléments de croyance coexistants et les répartir, selon leur niveau, sur l’échelle des concepts de justice que nous avons appris à reconnaître. Nous verrons ainsi se sérier les différentes croyances humaines d’une façon toute parallèle aux institutions judiciaires et nous en tirerons une nouvelle compréhension du sentiment de justice.

Chez les primitifs, l’idée d’une rétribution dans l’au-delà n’est ni nette ni constante. Hobhouse cite de nombreux exemples à l’appui [2]. Le mort est censé passer dans le monde des esprits ou des démons. Ceci peut lui conférer un certain pouvoir magique sur les vivants au milieu desquels il continue à évoluer, mais il se trouve, de la part des autres esprits, soumis à toutes sortes de vicissitudes et de dangers. Les mauvais peuvent l’attaquer et le tourmenter selon leur redoutable fantaisie : il ne leur échappe que s’il est suffisamment adroit ou averti. Le régime du plus fort joue entièrement sur ce plan d’existence comme il joue dans la vie terrestre des plus sauvages. Le mort, tel le « nouveau » brimé au collège, n’a aucun droit à faire valoir, aucune garantie d’être protégé en vertu de mérites quelconques. Il lui faut être diplomate, savoir apaiser les mauvaises volontés adverses par des cadeaux ou des formules magiques, au besoin prendre une fuite habile et dépister leurs recherches. Il peut enfin — et ceci constitue, comme dans la vie sociale, une première organisation méthodique de la sécurité — se placer sous la protection d’un génie puissant qui facilitera sa situation. On trouve déjà là une relation possible entre les mérites déployés et les avantages recueillis, c’est-à-dire une justice en germe, mais qui n’a rien de très conforme à notre idée du bien et du mal, d’abord parce que les procédés sont plus magiques que moraux, ensuite parce que les esprits sont tous plus ou moins méchants et que les meilleurs ne sont pas les plus forts.

Ce n’est qu’avec un certain progrès de la civilisation qu’on s’accorde à admettre une prééminence des entités bienfaisantes sur les autres, soit actuelle, soit à venir (comme dans la lutte d’Ormuz et d’Ahriman ou dans le Jugement Dernier), mais l’idée d’une véritable récompense ou punition pour les actions terrestres demeure longtemps embryonnaire. Beaucoup de peuples, déjà civilisés, admettent que tous les morts, bons et méchants, sont parqués pêle-mêle. C’est généralement dans un lieu distant (en souvenir, a-t-on dit, des migrations qui se sont éloignées des sépultures ancestrales ou pour traduire la différence d’un tel état). C’est une île, un souterrain ou une caverne, et cette croyance est la plus générale, soit parce qu’il est d’usage d’enterrer les morts, soit en souvenir des cavernes primitives, soit en rappel de l’utérus maternel qui précède la naissance comme l’antichambre de l’autre monde. Nous avons indiqué que, de toutes manières, l’idée de mort est liée dans l’inconscient des hommes aux représentations prénatales. D’ailleurs, la mer à franchir, l’île entourée d’eau, le passage du fleuve infernal peuvent symboliser la situation aquatique du fœtus et la naissance qui est une sortie de l’eau. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que certains peuples (Égyptiens de premières périodes et surtout Péruviens) enterrent leurs morts en position fœtale et cousus dans une triple enveloppe.

Chez les Égyptiens primitifs, c’est le Tuaou, ce domaine des ombres que le soleil parcourt pendant qu’il fait nuit sur la terre des vivants : les âmes y errent, sans récompense ni punition. Chez les Hébreux, c’est le Shéol, dont le nom se rattache étymologiquement à l’idée de creuser et où les âmes flottent dans une existence atténuée et inutile. L’Hadès des Grecs (de la racine id, voir) signifie le lieu ténébreux. Selon l’Iliade, les morts, qu’ils aient été bons ou mauvais, mènent dans ce séjour souterrain une existence vaine, physiquement et intellectuellement réduite, vidée de souvenirs.

Naturellement le peuple romain, plus matérialiste et plus dépourvu de sens métaphysique que tous les autres, s’est attardé à cette basse conception et s’est assez peu préoccupé du sort des mânes. Nous verrons que la description de Virgile ne traduit même pas une croyance nationale.

Dans la plus vieille doctrine chinoise, le Jou-kiao, il n’est guère question de l’au-delà et pourtant Confucius reconnaît implicitement la survie en basant toute la morale sur le culte des ancêtres.

Le Walhalla des vieilles mythologies scandinaves n’est ouvert qu’aux guerriers tués au combat. Ceux-ci passent leur éternité à guerroyer et à boire, comme pendant leur vie, mieux logés et confortablement servis par les Valkyries. Les autres morts sont censés errer autour de leurs sépultures, entretenant quelques rapports magiques avec les vivants, ou bien ils passent dans le domaine de Hel, fille de Loki [3]. Il est quelquefois fait mention d’un enfer glacé, le Nifelhem, mais l’idée d’une punition dans l’au-delà est presque inexistante.

Cette idée se constitue lentement et avec quelques hésitations. Peu à peu, les Égyptiens imaginent, dans le Tuaou, une possibilité de vie éternelle pour ceux qui ont bien observé le rituel et qui ont acquis une puissance magique par ce moyen, tandis que les autres vont à l’anéantissement définitif. Cette vie éternelle d’ailleurs, comme celle des hôtes du Walhalla, se borne à répéter les actes et les situations de la vie terrestre. Chez les Grecs, l’Odyssée, postérieure à l’Iliade, ajoute quelques détails dans ce sens : elle situe l’Hadès au delà de l’Océan et dans un passage — dont on n’est pas sûr d’ailleurs qu’il ne soit pas interpolé — il est question des prairies couvertes d’asphodèles (Champs-Élysées) où les héros jouissent d’un bonheur perpétuel. Il est vraisemblable que les Champs-Élysées sont inspirés par les champs d’ialou égyptiens dont nous allons parler et reflètent une tradition étrangère ; il en serait de même pour les Étrusques chez qui il est sans doute question d’un enfer opposé à un paradis mais dont le dieu Charon, qui régnait sur les morts avec Mantus, fait trop nettement penser au Caron des Grecs.

C’est chez les Hébreux qu’on observe le mieux cette élaboration progressive de la croyance du deuxième stade. Ils partent du premier en n’imaginant pas pour le péché d’autre sanction qu’une peine terrestre, ni pour la vertu d’autre récompense qu’un avantage temporel dont le caractère le plus net est d’échapper le plus possible à l’existence de l’au-delà ; c’est, par exemple la prolongation de la vieillesse dans ce monde (Is., LXV, 20 ; Zach., VIII, 4), le fait d’éviter la mort (Is., XXV, 8), ou même la résurrection, c’est-à-dire le retour à la vie terrestre (Is., XXVI, 19). Ces récompenses ne concernent d’ailleurs que la piété, considérée surtout comme sentiment patriotique. Les Juifs, en effet, avec leur nationalisme aigu, admettaient volontiers la sanction collective, dans ce monde, pour tous les enfants d’Israël et sans souci des responsabilités individuelles. Au début, ils n’imaginaient pour l’avenir qu’un triomphe national et tout terrestre pour les représentants de la race pris en bloc.

Jusqu’ici, il n’est pas question de sanctions dans l’au-delà. Dans le Pentateuque, de même que dans Josué, les Juges, les Rois, on ne distingue en aucune façon le sort des justes et des impies après la mort. Il est seulement dit dans un passage des Rois que le déshonneur peut suivre le coupable jusque dans le Shéol (III, Reg., II, 6-9). Les Psaumes espèrent pour les bons un affranchissement de la tombe ou du Shéol (Ps., XVI, 9-11) tandis que les impies ne verront plus jamais la lumière et périront comme les aines animales (Ps., XLIX, 15-20, et LXXIII, 27). La conception d’une immortalité individuelle s’exprime en vérité d’une façon fort obscure et très contestable en images poétiques. Parmi les prophètes, Job mentionne la récompense des justes dans l’au-delà, Isaïe y fait une allusion vague, Jérémie ne dit rien de certain ; la seule indication claire est celle de Daniel : « Et beaucoup de ceux qui dorment dans la terre s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et le mépris éternel » (XII, 2). Au fur et à mesure que l’idée messianique se précise, on imagine un jugement final pour récompenser on punir aussi bien les individus que les collectivités : les mauvais iront à la géhenne subir des tourments physiques aussi bien que psychiques. « Leurs vers ne mourront pas, leur feu ne s’éteindra pas et ils seront en horreur à toute chair (Is., LXVI, 24). » Les Juifs impies passent plus ou moins longtemps en géhenne ; les gentils y demeurent. Quant au paradis, c’est ou bien une division privilégiée du Shéol, ou bien la demeure céleste de Moïse, Énoch et Elie. On peut dire que dès lors est pleinement réalisé le deuxième stade de croyance auquel le christianisme donnera un extrême développement.

Nous allons maintenant examiner quelques aspects de ce niveau de croyances dans différentes civilisations. C’est celui qui nous fournira les exemples les plus connus.

Le prototype paraît s’être élaboré en Égypte, à la suite du Tuaou primitif. Ce n’est qu’assez tardivement, après le deuxième empire thébain, qu’apparaît le mythe typique du jugement d’Osiris pour les fautes commises pendant la vie. Tandis que le double reste dans le tombeau avec ses besoins presque physiques (nourriture, etc.), menant ainsi cette existence pâle et indifférenciée que nous avons déjà vue décrite, l’âme spirituelle part dans la Vallée aux Douze Territoires subir son jugement. Si elle est déclarée pure, elle est admise dans des campagnes couvertes de fèves en fleurs (champs d’ialou) pour jouir d’une vie immortelle dont les plaisirs sont la table, le jeu, la culture et l’amour (les hommes ont toujours eu peu d’imagination pour représenter le bonheur maximum). Si elle est impure, elle va, par les soins de Râ, être soumise à mille supplices, en particulier à celui du feu qui ne consume pas.

Il est certain que la description de l’enfer par Virgile, au sixième chant de l’Enéide, est une reproduction tout à fait exacte des légendes égyptiennes [4], œuvre littéraire d’un poète érudit et nullement expression d’une croyance nationale. Tous les détails du voyage des morts correspondent point pour point aux enseignements égyptiens : Minos n’est autre que Menès, le premier roi d’Égypte, le grand-juge. Rhadamante est Râ de l’Amenti, le dieu qui punit ses ennemis. Les méchants sont livrés aux furies sans espoir d’évasion ; les bienheureux se divertissent sans fin dans des exercices et parades militaires.

Chez les Grecs, avec l’Orphisme, s’élabore l’idée d’une sanction pour les âmes des morts. Eschyle nous donne la description de terribles enfers. Pindare parle d’une récompense qui serait un retour à la vie terrestre. Il n’est pas dit que la mort puisse comporter un bonheur positif. Là encore, il s’agit surtout de récits de poètes.

En Asie, bien que ni le brahmanisme ni le bouddhisme ne comportent logiquement la possibilité de concevoir un enfer, puisque la sanction des mérites d’une vie se trouve dans les conditions d’une vie ultérieure, avec le principe des réincarnations, l’inconscient populaire, souvent trop primitif pour s’adapter à une telle doctrine religieuse, a imaginé des supplices affreux dans l’au-delà, comme on fait un mauvais rêve sous l’angoisse d’une culpabilité, et surtout a accepté de croire à ces barbares fantaisies. Un curieux phénomène religieux s’est donc produit ; alors que le haut enseignement en était arrivé à une croyance du troisième stade (nous l’examinerons plus loin), une croyance plus primitive a reflué sous la poussée d’un instinct collectif trop tourmenté et a pu marquer une régression réelle puisque, même dans le Code de Manou, on trouve décrites vingt et une variétés de supplices infernaux, appelés Narakas ou Nirayas (XII, 16, 17). Tels sont : Tamistra, l’obscurité ; Andhatamistra, les ténèbres complètes ; Raurava, le lieu des hurlements où les violents sont brûlés ; Maharaurava, le lieu des grands hurlements, où les impies sont brûlés plus cruellement encore ; Kalasoutra, la trame de la mort ; Mahanaraka, le grand enfer ; Sanjivana, l’enfer qui rend à la vie et où ceux qui ont été violents sont battus ; Avitchi, l’enfer sans vague, dont le feu brûle et fait craquer les os, pour ceux qui ont outragé leurs parents ; Tapana. l’enfer brûlant, pour les incendiaires ; Samapratapana, l’enfer brûlant complètement, pour les docteurs d’impiété ; Samghataka, l’enfer de compression, pour les meurtriers d’animaux ; Kakala, l’enfer des corbeaux dévorants ; Koudmala, l’enfer des bourgeons, où les coupables sont enfermés dans des sacs ; Poutinirittika, l’enfer de l’argile fétide ; Lohasankou, la lance d’airain ; Ritchisha, la poêle à frire ; Vishamapantana, la route raboteuse ; Kantakasalmati, les arbres épineux ; Dipanadi, la rivière de flammes ; Asipatravana, la forêt des feuilles-épées ; Lohatcharota, la chaîne de fer.

Ces supplices ont lieu sous la terre ou dans une région éloignée vers le Sud. Le principe des réincarnations a empêché de les considérer comme absolument éternels, mais ils ne durent jamais moins de plusieurs siècles et peuvent atteindre un kalpa ou un manvantara, c’est-à-dire des centaines de millions d’années, après quoi, selon cette croyance populaire, les damnés renaissent dans des corps d’animaux.

La même croyance a atteint le bouddhisme, après avoir obscurci le brahmanisme, conservant à peu près les mêmes descriptions, sous les mêmes noms [5], et même une secte japonaise le Gio-do , a admis l’éternité absolue de ces enfers.

En Chine, entre la période de Confucius qui ne parlait pas des récompenses dans l’au-delà, et l’enseignement bouddhiste qui, sous sa forme pure, croit à un amendement du coupable, se place la doctrine intermédiaire du Tao par laquelle Lao-Tseu introduit la croyance à l’immortalité comme récompense du mérite. On lui attribue d’ailleurs le livre Kan-Ying-Pien, c’est-à-dire le Traité des Récompenses et des Peines. Encore faut-il ajouter que, comme chez les Juifs, cette immortalité est plus matérielle que spirituelle, puisqu’il est question de certains personnages qui, tel Mathusalem, auraient vécu des siècles de leur vie terrestre.

On voit combien toutes ces croyances s’apparentent à la tradition de l’enfer qui nous est la plus familière, parce qu’enseignée à notre enfance et admise par un grand nombre de nos contemporains sous la forme de l’enseignement chrétien.

Il est curieux de noter combien cette conception, partie du point qu’avait atteint chez les Juifs l’idée des sanctions post-mortem, a évolué lentement et progressivement. En effet, on n’y trouve que peu d’allusions dans les écrits de la première génération chrétienne : Luc, dans une parabole (XVI, 22-23), dit que le mendiant mort est porté dans le sein d’Abraham tandis que le mauvais riche est brûlé et tourmenté dans l’enfer. Mathieu (XXV, 41-46) parle du feu éternel préparé par le diable et oppose ce châtiment à la vie éternelle du juste. Jean (III, 36) promet la vie éternelle à qui croit au Fils : « Les autres ne verront pas la vie et la colère de Dieu est sur eux. » Marc (IX, 43-46) reprend l’expression d’Isaïe (XLVI, 24) concernant le feu qui ne s’éteint pas et les vers qui ne périssent pas. L’Apocalypse (XX 9-15) parle du lac de feu aux tourments éternels. Partout, ce ne sont qu’allusions vagues, comme à une croyance populaire, sinon figures poétiques. De même le caractère éternel de ces peines n’est indiqué que de façon obscure et contestable. La façon dont l’enfer rendra ses prisonniers au jour du Jugement, mais pour mieux les reprendre ensuite, paraît vraiment métaphorique.

C’est avec les Conciles que l’idée d’enfer a été dogmatisée : les pécheurs doivent subir une peine afflictive et de caractère expiatoire (Concile de Latran, 1215, de Lyon, 1274). En outre de la peine du dam, peine morale résultant de la séparation du dieu, les pécheurs doivent subir une peine des sens, qui est le supplice du feu, et encore d’un feu matériel. L’Église ne permet pas le doute sur ce point et la Sacrée Pénitencerie, interrogée sur le fait de savoir si l’on peut absoudre un pénitent qui n’admet qu’un feu métaphorique, répondit négativement, et cela le 30 avril 1890. Dans ces conditions l’action du feu sur l’âme immatérielle devient assez difficile à comprendre. « Des données de la Révélation, explique un dictionnaire théologique, nous pouvons seulement conclure à l’existence d’un feu mystérieux qui sera pour les réprouvés un instrument de supplice [6]. »

D’ailleurs l’Église tolère l’adjonction, à ce canevas, de toutes sortes de fantaisies. Nous avons trouvé, entre les mains d’une fillette de sept ans, un Catéchisme en Images publié à Paris (s. d.), à la Maison de la Bonne Presse, et portant l’imprimatur de l’Archevêché de Paris en date du 19 février 1919. Ce livre représentait l’enfer avec un texte explicatif : « Un feu dévorant est la peine commune à tous les damnés, mais chacun d’eux souffre des peines appropriées aux péchés qu’il a commis. Les impudiques sont frappés cruellement par les démons ou déchirés par des animaux féroces. Les envieux sont enlacés, piqués, déchirés par de monstrueux reptiles. Les gourmands et les ivrognes sont dévorés par une faim et une soif cruelles, repus du fiel du dragon et du venin de l’aspic. Les colères et les vindicatifs s’entre-déchirent et s’arrachent les cheveux. Les paresseux sont percés avec des pointes enflammées, piqués par des scorpions et cloués dans des brasiers éternels, etc. ». Ce luxe de détails sadiques rappelle singulièrement les enfers de l’Inde et de la Chine. Faut-il les considérer comme légende populaire ou comme croyance officielle quand ils sont consignés dans un catéchisme de l’Archevêché destiné aux écoles ? Ces détails, d’ailleurs, n’ont rien de plus incroyable en soi que le feu éternel du dogme.

Il est remarquable en tout cas que le côté monstrueux de l’enfer soit surtout souligné dans l’enseignement religieux destiné aux jeunes enfants. Je me rappelle avoir entendu, à neuf ans, un sermon sur ce sujet. Après avoir détaillé lentement et savamment ce que pouvait être le supplice du feu pour la victime, le prédicateur, satisfait de l’anxiété silencieuse de son jeune auditoire, ajoutait à peu près ceci : « Ce tourment, si épouvantable qu’on ne saurait l’imaginer sans frémir pendant une seconde, dure pendant l’éternité. Savez-vous ce qu’est l’éternité ? Imaginez un mur de bronze épais comme cette maison et un oiseau venant tous les cent ans l’effleurer de son aile : quand le mur sera complètement usé par l’aile de l’oiseau, l’éternité n’aura pas encore commencé. »

Il semble que dans l’enseignement chrétien l’idée de justice divine prend son aspect le plus monstrueux, précisément en raison de l’affirmation brutalement matérielle (et non plus allégorique) des peines promises, complétée par la « résurrection des corps » et surtout en raison de l’éternité absolue d’un châtiment pour une faute nécessairement limitée. Ici, les kalpas et les manvantaras indiens sont largement dépassés.

Pareille disproportion — pour laquelle l’Église n’a jamais pu proposer de rationalisation satisfaisante — confirme surabondamment le caractère purement vindicatif du châtiment. Dieu se venge et, comme il est tout-puissant, sa vengeance est illimitée. D’ailleurs le terme de « vengeance divine » est couramment employé en style religieux. Cette conception réalise parfaitement le type du deuxième stade de croyance en raison de sa cruauté disproportionnée, son inutilité totale et surtout en raison d’un de ses caractères accessoires dont nous allons maintenant parler : la non-limitation de la responsabilité à l’individu.

Une idée très développée dans l’Ancien Testament admet la punition d’un intermédiaire : à la colère de Dieu qui exigeait du sang frais, on sacrifiait des animaux pour n’avoir pas à payer de son propre sang — ou bien on sacrifiait des prisonniers, des esclaves ou des enfants (sacrifice d’Abraham). Quand on ne les tuait pas, on les châtrait et quand on ne les châtrait pas, on les circoncisait. Cette idée de tricher sur le paiement, de tromper le créancier ou de faire payer les autres est spécifiquement juive. Elle s’épanouit dans la conception messianique. Avoir fait payer à Dieu lui-même (ou à son fils) les péchés des hommes, tel est le triomphe de la ruse sémitique, la bonne affaire par excellence. En vérité, l’idée est si excessive qu’elle n’a été conçue que par étapes et après toutes sortes de rationalisations : le Messie annoncé n’est d’abord qu’un libérateur politique pour la nation opprimée, le chef attendu pour la révolte espérée. Comme envoyé de Dieu, il doit être un modèle de perfection et de puissance. On attend de lui tout le bien possible, y compris qu’il obtiendra de Dieu, le jour de la libération, une sorte d’amnistie pour les pécheurs. Si l’on regarde du côté historique, il n’est pas sûr que Jésus n’ait pas été choisi comme chef ou inspirateur d’une faction nationaliste pour attenter à la domination romaine : on a prétendu que son entrée triomphale à Jérusalem aurait eu cette signification ; les Juifs espéraient qu’il était enfin le libérateur annoncé par les prophètes. L’échec possible d’un coup de main aurait justifié sa condamnation peu de temps après par les autorités romaines, par ailleurs assez indifférentes aux mouvements religieux. Pilate n’aurait pas cru que le royaume à établir était purement céleste : l’infamante inscription Rex Judaeorum, la dérision de la couronne et du sceptre, auraient aussi été un avertissement pour des imitateurs possibles. Les persécutions des chrétiens, Juifs révoltés contre César, auraient pris à Rome une signification intense, de même que les incendies allumés aux anniversaires de la prise du Temple de Jérusalem, en vengeance contre l’Empire et peut-être faussement attribués à Néron. Si l’on pouvait admettre que Jésus ait été mis à la tête d’une révolte politique manquée, on comprendrait que ses partisans, ceux qui croyaient à son intervention messianique, aient eu l’idée d’en attendre le Royaume Céleste, une fois perdu l’espoir de restauration nationale.

À vrai dire, l’idée de l’expiation, par Jésus, des péchés des hommes, telle qu’elle a été surtout développée par saint Anselme et saint Thomas, parce qu’il fallait à Dieu une victime, même innocente, pour épuiser sa colère, n’a pas rencontré une adhésion universelle dans la chrétienté. Abélard, par exemple, voulait voir dans cette mort de Jésus une simple invitation au repentir. Il n’est pas moins vrai que cette conception de justice substitutive se retrouve à tout moment dans l’Église catholique. Certains saints auraient fait le vœu de prendre à leur compte une partie des souffrances imposées aux âmes coupables. Beaucoup de fidèles pensent qu’ils peuvent faire de même par une dépense et soulager ces âmes avec des messes, même celles qui sont destinées aux peines infinies de l’enfer. « Quelques-uns ont pensé, dit le Dictionnaire apologétique (l. c.), en ce qui concerne les damnés, que les suffrages de l’Église pouvaient n’être pas dénués de tout effet, mais tous sont d’accord pour affirmer qu’après le jugement dernier, il n’est plus de recours possible contre la justice de Dieu… » En tout cas, l’efficacité est considérée comme certaine pour des condamnations moindres et il apparaît que les plus riches ou les plus puissants sur la terre sont encore favorisés dans l’au-delà, puisqu’ils peuvent compter sur l’effort des autres comme sur un adoucissement à leur responsabilité. De même, les indulgences délivrées par le Vatican s’étendent du titulaire à ses parents et à ses descendants qui ne sont pas encore nés. Ceci est assez conforme à l’esprit judaïque qui faisait pâtir d’une malédiction les générations suivantes. À ce niveau de croyance, il est juste que les enfants paient pour les parents, comme il est juste de solder son crime par une amende. À un autre point de vue, le dogme de la grâce donne à la justice divine un tel caractère que la valeur de la responsabilité individuelle s’en trouve encore atténuée. Ici, la tradition chrétienne rejoint l’eschatologie musulmane : le salut de chacun, l’accès à l’érotique paradis, reste soumis au bon plaisir d’Allah, supérieur à tout principe de justice.

Cependant, il serait injuste de méconnaître les efforts tentés par l’Église pour s’élever à un stade plus élevé de l’idéal de justice.

Tout d’abord, l’idée messianique de rédemption a pu abriter la croyance consolante en un Dieu compatissant à l’extrême, jusqu’au sacrifice de lui-même, et singulièrement différent du vieux Jéhovah buveur de sang. Cet aperçu, creusé tout à coup à travers la rude carapace de l’Ancien Testament, a permis à des conceptions religieuses d’un ordre beaucoup plus élevé de se greffer sur le vieux tronc traditionnel, sorte d’ésotérisme subtil qui devait entrer dans le dogme. Dieu devient ainsi, en la personne du Fils, l’image de l’amour absolu et du sacrifice total. On ne comprendrait certes pas la coexistence de l’enfer cruel avec cette conception élevée, si l’on cherchait quelque logique dans le domaine tout sentimental de la religion.

Un compromis a été cherché et trouvé avec le purgatoire, idée élaborée par Origène, formulée par Grégoire le Grand, mais rejetée par l’Église grecque comme étrangère aux Évangiles. Il permet de proportionner la peine au délit et tend à se substituer pratiquement à l’enfer, qui se trouverait réservé à des cas tout à fait exceptionnels. Un prêtre plein d’esprit disait dernièrement à ce sujet : « Nous sommes obligés de croire à l’enfer, puisqu’on nous l’enseigne, mais il faut bien espérer qu’il n’y a personne dedans, sauf le diable » ; il ajoutait : « Peut-être aussi Judas. »

On n’a pas beaucoup essayé de décrire les souffrances du purgatoire et on peut les imaginer plus spirituelles que physiques. Ces souffrances perdent aussi une partie de leur caractère de vengeance divine, puisqu’elles servent au coupable à regretter ses fautes et à s’amender en vue de son accès final au paradis. Avec le purgatoire, l’idée de justice divine atteint le troisième stade de perfectionnement. Au fur et à mesure que cette évolution se réalise, l’idée de l’enfer apparaît comme plus odieuse et des efforts sont entrepris pour la rejeter. Certains protestants ont repris l’Apocatastase ou Restauration universelle d’Origène s’appuyant sur quelques Pères de l’Église, ils admettent que les réprouvés sont destinés non à des souffrances éternelles, mais à une destruction finale, tandis que seuls les justes reçoivent la vie éternelle. Ceci est la théorie de l’immortalité conditionnelle. Des théologiens orthodoxes même ont essayé d’atténuer l’horreur de la damnation : Mgr de Pressy, au XVIIIe siècle, admet que toutes ces peines, si douloureuses qu’elles soient, doivent encore être supportables et préférables au néant.

Cependant, en promulguant un dogme intangible à chaque crise de doute religieux et en affirmant son infaillibilité définitive, l’Église a pu éviter des schismes qui auraient affaibli sa puissance, mais elle s’est interdit d’évoluer.

Il n’en est pas de même dans les autres religions et pour cela nous voyons se développer dans beaucoup d’entre elles un enseignement plus élevé destiné à satisfaire les aspirations plus nobles des esprits avancés et où, en particulier, la conception d’une sanction divine revêt les caractères les plus parfaits que nous lui connaissions au troisième stade : elle ne constitue plus la vengeance d’un Dieu courroucé, mais un amendement utile au coupable ; elle ne dépend que de sa responsabilité personnelle et tend à son salut final, car tous les êtres sont solidaires et tous doivent être sauvés à la fin.

Dès que l’homme poursuit un idéal semblable dans ses méditations religieuses, il en arrive presque nécessairement à la même solution que nous retrouverons partout enseignée à ce stade, moins comme l’écho d’une tradition commune que comme le produit défini d’un certain degré d’aspirations spirituelles, selon des constantes humaines. L’homme pense alors que les inégalités d’une vie doivent être déterminées par quelque chose d’antérieur, et probablement par des vies précédentes, le principe spirituel se réincarnant plusieurs fois. De même les mérites actuellement acquis amènent l’âme à revivre ultérieurement dans des conditions plus favorables, donc avec plus de bonheur ; ainsi se réalisent à la fois au-delà de la mort et pourtant sur la terre même (comme avec la résurrection de la chair) les effets de la justice suprême. Quant au but vers lequel tendent ces réincarnations successives, la solution qui s’impose, selon cet idéal de solidarité et de paix, c’est l’union finale de toutes les âmes individuelles, devenues parfaites, en une âme universelle et divine. L’homme finit par découvrir en lui le dieu qu’il a cherché ailleurs.

En général, pareille doctrine n’est accessible qu’aux esprits les plus cultivés d’une civilisation. Elle fait l’objet d’un ésotérisme spécial et se transmet aux initiés sous forme de mythes symboliques.

En Égypte, avec les progrès de la culture aux périodes avancées, s’est formé un centre initiatique qui, avec les mystères d’Isis, a répandu dans tout le monde antique la consolation de sa haute croyance : Osiris, le Bien, la source première de toutes les âmes, dans sa lutte contre Typhon, le Mal, la Matière, se trouve démembré en morceaux épars. Isis, la Connaissance, réussit à faire l’union de ces parties et le dieu ressuscite. Il est facile d’y voir le secret de la réincarnation, fondement de la nouvelle justice. Dans son Traité d’Isis et d’Osiris [7], Plutarque, qui était allé s’initier dans les centres néopythagoriciens d’Alexandrie, révèle en partie la signification symbolique du mythe et indique son identité foncière avec la fable grecque de Dyonisius.

Pindare avait déjà exprimé la possibilité, pour une âme, de revenir sur la terre, et les mystères grecs où Bacchus était représenté déchiré par les Bacchantes puis ressuscité par Demeter, trouvèrent dans l’Hellade des esprits fort distingués pour les comprendre. L’idée de la réincarnation s’y répandit ; les dialogues de Platon ne laissent aucun doute à ce sujet. « Il y a un retour à la vie, dit le Phédon ; les vivants naissent des morts ; les âmes des morts survivent et un sort, meilleur pour les bonnes et pire pour les mauvaises, les attend [8]. » Jusqu’à Platon, en effet, l’immortalité de l’âme ne fut jamais, en Grèce, philosophiquement exposée ; elle était latente dans les rites orphiques. Pour confirmer les déclarations de Platon sur les bienheureux résultats de l’initiation, nous avons toute une série de témoignages du VIe siècle à la fin du paganisme, qui s’échelonnent pendant une durée de dix siècles et proclament en termes presque identiques l’espérance et la foi des adeptes [9].

En Asie, avec le Brahmanisme (avatars) et le Bouddhisme, nous voyons le principe de la réincarnation, comme sanction et comme processus d’évolution, constituer dès l’origine le noyau de tout l’enseignement religieux. Il ne s’agit plus ici d’un ésotérisme, même très clair, tiré de mythes allégoriques, mais d’une idée philosophique explicite.

Selon cette conception, avons-nous vu, la conscience universelle est en voie de formation. Elle se réalisera quand toutes les âmes individuelles seront réunies en un organisme psychique collectif, aussi supérieur à chacune d’elles que l’homme aux cellules isolées qui composent son corps. Il s’ensuit que Dieu n’est pas distinct des êtres, mais que chaque être est une partie de Dieu, et Dieu une synthèse future des êtres. Le panthéisme devient la conclusion inévitable d’une pareille conception. Les dieux perdent de leur signification en s’intériorisant dans l’homme. Avec le Bouddhisme, ils disparaissent complètement et nous avons une religion sans dieu, dont l’objet n’est qu’une idée métaphysique.

La loi inflexible, précise, automatique, en vertu de laquelle chaque existence successive est déterminée par les existences antérieures, s’appelle loi de Karma (ou d’action). C’est seulement la série totale des vies qui détermine le sort définitif de l’âme et celui-ci n’a qu’une direction et une issue : l’Union finale.

La responsabilité est strictement individuelle : « La pureté et l’impureté appartiennent à chacun ; personne ne peut purifier un autre [10]. »

Il existe une proportionnalité raisonnable entre les crimes et les sanctions, presque un talion, étant donné que l’offenseur doit se retrouver, au cours d’une autre vie, en présence de l’offensé et dans une situation inverse, — mais ici le mal s’éteint par le pardon, non par la vengeance. En outre, l’homme est jugé sur ses intentions, non sur ses actes, ce qui donne au problème de la responsabilité plus de subtilité que tout autre principe : « Celui qui agit en plaçant toutes ses actions dans l’Éternel, abandonnant l’attachement (la passion, l’égoïsme), n’est pas plus affecté par le péché que la feuille de lotus par l’eau [11]. »

La loi de Karma s’effectue selon un mécanisme naturel : l’homme entretient, pendant sa vie, des aspirations, des désirs, qui deviennent, dans une autre vie et en vertu de leur fixation, des capacités ; il entretient des pensées qui deviennent des tendances, des intentions qui deviennent des actes, des expériences qui deviennent de la sagesse. Imprimées dans l’âme, ces potentialités s’élaborent après la mort et orientent la naissance suivante, en vertu d’une simple affinité, vers les circonstances et le milieu qui y correspondent le plus exactement.

Cette série de renaissances n’est d’ailleurs pas indéfinie. Il arrive un moment où l’homme épuise le désir, la passion qui l’enchaîne aux êtres et aux choses ; son détachement le libère de la « roue des renaissances ». Le seul moyen d’accélérer cette libération est donc d’éteindre le désir : « Sans attachement, accomplis constamment l’œuvre qui est ton devoir, car c’est en agissant avec abnégation que l’homme atteint vraiment la suprême sagesse [12] ». Ainsi est atteint le but ultime, l’union à la conscience universelle (Yoga ou Nirvana). Le Nirvana (étymologiquement : sans bois, sans combustible, éteint) n’est pas une annihilation de l’être au sein de la béatitude universelle, mais annihilation de tout ce qui est individualité particulière, c’est-à-dire limitation. Beaucoup d’orientalistes, éduqués dans une religion plus grossière, ont confondu la vie de l’esprit avec la vie de la forme et l’ont décrit comme une sorte de non-être. C’est en réalité une participation à la conscience universelle, percevant tout ce qui se passe dans chaque créature, avec un sentiment d’universalité, d’ubiquité, de simultanéité et de sérénité absolues.

Il est évident, comme nous l’avons signalé, que, sous leur forme originale et pure, ces doctrines ne sauraient comporter d’enfer au sens que nous donnons à ce mot. Un certain ésotérisme a utilisé le nom d’Avitchi pour désigner l’état spirituel de ceux que leurs mauvaises intentions ont rejetés hors du courant d’évolution qui entraîne leur groupe ou leur espèce ; il ne comporte qu’un retard à leur intégration. Quant aux sept talas sanscrits, c’est un terme métaphysique pour désigner les forces de résistance qui s’opposent à l’évolution générale sur un plan déterminé. On y retrouve bien la même idée que dans le mot Satan qui signifie en hébreu l’obstacle, ou le mot Diabolos qui signifie en grec : jeté en travers, mais le tala reste dans le domaine des pures abstractions.

Il est assez singulier que les religions de l’Inde, si avancées, ne nous montrent pas les traces historiques d’un stade de croyance plus primitif, comme il apparaît ailleurs. Il est possible que ces idées aient été importées et, dans ce sens, un certain nombre d’auteurs pensent, d’après diverses traces et notamment des constatations philologiques, que l’Inde aurait été fortement influencée à l’origine par une immigration celtique. Les Celtes, Kymris ou Gaillis, paraissent d’ailleurs avoir habité presque toute l’Europe à une époque reculée, et il n’est pas sans intérêt de mentionner à ce sujet l’opinion de Diogène de Laërce, selon laquelle la philosophie celtique aurait constitué une des principales sources de la philosophie grecque. Or, d’une part, il est connu que les Druides possédaient d’importants collèges d’enseignement religieux comme Alésia ou Bibracte (Autun) ; que cet enseignement était purement oral, non sans doute pour constituer des exercices de mémoire, comme prétend César [13], mais pour des raisons plus ésotériques, puisque les Druides devaient prononcer le serment de cacher leur culte aux étrangers. Il fut donc relativement facile à César, puis à Claude et Tibère, d’« abolir entièrement la religion des Druides [14] ». L’œuvre de destruction fut d’ailleurs parachevée par les moines qui brûlèrent en Irlande des monceaux de manuscrits runiques. Mais les hymnes bardiques (déjà mentionnés par Lucain, Diodore de Sicile, Ammien Marcellin) ont pu être plus ou moins conservés par la tradition et recueillis plus tard. On y trouve la tradition d’une sorte d’Éden à quatre fleuves, Flath’ innis, l’île bienheureuse, et d’une île froide infernale, Ifurin, où l’âme réprouvée tournoie sans cesse sur la plaine marécageuse, sans jamais voir les vallées verdoyantes [15]. On y trouve aussi mentionnés les trois cycles d’existence : Abred, cercle de migration des âmes, Gwynfid, cercle de félicité et Ceugant, cercle divin, mais surtout le barde Talésin parle de la réincarnation en termes non équivoques. Dans son poème Cad Godden, il déclare : « J’ai été vipère dans le lac, j’ai été couleuvre sur la montagne, j’ai été éléphant dans l’Inde, lion d’Afrique, puis chien et mouton à l’état domestique et l’homme m’a communiqué une partie de son intelligence et de sa vie. J’ai habité ensuite une étoile, j’ai été prêtre, puis pasteur, enfin roi un long temps s’est écoulé ; j’ai dormi dans deux mille mondes, je me suis agité dans cent cercles [16] ».

Il serait disproportionné d’allonger ici cette énumération, mais il est intéressant pour notre étude d’observer que le troisième degré de croyance sur la justice dans l’au-delà, en particulier sous la forme de réincarnation, a pu dès l’antiquité exister chez un nombre considérable de peuples, on pourrait dire chez tous ceux qui avaient atteint un certain degré de civilisation.

Dans cette continuité, la religion judéo-chrétienne marque une rupture, du moins sous sa forme dogmatique, cristallisée sur l’idée d’enfer éternel. En Europe, en effet, l’Église, jalouse de son pouvoir temporel, a maintenu son unité au moyen de dogmes intransigeants, les défendant par le fer et par le feu avec une intolérance jamais égalée ailleurs dans l’histoire des religions. Il s’est même produit, en raison de son existence politique, ce fait tout à fait exceptionnel que l’Église s’est efforcée par tous les moyens d’imposer et de propager son enseignement, alors que toutes les autres religions réservaient soigneusement le leur.

Comme conséquence, un ésotérisme s’est constitué secrètement en Europe dès la fin du Moyen Age, ressuscitant la vieille initiation égyptienne et l’adaptant aux séculaires aspirations de l’âme celte, mais toujours hors de l’Église et souvent contre elle. C’est là, dans cette liberté spirituelle relative, mais voilée sous un symbolisme impénétrable aux inquisitions ecclésiastiques, qu’il faut chercher les plus hautes formes de croyance à la justice divine.

Il est infiniment probable que le mysticisme celtique a pu s’infiltrer dans les initiations de la Chevalerie qui commencent au VIIIe siècle, et dont nous ne savons plus rien, mais dont le rituel compliqué que nous lui connaissons à son déclin, au XVe siècle, donne à penser qu’elle visait plus haut qu’à délivrer un brevet militaire, sorte de permis de conduire un cheval. On pourrait d’ailleurs trouver dans les romans de la Table Ronde une mythologie symbolique, comme on en trouvera plus tard dans le Roman de la Rose.

Les Croisades ont mis l’élite intellectuelle de toute l’Europe en contact avec un Orient où, sans doute, n’étaient pas complètement perdues les hautes idées religieuses de l’antiquité, plus ou moins incorporées au gnosticisme. L’ordre du Temple, qui se fonda au XIIe siècle, pendant l’apogée de la Chevalerie et comme une institution filiale de celle-ci, comportait aussi une initiation. Nous savons qu’à la fin du XIIIe siècle, il comptait quinze mille membres et était devenu une association internationale assez puissante pour s’opposer au Pape et l’inquiéter. Nous savons aussi qu’en France, à l’instigation de Philippe le Bel, les Chevaliers du Temple furent un jour emprisonnés sous d’odieuses inculpations d’hérésie, que l’Inquisiteur de France en brûla une soixantaine après leur avoir fait avouer, dans d’horribles tortures, tout ce que voulaient les bourreaux, enfin que leurs biens, qui étaient immenses, furent confisqués au profit de l’Église et du Roi. Nous ignorons tout de leurs prétendues hérésies. mais la Rose-Croix et la Maçonnerie prétendent en avoir sauvé la tradition, et là la légende d’Hiram rappelle par certains côtés le mythe osirien. On trouve, dans le rituel maçonnique, des allusions à la réincarnation, mais voilées en termes de construction (comme en termes de politique dans la République de Platon).

Mais c’est l’Hermétisme qui, sous le symbole de la fabrication de l’or et en termes d’alchimie, prétend le plus directement rénover la tradition égyptienne de Thot, sauvée par Hermès Trismégiste. L’épuration de la matière vile, la production du Phoenix qui ressuscite, se rapportent sans doute possible à la destinée des âmes, comme vraisemblablement tous les autres : le Traité de Lambsprinck, par exemple, mentionne explicitement que ses symboles désignent l’esprit, l’âme et le corps ; la Table d’Émeraude, si on l’interprète selon les clefs numériques, suggère nettement la réincarnation avant l’Union définitive. Le symbolisme des nombres, vieil héritage des secrets pythagoriciens, entretenu par les gnostiques, adopté même par certains Pères de l’Église, s’épanouit surtout dans la kabbale, cet ésotérisme juif qui apparaît tout à coup en Espagne, et où le judaïsme, fécondé indirectement par les Croisades, réalise son troisième degré de croyance. Il est très significatif que les hiéroglyphes du Tarot, bâtis sur les lettres hébraïques et les nombres correspondants, soit promené dans toute l’Europe par ces mystérieux bohémiens, gypsies ou égyptiens, sous le nom de Livre de Thot. Tous ces courants se mêlent, se combinent, se divisent, se développent ou s’altèrent, feignant de se rapprocher de la foi officielle ou s’en éloignant profondément, permettant à l’idéalisme celte de revivre intensément. C’est d’ailleurs celui-ci qui inspire la Renaissance, rafraîchi aux sources helléniques et dirigé contre l’esprit latin ; c’est encore lui qui entrera, comme une composante, dans le mouvement antiromain de la Réforme.

Sans chercher quelles croyances précises appartiennent à chacun de ces mouvements, nous devons constater en eux un intense bouillonnement de préoccupations métaphysiques, plus ou moins rattachées aux initiations antiques et nous amenant jusqu’à l’époque actuelle où le principe d’une justice extra-terrestre par la réincarnation devient la croyance de millions de mystiques répandus dans le monde : spirites, théosophes, anthroposophes, occultistes, rosicruciens, etc. Il n’est pas jusqu’à l’Islam qui ne propose son ésotérisme soufi. Les innombrables sectaires de la Christian Science nient l’existence positive du Mal, ce qui revient, qu’ils le veuillent ou non, à nier le diable et l’enfer. Ce serait méconnaître singulièrement l’esprit profond de notre époque que d’en juger par l’état d’esprit antimétaphysique des laboratoires. Vue du côté humain collectif, en quelque sorte populaire, elle est profondément spiritualiste et mystique : les masses croient comme toujours à la justice dans l’au-delà ; ce qui est particulier, c’est que la majorité — ou presque — en est arrivée à y croire sous la forme d’un amendement profitable et d’une harmonie bienfaisante.

Ce résultat, c’est-à-dire le passage à ce degré supérieur de croyance, est dû à une rationalisation plus parfaite. Les hommes rejettent l’idée de l’enfer comme injuste aux yeux de leur raison. Pourtant ils n’éliminent pas l’angoisse ni ce sentiment de culpabilité qui les habite, et ceux-ci doivent trouver, dans les représentations de l’au-delà d’autres équivalents. La forme change, mais le contenu subsiste. Aujourd’hui, on redoute les larves du monde astral, les forces noires, les esprits malfaisants ou encore ce terrible « Gardien du Seuil » (l’inconscient auquel il faudrait faire face après la mort) et que certains voient en rêve sous l’aspect d’un dragon écailleux. Instinctivement, l’homme transforme en terreur l’angoisse de ses conflits intimes avec le sentiment de justice ; il trouve à cette transformation un certain adoucissement, la terreur étant encore plus près de la volupté.

Toutefois, c’est dans la raison qu’il cherche refuge.

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1 Cf. L’Instinct de la mort in L’Évolution psychiatrique, IIe série, no 1. Paris (Chahine), 1929.

2 HOBHOUSE (Morals in evolution. London 1915), p. 432.

3 Les noms Hell, Hole signifient caverne, comme Infernus exprime un lieu bas.

4 AMELINEAU. Enfer égyptien et enfer virgilien (Publicat. de l’École Prat. des Hautes Études). Paris, 1914.

5 Cf. RIOTOR et LEOFANTI. Les enfers bouddhistes. Paris, 1895, et BURNOUF. Introd. à l’Hist. du Bouddhisme indien.

6 Dict. apologét. de la foi cathol. Paris, 1910, fasc. V.

7 Voir l’excellente traduction de MARIO MEUNIER. Paris, 1924.

8 Idem, p. 98.

9 MARIO MEUNIER. Le Phédon de Platon. Paris, 1922, p. 115. (2) Idem, p. 98.

10 Dhammapada, XV, XII, 165.

11 Bhagavad-Gita, V, I0.

12 Bhagavad-Gita, III, 19.

13 César. De bello gallico, VI, 14.

14 Cf. SUÉTONE, Claude, 15, et PLINE XXX, 4-13.

15 MACPHERSON. Introduction to History of Britannia, London; 1773.

16 Myvryan. Archeology of Wales, by OWEN JONES, Londres, 1801-1807, t. I, p. 56-76.