(Revue Le lotus Bleu. Mars-Avril 1965)
I. — SON ROLE DANS LA VIE PRESENTE
Parmi les Vérités que nous propose Krishnamurti, il en est une qui, si elle nous semble juste du point de vue qu’il nous dit, présente apparemment quelque équivoque si, l’étendant au-delà du bon sens restreint qu’il lui assigne, nous voulions lui donner une portée absolue.
Krishnamurti incrimine notre mémoire en tant que formatrice de notre mentalité et qui, à ce titre, déforme souvent notre jugement en l’empêchant de nous prononcer avec un esprit libre sur les problèmes toujours nouveaux avec lesquels la vie nous confronte journellement. C’est là un écueil sur lequel nous butons tous en effet, en raison de notre éducation même qui nous a rendus prisonniers des conventions familiales et sociales au sein desquelles nous vivons et qui déforment nos jugements. Ce serait une grave erreur toutefois d’en conclure que la mémoire est une faculté inutile et dangereuse : car la mémoire n’est pas le jugement et c’est le jugement qui doit précisément nous permettre de réagir, contre cette préformation ou cette déformation que la mémoire du passé tend à faire prévaloir dans nos jugements du présent. Cette déformation existe, et, de ce point de vue, la mémoire apparaît réellement comme un obstacle possible à une juste perception de la Vérité.
Devons-nous en conclure qu’il nous faut la détruire en nous comme inutile et dangereuse ? Non, évidemment. Nulle faculté créée par la Nature n’est inutile. Une faculté existant en nous sans but, ni raison d’être, est inconcevable. Détruire notre mémoire, même si la chose était possible, serait détruire l’expérience que nous avons acquise, qui nous a fait ce que nous sommes, en bien et en mal. Cette expérience, transmise par la mémoire, nous est utile, puisqu’elle nous permet d’éviter des erreurs commises dans le passé, erreurs dont nous avons souffert et qui ont entravé notre marche au progrès. Vouloir abolir la mémoire du passé — en fait, pour l’humanité, ce serait abolir l’Histoire — serait, pour chacun de nous, une grave erreur, celle de se renier soi-même, puisque c’est le passé qui nous a faits ce que nous sommes dans le présent. Dans le même ordre d’idées, c’est une erreur parallèle — celle de l’existentialisme — que de prétendre opposer l’homme qui est (l’homme en soi) à l’homme qui pense, et se souvient (le pour soi). En effet, si le « je » qui pense a créé une « maya », en se séparant, en s’opposant au tout universel, cette maya fut nécessaire aux fins de sa propre évolution en tant qu’être humain, en tant qu’être individualisé. L’homme qui est, est donc inséparable de l’homme qui pense.
Mais, dira-t-on, ne nous enseigne-t-on pas précisément cette nécessité de la libération, c’est-à-dire de dépasser, de transcender cette notion du « moi » individuel ? Oui, mais c’est là dépasser le stade humain proprement dit pour réaliser l’au-delà de l’homme. Et ce n’est pas à cela précisément que tendent nos existentialistes. Mais n’anticipons pas.
La juste mise en garde de Krishnamurti contre les dangers de la mémoire, mise en garde justifiée, je le répète, du point de vue où il se place, n’implique donc nullement, de sa part, une condamnation généralisée de la faculté, mais seulement le mauvais usage que nous en faisons. Il ne nous faut pas donner à ses paroles de condamnation un sens extensif qu’elles ne comportent pas.
Il y a plusieurs formes de la mémoire, et des significations du mot fort différentes aussi. C’est ainsi que les Hindous nous parlent de la mémoire de la Nature qu’ils nomment « Akasha ». Il est curieux que certains penseurs et poètes occidentaux en aient eux aussi le pressentiment. Gérard de Nerval a eu la claire intuition de cette réalité prodigieuse, la mémoire de la Nature, où l’avenir nous donnera accès et qui conserverait inscrite dans ses archives indélébiles toute l’histoire de notre terre et les moindres évènements du passé. Il s’agirait là d’une faculté cosmique et non humaine. Sans aller aussi loin, un homme de science, Charles Richet, reconnaît ce caractère indélébile à la mémoire personnelle de l’homme. Il écrit : « La mémoire est une faculté implacable de notre intelligence, car aucune de nos perceptions n’est jamais oubliée. Dès qu’un fait a frappé nos sens, alors, d’une manière irrémédiable il se fixe dans la mémoire. Peu importe que nous ayons gardé la conscience de ce souvenir, il existe et est indélébile ».
En général, les esprits occidentaux considèrent la mémoire comme une faculté appartenant en exclusivité aux êtres vivants, et se rapportant seulement aux souvenirs de leur vie présente. Mais n’y aurait-il pas en l’homme même possibilité d’une autre forme de mémoire ? Quand une personne humaine se souvient ou croit se souvenir d’un épisode vécu dans une vie antérieure, ou qu’un éclair d’intuition projette en elle quelque lumière sur une vérité d’ordre scientifique ou métaphysique qui échappe à sa raison raisonnante, comme lui faut-il alors apprécier ce phénomène ? Dans bien des cas, il est permis de croire qu’il ne s’agit là que d’un écart de son imagination, d’une pure invention. Mais dans d’autres cas, plus rares, où l’extrême lucidité ou une expérience ultérieure viendraient en confirmer l’authenticité, on est bien forcé d’écarter l’hypothèse d’une simple imagination pour y voir également un phénomène de mémoire, mais de mémoire plus profonde, transcendante en quelque sorte, enfouie dans notre inconscient supérieur et qui se réveille brusquement, faisant irruption dans notre conscience. Il convient alors de lui réserver aussi un autre nom, celui de réminiscence. C’est à cette mémoire profonde, latente en nous, que Platon faisait allusion lorsqu’il disait : « Apprendre, c’est se ressouvenir ».
Loin de condamner donc la mémoire, c’est bien plutôt l’oubli qu’il conviendrait d’incriminer aujourd’hui dans le cœur des hommes, comme étant le danger le plus à craindre, le plus à éviter de leur part. Il est en effet le plus courant autour de nous, à en juger par la fragilité de nos amours terrestres, éphémères et changeantes et la rareté exceptionnelle de nos affections profondes et durables ! En fait, la durée de nos affections terrestres est conditionnée par la profondeur de leurs racines en nous, autrement dit par le niveau bas ou élevé de nous-même où nous avons posé leurs assises. Mais ici aussi n’y a-t-il pas quelque équivoque, quelque contradiction même, en apparence, dans les divers enseignements spirituels dont nous avons enregistré les échos ?
Si, d’une part, on nous assure que l’amour vrai est éternel, que nos affections profondes, désintéressées, pour les êtres que nous avons connus et aimés dans la chair, sont inscrites dans le ciel et ne sont pas affectées par la mort, ne nous enseigne-t-on pas, d’autre part, que nos affections particulières doivent s’effacer dans l’amour universel, que notre amour préférentiel doit s’étendre à tous les êtres, ou plutôt s’éteindre, se perdre, dans une Unité insondable où se confondraient, s’annihileraient toutes les différences individuelles, toutes nos préférences personnelles ?
Mais cet amour universel, comment alors le concevoir ? Ainsi que le disait M. Bangerter dans un excellent article sur Teilhard de Chardin : « Aimer avec le sentiment réel et profond de parenté dans l’Unité, ce n’est pas aimer tout le monde pour finalement n’aimer personne ». Tel est en effet l’écueil à éviter : un amour vague, incolore, généralisé, indifférencié qui, finalement, ne s’applique plus à personne : un amour abstrait, sans vertèbres, ni en ce monde, ni ailleurs. Aimer l’humanité, ce n’est pas aimer une abstraction, c’est aimer les hommes, et pas seulement aimer ceux qui nous sont sympathiques — quel mérite y a-t-il à cela ? — mais les autres.
Pour moi, ce « sentiment réel et profond de parenté dans l’Unité » comporte au sommet, et dans sa plus haute expression, le mystère de la « Communion des Saints », où chacun est ce qu’il est devenu, et où les rapports établis entre tous à ce niveau exalté, demeurent dans l’Unité et à son service. — Et pourtant ? N’est-ce pas une illusion ?
Ne nous est-il pas dit en effet que c’est seulement dans la solitude que l’on peut communier avec le Réel suprême, par identification avec Lui ? « Seul le solitaire peut communier avec ce qui est sans cause et ne peut se mesurer », nous dit Krishnamurti.
Et Jésus ne nous a-t-il pas enseigné pareillement qu’il nous fallait quitter ses parents et amis pour aller à Dieu ?
Telle est donc la loi : pour atteindre ce but suprême, il nous faut transcender toutes nos affections particulières. Mais transcender nos affections, ce n’est ni les renier, ni les oublier. Et ceci demeurerait donc le rôle exalté de la mémoire là où tout est aboli, l’Eternel Présent !
Mais n’y a-t-il pas ici contradiction ?
Pourquoi le feu de l’Amour divin transformerait-il la nature débile des hommes que nous sommes en ces torches éclairantes et brûlantes d’amour pour leurs frères, si le destin de ceux-ci est de disparaître complètement dans ce qui n’est plus rien d’autre que l’Absolu ineffable ?
Tel est donc le plus grand problème que pose cette alternative, dont les termes semblent s’exclure : « Tout est-il aboli, ou rien n’est-il aboli, lorsque le suprême est atteint ? ».
II. — LA MEMOIRE S’ÉTEINT-ELLE A LA MORT ?
Nous avons vu qu’il y avait en l’homme vivant une mémoire active (la conscience) et une mémoire latente (sub et super-conscience).
Mais qu’advient-il de cette double mémoire après la mort de l’homme ? Si, ainsi que le disent les sages, il existe aussi une mémoire de la nature où toute chose demeurerait ineffaçablement inscrite, il en résulterait comme corollaire que rien de ce qui a été, ni de ce qui est, n’est jamais perdu, ni ne peut se perdre. Mais qui perçoit alors cette mémoire, qui peut récolter ces souvenirs du passé, si, après sa mort, rien ne persiste de la personnalité éteinte dans l’Absolu divin ?
Sans doute, il nous a de tout temps été enseigné qu’il subsistait de nous un « moi psychique » qui survit à la mort de notre corps physique et que l’on appelle, à tort, le « moi réincarnateur ». Ce moi qui vit dans ces états subjectifs et temporaires que les religions ont nommé purgatoire, ciel et enfer, se souvient, lui, du passé bon ou mauvais de sa personnalité
défunte.
Mais qu’en est-il de l’homme libéré, de l’homme qui a dépassé ce stade, transcendé son « moi psychique », le moi d’une personne humaine ? Y a-t-il encore pour lui dans la Suprême Réalité qu’il a atteinte ce qu’on peut appeler une individualité spirituelle qui se souvient ?
Peut-être, nous dira-t-on que c’est là un pseudo-problème, insoluble à nos esprits. Essayons tout de même de le cerner, d’après l’enseignement des grands Sages. Et peut-être verrons-nous aussi que ce problème de survivance se confond en réalité avec le problème de l’Amour.
Il est un point Oméga, pour employer le langage du Père Teilhard de Chardin, où se rencontrent, en précurseurs, les grands mystiques de tous les temps, de toutes les confessions. Qu’il s’agisse de l’unification en Dieu pour le Chrétien, de la libération en « Nirvâna » pour le Bouddhiste, de l’identification avec le Brahman pour le Jivanmukti Hindou, de l’union avec Allah pour le « Soufi » Musulman, toujours pour celui qui a atteint, ou réalisé en soi, le Suprême, plus rien d’autre n’existe, autrement dit tout s’efface comme illusoire, semble absorbé dans cette Réalité unique et ineffable. Là seulement résiderait donc le véritable Amour dans le Sein unique de l’Absolu de tous. Il semble donc qu’à ce stade ultime, à ce niveau libérateur, toute individualité spirituelle ait disparu, que la « Communion des Saints » elle-même, cesse d’être, d’exister, comme fondue en quelque sorte en cet infini, directement perçu et atteint de l’Unité. Dès lors, le tout manifesté de l’Univers visible et invisible, ne serait plus lui-même, aux yeux du libéré, que « Maya » le mirage, l’irréel, et celui qui le perçoit encore comme réel serait la victime d’une illusion aveugle. C’est la doctrine de l’Advaïta Vedanta de Çankara.
Cette absorption totale dans l’Unité aurait-elle donc réellement pour effet de détruire, d’annihiler, toute individualité spirituelle ?
Un texte sacré de l’Inde attribue au Suprême cette parole significative, préfigurant la création, et définissant en même temps sa nature : « Je me multiplierai… », dit le Créateur. Ceci implique en effet l’identité de cette multiplication — la création — avec Lui-même.
D’autre part, Krishnamurti nous redit aujourd’hui une vérité pareille : « La Suprême Réalité est à la fois Unité et Multiplicité », Qu’est-ce à dire, sinon que l’Etre comporte dans sa propre nature ce double aspect pareillement réel, l’Unité absolue, d’une part ; la multiplicité du tout manifesté, de l’autre, soit donc l’Univers temporel, lui-même considéré comme sa « Maya ».
En conséquence, rien de ce qui existe n’est étranger à l’Etre, mais tout s’y métamorphose, évolue dans des formes éphémères, évolution qui s’opère dans la joie ou la douleur, selon que ces formes se comportent en harmonie ou en désharmonie avec leur devenir divin, l’Unité. Le Devenir, l’Eternel changement, est donc corrélatif et inséparable de l’Eternel statique, l’Unité. Si l’Unité est Dieu, l’Univers avec tout ce qu’il renferme, l’est au même titre. Rien n’est jamais perdu : tout est dans tout.
Il peut paraître trivial de vouloir objectiver un tel mystère par l’analogie puérile et grossière de quelque image terrestre. Toute médaille a son avers et son revers. Si nous mettons à l’avers de cette médaille l’Absolu, l’insondable Unité, et, à son revers, l’innombrable multiplicité des êtres et des choses, il n’est pourtant toujours qu’une seule et même médaille, soit l’intégralité de l’Etre en dépit de l’opposition de ses aspects. Si donc nous passons sur l’avers de cette médaille — ce qui constitue la libération — nous ne voyons plus alors que l’Unité, tout le reste s’efface, disparaît à nos yeux — et nous avons ici pour l’affirmer le témoignage unanime de tous les grands voyants —. Mais si nous repassons la ligne de démarcation, tout reparaît aussitôt, et nous retrouvons alors intégralement la mémoire de tout ce qui nous a menés au but. Tels sont donc les deux aspects à jamais inséparables de l’Être, l’aspir et l’expir, ou les jours et les nuits, de Brahman, le grand rythme éternel de la Vie divine — Manvantaras et Pralayas. Tel est le Réel et l’immortalité du véritable Amour sous tous ses aspects, synthèse de l’Etre, où rien ni personne n’est jamais perdu, si a fortiori nos individualités spirituelles, modalités potentielles de l’Unique et reposant éternellement dans son sein.
Mais encore, dira-t-on, si telle est la libération, que devient la mémoire dans le cas de l’homme libéré, c’est-à-dire pour l’individualité spirituelle qui a dépassé le stade réincarnateur, qui a transcendé toutes ces personnalités successives qu’il a animées au cours des âges, avant de pouvoir s’intégrer au Suprême ? Je l’ai dit, la mémoire demeure potentielle en lui. De même que durant sa vie terrestre nous trouvons en l’homme ordinaire une mémoire active et une mémoire latente, ainsi que nous l’avons vu, ainsi existe-t-il aussi pour le libéré une mémoire que nous pourrions appeler latente, car elle comporte une possibilité de ressouvenance de tout ce passé prodigieux qui l’a mené à son état présent, et d’autre part, non plus une mémoire active mais une force active, une force potentielle de création, proportionnée au niveau exalté de perfection où son long passé l’a mené, dans le rayon spécifique de lumière qui est le sien. Telles sont les hiérarchies célestes, les hiérarchies créatrices, dont nous parlent toutes les religions.
Au terme de cet exposé, que conclure ? J’ai dit le rôle de la mémoire, durant la vie et après la mort, rôle qui lui est assigné en vue du but final qui est la libération. Mais ce terme de but implique une équivoque. Il semble en effet que l’on doive y tendre par la volonté et l’effort. Or, y appliquer notre volonté, faire cet effort pour y atteindre, ne peut nous y mener. La croissance de l’homme doit être désintéressée, s’opérer sans effort : l’homme doit tendre à sa fin, « comme la fleur s’épanouit au soleil », nous dit Krishnamurti. Dès lors, agir en vue d’atteindre le but suprême, poursuivre volontairement, avec persévérance, cet état surhumain nommé libération, serait agir en fonction d’un mobile intéressé de salut personnel qui nous éloignerait du but au lieu de nous en rapprocher. Dès lors aussi, rechercher avidement l’avenir métaphysique qui nous attend après la mort, aspirer, faire des efforts, pour s’élever, se libérer des liens du passé, entretenus en nous par la mémoire, c’est en fait demeurer asservi à un égoïsme personnel qui consciemment ou inconsciemment nous aveugle et nous illusionne sur le vrai niveau spirituel que nous avons atteint. Un tel comportement ne peut être confondu avec le devoir véritable de l’homme dans la vie. Mais alors quel est ce devoir ?
Tous les grands Instructeurs de l’Humanité nous ont dit qu’il n’était qu’une seule voie de libération pour l’homme la voie étroite, le chemin court — ; cette voie, c’est celle du sacrifice, celle de l’oubli de soi-même dans l’action altruiste. Agir par intérêt personnel, si élevé que soit cet intérêt, comme celui de sauver son âme — ou même agir par crainte, si justifiée que soit cette crainte, comme celle du péril atomique par exemple, ou de l’enfer éternel, pour ceux qui y croient —, c’est toujours agir pour soi, être centré sur soi-même, se tenir sur le plan de l’égoïsme.
Le Christ de l’Evangile, qui se défendait d’être Dieu mais se proclamait l’envoyé de Dieu, le « fils de Dieu » au sens figuré (et non Dieu-le-Fils, au sens théologique, comme l’a fait le Concile de Nicée), enseignait que l’amour des hommes était inséparable de l’Amour de Dieu. Il semble dès lors que le plus haut devoir de chacun dans la vie, après l’hommage rendu au Suprême, soit de soulager les misères d’autrui, sans songer à soi-même. Et ce devoir s’impose d’autant plus que l’humanité a à faire face aujourd’hui au problème le plus grave, le plus crucial de tous les temps, problème qui s’impose à tous et à chacun, que nul ne peut ignorer car il prime, en ce temps, tous les autres problèmes, celui de la faim dans le monde. Il est effroyable de penser qu’alors qu’un petit nombre est gavé de nourriture et jouit de tous les conforts et biens de ce monde, la moitié (ou les trois quarts) de l’humanité manque de tout, est sous-alimentée ou meurt de faim, littéralement. Est-ce alors le temps de se contenter seulement de philosophie ou de prier, le cœur tranquille, bien à l’aise et à l’abri des remords et du besoin ?
X. D’UDEKEM D’ACOZ. (Pierre d’Angkor)
Dans la conception de l’Inde antique, « Maya », la Vierge immaculée, qui engendre les apparences temporelles du Monde considéré comme son fils, présente ce double caractère. D’une part, en tant que volonté créatrice de l’Esprit, elle est « Mahavidya », la Sagesse suprême (personnifiée chez les Grecs, par « Athénê », sortant toute casquée du cerveau de Jupiter), d’autre part, en tant que séparée de son Créateur, elle est « Mahamaya », la Suprême illusion.
« Je suis moi-même Eternité quand j’abandonne le temps », a dit un grand mystique, Angelus Silésius, le maître spirituel de Spinoza. (Citation par Louis Maire, président des XVIIe rencontres internationales de Genève).
« En réalité », écrit Suzanne Engelson, « l’humanité avec ses morts, bien plus nombreux que ses vivants, est une, et tenter de renier le passé parait aussi vain que vouloir briser les perspectives de l’avenir ». (Revue Synthèses, mars 1963.)