Maryse Choisy
La psychologie du radja yoga et ses techniques mentales

Il est une expérience mystique naturelle de première importance : c’est la saisie de l’âme non seulement dans l’exercice de ses opérations spirituelles, mais dans son fond spirituel lui-même. Le grand paradoxe de la condition humaine, c’est que l’esprit y soit naturellement rendu mystérieux à lui-même par son incarnation et l’extraversion qu’elle entraîne. Le R. P. Gardeil a montré comment l’expérience mystique surnaturelle implique une radicale conversion, un passage de l’extra- à l’introversion.

Extrait du premier chapitre du livre Yogas et psychanalyse par Maryse Choisy. Editions du Mont-blanc collection Action et pensée (1948)

Il est relativement aisé d’étudier les faits du monde extérieur. Il y a des instruments pour cela. Mais dans l’expérience intérieure, nous ne disposons d’aucune machine enregistreuse, d’aucun microscope. Le Radja Yoga se flatte justement de nous donner des moyens d’investigation précis pour les états intérieurs. C’est l’esprit lui-même qui nous servira de lentille. Ses pouvoirs, disent les yoguins, sont comme des rayons lumineux diffus. On les concentre. Ils éclairent.

Paradoxe de l’esprit

Il est une expérience mystique naturelle de première importance : c’est la saisie de l’âme non seulement dans l’exercice de ses opérations spirituelles, mais dans son fond spirituel lui-même. Le grand paradoxe de la condition humaine, c’est que l’esprit y soit naturellement rendu mystérieux à lui-même par son incarnation et l’extraversion qu’elle entraîne. Le R. P. Gardeil [1] a montré comment l’expérience mystique surnaturelle implique une radicale conversion, un passage de l’extra- à l’introversion.

Extra- et introversion

« La Révélation chrétienne, ayant déplacé l’intérêt des mystiques et des théologiens catholiques du plan naturel au plan surnaturel, dit M. Lacombe, il n’est pas étonnant qu’ils se soient assez peu préoccupés de scruter ce procès pour lui-même. Il en va autrement dans l’Inde où le yoga nous apparaît comme une discipline orientée vers la reconquête de l’âme pour elle-même, vers une manière de désincarnation, d’isolement de l’esprit dans sa pureté native et originelle. » [2]

Le psychologue doit observer le monde intérieur avec la même minutie que le physicien apporte à étudier les phénomènes extérieurs. En ce sens on peut dire que le Radja yoga est le plus admirable traité des faits intérieurs que les hommes aient conçu.

Il est un point de rencontre entre l’imagination objective et la réalité extérieure. La nature ne connaît pas cette distinction scolaire entre extérieur et intérieur. Les partisans de l’introspection et les amateurs de l’extraspection doivent se retrouver mathématiquement à l’instant où chacun d’eux saura dans sa totalité ce qu’il lui reste à apprendre. Si je connaissais tout de la petite fleur au pied du mur, je connaîtrais le monde entier.

L’Absolu, l’Achevé, voilà le pont entre Orient et Occident. L’Occident a commencé par le monde physique. L’Orient part du monde psychologique. Même un enfant sait aujourd’hui que les parallèles se donnent le baiser de paix dans l’infini.

Le monde intérieur commande à la nature extérieure

Pour le radja-yoguin, le monde extérieur n’est que vibration du monde intérieur sur un plan plus grossier. Le subtil est toujours cause par rapport au matériel. Ainsi le monde extérieur devient l’effet, le monde intérieur la cause. Les forces intérieures et subtiles structurent des énergies physiques grossières. Qui tient les forces intérieures tient l’univers. Le Yoguin ne cherche pas moins que la domination de toute la nature.

L’intelligence se limite elle-même

Le réel — nous le savons — est en nous. Mais le mental est le voile du réel. Vivekânanda emploie la pittoresque parabole de l’huître perlière pour expliquer cette conception yoguique : « Vous savez comment se forment les perles. Un parasite pénètre entre les valves et cause une certaine irritation autour de laquelle l’huître émet une sorte d’émail, et il se forme ainsi une perle. L’univers de l’expérience est, pour ainsi dire, l’émail que nous sécrétons ; l’univers réel est le parasite qui joue le rôle de centre. L’homme ordinaire ne comprendra jamais cet univers réel parce que, lorsqu’il s’y efforce, il sécrète un émail et il ne voit plus que cet émail. Nous comprenons maintenant ce que l’on entend par ces vrittis. L’homme réel se tient derrière l’esprit. L’esprit est l’instrument entre ses mains. C’est son intelligence qui filtre à travers l’esprit. Ce n’est que lorsque vous prenez votre place derrière l’esprit que celui-ci devient intelligent. Lorsque l’homme abandonne l’esprit, celui-ci tombe en morceaux et n’est plus rien. Vous comprenez ainsi ce que l’on entend par citta. C’est le contenu mental, et les vrittis sont les vagues et les rides qui s’élèvent sur lui lorsque les causes extérieures viennent l’exciter. Ces vrittis sont notre univers.

Nous ne pouvons pas voir le fond d’un lac lorsque la surface est couverte de rides. Nous ne pouvons avoir un aperçu du fond que lorsque les rides se sont affaissées et que la surface est calme. Si l’eau est boueuse, ou si elle s’agite continuellement, le fond ne sera pas visible. Si l’eau est limpide et s’il n’y a pas de vagues nous verrons le fond. Le fond de ce lac est notre vrai Moi, le lac est le citta, les vagues sont les vrittis. L’esprit peut aussi se trouver dans l’un ou l’autre des trois états différents. L’un de ces états est l’obscurité, tamas, et se rencontre chez les idiots et les brutes; son action est exclusivement nuisible. Dans cet état l’esprit ne peut pénétrer nulle autre idée. Puis il y a l’état d’activité, radjas, pour lequel les principaux stimulants sont la recherche de la puissance et la soif de la jouissance. « Je veux être puissant, je veux pouvoir commander aux autres. » Puis il y a l’état appelé sattva, le calme, la sérénité, où les vagues cessent, où l’eau devient limpide dans le lac de notre esprit. Ce n’est pas un état inactif. Il est au contraire intensément actif. Le calme est la plus haute manifestation de la puissance. Il est facile d’être actif. Lâchez les rênes, et les chevaux s’emballeront. C’est à la portée de n’importe qui. Mais l’homme vraiment fort est celui qui peut arrêter et maitriser les chevaux emballés. Qu’est-ce qui demande le plus de force : laisser aller ou retenir ? L’homme calme n’est pas l’homme inerte. Il ne faut pas confondre sattva avec l’inertie ou la paresse. L’homme calme est celui qui a obtenu la maîtrise des vagues de l’esprit. L’activité est la manifestation d’une force intérieure. Le calme est la manifestation de la force supérieure. » [3]

Le jeu de l’imagination crée donc le temps, l’espace, toutes les catégories. Ces doctrines, les yoguins les ont professées avant Kant, avant Einstein, avant Eddington.

Le manas, d’après eux, se limite lui-même, comme la chenille dans son cocon, par les schémas dynamiques qu’il émet et qui ensuite l’emprisonnent. Il se modifie continuellement, puisqu’il « prend la forme de l’objet étudié » plus ou moins bien d’ailleurs, plus ou moins longuement, plus ou moins souvent.

Arrêter le flux de la conscience

Le Radja yoga l’entraîne au contraire à rester immobile. La définition liminaire de Pâtagndjali est très précise : « Le yoga consiste à arrêter le courant de la conscience. » Ou plus littéralement : « Le yoga consiste à empêcher la matière pensante (citta) de devenir des vritti, « tourbillons » que l’on peut traduire par « actualisations fluctuantes » [4]. « Alors le connaissant demeure en son état propre (non modifié) » (pour contempler le Soi Suprême) (Tadâ drastouh svaroûpa vasthânam) [5]. Au lieu d’errer d’image en image, la conscience du yoguin se retire en elle-même pour contempler le Soi Suprême.

La technique des méditations consiste donc surtout à calmer les sauts du manas pour centrer ensuite la conscience au-delà de son activité.

Les yoga-soutras de Pâtagndjali

Les Yoga-Soutras, ces textes classiques, se composent de quatre parties : la première traite de la concentration, la seconde des moyens éloignés d’y parvenir. Dans la troisième figurent les moyens prochains et les pouvoirs supra-normaux (siddhis) qui se développent au cours de la pratique du yoga, comme des perfections relatives… Ils sont donnés par surcroît. Le yoguin qui s’y arrête rate la libération finale, seul et vrai but. La quatrième section est consacrée à la perfection absolue et à l’isolement (kaivalya) qu’on peut comparer à la soledad sanjuaniste.

Mais à vrai dire toute plongée dans l’inconscient aboutit à la solitude. Etre face à face avec son surmoi, son ça, et même son moi inconnu et prendre ses responsabilités. La psychanalyse aussi, contrairement à la psychothérapie, est un rendez-vous dans un désert. Voilà pourquoi celui qui a cru ignorer l’angoisse lorsqu’il a sonné à la porte d’un analyste prend conscience d’une angoisse affreuse après quelques mois d’analyse. C’est l’angoisse devant le miroir. Ceux qui ne peuvent supporter la solitude appartiennent à ce pourcentage d’individus inanalysables, pour lesquels on a dû inventer des psychothérapies spéciales où le médecin est plus présent et plus actif.

Réduction de l’actuel au virtuel

Cette délivrance ne s’obtient que par réduction des vrittis de l’actuel au virtuel. Le Pourousa [6] est simple, sans différenciation interne, calme, serein. Tout mouvement, toute activité ressortissent à la Prakriti [7] qui, dans sa danse, déploie toutes ses changeantes et chatoyantes richesses. Cette expérience débouche dans la douleur. Ainsi le Pourousa retrouvera sa pure essence.

Drame Prakriti-Pourousâ = drame esprit-matière

Prakriti seule n’est pas consciente. Pourousa se suffit et ne sort jamais vraiment de lui-même. Mais il prête sa lumière à Prakriti. Elle se met aussitôt à le mimer. Dans cette zone de rencontre se constitue un ordre psychologique, qui participe à la matière en tant que soumis au devenir et à l’esprit en tant que conscient. Là se joue le double drame intime de l’asservissement par intérêt pour la Prakriti et de la délivrance par renoncement à ses tentations.

Dans cette psychologie indienne, un paradoxe nous émeut particulièrement : la matière devient pensante et fournit toute la substance d’une évolution de la conscience, tandis que l’esprit s’empiège dans une activité contraire à sa nature en se laissant participer par la matière, d’une participation qui n’est ni ontologique ni dynamique. Mâyâ, l’illusion, ne viendra qu’au deuxième temps, quand le sujet psychologique ainsi constitué confondra ce qui procède de l’esprit et ce qui procède de la matière.

Activité pravritti

Cette activité est à double polarité. Elle peut être pravritti, c’est-à-dire positive, involutive et tournée vers la jouissance du monde dans un mouvement de manifestation de la nature naturée.

Activité nivritti

Elle est nivritti (absence de vrittis), négative, évolutive, quand le sujet cherche dans un comportement restrictif la délivrance de la Prakriti et le retour vers l’unité du Soi Suprême.

Samskaras, des complexes ?

Les vrittis ne se contentent pas d’aller et de venir sur ce lac qu’est notre citta. Elles laissent des impressions, des remous plus ou moins durables dans les bas-fonds.

Pour les yoguins, l’instinct est de « l’intelligence évoluée », de l’intelligence devenue sâmskara. Ces subtils sâmskaras dorment cachés dans le citta. Ils n’y sont pas inactifs. Ils travaillent au-dessous de la surface… La psychanalyse nous l’a appris depuis longtemps… Comme je suis tentée de traduire sâmskara par complexe ! L’étymologie s’y prête [8]. Mais davantage encore la notion. Mêmes désirs refoulés. Même mécanisme de puits artésien dans les couches mentales. Mêmes virtualités inconscientes. Un jour, elles s’actualiseront dans les formes grossières, ou elles dévieront pour mieux se masquer.

Théorie yoguique de la volonté

Il sera trop tard pour lutter, lorsqu’une vritti de colère aura éclaté, lorsque tout le citta sera devenu colère. Il me faut subjuguer les sentiments en germe, dans leur phase subtile, avant même d’avoir pris conscience qu’ils agissent sur moi.

C’est par sa psychologie de la volonté que le Radja Yoga est une technique vraiment remarquable. Toutes les morales et toutes les religions du monde disent à tous les petits enfants du monde : « Il ne faut pas mentir. » Mais personne ne leur apprend comment se débarrasser du désir même de mentir.

Les semences frites

Je ne réussirai à dominer mes vrittis que lorsque je pourrai les saisir dans leur cause subtile. Pour maîtriser une passion, il faut la sublimer avant qu’elle ne devienne active. Le Radja yoga la prend dans sa matrice originelle. Alors seulement on peut la brûler jusqu’à la semence : C’est ce que les yoguins appellent pittoresquement la « semence frite ». « De même que des graines qu’on a fait cuire avant de les semer ne germeront jamais », dit Vivekânanda, « ainsi ces passions-là ne surgiront pas » [9].

Il faut donc liquider tous les complexes. Ou en termes indiens : « Les samskâras subtils doivent être vaincus par résolution, en leur cause. » (Te pratiprasava-heyâh soûksmâh) [10]. Plus de vingt siècles se sont écoulés depuis que Pâtagndjali a découvert ces techniques de psychanalyse supérieure. Sa manière d’aller au plus loin et au plus noir de l’inconscient, chercher les sâmskaras, que voilà une élaboration pratique et doctrinale de grande classe !

Mais, bien que toutes les vrittis doivent être ramenées au virtuel, les yoguins insistent plus particulièrement sur les fluctuations psychologiques affectées du coefficient de l’asservissement métaphysique. Elles sont, celles-ci, radicalement viciées, même si elles contiennent des connaissances empiriques exactes, même quand il s’agit de sommeil et de mémoire. Avant tout, elles nécessitent une purification.

« Il y a cinq classes de vrittis douloureuses et non douloureuses (vrittayah pagncatayyah klistâ aklistâh) la connaissance correcte, la non-discrimination, la tromperie verbale, le sommeil et la mémoire (pramâna-viparyaya-vikalpa-nidrâ-smritayah). Perception directe, inférence, témoignage compétent : ce sont les critères (pratyaks-ânoumân-âgamâh- pramânâni) [11].

Les preuves admises par les yoguins

Les logiciens yoguiques admettent trois espèces de preuves : 1° pratyaksa ou la perception sensorielle directe si aucune autre preuve ne la contredit; 2° ânoumâna ou l’inférence; 3° âptavâkya, la vision d’un âpta [12].

Il faut que l’âptavâkya ne soit pas en conflit formel avec ce que l’humanité sait déjà ou même avec un certain bon sens supérieur. Ce bon sens supérieur, du reste, ressemble davantage à notre économie des hypothèses qu’à ce que le bourgeois athée, nu d’intuition et nu de sensibilité surnaturelle ou cosmique, nomme « le bon sens ». Ainsi, comme l’écrit avec humour Vivekânanda : « Si un homme vient nous dire qu’un ange lui a ordonné de manger trois fois par jour, nous ne devons pas le croire. Car pour cela il n’y avait pas besoin de l’intervention d’un ange. » [13]

Il faut surtout que cette vision puisse être vérifiée par un autre âpta. Toujours dans les yogas, ce souci de l’expérience renouvelable à volonté, qui est en somme le critère de la science européenne. Naturellement, seul celui qui a passé par les mêmes disciplines psycho-physiques et spirituelles qu’un âpta est susceptible d’obtenir les mêmes résultats supra-normaux. Mais cela n’est pas moins vrai pour nos propres techniques.

Les vrittis à purifier

Voyons ce que Pâtagndjali entend exactement par ses cinq classes de vrittis à purifier.

« La non-discrimination est la connaissance fausse, non fondée en nature réelle (viparyayo mithyâ-djgnânam a-tad-roûpapratistham). La tromperie verbale résulte de mots auxquels ne correspond aucune réalité (shabdadjgnân-ânoupâti vastou-shoûnyo vikalpah) [14].

Ce sont les vrittis erronées. On prend une chose pour une autre. Ou bien cette banalité : un malentendu. Dans la catégorie des vrittis appelée vikalpah nous sautons de la première parole dont nous avons mal saisi le sens à une conclusion catégorique. C’est un signe de faiblesse du citta.

Sommeil et mémoire

Voici qui est plus curieux : les aphorismes qui ont trait au sommeil et à la mémoire. Ils ne devraient pas nous étonner pourtant. Nous avons vu [15] que dans tout état inconscient Pâtangndjali soupçonne l’ignorance. « Le sommeil est une vritti qui comporte le sentiment de vacuité » (abhâva-pratyay âlambanâ vrittir nidrâ) [16].

Il ne faut pas confondre cette vacuité tamasique du sommeil et le vide mental de la méditation sans forme. C’est même l’erreur fréquente chez tous les débutants du Radja Yoga. Ils croient qu’ils ont fait le vide du citta par des exercices trop compliqués à ce stade. Alors qu’en réalité ils ont recouvert leur pensée d’un voile plus épais.

Si pendant le sommeil l’esprit n’était agité par aucune vague, il n’y aurait aucune perception. Mon souvenir même du sommeil montre que certaines fluctuations se sont produites pendant que je dormais.

La mémoire est une autre catégorie de vrittis nommées smritis. « Il y a mémoire quand les vrittis d’objets perçus ne disparaissent pas, mais remontent à la conscience par l’intermédiaire d’impressions » (anoubhoûta-visay-âsampramosah smritih) [17].

Ignorance, mère de tous les vices

Toutes ces vrittis procèdent de cinq facteurs dont le plus foncier est l’avidyâ qui confond esprit et matière. « Les obstructions pourvoyeuses de misère, dit encore Pâtagndjali, sont l’ignorance, l’égoïsme, l’attachement, l’aversion, le vouloir-vivre (avidy-âsmità-râga-dves-âbhi-niveshâh kleshâh) [18]. « L’ignorance est le champ où poussent toutes les autres, qu’elles soient assoupies, atténuées, subjuguées ou déployées » (avidyâ ksetram outtaresâm prasouptatanou-vicchinn-ôdâ-rânâm) [19].

Divers états des samskaras

Il y a lieu de distinguer entre les divers états des samskaras. Assoupis, ils le sont chez le nouveau-né. C’est leur état virtuel. Les Yoguins, eux, possèdent des samskaras très atténués. Dans cet état subtil, ils les maîtrisent facilement. Et la sublimation n’est plus qu’un jeu savant. Les samskaras sont subjugués quand d’autres samskaras les contrecarrent pendant quelque temps. Mais les impressions originelles remontent à la surface dès que les impressions frénatrices disparaissent. Et nous assistons alors à un mécanisme d’ambivalence. Quand les samskaras rencontrent un terrain favorable, ils manifestent une grande activité. Dans ce cas, Pâtagndjali les dit : « déployés ». En somme, entre les samskaras subjugués et les samskaras atténués il y a la même différence qu’entre les pulsions refoulées et les pulsions sublimées.

Non-discrimination entre le non-moi et le moi

En quoi consiste l’ignorance ? « A prendre le non-éternel, l’impur, le douloureux, le non-moi pour l’Eternel, le pur, l’heureux et l’Atman ou le Soi » (anity-âshouci-douhkh-ânâtmasou nitya-shouci-souky-âtmakhyâtir avidyâ) [20].

Aussi, un des premiers exercices du Radja yoga, comme nous le verrons par la suite, sera-t-il de tracer une frontière nette entre le moi et ses instruments : citta, bouddhi, manas, indriyas. L’identification du « moi » avec ces instruments est ce que les yoguins appellent l’ignorance de l’égoïsme. « L’égoïsme consiste à identifier celui qui voit avec l’instrument de vision » (drhg-darshana-shaktyor-ek-âtmat = aîv = âsmitâ) [21].

Dire : « je suis l’intelligence, je suis la pensée, je suis en colère », « je suis heureux », est une erreur. Le moi est immobile et immuable. Le « cogito, ergo sum » est étranger au moi. Les yoguins répondraient que Descartes n’a fait que prouver l’existence d’une pensée qui pense.

C’est par ignorance que le moi s’identifie avec son activité, avec le plaisir, la douleur, l’appétit de vivre.

« L’attachement est ce qui repose sur le plaisir » (soukh-ânoushayî râgah) . « L’aversion, ce qui repose sur la douleur » (douhkh-ânoushayî dveshah). Abonder en sa propre nature, ce qui a lieu même chez les doctes, c’est le vouloir vivre (sva-rasa-vâhî-vidousho pi tathâ-roûdho bhiniveshah) [22].

Réceptacle des actes

« Ces facteurs de servitude sont à la racine de notre « réceptacle des actes » dans cette vie qu’on voit et dans la vie qu’on ne voit pas » (klesha-moûlah-karm-âshayo drist = adrista-djanma-vedanîyah) [23].

Par « réceptacle des actes », Pâtagndjali entend à la fois la matrice originelle et la somme de tous les samskaras, toute la vie des complexes, des pulsions, des instincts. A chaque activité projetée, entreprise ou accomplie, l’esprit forme une vritti. Que cette activité soit terminée ou refoulée la vritti ne disparaît pas pour cela. Elle s’inscrit en samskâra. Toute œuvre, toute pensée, bonne ou mauvaise, ne fait que devenir plus subtile pour être mieux emmagasinée.

Plus tard, les samskâras seront les semences qui de nouveau produiront des effets dans la vie actuelle ou dans les vies futures… Ici Pâtagndjali se réfère à la loi du Karman. « Où existe la racine, la fructification survient sous forme d’espèce, de vie et d’expérience hédonique. » (sati moûle, tad-vipâko-djâty-dyur-bhogâh) [24]. Nous retrouvons ici le principe de plaisir de Freud.

Ambivalence plaisir-peine

Naturellement, tout ce processus mène droit à la douleur, par son ambivalence même qui est à la base de tous les conflits complexuels. « Pour qui sait discerner », dit Pâtagndjali en d’autres mots, « tout est douloureux, parce qu’il n’y a rien qui n’apporte de la douleur, soit comme conséquence, soit comme anticipation de perte de joie, soit comme vif désir naissant d’impressions de joie, et aussi comme action contraire de qualités (parinâma – tâpa – samskâra – douhkair – gouna – vritti – virhodâc ca douhkham eva sarvam vivekinah) [25]

Obstacles à la concentration

De ces soûtras, il ressort que pour réaliser son idéal d’équilibre et de concentration, le yoguin doit d’abord perfectionner ses instruments psychologiques et physiologiques. Les fluctuations du citta tendent à l’anarchie et à la dispersion sous tous les aspects : erreurs perceptives, doutes, incapacité de persévérance spirituelle. Dans le corps lui-même, mauvais fonctionnement des rythmes biologiques et surtout du plus fondamental de tous : du rythme respiratoire.

« Maladie, paresse mentale, doute, manque d’enthousiasme, léthargie, attachement aux jouissances des sens, fausse perception non atteinte de la concentration, rechute de cet état une fois obtenu. Ce sont les troubles faiseurs d’obstruction » (vyâdhi – styâna – samshaya – pramâd – âlasy – âvirati – bhrântidarshan âlabdhabhoûmikatv – ânavasthi-tatvâni citta – vikshepâs te ‘ntarâyâh). « Douleur, détresse mentale, tremblement du corps, respiration irrégulière : ce sont les conditions qui empêchent de concevoir la concentration » (douhka – daurmanasy – ângamedjayatva – shvâsaprashvâsâ viksepa – sahabhouvah) [26].

Interaction du corps et de l’esprit

Le Radja yoga se composera donc d’une discipline morale, d’une discipline intellectuelle et d’une discipline psycho-physique. Il n’est pas question pour le yoguin de nier l’interaction du corps et de l’esprit. Il estime même que chez l’homme moyen l’esprit dans une large mesure dépend du corps. Car l’homme ordinaire a peu progressé au-delà de l’animal.

Pour acquérir un pouvoir sur mon esprit, je dois maîtriser mon corps. Mais c’est par l’esprit que j’agirai sur mon corps. De ce cercle vicieux partent les querelles d’écoles. Certains gourous assurent qu’avant d’aborder les méditations, il faut commencer par la gymnastique respiratoire du Hatha yoga et par le réveil de la koundalini.

J’ai déjà résolu ce problème de préséances par le plan même de mon essai. Il est nécessaire de discipliner sa pensée. Il est urgent d’acquérir une haute valeur morale avant de donner la moindre puissance au corps grossier. Ce sont là des conditions préalables à la réussite d’une expérience loyalement conduite.

J’accorde toutefois qu’on ne peut récolter un bénéfice complet de ces exercices spirituels si on ne les accompagne du rythme respiratoire et si l’on n’ouvre une ou deux portes de communication (cakras) entre le plan cosmique et le plan physiologique.

Nécessité d’un gourou

A l’usage, d’autre part, ces divisions s’avèrent plutôt arbitraires. Tous les yogas se confondent, s’interpénètrent, s’entraident. Il faut doser, compte tenu des tempéraments individuels.

Danger des yogas

C’est là où le gourou est indispensable. Une technique ne s’acquiert pas dans les livres. On peut connaître par cœur tous les ouvrages de Freud, de Baudouin, de Laforgue. On ne saurait pour cela se lancer tout de go dans la thérapeutique. Ne l’oublions pas — nous avons affaire à une expérience concrète, autrement active qu’une pilule. De même qu’on risque de transformer une légère névrose en délire obsessionnel si on tente une psychanalyse sans avoir été analysé, ainsi le Radja Yoga, loin de la surveillance d’un gourou, peut aussi mener à la folie.

Au cours de ces pages, je donnerai tous les exercices essentiels des yogas. Ils peuvent apporter des lumières neuves à notre psychologie, d’inédites manières de guérir à notre thérapeutique, une aide précieuse au mystique. Dans chaque cas, je m’adresse à un « compétent ». Mais tout de suite je crie casse-cou au lecteur qui n’a d’autre guide que sa curiosité. Le voilà prévenu : qu’il se débrouille avec son karman… ou sa prudence.

Méthode de travail

Je crois donc en définitive que l’apprenti-yoguin aura intérêt à pratiquer une première fois les méditations du Radja uniquement comme discipline psychologique. Ainsi apprendra-t-il à maîtriser ses pensées. Cela lui servira même dans sa vie professionnelle et dans sa routine quotidienne. (La plupart des méthodes pratiques — pelmanisme, new-thought, christian-science, autosuggestion de Coué — sont des bâtards plus ou moins avoués du Radja yoga.)

Ensuite le disciple s’attaquera aux exercices du Hatha yoga. En troisième lieu seulement, quand il connaîtra à fond l’entraînement pneumographique, quand un ou deux cakras seront ouverts, alors, s’aidant de ces sciences récemment acquises, il reprendra dans une octave supérieure toutes les méditations du Radja yoga.

Ainsi je puis recommencer à trente ans mon catéchisme appris à douze, la philosophie de mon bachot ou de ma licence, les bons livres lus pendant l’adolescence… Et un monde nouveau naîtra pour moi.

Purification indispensable

Tous les exercices des yogas sont avant tout destinés à la purification mentale ou physiologique. « La connaissance du Brahman, dit la Mahanirvana Tantra, « ne croit que dans un cœur purifié » (Brahmadjgnâne samout panne krityâkrityam na vidyate) [27].

Les sept degrés de la connaissance

Dans cette connaissance de l’Absolu il y a sept degrés. « La connaissance est la terre suprême qui s’obtient par sept degrés » (tasya saptadhâ prânta – bhoûmih pradjgnâ) [28].

1o Je déterminerai d’abord ce qui doit être connu. La connaissance est en moi et non, pas au dehors de moi. Quand je pratiquerai le discernement, mon esprit toujours à l’affût de vérités fraîches, cessera d’être anxieux.

2o L’absence de toute souffrance suivra.

3o L’esprit atteindra l’omniscience.

4° Le discernement effacera mes dettes morales.

5o Ainsi le citta deviendra libre. Toutes les hésitations, tous les conflits intérieurs, toutes les antinomies seront résolues.

6o Alors seulement la simple volonté du citta suffira pour ramener toutes les fluctuations au virtuel.

7° Voici enfin la phase parfaite de l’isolement spirituel (kaïvalya). Je constaterai que je suis établi dans mon moi [29], que j’ai toujours été seul dans l’univers entier, que ni le corps, ni même l’intelligence n’ont eu le moindre rapport avec mon soi, et que je n’ai jamais été uni à eux. Ils allaient leur chemin. C’est par ignorance que je les accompagnais. Pourtant mon soi était si pur, si parfait… Je n’avais besoin de rien d’autre… Personne n’était nécessaire à mon bonheur. Je suis le bonheur moi-même.

Dans ce dernier état où le moi s’identifie à toutes les essences, je trouverai la béatitude suprême.

Les moyens médiats de Pâtagndjali

Le Yoga de Pâtagndjali comporte huit membres dont les cinq premiers sont des moyens médiats et les trois derniers des moyens immédiats ordonnés à la délivrance. « Yama niyama, âsnaa, prânâyâma pratyâhâra, dhâranâ dhyâna et samâdhih, voilà les huit membres du yoga. » [30]

Vertus négatives

En quoi consiste yamâh ? Il est quintuple. «Ne pas tuer, ne pas mentir, ne pas voler, garder la continence, ne pas accepter de cadeaux, voilà ce qu’on appelle yamah » (ahimsâ – saty – âsteya brahmacary – âparigrahâ yamâh) [31].

Vertus positives

Et voici le groupe des qualités positives. Il y a six niyamâhs (habitudes régulières) : « cauça (propriété intérieure et extérieure), samtosa (contentement), tagas (mortification), svâdhyâya (étude) [32], Içvara pranidhâna (dévotion au Seigneur), ce sont les niyamahs (çauca – samtosa – tapah -svâdhyây – êçvaraprani dhânâni niyamâh) [33].

La théorie de la pensée contraire chez Pâtagndjali

Avant même de passer à la discussion théorique ou à la casuistique des vertus, Pâtagndjali révèle tout de suite les techniques qui permettront de les développer. Comme c’est hindou, ça ! « Pour faire obstruction aux pensées qui sont hostiles au yoga, des pensées contraires doivent être produites. » (Vitarka – bâdhane – pratipaksa – bâdvanam). « Les obstructions au yoga sont : le meurtre, le mensonge, le vol, la concupiscence, la réception des cadeaux, commis, causés ou approuvés par avarice ou colère ou ignorance, de façon minime, moyenne ou grande. Elles aboutissent à la non-connaissance et à la misère infinies. Telle est la méthode de la pensée contraire » (Vitarka – hims – âdayah krita – kârit – ânouoditâ lobha – krodha – moha – poûrvakâ mridou – madhy – âdhimâtrâ douhkh – âdjgnân – ânanta – phalâ iti pratipaksa – bhâvanam) [34].

…Chez Coué et Baudouin

Coué et Baudouin [35] ont montré depuis combien les pensées négatives demeuraient impuissantes. Seule une image positive agit sur l’inconscient.

…Et chez saint Ignace de Loyola

Mais avant eux saint Ignace de Loyola avait déjà conseillé : « Une habitude se détruit par une habitude contraire comme on repousse un clou par un autre clou. Conatus conatu, consuetudine consuetudo, quasi clavus clavo retundatur. » [36]

Les Indiens, proches encore de l’agriculture, parlent d’une épine qui chasse l’autre. Saint Ignace, dans un milieu plus artisanal, plus industrialisé, emploie l’image du clou. La méthode est la même.

Les sens des niyamahs

Nous avons vu longuement ailleurs [37] la logique interne du yamah. Examinons maintenant ce que Patagndjali entend par niyamah. Sous leur aspect positif, ces vertus, elles aussi, ne seraient-elles qu’un entraînement préparatoire pour l’esprit qui veut devenir actif?

Le Soutra 40 s’occupe de propreté : « La propreté intérieure et extérieure étant de règle, survient le dégoût de son corps et le non-rapport avec les autres (çaucât sy – ânga – djougoupsâ, parair asamsargah) [38]. Je donnerai dans les chapitres consacrés au Hatha yoga et au réveil de la koundalini les divers exercices de nettoiement yoguiques. « Alors se produisent aussi la purification du sattva, l’allégresse mentale, la concentration, la conquête des organes et l’aptitude à la réalisation du moi » (Sattvaçouddhi – saumanasy – aikâgry – êndriyadjay – âtma – darçana – yogyatvâni ca). « Du contentement résulte le suprême bonheur » (samtosâd anouttamah soukha – lâbhah) [39].

Hédonisme et mortification

Sous cette apparence d’hédonisme, il s’agit toujours d’hygiène mentale. La tristesse — nous l’avons vu [40] — est tamasique. Débarrassons donc l’esprit de toutes les pensées négatives qui sont des pensées de corruption. La vertu est joyeuse.

Aussi la mortification ne prend-elle pas du tout chez les yoguins un sens de souffrance, mais un sens de plénitude [41]. Il faut éviter les deux extrêmes du luxe et de l’austérité. On ne doit ni jeûner ni torturer sa chair. Le Bhagavad Gita précise même : « Celui qui le fait ne saurait être un yoguin. Ni celui qui mange trop, ni celui qui jeûne, ni celui qui se prive de sommeil, ni celui qui dort beaucoup, ni celui qui travaille trop, ni celui qui ne travaille pas, ne peuvent être des yoguins [42]. » L’ascèse doit être aussi loin de l’autopunition que de la vulgaire jouissance matérielle.

Bien-être charnel, force à sublimer

Tout comme la sexualité, tout comme la haine, le bien-être charnel représente une force qu’on peut sublimer, — emmagasiner aussi dans le grand réservoir d’énergie de l’organisme humain. « Le résultat de la mortification est de procurer des forces aux organes et au corps en détruisant l’impureté » (Kây – êndriya – siddhir açouddhi – ksayât tapasah) [43].

Dévotion comme moyen

Ce qui nous scandalise, nous, catholiques, c’est de voir que la dévotion au Seigneur n’est, elle aussi, qu’un moyen médiat, au même titre que le bain quotidien, la continence ou la défense de recevoir un cadeau.

A cela on peut répondre que nous aussi — oh ! ce n’est pas ce que nous faisons de mieux… — nous usons de la prière comme d’un moyen médiat, c’est-à-dire, non pas un moyen de salut, mais un moyen d’obtenir des grâces spirituelles et même… temporelles. Ce n’est pas évidemment ainsi que l’entendent nos saints. Il faut comparer les critères des meilleurs.

Pâtagndjali dit bien : « Par le sacrifice de tout à Içvara survient samâdhih (samâdhi – siddhir – îçvara – pranidhânât) [44]. Mais la vie spirituelle ici n’est pas essentiellement une communion avec Dieu. La grâce divine n’est qu’adjuvante. Le yoga se ressent de l’héritage du système jumelé, le sâmkhya. Il est comme les auberges espagnoles. Il faut apporter avec soi son propre Dieu. Le yoga ne fournit que les cadres. Le contenu, aucune technique d’ailleurs ne l’inventera jamais.

Moyens médiats physiques

Après le bain moral, nous préparerons notre corps à devenir le temple du Divin. Les moyens médiats physiques sont l’âsana et le prânayâmah.

Asanas ou postures

L’âsana, c’est la position du corps pendant les exercices spirituels. On l’a exprimé par l’anglicisme « posture ». Une lutte s’est engagée entre un purisme naturel et un conformisme accidentel. Par exception, le conformisme l’a emporté. Le mot « posture » est trop connu des orientalistes aujourd’hui. Une traduction inusitée les troublerait… Va donc pour posture.

« La posture, c’est ce qui est stable et agréable » (sthira – soukham âsanam) [45]. Et le sâmkhya est d’accord : « Toute posture qui est facile et ferme est un âsana. Il n’y a pas d’autre règle. » [46]

Ce que les yoguins recherchent par l’âsana, c’est dridhâta, la stabilité. Une posture est considérée comme stable « quand on ne sent plus le corps ». Tant qu’on est dérangé par une attitude physique, les nerfs sont troublés, on ne peut pas concentrer son esprit. Il faut choisir la posture qui convient le mieux à la méditation (ou bien au cakra qu’on désire éveiller).

Tel est aussi d’ailleurs l’avis de saint Ignace de Loyola qui ne tient pas pour indispensable de se mettre à genoux dans la prière : « Ce que je ferai assis ou en me promenant, comme il me semblera plus avantageux, considérant attentivement où je vais et à quelle fin » [47].

Ailleurs, il écrit : « Je commencerai ma contemplation tantôt à genoux, tantôt prosterné, tantôt tendu sur la terre, le visage vers le ciel, tantôt assis, tantôt debout, cherchant à trouver ce que je désire. Et en cela, j’observerai deux choses : premièrement si je trouve ce que je désire à genoux ou prosterné, je ne chercherai pas une autre position; secondement, si j’éprouve dans un point de la méditation, les sentiments que je voulais exciter en moi, je m’y arrêterai et m’y reposerai sans me mettre en peine de passer outre, jusqu’à ce que mon âme soit pleinement satisfaite. » [48] Et enfin plus loin : « …à genoux ou assis, selon la disposition du corps et l’attrait de l’âme, les yeux fermés ou fixés en un même endroit, sans les laisser errer de côté et d’autre, on dira la première parole du Pater et on s’arrêtera sur cette parole autant de temps que l’on trouvera de significations, de comparaisons, de goût et de consolation intérieure dans la considération du titre de Père… » [49]

Voilà une « manière de prier » qui se rapproche du yoga encore plus qu’on ne pense, comme nous le verrons tout à l’heure. « L’arrêt » sur la parole du Père, la concentration sur « ses significations, ses comparaisons, sa consolation intérieure », tout cela pourrait être signé par un Indien. Cette rencontre sur le plan mystique intérieur est extrêmement émouvante.

Dans la question de « posture », les mêmes soucis psycho-physiologiques (ce qui ne préjuge en rien de l’inspiration surnaturelle) ont vraisemblablement guidé saint Ignace et Pâtagndjali. Pour atteindre des états mystiques supérieurs, il est essentiel de trouver une attitude que l’on puisse conserver indéfiniment. Car la route méditative est longue de la terre au ciel. Le mieux est d’adopter la plus naturelle. Pour penser, telle posture peut être favorable à un homme et pénible à un autre.

Certains textes tantriques disent qu’il y a autant d’asanas que de yoguins. Ils en ont dénombré jusqu’à huit millions quatre cent mille ! Parmi eux, mille six cents sont excellents et trente-deux seulement très excellents [50]. Je donnerai les principaux dans les chapitres consacrés au réveil de la koundalini et aux cakras.

Moudras et gestes efficaces

Il faut ajouter aux asanas les moudras ou « gestes efficaces ». Ils sont d’origine chinoise. Toujours cet apport mongol du yoga… Ce sont des asanas plus compliqués, plus mouvementés, plus rituéliques surtout. Ils rappellent ces gestes magiques, calculés dans une intention précise.

Attitude droite de la colonne vertébrale. Etre assis sur les côtes

Mais quel que soit l’âsana adopté, les yoguins n’insistent que sur un seul point : la position de la colonne vertébrale. Chaque fois qu’assis de travers on essaie de méditer, on cause un ébranlement nerveux. N’oublions pas s’il vous plaît que la koundalini suit le chemin du grand sympathique. Pendant le réveil des cakras — nous le verrons plus tard — une intense activité se manifeste dans le corps. Certains courants praniques devront être déplacés et dirigés dans un autre circuit. De nouvelles vibrations apparaissent. Toute la constitution est refondue. Le siège de ce bouleversement se situe dans la colonne vertébrale. Il est donc indispensable qu’elle demeure à la fois libre et droite. Sinon comment monter ?… La poitrine, le cou, la tête s’ordonneront sur une verticale rigide dans le prolongement l’un de l’autre. Tout le corps sera supporté par la cage thoracique dans une posture naturelle et facile. C’est ce que les yoguins appellent « être assis sur les côtes ». Impossible d’avoir des pensées élevées avec une poitrine rentrée.

Déjà dans la Shvetashvatara Oupanishad figure cette recommandation :

« Plaçant le corps dans une posture droite avec la poitrine, la gorge et la tête tenues verticales, faisant entrer les organes dans l’esprit, le sage traverse tous les courants effroyables sur le radeau de Brahman. » [51]

De son côté, Yadjnavalkya conseille aussi : « la gorge et la tête en une même ligne ».

A l’usage des Européens et des Américains, le moderne Vivekânanda ajoute : « Dites-vous à vous-même que vous êtes fermement assis et que rien ne peut vous ébranler. Puis rappelez-vous la perfection de votre corps, morceau par morceau, de la tête aux pieds. Pensez que votre corps est aussi pur que du cristal, que c’est un parfait vaisseau avec lequel vous naviguez sur l’océan de la vie. Demandez à tous les prophètes et à tous les sauveurs et à tous les esprits de l’univers de venir vous aider. » [52]

Mais la technique se trouve indiquée chez Pâtagndjali. Pour qu’une posture devienne stable et agréable, il faut « réduire la tendance naturelle à l’agitation et méditer sur l’illimité » (prayatna – çaithily – ananta – samapatti bhyam) [53].

Evidemment tout le monde ne peut pas penser à l’Absolu infini. Tout le monde peut penser au ciel infini.

« Quand on a gagné la fixité, les dualités ne font plus obstruction » (Tato dvandvânabhighâtah) [54].

De tout cela, il ressort que ce moyen physique, l’âsana sert à une fin mentale : la fixation.

Prânâyâmah et le rythme respiratoire

« Vient ensuite la maîtrise des mouvements d’expiration et d’inspiration » (tasmin sati, çvâsa – praçvâsayorgati -vicchedah – prânâyâmah) [55].

Ce quatrième moyen médiat, le Prânâyâmah (de Prâna, énergie vitale et âydmah, la maîtrise), c’est la régularisation du souffle. Par lui on atteint les rythmes biologiques et psychologiques. Ainsi l’organe interne devient capable d’attention. Il est accordé au rythme de la conscience et de la volonté.

C’est la partie du yoga dont on parle le plus au pays des snobs. Cela ne signifie point qu’elle soit la plus connue. Et il y a même beaucoup de chances qu’elle soit connue « de travers ».

L’effet cherché par le Prânâyâmah est lâghava (légèreté). Tout dans ce domaine a été noté par les scrupuleux physiologistes de l’Inde : les 21.600 respirations quotidiennes, la distance d’une respiration normale qui est de douze doigts de largeur. Néanmoins, dans le chant, la nourriture, la marche, le sommeil, le coït, elle atteint 16, 20, 24, 30 et 36 largeurs respectivement. Elle augmente encore dans les exercices violents. Elle peut atteindre le maximum de 96. Quand le mouvement respiratoire demeure dans une oscillation normale, la vie est prolongée. Au-dessus, elle est raccourcie. La médecine occidentale ne contredira pas les yoguins sur ce point.

Les trois phases du Prânâyâmah

Il y a trois phases dans le Prânâyâmah : 1o Pouraka ou l’inspiration, 2o resaka ou l’expiration, 3o koumbhâka, le temps pendant lequel nous conservons l’air dans les poumons ou nous l’empêchons d’y entrer.

Les huit espèces de koumbhâka

Selon le Gheranda Samhita, il y a huit espèces de koumbhâka : sahita, soûryyabheda, oudjdjâyî, sitalî, bhastrika, bhrâmari, moûrcchâ et kevalî.

Mais déjà Patagndjali a élaboré une première technique de Prânâyâmah. « Ses modifications sont extérieures ou intérieures, ou sans mouvement, réglées selon le lieu, le temps et le nombre, soit longues, soit courtes (bâhy – âbhyantara – stambha – vrittir deça – kâla – samkhyâbhih paridzisto dîrgha – soûksmah [56]).

Minutage précis du souffle

Par le « lieu » Pâtagndjali indique que le prâna est confiné à une partie donnée du corps. J’ai cité cette technique lorsque j’ai parlé des « petites vies » [57]. Quant au « temps », il équivaut à la durée du koumbhâka ou la rétention du prâna à l’endroit désigné.

Il existe chez les yoguins un minutage très précis pour les trois mouvements de la respiration. Il diffère selon les écoles. Je donne ici — parce que c’est sa place logique et à titre de documentation pure­ — le nombre de matrâs ou de secondes [58] pour chaque phase. Mais je supplie mes lecteurs de ne pas tenter ce prânâyâmah avant d’avoir pratiqué les exercices de début du Hatha yoga décrits dans le chapitre III. Il n’y a rien de plus dangereux que ces longues rétentions de souffle pour qui n’est pas entraîné progressivement.

Rythme spirituel et rythme physiologique

Le rythme d’ailleurs n’est pas le même pour les respirations destinées à un bien-être physiologique et le souffle calculé pour atteindre des états psychiques supérieurs.

Dans le Hatha yoga, le Pouraka et le Resaka sont de même durée, le koumbhâka égale la moitié de cette durée. Tandis que le prânâyâmah du Radja yoga se décompose ainsi : soit n, le nombre de battements du cœur pour une inspiration. Inspiration n. Rétention du prana : n x 4, expiration : n x 2.

Les meilleures mesures du Radja yoga Outtama

Tous les chiffres n’ont pas la même valeur. Les auteurs tantriques donnent comme la meilleure mesure (outtama) : 20 matrâs (secondes) pour le Pouraka, 80 pour le koumbhâka et 40 pour le Resaka. Elle conduit à la lévitation du corps et à la béatitude.

Madhyama

La mesure moyenne (madhyama) est respectivement 16, 64, 32. Elle produit un tremblement dorsal.

Adhama

La plus petite mesure, 12, 48, 24, amène la transpiration.

Les mesures de Yadjnavalkya et de Vivekânanda

Même plus petite mesure chez Vivekânanda. Néanmoins son madhyama est de 24, 96, 48 et son outtama grimpe jusqu’à 36, 144, 72.

Yadjnavalkya, cité par Çankaracarya, dit : « En seize matrâs (secondes) remplissant le corps de la tête aux pieds; en trente-deux matrâs le prâna doit être expulsé et en soixante-quatre, le koumbhâka doit être fait. »

Ce sont là des chiffres destinés aux Indiens qui s’exercent au prânâyâmah depuis l’enfance. Leurs poumons y ont pris goût et force. Rares sont les Européens qui atteignent même « la plus petite mesure ». J’appartiens à ceux-là. Mais je n’y suis parvenue qu’au bout de six mois… et quelques accidents cardiaques dus à la hâte.

Mesure prudente pour Occidentaux

Aussi Vivekânanda lui-même conseille-t-il la prudence à ses disciples occidentaux. « Il est préférable de commencer par quatre secondes et d’augmenter progressivement. Aspirez pendant quatre secondes, retenez l’air sur seize et expirez en huit secondes. » [59] Vivekânanda va jusqu’à proposer la mesure 1, 2, 1 au lieu de 1,4, 2 pour faciliter la voie aux débutants [60].

Respirer en cadence sacrée

Ce qui importe, c’est d’apprendre à respirer en cadence. Pour cela, les Hindous harmonisent sur le souffle la répétition du mot « AUM » ou de toute autre parole sainte. Il existe un mantra appelé gâyatri. C’est un verset très sacré des védas : « Nous méditons sur la glorieuse âme de cet Etre qui a créé notre univers. Puisse-t-il éclairer notre esprit ! » (Aum bhoûr bhouvah svah : tat savitour varenyam bhargo devasya dhîmahi : dhiyo yo nah pracodyât Om. Aum [61]).

Certains auteurs tantriques assurent que tous les « êtres créés » devraient réciter 21.600 fois par jour le mantra gayatri qui est l’expulsion du souffle par sakhâra et l’inspiration par Hâmkâra. Si en effet le lecteur veut essayer de les réciter à haute voix, il découvrira combien ces vers védiques sont construits sur le double mouvement du souffle.

En un prânâyâmah, on dit mentalement trois gâyatryas. Ou bien, au lieu de compter un, deux, trois, quatre, on répète (toujours mentalement) la syllabe sacrée. On laisse le mot choisi s’écouler rythmiquement, harmonieusement sur le souffle qui monte et qui descend. Ainsi le corps acquiert la cadence cherchée.

Le lecteur catholique songera tout de suite qu’on peut remplacer le mantra gayatri par un Ave Maria et qu’on peut respirer sur la musique de Jésus (Jé pour l’« inspiration et sus pour l’expiration).

C’est à peu près ce qui a été fait déjà par saint Ignace de Loyola. Tous ceux qui ont tenté le rapprochement entre les Exercices Spirituels et le yoga, à commencer par Kayserling, ont cité cette « troisième manière de prier » : « La troisième manière de prier est comme en mesure… » [62]

D’autre part, le R. P. Poucel, S. J., avec son admirable sens du mystique doublé d’un non moins remarquable sens du réel, décrit cette « troisième manière de prier » dans une page qui ferait honneur à n’importe quel traité de Radja yoga [63].

Toujours cependant la même différence entre les textes catholiques et les textes yoguiques. Saint Ignace considère la respiration comme un moyen médiat pour mieux prier. A ce stade de l’entraînement yoguique, la prière n’est encore qu’un moyen médiat pour obtenir la meilleure cadence pneumographique. Naturellement, le souffle lui-même n’est qu’un moyen médiat pour s’unir au Brâhman. Dans l’Absolu, toutes les antinomies sont résolues.

Mais pendant la montée les yoguins ne se refusent pas d’examiner les résonances physiologiques de la prière.

Réactions psychologiques

« Vous apprendrez alors ce qu’est le repos », dit Vivekânanda en commentant ce premier exercice. Par comparaison, le sommeil n’est pas un repos. Lorsque vient ce repos-là, les nerfs les plus épuisés se calment et l’on s’aperçoit que jamais auparavant on n’avait su ce qu’est le vrai repos. Le premier effet de ces exercices s’observe dans le changement d’expression du visage. La dureté des traits s’atténue. Le calme de la pensée répand une sérénité extérieure. La santé est excellente. Le caractère s’améliore. Ensuite vient la beauté de la voix. Jamais je n’ai connu de yoguin à la voix rauque. Ces signes apparaissent au bout de quelques mois de pratique. » [64]

Nous retrouverons la même constatation dans la Svetasvatara Oupanisad : « Les premiers signes d’entrée dans le yoga sont légèreté, santé. La peau devient lisse, le teint clair, la voix belle et il y a dans le corps une odeur agréable. » [65]

Yadjnavalkya n’est pas moins affirmatif : « Légèreté de corps, teint clair, bon appétit, audition du nada (son intérieur), tels sont les signes de la purification des nerfs. »

Rétention du souffle

Mais à quoi sert cette longue rétention du souffle, si dangereuse par surcroît ?… demandera le lecteur européen.

A la méditation ou à la création d’une image mentale. Pâtangndjali lui-même nous répond : « La quatrième espèce de prânâyâmah consiste à retenir le prâna en réfléchissant sur les objets extérieurs ou intérieurs » (Bâhy -âbhyantara – visay – âksepi catourthah) [66]. Le koumbhaka prend tout son sens dans la réflexion.

Nadi-çouddhi

Et voici donc la nadi-çouddhi (purification des canaux subtils) qui est le prânâyâmah de base pour le radja yoga. La nadi-çouddhi peut être samanou ou nirmanou, c’est-à-dire avec ou sans l’emploi du bîdja [67].

Exercices de purification

Ainsi se présente cet exercice dans les Tantras :

Assis en padmâsana (posture du lotus), le yoguin répète mentalement le bîdja yam seize fois et inspire en seize secondes par idâ (la narine gauche qui correspond à la nadi lunaire, négative). Il fait koumbhaka sur 64 bîdjas. Il exhale par Pingala (la narine droite qui correspond à la nadi solaire, positive) sur 32 bîdjas. Le feu se lève dans le manipoura cakra et s’unit à prithivi (la terre). Ensuite le yoguin inspire par la narine droite avec le bîdja vahni pendant 16 secondes, retient le prâna pendant 64 secondes et le rejette par idâ sur 32. Il médite alors sur la lumière lunaire en dirigeant ses yeux vers la pointe de son nez. Il inspire par ida avec le bîdja tham sur 16. Il fait koumbhaka pendant 64 secondes, sur le bidja vam. Pendant ces 64 secondes, il construit l’image mentale suivante : il se voit inondé de nectar et ses nâdîs sont lavées. Il exhale par pingala sur 32 bîdjas lam et se pense très dynamisé par ce processus.

Ensuite il s’assied sur une peau de daim ou de tigre posée sur l’herbe kousa, face à l’est ou au nord et continue un prânâyâmah de repos.

Dois-je insister ? Cet exercice est trop compliqué pour les débutants. Et j’espère qu’aucun lecteur n’aura la tentation de l’aborder sans gourou.

Le temps et le lieu pour les débuts

Pour la nadi-çouddhi, les Tantras recommandent aussi de choisir un lieu ni trop désert ni trop éloigné pour éviter l’anxiété, ni trop peuplé, pour fuir bruits et distractions. Il vaut mieux commencer le yoga, soit au printemps, soit à l’automne. Les saisons intermédiaires sont plus favorables aux changements de rythme. Toute la nature se transforme. C’est le moment de purifier le corps humain.

Nourriture

La nourriture devra être végétarienne et pure, ni trop chaude, ni trop froide, ni trop épicée, ni trop aigre, ni trop salée, ni trop amère. Les Tantras défendent aux débutants le jeûne et même le demi-jeûne (un seul repas par jour). Nous aurons du reste l’occasion de revenir sur ce problème de l’alimentation.

Le même exercice vu par Yadjnavalkya.

Assis en une posture facile sur une peau (de daim ou de tigre) posée sur de l’herbe kousa, on adorera Ganapati avec des offrandes de fruits et de sucreries. On mettra la paume droite sur la gauche. On tiendra la gorge et la tête en une même ligne, les lèvres closes et fermes, face à l’est ou au nord, les yeux fixés sur la pointe du nez. Il faut éviter tout excès de nourriture ou de jeûne. Les nâdîs doivent être purifiées, ou sinon l’exercice sera infructueux. Penser au bîdja houm à la jonction de Pingala et d’Idâ (les narines droite et gauche). Idâ devra être remplie d’air extérieur en 12 mâtrâs (secondes . Au même endroit, le yoguin médite alors sur le feu avec le bîdja roum et expire lentement l’air par pingala (narine droite). De nouveau, il inspire par pingala et expire lentement par idâ de la même manière.

Cet exercice, il faut le pratiquer pendant trois ou quatre ans ou bien pendant trois ou quatre mois, conformément aux instructions d’un gourou, en secret (seul dans la pièce), tôt le matin, à midi, le soir et à minuit, jusqu’à ce que les nâdîs soient purifiées.

Cette nadiçouddhi est moins dangereuse que la précédente parce que le temps de rétention n’est pas indispensable. Mais elle est encore beaucoup trop difficile pour les débutants de nos pays.

Le même exercice adapté par Vivekânanda à l’usage des Occidentaux.

« Emplissez lentement vos poumons en faisant passer le souffle par ida (par la narine gauche), et concentrez en même temps votre esprit sur le courant nerveux. Vous envoyez en quelque sorte ce courant le long de la moelle épinière et vous en frottez violemment le dernier plexus, le lotus qui est à la base, le lotus de forme triangulaire, siège de la koundalini. Puis maintenez-y le courant pendant un temps. Imaginez ensuite que vous faites lentement remonter ce courant nerveux avec le souffle, par l’autre côté, par pingalâ, puis rejetez lentement par la narine droite. Vous trouverez cet exercice un peu difficile. Le moyen le plus facile est de fermer la narine droite avec le pouce, puis d’aspirer lentement l’air par la narine gauche. Ensuite fermez les deux narines avec le pouce et l’index et imaginez que vous envoyez ce courant vers le bas, que vous lui faites frapper la base de la sousoumna. Après cela écartez le pouce et faites sortir le souffle par la narine droite. Ensuite inspirez lentement par cette même narine, en continuant à fermer l’autre avec l’index, puis fermer les deux comme vous l’avez déjà fait.

« La façon dont les Hindous font cet exercice serait assez difficile à pratiquer dans ce pays-ci, car chez nous on s’y exerce dès l’enfance et les poumons y sont accoutumés. Il est préférable ici de commencer par quatre secondes et d’augmenter progressivement. Aspirez pendant quatre secondes, retenez l’air pendant seize secondes et expirez en huit secondes. Cela constitue un prânâyâmah. Pensez en même temps au lotus triangulaire qui est à la base. Concentrez votre esprit sur ce centre. L’imagination peut vous être d’un grand secours. » [68]

Le résultat de ce prânâyâmah est oudghâta, l’éveil de la koundalini.

Enfin voici un troisième exercice recommandé par Vivekânanda :

« L’exercice suivant consiste à aspirer lentement et à rejeter le souffle aussitôt, lentement également, puis à ne pas admettre l’air pendant un temps, en employant toujours les mêmes temps. La seule différence est que dans un cas on a retenu l’air à l’intérieur et que, dans l’autre, on l’a empêché de pénétrer. Ce dernier est le plus facile des deux. Il ne faut pas abuser de la respiration dans laquelle on retient l’air dans les poumons. Faites cela seulement quatre fois le soir, puis vous pourrez augmenter lentement le nombre et la durée des mouvements. Vous trouverez que vous en êtes capable et que vous y prenez goût. Ainsi, avec beaucoup de prudence et de précautions, lorsque vous sentirez que vous pouvez le faire, portez le nombre des mouvements à six au lieu de quatre. Si vous faites cet exercice de façon irrégulière, cela peut vous faire du mal.

« Des trois méthodes que je viens de décrire pour la purification des nerfs, la première et la troisième ne sont ni difficiles ni dangereuses. Plus vous pratiquerez la première et plus vous serez calme. Pensez simplement à « Aum » et vous pouvez faire cet exercice pendant même que vous êtes assis à travailler. Cela vous fera beaucoup de bien. Un jour, si vous travaillez sérieusement, la koundalini s’éveillera. Ceux qui pratiquent une ou deux fois par jour acquerront un certain calme du corps et de l’esprit, et une belle voix. Ce n’est que pour ceux qui vont plus loin que la koundalini s’éveille, que toute la nature commence de se transformer et que s’ouvre le livre de la connaissance. Ils n’ont plus besoin d’aller chercher la connaissance dans les livres. Leur propre esprit sera devenu leur livre et contiendra une connaissance infinie. » [69]

Apprendre à respirer d’abord

Même ces trois exercices — plus anodins — et qui ont leur place dans le Prânâyâmah du Radja yoga ne devraient pas être tentés sans gourou.

De toute façon, je conseille au lecteur de se familiariser d’abord avec le Hatha yoga et la théorie de la koundalini et surtout oh surtout d’apprendre à respirer. Les Européens ne savent pas respirer. On a oublié cette technique essentielle dans nos programmes scolaires. A quoi bon compliquer son souffle dans une cadence difficile quand on ne peut même pas le manier normalement ?…

Effet du prânâyâmah sur la concentration

C’est Pâtagndjali le premier qui nous explique les effets du prânayamah sur la concentration. « Par là est atténué le voile qui recouvre la lumière du citta » (tatahkstyate prakâçâvaranam) [70].

Nous voici arrivés à ce point tant cherché par les yoguins : augmenter le sattva et renforcer le radjas. Nous savons déjà que par sa propre nature le citta possède toute connaissance puisqu’il est fait de parcelles de sattva. Des particules de radjas et de tamas le recouvrent. Le prânâydmah fait disparaître ce revêtement. C’est alors seulement que l’esprit peut se concentrer. « Et le manas devient apte à dhâranâ » (dhâranâsou ca yogyatâ manasah) [71].

Cinquième moyen médiat : pratyâhârah

Nous atteignons ainsi le cinquième et dernier membre du groupe des moyens médiats : le pratyâhârah. C’est la rétraction des fonctions sensorielles.

Quand les sens externes se détachent de leurs objets propres, ils se résorbent pour ainsi dire dans la matière pensante, se conforment à son mode de vibrer, passent progressivement sous son entière maîtrise.

« La rétraction sur eux-mêmes des organes se produit parce qu’ils abandonnent leurs objets propres et prennent la forme du citta » (sva – sva – visay – âsamprayoge – citta -svaroûpânoukâra – iv = êndriyânâm pratyâhârah) [72].

Cette autre définition n’est pas moins significative : « Le pratyâhârah est connu comme une puissante abstraction des sens errant sur leurs objets » (Indriyânâm vicaratam visayesou bâlâdâhâranam tebhyah pratyâhârah vidîyate) [73].

D’autre part — nous l’avons appris — pour les yoguins, les organes sont des états différenciés du citta. Je vois un crayon. Sa forme n’est pas dans le crayon. Elle est dans mon esprit. Il existe un phénomène extérieur qui éveille cette forme chez moi. La forme réelle est dans le citta. Voilà qui ressemble fort à l’eidos de Platon. Mais les organes — et nous savons qu’aux Indes c’est la définition même de comprendre — « prennent la forme » de tout ce qu’ils rencontrent. Pour que l’esprit demeure calme, il faut coûte que coûte empêcher ce mimétisme. C’est cela, le pratyâhârah, cet arrêt des oscillations synchrones avec les objets extérieurs.

Son bénéfice est dhairya, la fermeté, la persévérance. Selon le Gheranda Samhita, le pratyâhârah détruit les six péchés capitaux : kama (désir, luxure), krodha (la colère), lobha (avarice, cupidité), moha (ignorance ou illusion), mada (orgueil), mâtsaryya (envie) [74].

Pour achever ce processus, il convient d’ailleurs que l’organe subtil se maîtrise lui-même. Alors seulement son empire sur les sens est total. L’unisson à son propre régime devient spontané et non plus contraint.

C’est dans cet esprit que Pâtagndjali conclut la deuxième partie des Yoga soutras : « De là la maîtrise suprême des organes » (tatah paramâ vaçyat — êndriyânâm) [75].

Lorsque le yoguin a réussi à empêcher les organes de s’identifier aux objets extérieurs, lorsque les indriyas ne font qu’un avec son citta, il arrive à cette maîtrise suprême. Par ces centres subtils de toute sensation et de toute action, il contrôle aussi tous les nerfs et tous les muscles. Le yoguin est enfin le roi de son corps. Maintenant il pourra commencer le grand œuvre.

Les trois moyens immédiats

Avec les trois moyens immédiats, nous arrivons aux techniques purement psychologiques. Ce sont les plus intéressantes à la fois pour la science et pour la mystique. Ici chaque école a son secret et ses nuances. J’essaierai d’en dégager les lignes générales. Tous les exercices que je donnerai dans le chapitre II porteront essentiellement sur dhâranâ (concentration), dhyâna (méditation) et les diverses espèces de samadhih (extase).

Il s’agit à présent de centrer la conscience au-delà de son activité. Sur ce point Pâtagndjali expose très clairement sa doctrine :

Dhâranâ, la concentration

« Dhâranâ, c’est la fixation de l’activité mentale sur un objet particulier. (deça – bhandhaç cittasya dhârana) [76] »

Vivekânanda conseille d’accompagner le dhâranâ d’un peu d’imagination.

Dhyâna, la méditation

Qu’on circonscrive la fixation de l’esprit à un seul point et qu’on fasse de ce point la base, il s’élève une espèce particulière de vrittis. Elles ne sont pas emportées par d’autres vrittis… Au contraire : peu à peu elles occupent le premier plan, tandis que toutes les autres reculent et s’évanouissent. Ensuite la multiplicité de ces vagues fait place à l’unité. Il ne reste plus qu’une seule vritti. C’est dhyâna, la méditation : un recueillement de la pensée par collocation dans ce lieu fixé de la représentation de l’objet à contempler, en écartant du courant psychologique toute représentation hétérogène. Le meilleur exemple de dhyâna dans le monde physique est le foyer de l’appareil photographique. Les rayons centrés sur un seul point donnent un « gros plan américain ». « Un flux ininterrompu de connaissance sur cet objet, c’est dhyâna » (tatira pratyay – aikatânatâ dhyânam) [77].

Par dhydna se développe la troisième qualité : pratyaksa (la réalisation). Dans les exercices pratiques du chapitre II, l’apprenti-yoguin trouvera un grand nombre de sujets de dhyâna.

Nâsâgra dristi

Les postures que j’ai déjà décrites, recommandées par les textes tantriques autant que par le vieux Yadjnavalkya, et le moderne Vivekânanda ont dû frapper le lecteur par ce point commun, invariable à travers toutes les différences d’écoles : le nâsdgra dristi. On dirige son regard sur le bout du nez pendant un temps assez long.

C’est la fixation de base, et sans doute la plus connue en Europe, puisque déjà Voltaire, ce bourgeois-type, avec son incompréhension totale de toute métaphysique, et de tout fait religieux, s’en moque au cours de pages fort mal documentées du reste [78].

Cette fixation doit être réalisée très progressivement, très lentement… Elle contrôle les mouvements involontaires et calme le flux du citta. C’est une des meilleures façons d’étendre l’empire de la conscience sur les réflexes. Dès qu’on tient la direction des deux nerfs optiques, on fait un grand pas vers l’arc de réaction et ainsi vers la maîtrise de la volonté totale.

Samadhîh ou l’extase

Le jour où aucune base n’est plus nécessaire, où l’esprit tout entier est devenu une vague, une unité de forme, on est en samadhih. Dépouillée de tout support donné par des lieux, des organes ou des cakras, seule la pensée est présente. Si l’esprit peut être fixé sur un centre pendant douze secondes, c’est un dhâranâ. Douze dhâranâs forment un dhyâna. Douze dhyânas égalent un samâdhih.

« Quand ce dhyâna, rejetant toutes formes, reflète seulement la signification ; c’est samâdhih » (tad ev = ârtha – mâtra – nirbhâsam svaroûpa – çoûnyam iva samâdhih) [79].

Voici l’exemple de Vivekânanda qui éclaire pour nous cette définition :

« Supposez que je médite sur un livre et que j’arrive progressivement à concentrer mon esprit sur lui et à ne percevoir que les sensations intérieures, la signification non exprimée par aucune forme, je serai dans l’état de dhyâna appelé samâdhih. Le livre a disparu. Seule sa signification reste. » [80]

Par le samddhih on arrive à nirliptatva (détachement) et à moukti (délivrance). C’est un processus d’intense concentration mentale qui libère du samkalpa (attachement au monde) et de tout sentiment du moi (mamatâ). Par-là, il mène à l’union du djiva avec le Parâtman [81].

Samyamah

Quand on peut diriger son esprit sur un objet, l’y fixer et l’y maintenir longtemps en dissociant l’objet de la partie intérieure, c’est samyamah, c’est-à-dire dhâranâ, dhyâna et samadhih réunis en un.

« Ces trois pratiqués sur un même objet, c’est samyamah » (trayam ekatra samyamah). Par la conquête de ce samyamah survient la lumière de la connaissance (tadj -djayât – pradjgn – âlokah) [82].

Les yoguins classent les objets de la connaissance en grossiers (sthoûla), très grossiers, extrêmement grossiers, subtils (soûksma), très subtils, extrêmement subtils (djyotih) [83] et ils passent progressivement de l’extrêmement grossier à l’extrêmement subtil. Néanmoins Pâtagndjali nous prévient : N’allons pas trop vite ! « cela doit être effectué par degrés (tasya bhoûmisou – viniyogah) [84].

Quand un yoguin a conquis le samyamah, il parvient à l’omniscience et à l’omnipotence. Ce n’est pas encore le salut ! « Ces trois facteurs sont plus intérieurs que les précédents » (trayam antarangam pourvebhya). « Mais même ces trois sont extérieurs relativement au samadhih sans semence » (tad api bahirangam nirbîdjasya) [85].

Les fameux pouvoirs Quand les semences sont frites

En effet, ces trois facteurs ne rendent pas l’esprit nirvikalpa (immuable). La possibilité de produire de nouvelles plantes subsiste. Ces fameux pouvoirs (siddhis) dont parle Pâtagndjali [86] (connaissance du passé et de l’avenir, langage des animaux, invisibilité, vigueur de l’éléphant, connaissances des mondes et des étoiles, cessation de la faim, clairvoyance, lévitation, ubiquité, marche sur les flots), tous ces pouvoirs donnent des semences d’où naîtront des corps nouveaux. C’est seulement quand les semences ont été «frites » qu’elles perdent la faculté d’engendrer des vies. Les « pouvoirs » ne peuvent pas les «frire ». Nous sommes arrivés ici non au samâdhih sans semence (asampradjnâta) qui est le plus élevé, mais à un stade moins avancé, où notre univers existe encore.

Vidage

La discipline intérieure débute donc par un procédé monoïdéistique avec la fixation de l’activité mentale sur un objet matériel d’abord. Le yoguin se concentrera ensuite sur un lieu quasi inétendu. Il passera à la méditation avec forme (sagouna) qui emploie encore le support d’une image mentale. Et il aboutira au nirgouna ou la méditation sans forme.

Il s’agit en somme d’effectuer un vidage préalable de la conscience, encombrée de fluctuations grossières pour libérer ses énergies intuitives. Elles se fixeront alors sur un objet d’ordre transcendant, manifesté désormais là où la pensée s’immobilise.

Avec toute la différence qui existe entre l’ordre naturel et surnaturel, c’est la préfigure indienne de la « nuit obscure des sens ». Il y a beaucoup de points communs entre cette mystique naturelle des yoguins et l’inspiration sanjuaniste.

De même que les âmes doivent être lavées dans le purgatoire avant d’être admises à posséder Dieu dans le ciel, ainsi les privilégiés appelés ici-bas à cette possession anticipée du Souverain Bien doivent passer d’abord par un purgatoire spirituel. Ce purgatoire est pour Saint Jean de la Croix la nuit obscure des sens :

« Si une âme, dit-il, prétend gravir la montagne mystique et y faire de soi-même un autel où elle offre à Dieu un sacrifice d’amour pur, de louange et d’honneur, elle doit auparavant avoir banni de son sein les dieux étrangers, c’est-à-dire les passions et les attaches du dehors. Elle doit être purifiée du levain de ses appétits déréglés, en leur résistant et en faisant pénitence. » [87]

Et d’autre part, ces opérations produisent dans cette âme des effets comparables à ceux que la nuit produit dans la nature.

« Lorsque survient la nuit naturelle, la lumière disparaît à nos yeux, et, avec elle, tous les objets qu’elle éclairait et qui semblent nous échapper tout à coup. C’est une privation du même genre que le purgatoire mystique fait éprouver aux passions, plongées dans une sorte de nuit, qui leur fait perdre la vue, la jouissance de tout ce qu’elles recherchaient, de tout ce dont elles se repaissaient, de tout ce qui faisait pour elles le charme et la lumière de la vie » [88].

Toutefois, ces renoncements, ce dépouillement ne sont point sans compensation pour l’âme qui répond à l’appel du Seigneur. Son état est moins un état de privation que d’affranchissement. De là, ce bonheur qu’elle chante avec tant d’allégresse. Ces passions qu’elle a mises sous le jour la tyrannisaient. Saint Jean de la Croix la compare à un esclave, tout heureux de se soustraire à la servitude, sans que personne l’aperçoive et puisse s’opposer à sa fuite.

« La maison est tranquille, dit-il, tout y repose dans le silence de la nuit. Les passions, mortifiées et assoupies, ne peuvent plus retenir captive cette âme qui s’échappe de la prison des sens et se livre en toute liberté aux opérations de l’esprit et aux mouvements de la grâce. » [89]

Cependant, cette âme est loin d’avoir fait le dernier pas dans la voie qui conduit à l’union divine. A la nuit des sens doit succéder la nuit de l’esprit. Ce ne sont pas seulement les passions grossières qu’il s’agit de plonger dans la nuit mystique. C’est aussi l’intelligence, la mémoire et l’imagination et enfin la volonté.

Ainsi pour le grand saint espagnol, l’entendement apparaît comme le manas des sâmkhyas, le premier des sens subtils.

Dans le samâdhih indien, la concentration parfaite de la pensée se fait par absorption dans l’intention objective. Une deuxième fois la conscience subjective se vide. Mais cette fois elle se vide du soi. Le dualisme de la connaissance et de l’objet connu disparaissent. C’est l’acheminement vers la nuit obscure de l’âme.

M. Olivier Lacombe [90] note avec raison que cette méthode d’absorption dans l’objet semble au prime abord tourner le dos à la loi d’introversion mystique. Serait-elle en désaccord avec la fin poursuivie qui est de retrouver le sujet pur ?

Il n’en est rien. Nous savons par Pâtagndjali lui-même que ce samâdhih n’est encore qu’un moyen et qu’il ne faut pas le confondre avec le samâdhih terminal, le samâdhih sans connaissance d’objet et sans semence. C’est le sujet psychologique, non le sujet spirituel qui se vide de lui-même et s’évanouit dans l’objet par ajustement (samâpatti) du connaissant au connu.

Cette ascension qui va des objets empiriques les plus grossiers aux objets transcendants en passant par mille degrés, entraînera la pensée à se raffiner au maximum. Mais cette dialectique tend tout de même à libérer la conscience spirituelle qui s’actualise dans le samâdhih sans semence.

Les pouvoirs aussi sont des tentations

Cette connaissance objective devient progressivement omniscience intuitive. A chaque étape, elle s’accompagne — nous l’avons vu — de pouvoirs proportionnés. Ces pouvoirs, il ne faut ni les sous-estimer ni les surestimer. « Ce sont des obstacles à samâdhih. Mais dans l’état mondain ils demeurent des pouvoirs » (te samâdhâv oupasargâ, vyoutthâne siddhayah) [91].

Les sous-estimer ? Pourquoi mépriser des facultés bienfaisantes ?… S’y attacher, ce serait perdre de vue le but, ce serait s’arrêter sur la voie du salut. Ici, s’arrêter équivaut à reculer. C’est donc perdre le bénéfice de ses efforts et de ses mérites.

Aussi Pâtagndjali prévient-il ses disciples : « Le yoguin ne doit pas se sentir attiré ou flatté par les avances que peuvent lui faire des êtres célestes. Car il doit craindre de retomber dans le mal. » (Sthâny – oupanimantrane sanga – samy – âkaranam pounar – anista prasangât) [92].

L’ange aussi est une tentation… Et peut-être même le paradis et la félicité… Sainte Thérèse ne priait-elle pas le Seigneur de la débarrasser de ses visions béatifiques ? Et saint Jean de la Croix n’avait-il pas renoncé même aux biens surnaturels ? « L’attache aux biens surnaturels rend l’union divine aussi impossible que l’attache aux biens naturels. »

Et cette image :

« Peu importe, ajoute-t-il dans une de ces comparaisons où il se complaît, que le fil qu’on attache à la patte de l’oiseau soit épais ou menu, puisque, dans un cas comme dans l’autre, il l’empêche de s’envoler. De même, il est indifférent qu’une imperfection soit grande ou petite : quelle qu’elle soit, elle empêche l’âme de voler à la perfection et de s’élever à l’union divine. » [93]

Tout au long de La montée du Carmel, saint Jean de la Croix insiste sur le risque de s’oublier dans la jouissance des faveurs surnaturelles et de perdre de vue ses devoirs d’état. N’en vient-on pas forcément à se rechercher soi-même au lieu de Dieu dans ces communications avec lui et à tomber sous le coup de cette menace ?

« Au jour du Jugement, on verra le Seigneur punir des âmes qu’Il avait honorées ici-bas de ses entretiens familiers et favorisées de ses dons et de ses lumières. Trop confiantes dans leurs rapports habituels avec Dieu, elles ont négligé les devoirs de leur état et encourront ainsi ses justes reproches. » [94]

Tout comme nos plus grands saints, tout comme le méthodique Pâtagndjali, ainsi Ramakrishna considère que les pouvoirs surnaturels sont un obstacle à sadhâna : « Le Seigneur Çri Krisna a dit à Ardjouna : « Si tu possèdes, ne fût-ce qu’un seul des huit pouvoirs supranormaux (siddhis) [95] tu ne M’atteindras jamais dans Ma plus haute et Ma plus pure expression. L’adorateur fidèle ne doit donc désirer aucun de ces pouvoirs. » [96]

Et cette autre parabole de Ramakrishna :

« Un homme eut un soudain accès de renoncement. Il dit à ses amis que le monde avait cessé d’avoir aucun attrait pour lui et qu’il désirait se retirer aussitôt dans la solitude pour méditer sur Dieu. Ses amis donnèrent leur assentiment à un si louable projet. Ainsi, il quitta sa maison, et, ayant atteint un lieu solitaire, passa douze années en d’austères pratiques religieuses. Ayant de cette manière acquis quelques pouvoirs surnaturels, il rentra chez lui. Ses amis furent très heureux de le revoir après une si longue absence, et, dans le cours de la conversation, ils lui demandèrent quelle sagesse il avait acquise durant sa longue retraite. Il sourit et, s’avançant vers un éléphant qui passait près d’eux, il toucha son corps en disant ces mots : « Meurs instantanément, éléphant ! » Instantanément, l’animal cessa de donner signe de vie. Peu après, il toucha de nouveau l’éléphant et prononça ces mots : « Sois vivant, éléphant ! ». Et aussitôt l’animal retrouva la vie. Il alla ensuite sur la berge de la rivière qui coulait près de sa maison et ayant répété quelques mantras il traversa la rivière en marchant sur l’eau et revint de même. Ses amis furent très impressionnés par ces démonstrations. Cependant ils ne purent s’empêcher de lui dire : « Frère, ta retraite a été inutile. Quel intérêt cela a-t-il pour toi que l’éléphant vive ou meure ? Et quant à traverser la rivière, ce que tu accomplis après douze ans de dur travail, nous le faisons, nous, en donnant un sou au passeur. Ainsi, tu vois que tu as simplement perdu ton temps. » Ces commentaires sarcastiques le firent réfléchir et il se demanda « Au fond, quel avantage ai-je retiré de mes pouvoirs surnaturels ? » Sur ces mots, il quitta sur-le-champ sa maison — cette fois pour chercher Dieu dans d’austères exercices religieux. » [97]

Alors, à quoi servent-ils, ces pouvoirs ? Patagndjali nous répond qu’ils sont un moyen de contrôler le degré du progrès spirituel. Et aussi un encouragement en quelque sorte. L’ascète sait avec certitude où il en est sur la voie du salut. Encouragement, oui. Garantie, non. Puisque tant que le samâdhih sans semence n’est pas atteint, la régression demeure possible.

Aussi bien, et M. Lacombe l’a souligné, le Radja yoga n’est-il pas, même dans ses moments les plus spéculatifs, une connaissance pour la connaissance, mais une connaissance discriminative, ordonnée à discerner de façon de plus en plus profonde, de plus en plus absolue, ce qui est l’esprit et ce qui ne l’est pas.

« Par samyamah sur une partie du temps, sur ce qui précède et ce qui suit, survient la discrimination » (ksana – tat – kramayoh samyamâd vivekadjam djgnânam). « Les choses qui ne peuvent pas se différencier par l’espèce, le signe ou le lieu, peuvent du moins être discriminées par le samyamâh ci-dessus » (djâti – laksana – deçair anyat – ânavacchedât toulyatos tatah pratipattih). « La connaissance libératrice est cette connaissance de discrimination qui s’étend simultanément à tous les objets dans toutes leurs variations. » (Târakam sarva – visayam – sarvathâ – visayam akramam c = êti vivekadjam djgnânam). « Par la similitude de pureté entre sattva et le Pourousa survient kaïvalya » (sattva – pourousayoh çouddhi – sâmye kaivalyamiti) [98].

Kaivalya = nuit obscure le l’âme ?

L’âme sait maintenant qu’elle ne dépend de rien dans le monde phénoménal, pas plus des dieux que des atomes. Alors survient le kaivalya (isolement) et la perfection.

« On y arrive, dit Vivekânanda, quand ce mélange de pureté et d’impureté appelé sattva a été rendu aussi pur que Pourousa lui-même. Alors le sattva ne reflète que l’essence absolue (sans attributs) de la pureté qui est le Pourousa » [99]

L’âme atteint ce que Pâtagndjali appelle « le comble du non-attachement (vairâgya) « celui qui rejette jusqu’aux qualités et qui vient de la connaissance de la nature réelle du Pourousa » (tat-param pourousa – khyâter gouna vaitrhsnyam) [100].

Différents samâdhihs

Voici les diverses sortes de samadhih qui y mènent :

Sampradjnâta samâdhih

I. Le sampradjnâta samâdhih qui se subdivise en vitarkâ samâdhih sur les éléments grossiers, avec ses deux variantes le savitarkâ samâdhih et le nirvitarkâ samâdhih.

Dans les vingt-cinq tattvas du sâmkhya, il y a deux séries d’objets de méditation : les vingt-quatre catégories non perceptives de la nature et le Pourousa, perceptif unique. La méditation qui porte sur les éléments physiques extérieurs est appelée savitarkâ (vitarkâ signifie question. Savitarkâ = avec question. Nivitarkâ = sans question). Le yoguin interroge les éléments pour qu’ils lui livrent leurs vérités et leur puissance.

« Son, signification et connaissance qui s’ensuit étant mêlés, c’est ce qu’on appelle samadhih-avec-question» (tatra çabdo – ârtha – djgnâna – vikalpaih samkîrnâ savitarkâ samâpattih) [101].

Dans les méditations avec question, nous conservons le dualisme du sujet et de l’objet qui résulte du mélange des mots, de la signification et de la connaissance. Vibration extérieure du son, c’est le mot. Portée à l’intérieur, elle devient signification. Alors se produit une réaction : la vague dans le citta, c’est la connaissance. En réalité, la connaissance est formée de ces trois éléments : son, signification, réaction dans le citta.

Quand je pousse mon exercice plus loin, quand j’essaie de dégager les divers éléments du temps et de l’espace, de penser à eux tels qu’ils sont, je commence le nirvitarkâ samâdhih. En méditant profondément sur ces trois objets, j’atteins l’état où ils ne se mélangent plus.

« Le samâdhih appelé sans question survient quand la mémoire est purifiée ou vidée des qualités exprimant seulement la signification de l’objet médité » (smriti – pariçouddhau – svaroûpa – çoûnye v = ârtha – mâtra – nirbhâsâ nirvitarkâ) [102]

Savicâra et nirvicâra samâdhih

2. La méditation fait un pas de plus. Je prends pour objet les tanmatras. Je les imagine dans le temps et dans l’espace. Cela s’appelle savicâra (avec discrimination). Mais quand je pense à ces éléments subtils comme le ding-an-sich, en dehors du temps et de l’espace, c’est le samâdhih nirvicâra (sans discrimination).

« De cette manière, les concentrations avec discrimination et sans discrimination dont les objets sont plus subtils sont aussi expliquées » (etay = aîva savicâra nirvicârâ ca soûksma – visayâ vyâkhyâtâ) [103].

Ananda samâdhih

3. A l’échelon suivant, le yoguin fait abstraction des éléments physiques ou subtils. Il engage la méditation sur l’organe intérieur, l’organe pensant. Il se le représente privé à la fois d’activité et d’inertie. Tel est l’ânanda samâdhih (bienheureux samâdhih) .

Asmita samadhih

4. Enfin l’esprit lui-même devient l’objet de la méditation. Le yoguin renonce à tout concept des éléments physiques ou subtils. Seul subsiste le sattva du moi, différencié néanmoins de tous les autres objets. C’est l’asmita samâdhih. Les védas désignent cet état supérieur comme « dépouillé du corps ».

Samâdhih sans semence

6. Et le yoguin aboutit au samâdhih sans semence. « Il y a un autre samâdhih qui est atteint par la pratique constante de cessation de toute activité et dans lequel le citta retient seulement les impressions non manifestées»

(virâma – pratyay – âbhyâsa – poûrvah samskâra çeso nyah) [104].

Voici l’excellent commentaire de Vivekânanda :

« C’est le parfait asampradjnâta samâdhih, supra-conscient, l’état qui nous donne la liberté. Le premier état de samâdhih ne nous la donne pas. Il ne libère pas l’âme. Un homme peut fort bien acquérir tous les pouvoirs, et pourtant retomber. L’homme n’est pas à l’abri d’une chute nouvelle tant que l’âme n’est pas arrivée au-delà de la nature. La méthode pour y arriver paraît simple, mais il est très difficile de réussir. La méthode consiste à méditer sur l’esprit lui-même et à abattre toute pensée qui se présente. Il ne faut laisser aucune pensée pénétrer dans l’esprit. Il faut que l’esprit devienne un vide absolu. Quand nous pourrons arriver à ce résultat, nous aurons dès cet instant atteint la libération. Lorsque des hommes sans préparation et sans entraînement essaient de faire le vide dans leur esprit, ils ont de grandes chances de réussir uniquement à se recouvrir de tamas. Celui-ci, qui est la matière dont est faite l’ignorance, rend l’esprit lourd et stupide et nous fait croire qu’il y fait le vide. C’est lorsqu’on arrive à faire le vide qu’on manifeste la plus grande force, la maîtrise la plus haute. Lorsqu’on arrive à cet état de supra-conscience, d’asampradjnâta, le samâdhih devient « sans semence ». Qu’entend-on par-là ? Dans une concentration où subsiste la conscience, où l’esprit réussit uniquement à faire retomber les vagues qui s’élèvent dans le citta et à les empêcher de s’élever de nouveau, les vagues subsistent sous la forme de tendances. Ces tendances (ou semences) redeviennent des vagues le moment venu. Mais lorsque vous avez détruit toutes ces tendances, lorsque vous avez presque détruit l’esprit, alors le samâdhih devient « sans semence ». Il ne reste plus dans l’esprit de semences qu’on puisse faire germer et produire à nouveau cette plante qu’est la vie, cette ronde éternelle des morts et des naissances.

Vous pouvez donc demander ce que serait cet état, dans lequel il n’y aurait ni esprit, ni connaissance. Ce que nous appelons connaissance est un état inférieur à celui qui est au-delà de la connaissance. Il faut toujours se souvenir que les extrêmes se ressemblent beaucoup. Une vibration lente de l’éther donne l’obscurité, une vibration plus rapide constitue la lumière et une vibration beaucoup plus rapide encore donne de nouveau l’obscurité [105]. De même, l’ignorance est l’état inférieur, la connaissance est l’état moyen, et c’est au-delà de la connaissance que se trouve l’état supérieur. Les deux extrêmes paraissent ne faire qu’un. Quant à la connaissance, elle est une chose créée, une combinaison, elle n’est pas la réalité. » [106]

Ainsi par un double vidage de la conscience, le yoguin prépare l’enrichissement du contenu et l’élévation du niveau psychique.

Mais, d’autre part, cet enrichissement même doit comme tel se renoncer pour tout ce qu’il comporte encore de différenciation, de relativité et pour le lien qu’il implique avec la matière. Au terme, l’isolement spirituel est à la fois toute perfection et tout dépouillement : perfection indifférenciée, apaisée, stabilisée, dépouillement du divers, du changeant, de toute richesse adventice.

Le Radja yoga a donc fouillé les complexités de la conscience psychologique pour atteindre la ligne de partage des eaux métaphysiques.


[1] R. P. A. GARDEIL, La structure de l’âme et l’expérience mystique.

[2] Olivier LACOMBE, Sur le yoga indien. Illuminations et sécheresses. Etudes carmélitaines. Desclée de Brower, Paris, octobre 1937.

[3] Swami VIVEKANANDA, Le Radja Yoga (traduction Jean Herbert). Edité chez Maisonneuve, Paris, 1934.

[4] Pâtagndjalam yoga-soûtram (Partie I, aphorisme 2).

[5] Ibid (Partie I, aphorisme 3).

[6] Le moi essentiel, le Soi.

[7] La nature naturée. Cf. la discussion des définitions de Pourousa et de Prakriti dans ma Métaphysique des yogas.

[8] Samskara provient de kâra, « qui fait », « travail » et du préfixe augmentatif : interne, sous-jacent.

[9] Swami VIVEKANANDA, loc. cit.

[10] Pâtagndjalam Yoga soûtram. Partie II, aphorisme 10.

[11] Ibid. Partie I, aphorismes 5, 6 et 7.

[12] Vide, La Métaphysique des Yogas.

[13] Swami VIVEKANANDA, loc. cit.

[14] Pâtagndjalam yoga-soûtram. Partie I, aphorismes 8 et 9.

[15] Cf. ma Métaphysique des Yogas.

[16] Ibid. Partie I, aphorisme 10.

[17] Ibid. Partie I, aphorisme 2.

[18] Ibid. Partie II, aphorisme 3.

[19] Ibid. Partie II, aphorisme 4.

[20] Ibid. Partie II, aphorisme 5.

[21] Ibid. Partie II, aphorisme 6.

[22] Ibid., partie II, aphorismes 7, 8, 9.

[23] Ibid., partie II, aphorisme 12.

[24] Ibid., partie II, aphorisme 13.

[25] Ibid., partie II, aphorisme 15.

[26] Ibid., partie I, aphorismes 30 et 31.

[27] Mahânirvâna Tantra, chapitre VII, vers 94.

[28] Pâtagndjalam yoga-soûtram, partie II, aphorisme 27.

[29] Dois-je souligner le sens purement métaphysique de ce moi qu’il ne faut pas confondre avec le moi égoïste ?

[30] Ibid., partie I, aphorisme 29.

[31] Ibid., partie II, aphorisme 30.

[32] Par svâdhyâya (mal traduit à travers étude). Pâtagndjali entend la récitation des mantras.

[33] Ibid., partie II, aphorisme 32.

[34] Ibid., partie II, aphorismes 33 et 34.

[35] Charles BAUDOUIN, Suggestion et autosuggestion.

[36] Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, annotés par le R. P. Roothan, général de la Compagnie de Jésus, traduits par le R. P. Jennesseaux, S. J. (de Gigord, Paris, 1933) (Maximes de saint Ignace).

[37] Cf. ma Métaphysique des Yogas, chapitre IV.

[38] 4 Pâtagndjalam yoga-soûtram, partie II, aphorisme 40.

[39] Ibid., partie II, aphorismes 41 et 42.

[40] Cf. ma Métaphysique des Yogas, chapitre VII.

[41] Chez les catholiques aussi d’ailleurs. C’est à tort qu’on a considéré le christianisme comme une religion triste. Jésus n’a-t-il pas dit : « Quand tu jeûnes, oins ta tête et lave ta figure afin que les hommes ne te voient pas jeûner, mais seulement ton Père qui est dans le secret. » Saint Mathieu, chapitres VI, V, 17.

[42] Nouvelle rencontre, qui ne sera pas la dernière. Saint Ignace de Loyola (ouvrage cité, p. 83) recommande aussi « d’arriver à une juste mesure » dans le sommeil et dans le jeûne.

[43] Patandjalam yoga-soutram, partie II, aphorisme 43.

[44] Ibid., partie II, aphorisme 45.

[45] Ibid., section II, aphorisme 46.

[46] Samkhya-soutras, livre VI, aphorisme 24.

[47] Saint Ignace de Loyola, loc. cit. « Des trois manières de prier », p. 257.

[48] Ibid., page 8i.

[49] Ibid., page 262.

[50] Gheranda Samhitâ (Deuxième Oupadesha), cf. Çiva Samhitâ (chapitre III, vers 84-90 qui mentionne quatre-vingt-quatre postures, mais n’en recommande que quatre : siddhâsana, oûgrâsana, svastikâsana, padmâsana.

[51] Shvetashvatara Oupanishad, chapitre II, 8.

[52] Swami VIVEKANANDA, loc. cit.

[53] Patandjalam yoga-soutram, section II, aphorisme 47.

[54] Ibid., section II, aphorisme 48.

[55] Ibid., partie II, aphorisme 49.

[56] Ibid, section II, aphorisme 50.

[57] Métaphysique des Yogas, chapitre V.

[58] En réalité, le yoguin ne se règle pas sur l’horloge, mais sur son propre battement de cœur comme nous le verrons. La seconde dont il s’agit ici est subjective.

[59] Swami VIVEKANANDA, loc. cit.

[60] Swami VIVEKANANDA, Six lessons on Raja yoga pages 17 et 18.

[61] Rig Veda samhitâ III, 62, 10. J’ai donné l’analyse détaillée du mantra gayatri dans la Métaphysique des Yogas, chapitre VII. pp. 243 et suivantes.

[62] Saint Ignace de LOYOLA, loc. cit., p. 265.

[63] Victor POUCEL, loc. cit. et aussi dans « Pour que votre âme respire » (l’Art catholique, Paris).

[64] SWAMI VIVEKANANDA, Le Radja yoga, traduction Jean Herbert.

[65] Svetasvatara Oupanisad (II, 13) (Maisonneuve, Paris).

[66] Pâtagndajalam yoga-soutram, livre II, aphorisme 51.

[67] Bîdja signifie littéralement « semence », « germe ». C’est un mot ou une lettre syllabique sanskrite qu’on répète dans certaines méditations. Nous en reparlerons d’une manière détaillée dans le chapitre des cakras.

[68] Swami VIVEKANANDA, loc. cit.

[69] Ibid.

[70] Pâtagndjalam yoga-soûtram, partie II, aphorisme 52.

[71] Partie II, aphorisme 53.

[72] Ibid., partie II, aphorisme 54.

[73] Saradatilika.

[74] Gheranda samhita (4o oupadesa). On remarquera que dans cette liste seule manque la gourmandise et que l’Indien a les mêmes péchés capitaux que la théologie catholique. Moha, traduit par ignorance ou illusion, correspond à notre paresse. L’Eglise s’est expliquée depuis longtemps à ce sujet. Il s’agit de paresse mentale, c’est-à-dire du refus de connaître, et non de paresse physique. J’ai donné dans mon livre de pédagogie Savoir être maman (Edit. Montaigne, Paris, 1940) l’idée générale qui reliait entre eux tous ces péchés capitaux. Ce sont des péchés contre nous-mêmes.

[75] Pâtagndjalam yoga-soûtram, partie II, aphorisme 55.

[76] Ibid., partie III, aphorisme I.

[77] Ibid., partie III, aphorisme II.

[78] VOLTAIRE, Lettre d’un Turc sur les fakirs à son ami Bababec.

[79] Pâtagndjalam yoga-soûtram, partie II, aphorisme 3.

[80] Swami VIVEKANANDA, loc. cit.

[81] Cf. Sâlcakranougnpa. Commentaire sur le vers 51.

[82] Pâtagndjalam yoga soûtram, partie III, aphorismes 4 et 5.

[83] Gheranda samhita (6e Oupadesa). Cf. Bhâskarâraya dans Lalita (vers 2), dit que trois forces de la devi participent à la fois aux aspects prakâça et vimarsa, notamment la physique (sthoûla) la subtile (souksma) et la suprême (para) . La forme physique a un corps, des mains, des pieds, etc. La forme subtile est composée de mantras et la forme suprême de vâsanâs, le proprement réel.

[84] Pâtagndjalam yoga-soûtram, partie III, aphorisme 6.

[85] Ibid., partie III, aphorismes 7 et 8.

[86] Ibid., partie III, aphorismes 16, 17, 19, 21, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 34, 37.

[87] Saint Jean de la Croix, La montée du Carmel, livre I, chapitre 5.

[88] La montée du Carmel, livre I, chapitre 3.

[89] La montée du Carmel, livre I, chapitre 15.

[90] Olivier LACOMBE, loc. cit.

[91] Pâtangndjalam yoga-soûtram, partie III, aphorisme 38.

[92] Ibid., partie III, aphorisme 52.

[93] Saint Jean de la CROIX, La montée du Carmel, livre I, chapitre II, cf. aussi Le Père Ludovic de Bresse, Eclaircissements mystiques de saint Jean de la Croix, p. 39.

[94] Saint Jean de la CROIX, La montée du Carmel, livre II, chapitre 22.

[95] Ces huit siddhis sont : Le yoguin peut se rendre aussi petit qu’un poussin, aussi gros qu’une montagne, aussi lourd que la terre, aussi léger que l’air. Il peut atteindre tout ce qu’il veut, conquérir, gouverner tout ce qu’il veut, un lion se couchera à ses pieds comme un agneau. Tous ses désirs seront exaucés.

[96] Shri RAMAKRISHNA, Les paroles du Maître recueillies par Swami Brahmanda, traduction de Marie Honegger. Durand. Kumar Roy et Jean Herbert (Maisonneuve, Paris), chapitre XV, 26.

[97] Ibid.

[98] Pâtagndjalam yoga-soûtram, partie III, aphorismes 53, 54, 55, 56.

[99] Swami VIVEKANANDA, loc. cit.

[100] Pâtagnjalam yoga-soûtram, partie I, aphorisme 16.

[101] Ibid., livre I, aphorisme 42.

[102] Ibid., partie I, aphorisme 43.

[103] Ibid., partie I, aphorisme 44.

[104] Ibid, partie I, aphorisme 18.

[105] C’est l’image même de la nuit sanjuaniste.

[106] Swami VIVEKANANDA, loc. cit.