Jean-Louis Siémons
La Théosophie et les états de conscience après la mort

Une chose paraît certaine : que ce soit en Inde, en Egypte ou en Grèce, les candidats aux Grands Mystères recevaient la révélation tangible des réalités de l’au-delà, étaient entraînés à vivre l’expérience de la mort – en toute conscience. Un passage d’Isis Dévoilée précise même que le sarcophage vide, trouvé au cœur de la Grande Pyramide, a servi aux épreuves de l’Initiation suprême, pendant lesquelles le corps du néophyte (longuement préparé par une discipline rigoureuse) gisait sans vie, en attendant son réveil « au troisième jour » et la résurrection de l’Ame victorieuse du Royaume des Ténèbres.

(Revue Psi International. No 8. Janvier-Février-Mars 1979)

Première partie

Que nous réserve l’au-delà ? Des hommes possèdent-ils déjà une science complète de la mort ? Dans le texte que nous publions ici, à la suite de deux articles sur la Théosophie, parus dans les N° 6 et 7 de PSI INTERNATIONAL, Jean-Louis Siémons analyse, dans l’optique de l’œuvre de Mme Blavatsky, la succession de nos métamorphoses posthumes.
En tenant compte à la fois des exigences de la matière et de l’esprit, cette approche très large nous invite à réfléchir sans crainte à la mort – phase naturelle de repos et d’assimilation avant la réincarnation – mais nous verrons dans sa seconde partie qu’elle fait ressortir les suites tragiques de la mort violente, en donnant des arguments de poids contre le suicide et la peine capitale dont les conséquences retombent aussi sur la société. Quand le corps a perdu ses forces, au terme de la vieillesse ou de la maladie, l’être se sépare de ses membres comme le fruit du manguier… se détache de la branche, et il s’en retourne, par le même chemin, à sa première demeure, qu’il avait quittée pour cette vie.

Et, de même que nobles, officiers, conducteurs de chars et magistrats s’assemblent autour du roi au moment de son départ, de même tous les pouvoirs vitaux s’assemblent autour du Soi à l’heure de la mort où l’homme s’apprête ainsi à expirer.
Quand il gît sans force, et semble tombé dans l’inconscience, tous les pouvoirs l’entourent, et l’être, entraînant avec lui ces éléments de lumière, se retire dans le cœur.
Alors, le foyer central du cœur s’illumine et, dans cette lumière, le Soi s’en va. Quand il quitte ainsi le corps, la vie s’en sépare aussi, et tous les autres pouvoirs l’accompagnent. Le Soi est Conscience, et conscient il s’en va.

BRIHADARANYAKA UPANISHAD (IV, 4 (1,2))

1. QUEL AVENIR POUR L’AME APRES LA MORT ?

Un puzzle bien difficile à reconstituer

On ne peut que se féliciter de la diversité des sujets abordés au VIIe Congrès International d’IMAGO MUNDI à Innsbruck. C’est que le thème choisi est de taille. En l’absence de preuve définitive d’une survivance de la conscience, on ne peut guère qu’accumuler des faits pouvant ultérieurement servir de base à des hypothèses plausibles.

Et puis, même si l’on admet une survivance, comment imaginer l’itinéraire de l’âme après la mort ? Qu’adviendra-t-il d’elle et pourquoi ?

Bien entendu, il existe ici beaucoup de thèses différentes – qui malheureusement semblent souvent s’opposer.

Pour le croyant chrétien, l’âme d’un pécheur doit d’abord, en raison même de ses fautes, passer par un Purgatoire, en attendant son rachat effectif. Cette situation de tourments relatifs – que les vivants peuvent alléger par de pieuses pratiques religieuses – n’est pas du tout évoquée par bon nombre de spirites, qui croient recevoir des messages plus rassurants de leurs parents décédés, coulant dans l’au-delà une existence somme toute enviable.

L’approche d’un psychologue, comme Jung, est toute différente et se fonde sur une connaissance pratique de la psyché humaine : « L’existence psychique – et surtout les images intérieures dont nous nous occupons déjà maintenant – offrent la matière de toutes les spéculations mythiques sur une vie dans l’au-delà et celle-ci, je me la représente comme une marche progressive à travers le monde des images. » [1]

Le parapsychologue, pour sa part, ne manque pas d’apporter d’autres types de contributions, et il faudra bien en tenir compte pour élaborer une théorie générale. L’exploration poussée du champ des pouvoirs psychiques latents dans chaque homme vivant obligera même sans doute à revoir certaines explications simplistes qui donnent une part généreuse à l’intervention « d’esprits » dans nos dialogues avec 1’« invisible ».

Tous ces éléments d’information, d’origines si différentes, sont comme autant de pièces d’un puzzle qu’on ne sait comment raccorder entre elles. Les choses seraient plus faciles si nous avions un schéma directeur, une vue d’ensemble, faute d’une connaissance réelle de l’aventure humaine après la mort.

La Théosophie de Mme Blavatsky – dont nous avons déjà donné dans cette revue quelques aperçus généraux [2] – apporte précisément tout un faisceau d’indications permettant de construire le schéma désiré. Même si le panorama de la vie de l’âme après la mort est présenté comme un ensemble de propositions à examiner librement – sans aucune prétention à traduire toute la vérité sur ces mystères – le chercheur moderne devrait bien se garder de rejeter ces explications comme non scientifiques a priori, parce qu’elles constituent en fait un ensemble de connaissances expérimentales, et de première main.
Nous allons d’abord nous expliquer sur ce point.

Un témoignage de première main : celui de l’Initié

Si nous lisons attentivement le beau texte cité en exergue, extrait d’un des Livres sacrés de l’Inde, nous ne pouvons manquer de nous interroger : l’auteur de ces lignes n’était-il qu’un poète inspiré ? Malgré leur caractère symbolique, les termes employés, avec leur précision suggestive, ne traduisent-ils pas une connaissance détaillée des processus de la mort – une connaissance expérimentale ?

Nous pourrions citer bien d’autres textes de l’Orient, à commencer par le Livre des Morts tibétain – le Bardo Thödol – qui conduisent invariablement le lecteur à se poser la même question.

En définitive, les anciens sages ont-ils inventé toutes ces descriptions, échafaudé tous ces mythes de la mort, en exhumant d’un inconscient collectif les images qui les sous-tendent ?
La réponse est donnée par Mme Blavatsky dans la Doctrine Secrète :

Les mystères de la Vie et de la Mort furent réellement explorés par les grands maîtres de l’esprit de l’antiquité ; et s’ils ont été préservés dans le secret et le silence, c’est parce que ces problèmes faisaient partie des mystères sacrés.

De nombreuses précisions se trouvent encore dans cette œuvre et d’autres écrits, sur le thème de l’Initiation, qui peut former à lui seul le sujet d’une étude approfondie.

Une chose paraît certaine : que ce soit en Inde, en Egypte ou en Grèce, les candidats aux Grands Mystères recevaient la révélation tangible des réalités de l’au-delà, étaient entraînés à vivre l’expérience de la mort – en toute conscience. Un passage d’Isis Dévoilée précise même que le sarcophage vide, trouvé au cœur de la Grande Pyramide, a servi aux épreuves de l’Initiation suprême, pendant lesquelles le corps du néophyte (longuement préparé par une discipline rigoureuse) gisait sans vie, en attendant son réveil « au troisième jour » et la résurrection de l’Ame victorieuse du Royaume des Ténèbres.

Pour la Théosophie, l’Initié n’était pas un médium, ni un visionnaire passif, mais un maître accompli possédant, comme nous l’avons suggéré, une connaissance expérimentale et de première main.

Pendant de longs siècles, cette connaissance a été voilée au public. Notre époque de réveil scientifique est-elle plus favorisée, et des Maîtres initiés de l’Inde et du Tibet ont-ils réellement soulevé un coin du voile, en présentant, par l’intermédiaire de Madame Blavatsky, un peu de leur savoir caché sous le nom de Théosophie ?

Rien ne nous oblige à le croire a priori, mais dans un domaine où nous pénétrons en aveugles, toute information honnête et raisonnable, susceptible d’apporter un peu de lumière, mérite d’être examinée et portée au volumineux dossier qui a pour titre : APRES LA MORT.

2. LES MYSTERES DE LA CONSCIENCE

Le spectre des états de conscience

La conscience échappe à toute définition qui ne fasse pas appel à des termes d’expérience psychique — où la conscience intervient au premier chef.

« Avoir conscience, c’est sentir qu’on sent » dit Goblot, ou encore, d’après J.-P. Sartre, « tonte conscience est conscience de quelque chose ». En somme, nous ne saisissons de la conscience que des phases de son activité, des états de conscience, dans lesquels un témoin, un spectateur intérieur — qui est notre je réel — appréhende une image ou un ensemble d’informations, et le sait, avec plus ou moins d’intensité et de clarté.

Psychologues et psychiatres ont inventorié une large gamme d’états de conscience expérimentés par l’individu, sain ou malade. Avec les états paranormaux, le parapsychologue aborde à son tour un vaste domaine. Mais nous sommes encore très loin d’avoir mesuré l’étendue complète du spectre des états de conscience. Yogis et grands mystiques auraient sans doute beaucoup à nous enseigner sur ce point.

Rappelons à ce propos que la psychologie indienne a répertorié quatre sphères d’expérience de conscience, énumérées, par exemple, dans la fameuse Mandukya Upanishad : vie de veille, rêve, sommeil sans rêve et état Turya, de béatitude.

Des divisions et des sous-divisions seraient encore à prévoir. Cependant, toutes ces parties du spectre semblent accessibles à la conscience vigile de l’homme entraîné au Yoga, depuis les sommets de l’Illumination jusqu’aux plus profondes ténèbres de l’expérience humaine.

Au point où nous en sommes de notre évolution, une chose nous frappe : avec tous ses domaines encore interdits, le spectre de nos états de conscience est pour nous un spectre discontinu ; quand nous passons d’un plan de conscience à un autre, le changement de registre s’accompagne d’une phase d’inconscience momentanée. Le « témoin intérieur » est alors « comme un spectateur sans spectacle ».

Comme il ressort des enquêtes du Dr Moody, les « rescapés de la mort » éprouvent aussi ces moments d’inconscience pendant lesquels ils passent, comme dans un tunnel obscur, de la vie de veille à la conscience « extracorporelle » puis, après la rencontre avec l’Etre de Lumière, quand ils réintègrent leur enveloppe terrestre.

Si la mort définitive survient, la question peut donc encore être posée : sommes-nous réellement assurés d’une continuité de la conscience dans un registre qui nous est jusqu’à présent totalement inconnu ? Nous allons voir que, dans l’optique de la Théosophie, la réponse ne peut pas être simple, en raison de l’extrême complexité de l’être humain.

La triade conscience – substance – énergie

Pour aborder le problème des états de conscience après la mort, il faut revenir brièvement sur les bases philosophiques de la survivance, que nous avons déjà évoquées à grands traits dans un précédent article.

Si on postule, avec Patanjali, que tout l’univers n’existe que pour l’expérience et l’émancipation de l’âme consciente, on doit rappeler que la conscience active dans tous les êtres n’est qu’un reflet limité d’un pouvoir de conscience universel, symbolisé comme un Soleil Spirituel unique, fécondant de ses rayons une substance cosmique prenant des formes innombrables.

En réalité, les deux pôles opposés, Esprit-Matière, Purusha-Prakriti, sont inséparables et en interaction constante, par l’effet d’un pouvoir dynamique servant en quelque sorte de trait d’union.

La littérature sanskrite parle du « pouvoir magique » (mâya, ou yoga) de l’Esprit qui vivifie la Matière et fait germer dans son sein les semences qu’il y projette.

La triade « conscience-substance-énergie » est à la base de la construction et de la vie de l’univers. On peut la voir à l’œuvre partout. Dans l’homme, la pensée commande au corps par l’intermédiaire de la chaîne dynamique de transmission de ses ordres conscients et, en sens inverse, un même pont dynamique transmet au penseur les informations captées sur le plan physique.

Si on pousse l’analyse plus loin encore selon la Théosophie, on constate que la pensée consciente elle-même a une réalité substantielle (qui peut prendre une forme objective pour un clairvoyant) et aussi, bien entendu, un aspect dynamique. A ces niveaux, il devient difficile de distinguer chaque facette de la triade, de même que, sur le plan physique, lorsqu’on parle de la lumière, il faut un moment de réflexion pour séparer mentalement son caractère spécifique de signal électromagnétique, l’information qu’elle transporte, liée à la fréquence de l’onde lumineuse, et finalement son énergie quantique.

On ne sera donc pas surpris que, pour la Théosophie, il n’existe pas de « pur esprit » en ce monde ; entendons par là que dans l’Univers toute conscience active – la plus sublime soit-elle – opère à l’aide d’un instrument substantiel grâce auquel elle a des interactions dynamiques avec le reste du cosmos. En termes symboliques, toute âme est enveloppée d’un « vêtement », tissé d’une substance grossière ou extrêmement subtile – dans lequel elle vit des expériences de conscience dont la spiritualité est en rapport direct avec la qualité de ce vêtement. Bien entendu, les degrés de liberté et les pouvoirs dynamiques de cette âme dépendent aussi étroitement de la texture éthérée de cette enveloppe.

Le symbolisme du vêtement, ou du corps, plus ou moins subtil servant d’abri et d’instrument de relation pour la conscience est universel. En Orient, par exemple, le Bouddhisme énumère les corps glorieux (dharmakaya, sambhogakaya, nirmanakaya) dont s’enveloppe l’âme émancipée, en s’élevant de notre sphère vers le Nirvana ; dans nos pays, le fidèle croit, avec St-Paul, à la réalité future d’un corps spirituel (I Corinthiens 15,44).

On se souvient du rêve allégorique de Jung, rappelé dans notre précédent article : le Yogi, image du Soi profond – l’Ego Supérieur dans le langage théosophique – semble projeter les images de sa méditation dans le monde à trois dimensions, en donnant forme à une personnalité humaine – celle du Dr Jung. Le Soi prend ainsi une incarnation terrestre « comme quelqu’un revêt un costume de plongeur pour se jeter dans la mer ». Ces mots sont significatifs.

Mais, ce Soi lui-même, qui, selon la Bhagavad Gita, siège dans le cœur de toutes les créatures, aurons-nous jamais une vision de son vêtement ? L’œil physique ne peut le voir, mais ceux qui pénètrent jusqu’au plus profond de leur être et découvrent sa présence font l’expérience d’une lumière éclatante – « plus claire que mille soleils ».

L’aspect le plus spirituel et le plus divin de l’âme a toujours été décrit dans l’antiquité comme une Image de lumière ; rares cependant sont ceux qui ont pu contempler de leur vivant cet Augoeides, cette apparition resplendissante, selon le terme néoplatonicien.

La triade soleil-terre-lune

Si nous redescendons de ces hauteurs sublimes, où seul l’Initié reconnaît son chemin, nous retrouvons notre monde physique – et l’ombre de la mort. Entre le soleil de l’Ego spirituel et la terre matérielle qu’y a-t-il ?

Traditionnellement, le pont qui établit entre ces deux pôles toutes les connexions nécessaires, et tous les relais, est le monde lunaire. En repensant à la triade esprit – substance – énergie, on devine que cet espace intermédiaire est par excellence le grand champ énergétique de notre univers, macrocosmique et microcosmique. Toutes les opérations dynamiques qui se déroulent autour de nous, et en nous, s’organisent, se déclenchent et laissent leur trace indélébile dans les coulisses de la nature, appelées souvent le monde astral – à la suite des Martinistes et d’Eliphas Lévi.

La place nous manque pour entrer dans la moindre description de ce grand Laboratoire où sont à l’œuvre des énergies d’une diversité incroyable, répondant cependant à des lois très strictes, que tous les magiciens et alchimistes de l’histoire ont cherché à découvrir et à maîtriser.

C’est dans ce monde fluide traversé d’une variété infinie de vibrations que s’enregistre toute l’information de l’univers – la mémoire permanente de tout ce qui a été – et où s’élaborent minutieusement toutes les images probables de ce qui sera, en fonction du passé : une sorte de mémoire centrale dynamique avec laquelle dialoguent – sans le savoir – clairvoyants et prophètes.

La sphère lunaire a aussi, bien sûr, son côté « matériel ». Pour la Théosophie, électricité et magnétisme ne sont pas des réalités non-substantielles : le fameux « corps astral » de l’homme est fait d’une substance subtile ayant des propriétés électriques et magnétiques particulières – qui restent à découvrir pour la Science. Dans les écrits de Mme Blavatsky, on est frappé de voir que ce corps astral n’est pas un tissu continu, mais une structure faite d’un ensemble varié de particules discrètes, ayant toutes une qualité propre – nous dirions un type spécifique d’information – capables de répondre à des vibrations propres. On se prend à évoquer une sorte de mécanique quantique du monde astral – dont le caractère vibratoire a été symbolisé de longue date par les ondulations d’un Serpent.

Si nous revenons à la conscience humaine, on ne peut manquer de rattacher à cette sphère lunaire tout notre psychisme – en somme, les coulisses de notre vie personnelle avec la gamme infinie d’énergies que nous mettons en jeu en traversant tous les états de conscience qui forment la trame de notre existence. C’est le monde mal connu où s’organisent nos pensées, nos désirs, nos aspirations nobles ou nos envies animales, nos émotions ennoblissantes ou stupéfiantes. C’est aussi le registre parfait de toute la mémoire de notre existence.

Il y a, bien entendu, dans notre constitution humaine, une « enveloppe » substantielle qui assure toutes les fonctions liées au psychisme de la personnalité incarnée. Il serait naturel de l’appeler le corps psychique, mais on le désigne souvent sous le nom de corps astral, ou d’âme astrale, pour traduire le fait qu’il est tissé de substance astrale.

Souvent cependant, pour bien marquer son côté terrestre, parfois même démoniaque, à cause des désirs égoïstes et animaux qui le polluent, on fait usage des termes d’âme animale ou de corps de désir (Kama-rupa en sanskrit).

Pour résumer, nous voyons qu’en étroite correspondance avec les trois mondes symboliques — soleil, lune et terre — nous sommes conduits à envisager pour l’homme, en plus de son corps physique, un corps psychique et un corps spirituel.

Il est intéressant de rappeler que St-Paul mentionne ces deux derniers dans l’Epitre citée. Au sôma pneumatikon (corps spirituel) incorruptible — donc permanent — répond, dans le monde de l’expérience terrestre, le sôma psuchikon (corps psychique) voué à la désintégration.

Cette division triple de l’homme est une image très simplifiée de la véritable division occulte qui est septuple — en correspondance avec la lyre heptacorde de la nature — mais elle suffit à notre propos.

Il faut, bien entendu, se garder d’une vue simpliste : celle d’un être humain formé de trois corps emboîtés les uns dans les autres comme un ensemble de poupées russes taillées dans le même bois : les propriétés de l’espace et du temps ne sont guère comparables d’une sphère à l’autre.

Un instrument bien utile : le cerveau

Du point de vue de notre sujet, les considérations qui précèdent nous amènent à cette conclusion : si, à sa racine profonde, le Soi de l’homme est un foyer de la Conscience Universelle, toute expérience de conscience, tout état de conscience vécu n’est possible qu’à l’aide d’un instrument sensible approprié, une enveloppe accordée aux vibrations du plan particulier avec lequel la conscience entre en rapport.

Dans la vie de veille, le corps psychique est en liaison étroite avec le cerveau : la personnalité incarnée fait l’expérience de la soi-conscience, ou conscience réfléchie, grâce à l’association harmonieuse [3] de tous les divers composants de l’être humain. La terre est le champ des actions volontaires et concertées. Malheureusement, dès que vient le sommeil, le cerveau étant assoupi, nous ne savons pas explorer soi-consciemment, et volontairement, le monde lunaire du rêve et du psychisme, encore moins entrer, avec notre identité personnelle, dans le monde solaire du sommeil sans rêves, et chercher les vérités qui se trouvent sur le plan de notre Ego Spirituel. Cette infirmité qui, pour ainsi dire, limite vers le haut le spectre de nos états de conscience traduit le caractère inachevé de notre évolution.

Un jour viendra peut-être, dans un lointain avenir, où nous pourrons balayer tout ce spectre sans interruption de conscience, grâce à un instrument psychique spiritualisé, élaboré dans la longue suite de nos renaissances. Ce travail de véritable Alchimie ne peut se faire que dans l’incarnation, avec une pensée vigilante et une volonté active exercées à l’aide d’un cerveau physique. En attendant, toute la richesse spirituelle de l’Ego et son omniscience potentielle sont ici-bas lettre morte ; la Conscience Universelle, sans une base active de réflexion soi-consciente, n’est guère qu’un pouvoir cosmique latent en chacun de nous.

Après la mort : un scénario-type avec beaucoup de variantes

De même que la naissance, la mort est une expérience individuelle, vécue dans des conditions uniques et un climat psychique qui finalement reflète toute la vie qui vient de s’écouler. Malgré cela, les enquêtes du Dr Moody ont montré que les premiers pas faits vers l’au-delà semblent déjà suivre une voie calquée sur un même modèle, comprenant presque invariablement une revue du film de l’existence. Après la mort définitive, on pourra aussi s’attendre – selon la loi des grands nombres – à ce que les choses se déroulent suivant un scénario-type pour la majorité des hommes.

Lorsque l’âme a rompu ses liens avec la terre, le corps psychique qui avait servi d’instrument de liaison – de vêtement intermédiaire pour la plongée dans le monde à trois dimensions – est, lui aussi, condamné à mourir ; mais il est chargé de toute la moisson de la vie consciente : pensées, désirs, aspirations de toutes sortes ; c’est le filet qui renferme tout le butin de l’âme. Un tri devra naturellement s’opérer pour séparer ce qui est de nature spirituelle de ce qui est grossier, égoïste, sans valeur permanente. Cette décantation oblige l’âme à une période d’attente dans la sphère lunaire, psychique : c’est la purification nécessaire du Purgatoire des chrétiens, le Kama-loka (lieu du désir) des orientaux.

Après ce stade, l’Ego Supérieur – l’âme immortelle – rejette son enveloppe psychique, et entre dans une période de repos, et d’assimilation de la richesse accumulée, dans un état de béatitude que rien ne vient troubler. Au terme de ce Paradis céleste – le Dévachan des Bouddhistes du Nord – l’Ego est attiré à nouveau vers la terre, pour reprendre l’expérience de l’incarnation.

Rien de stéréotypé dans tout cela : le chemin suivi est individuel ; les régions traversées sont les mêmes, mais chacun trouve exactement son dû. La mort est un monde d’effets, subis par chaque âme, sans que sa volonté intervienne. Une loi juste règle les détails de chaque scène du scénario : karma, la loi naturelle, ajuste chaque effet aux causes semées. Mais l’au-delà ne sera pas pour nous un univers de souffrances et de châtiments. Les crimes faits sur terre seront rachetés sur terre ; cependant, si le butin psychique n’a aucun arôme spirituel, si l’abeille ne ramène à la ruche aucune goutte de miel, quelle jouissance goûtera-t-elle, que pourra-t-elle assimiler de sa visite des fleurs terrestres ?

Les circonstances mêmes de la mort ont beaucoup d’importance. En particulier, les dernières pensées conditionnent étroitement le déroulement de l’expérience post-mortem.
On peut aussi comprendre qu’une mort violente par accident ait des conséquences différentes de celle d’un décès naturel. Que dire encore du suicide, de la peine capitale, où la vie est tranchée en toute conscience ?

Peut-on aussi imaginer la mort d’un Sage, d’un Initié ?

Autant de personnes, autant de cas différents. Mais les jalons posés plus haut, à l’aide de la Théosophie, vont nous permettre une approche raisonnée de l’ensemble du problème.

La Théosophie et les états de conscience après la mort par Jean-Louis Siémons
(Revue Psi International. No 9. Juillet 1979)

(2e partie)

APRES une introduction générale, publiée dans notre précédent numéro, J.-L. Siémons va maintenant, en s’appuyant sur les écrits de Mme Blavatsky, dépeindre les étapes de l’expérience posthume vécue par la conscience humaine.
Pour mieux comprendre la mort, la Théosophie nous invite d’abord à changer d’optique sur la vie : l’homme ne serait pas le fruit d’une heureuse mutation biologique – un animal doué d’intelligence – mais essentiellement une âme vivante, un Ego immortel, indépendant du corps et reflétant les pouvoirs solaires d’une Conscience Universelle. Semblable à un acteur de théâtre, il s’incarnerait dans des personnages successifs, dans une longue Odyssée qui le ramènerait vers sa Source éternelle.
L’univers psychique de la conscience terrestre serait lié non seulement au corps physique mais aussi à un organisme plus subtil (« astral») adapté au dynamisme des pensées, désirs et sentiments. Le monde lunaire du psychisme serait imprégné d’effluves solaires et d’influences terrestres, souvent égoïstes, voire maléfiques ; parmi toutes les images dynamiques survivant à la mort dans l’enveloppe astrale, un tri radical devrait donc s’effectuer pour que l’Ego ne retienne, pour l’assimiler, que la quintessence spirituelle de ses expériences. Ce dépouillement nécessaire de l’acteur revenu dans la coulisse donnerait lieu à une série de métamorphoses, suivant un scénario-type. Cependant, chacun de nous vivrait sa mort d’une façon individuelle, grandement influencée par les dernières pensées et l’attitude intérieure de confiance que nous pourrons garder à l’heure où tombera le rideau sur la dernière scène de notre propre existence.

3. LA VIE POST MORTEM SELON LA THEOSOPHIE

Mourir : ce n’est pas si simple

Tout d’abord – Mme Blavatsky l’avait signalé dans Isis Dévoilée 1877 – il ne faut pas se hâter de déclarer morte une personne à l’agonie. Les signes classiques de la mort qui autorisent généralement la rédaction du bulletin de décès ne sont pas des indications sûres : tant que l’homme astral n’est pas définitivement séparé de son enveloppe et que les organes vitaux n’ont pas subi des dommages irréversibles, le réveil peut toujours se faire. Les succès des techniques modernes de réanimation le prouvent.

Il faut ajouter une information essentielle : même lorsqu’un point de non-retour a été atteint, une activité cérébrale persiste pendant quelques temps, semble-t-il – tant qu’il reste un peu de chaleur animale dans le corps. Nous avons vu que ces instants sont occupés par une expérience solennelle de conscience : la revue de toute l’existence passée, dans une aura resplendissante qui traduit aux yeux intérieurs du mourant la présence de l’Ego Spirituel.

Chez les êtres très purs, cette vision peut même englober plusieurs incarnations successives.

De plus, dans le cas où le décès a été rapide, il peut arriver que le corps soit mort et enterré, et que le cerveau (dont les fonctions sont arrêtées définitivement) conserve, comme une étincelle latente, l’impression d’une volonté ou d’un désir, en liaison avec un sentiment intense – amour ou haine – de la vie écoulée ; ce dernier sursaut d’énergie communique une espèce d’impulsion post mortem au corps astral (qui se trouve à ce moment perturbé par le choc de la mort) et l’amène à poursuivre une activité apparemment consciente, même pendant plusieurs jours après le décès, au point de se manifester parfois aux vivants, lorsque les conditions adéquates sont réunies. Bien que cette apparition reflète l’une des pensées ultimes du mourant, elle n’est qu’un phénomène automatique dont le décédé n’a aucune conscience, dans le cas général.

En effet, la séparation définitive du corps et de l’âme personnelle produit dans cette dernière un profond ébranlement qui la désoriente : quelles que soient les conditions du décès – mort naturelle ou violente – survenant dans l’enfance ou à un âge avancé, et que l’homme soit bon, mauvais ou indifférent, la conscience le quitte aussi soudainement que la flamme quitte la mèche quand on la souffle. Les facultés de perception, de réflexion, le pouvoir de la volonté, tout s’éteint au niveau de la personnalité astrale démantelée, privée de son corps physique. Est-ce le trou noir? Oui, dans une certaine mesure, mais seulement le temps que la Nature plante un nouveau décor pour l’Ego immortel, dans une sphère mieux adaptée à sa qualité spirituelle.

Kama-loka : un étrange creuset d’alchimiste

Avant les joies du ciel, le « purgatoire » – Le Kama-Loka des orientaux -. Même si les âmes libérées du corps restent dans l’aura de la terre, il ne faut pas envisager le Kama-loka, – le lieu du désir – comme un endroit localisé dans l’espace, mais comme un plan de la nature, caractérisé par certains modes de conscience, de substance et d’énergie.

L’homme, c’est-à-dire l’âme astrale « habitée » par l’Ego Spirituel, y accède dans l’inconscience après le choc de la mort. Non que l’Ego cesse d’être un foyer de conscience – hors du temps et de l’espace – mais il faut un certain temps pour que s’organise dans l’âme astrale une espèce de « cerveau » assez structuré pour autoriser une vague conscience personnelle à ce niveau.

L’univers lunaire est pour l’Ego un monde de transit. C’est la matrice où se font toutes les gestations. On trouve sous la plume de Mme Blavatsky ce curieux passage : « Le corps astral qui, pendant la vie, est recouvert de l’enveloppe physique grossière devient à son tour – une fois que la mort physique l’a libéré de cette carapace – la coquille qui abrite un autre corps plus éthéré », dont l’élaboration commence aussitôt après la mort.

Ce processus se répète à chaque transition, pour passer d’une sphère à l’autre. « Mais l’âme immortelle… ne change jamais et reste indestructible ».

A ce stade du Kama-loka, une étrange alchimie psychique se poursuit. On pense aux opérations de séparation, coagulation, sublimation, qui ont pour effet de travailler la substance psychique afin d’en isoler tout ce qui est en affinité avec l’or spirituel, au milieu de la masse en fusion de scories et de plomb grossier.

Ces belles métaphores cachent une réalité : un combat suprême, une sorte de lutte à Mort entre l’ange et la bête; entre la promesse de l’homme divin et le vieil homme terrestre qui se défend pour ne pas mourir. Ce n’est pas pour rien que cette phase est appelée Kama-loka le « lieu » où peut se déchaîner l’énorme force psychique des passions et désirs insatisfaits, de l’attachement farouche aux objets de jouissance personnelle.

Le temps passé à cette purification est très variable : selon les individus, il peut aller de quelques heures à quelques jours, mois ou même années.

Sauf exception, dans le cas d’êtres grossiers et méchants, qui vivent ces moments comme un cauchemar, l’homme n’assiste pas consciemment à ces processus qui aboutissent finalement à la séparation définitive entre l’Ego et son vêtement astral : ce dernier n’est plus dès lors qu’un cadavre psychique [4], voué à la désintégration.

C’est le phénomène de la seconde mort, qui libère l’Ego de tous ses liens terrestres. Plutarque, Proclus et d’autres auteurs y ont fait clairement allusion.

S’il existe un jugement des morts, une pesée de l’âme sur la balance où la déesse même de la Justice et de la Vérité — Mâat chez les Egyptiens — sert d’étalon de mesure, c’est bien dans le Kama-loka que cette opération se déroule. Mais comprenons que le défunt ne peut pas être « justifié » jusque dans les crimes qu’il a pu commettre et devenir sans transition un Osiris radieux, si par chance la balance a penché du bon côté.

Après la pesée, c’est une âme purifiée que le Sage Thot doit emmener vers son destin.

La gestation d’un enfant céleste

La seconde mort n’est que le prélude à une naissance. L’Ego libéré emporte avec lui les éléments d’une sorte d’embryon — l’ensemble de toutes les « particules éthérées », les énergies psychiques de nature spirituelle qui ont pu être soutirées à l’âme astrale de la dernière personnalité terrestre.

C’est maintenant une période de gestation, d’une durée proportionnelle à la qualité spirituelle de l’individu. Peu de choses sont dites sur ce point. On se prend à songer au développement et à la maturation d’un enfant céleste dans l’atmosphère même de l’Ego comparable à la gestation de l’enfant terrestre dans la matrice maternelle.

C’est bien d’une vie fœtale qu’il s’agit: pendant toute sa construction, ce nouvel être n’abrite aucune conscience active. C’est une période d’obscurité et de lourd sommeil. Puis, progressivement, l’enfant devient viable. La chrysalide sort de sa torpeur, un papillon déplie ses ailes dans la lumière céleste.

L’Ego — le Soi — se trouve ainsi enveloppé d’un nouveau vêtement, mais cette fois pour méditer, pendant de longues années, sur toutes celles des images ramenées du monde terrestre qui sont homogènes à sa nature.

Vers la fin de la gestation, la conscience se réveille par étapes successives ; des souvenirs reviennent; l’adaptation du nouvel être à l’atmosphère céleste est progressive. Voici qu’une seconde fois apparaissent, devant l’œil spirituel de l’Ego, toutes les images de la vie passée, depuis l’éveil de la conscience jusqu’au jour du trépas. Comme à l’heure de la mort, tout le film de l’existence défile — l’Ego le revit dans les moindres détails ; mais cette fois une espèce de tri s’opère, comme un choix que ferait un spectateur qui ne pourrait retenir d’un spectacle que les scènes et les images qui éveillent en lui un écho dynamique.

Après cette revue, rien de vivant ne reste du Passé, ressurgi un moment de l’oubli, que ce que l’Ego a ressenti spirituellement ; rien qui ne soit, d’une manière ou d’une autre, en affinité ou en résonance de vibration avec l’essence lumineuse de ce foyer de conscience universelle.

Dès lors, enfermé dans les images idéales de sa personnalité sublimée, l’Ego va vivre dans le « Dévachan » [5], une expérience de conscience subjective, dont rien ne peut nous fournir une idée approchante. L’instant de bonheur le plus complet, la vision la plus lumineuse ne donnent qu’une pâle idée de l’intensité et de la félicité de ce rêve du Dévachan où aucune limite n’existe plus, aucune contrainte, aucun nombre, rien de ce qui, sur la terre, mélange toujours un peu de fiel à la plus douce ambroisie.

Là, tous les élans d’amour généreux, les souhaits non réalisés, les aspirations nobles, les désirs de progrès inassouvis, les appels à la justice divine dans les souffrances terrestres inexplicables, en somme, toutes les énergies de notre vie psychique qui ont quelque support de nature spirituelle sont autant de germes qui vont croître et s’épanouir en visions sublimes, en actions vécues, en réalisations sans cesse plus parfaites.

La mère se voit entourée de ses enfants, tels que son idéal les imagine — elle les baigne d’un amour que rien ne menace — le philanthrope voit l’Humanité enfin heureuse, de mille manières, et le musicien goûte à l’infini des harmonies sublimes. Le fidèle entre dans la lumière du Dieu qu’il a servi et aimé, selon la foi qu’il avait adoptée.

Rien ne peut donner une représentation de cet état exalté, vécu en dehors des limites du temps et de l’espace. Ni passé, ni avenir : seul un présent intense.

Les années terrestres s’écoulent, nombreuses, pendant ce Dévachan : 1000 ou 1500 ans pour moyenne de l’humanité, avec ici encore des exceptions [6]. Chacun assimile le suc parfumé des fleurs qu’il a lui-même semées.

L’être en Dévachan a son enfance, son adolescence, et son âge mûr. Progressivement les énergies spirituelles qui le maintiennent dans cette vie s’épuisent. L’Ego sort peu à peu de son rêve : la conscience personnelle vient à s’évanouir. L’âme a maintenant traversé le fleuve du Léthé : rien ne reste plus de l’homme ou de la femme qui a vécu jadis sur la terre ; rien, sinon, la riche moisson d’expériences humaines que l’Ego a récoltée [7]. Une nouvelle perle vient de s’ajouter au collier de L’Ame-fil – le Sutrâtma, dans le langage imagé de l’Inde.

Bientôt, après une période de liberté où l’Ego baigne dans la Conscience Universelle, l’heure de la réincarnation va sonner.

Dans un prochain article, nous tenterons de montrer comment se fait ce retour vers la terre, pour plonger à nouveau dans le monde à trois dimensions.

4. LES SUITES D’UNE MORT VIOLENTE

L’attente de la mort naturelle

Tout ce qui précède est valable pour le cas-type de l’homme « normal » – ni ange, ni bête – quittant la terre par une mort naturelle. Le scénario se complique sensiblement lors d’une mort violente, quelle qu’en soit la cause.

Toute créature vient au monde avec un corps qui est, en quelque sorte, programmé pour une certaine durée. Rien n’est laissé au hasard dans le laboratoire de la vie. Si, par accident, suicide ou meurtre, la mort survient avant le terme échu, l’âme privée brutalement de son support physique, conserve dans sa partie astrale toute une masse de vitalité qui ne se dissipera pas – ou peu s’en faut – avant l’heure prévue. Si le programme prévoyait 60 ans, le jeune homme qui tombe à la guerre à 20 ans, devra attendre une quarantaine d’années avant l’entrée normale dans les métamorphoses de l’au-delà. N’en soyons pas cependant plus affligés que si la mort avait été naturelle : l’âme arrachée à la vie dans ces conditions tragiques bénéficie d’une protection sûre, puisqu’elle est innocente de cet événement. Elle va vivre dans un sommeil tranquille (ou dans un rêve où elle se verra entourée des siens) l’attente de la mort définitive, sans aucune conscience du temps qui passe.

La situation est bien plus grave si l’accident survient à un homme violent, occupé à satisfaire quelque désir grossier, ou à assouvir une vengeance – qu’on se souvienne de l’importance des dernières pensées avant la mort. Le repos de l’innocent, ou de l’homme normal, sera refusé à ce malheureux – et le monde des hommes en souffrira avec lui, par la solidarité qui existe entre tous les êtres.

Le sort peu enviable du suicidé

Les rescapés du suicide, interrogés par le Dr Moody, témoignent de l’angoisse ressentie pendant les moments de conscience vécus en état de mort clinique. C’est à juste titre que les religions mettent en garde solennellement contre ce genre de crime contre la nature, et contre soi-même.

Il existe, il est vrai, un grand nombre de cas d’espèce. Les conséquences de l’acte vont varier selon le motif et les circonstances. L’aliéné qui se jette par la fenêtre dans un moment de folie est irresponsable. Le patriote soumis à la torture qui se précipite dans la mort pour ne pas trahir ses frères, le pilote d’un avion en perdition qui reste à son bord pour préserver un village plutôt que de sauter en parachute et sauver sa vie, choisissent des morts héroïques dont les conséquences ne peuvent être comparées à celles du suicide accompli par désespoir ou – pire encore – pour échapper au châtiment de la justice à la suite d’un crime. Ici encore les désirs et les images des dernières pensées ont une influence considérable sur la vie post-mortem.

Le désespéré qui, à bout de résistance morale, pense : « plutôt en finir que d’endurer ces tourments », voit souvent dans la mort une sorte de délivrance, un néant où toute souffrance se dissout. C’est une tragique méprise, due au matérialisme du siècle.

Le fidèle compagnon de travail de Mme Blavatsky, W.Q. Judge a écrit plusieurs articles en réponse à des débats de presse où le suicide recevait une certaine approbation. Les passages suivants sont significatifs :
« Le suicide, comme tout autre meurtre, est un crime parce qu’il cause une perturbation dans l’harmonie de la nature… Aux conséquences de cette injustice, l’homme ne peut échapper car la mort de son corps ne l’isole pas du reste, elle ne fait que l’amener, privé de ses instruments naturels, sous le coup de lois puissantes et implacables…
Le suicide est une énorme folie parce qu’il place celui qui le commet dans une position infiniment pire que la précédente, dans les conditions auxquelles il espérait échapper… L’homme n’est que moitié mort… son destin est horrible en général. Il existe entièrement dans le monde astral, dévoré par ses propres pensées. Répétant continuellement, en images intenses, l’acte par lequel il a tenté d’arrêter le pèlerinage de sa vie, il voit en même temps les gens et les lieux qu’il a laissés sans pouvoir communiquer avec quiconque…
».

Le témoignage d’une personne échappée au suicide [8] fait à ces lignes un écho saisissant:
« C’était comme si la même chose se répétait sans cesse, un éternel retour. Je subissais l’événement une fois, et à la fin je pensais : «Ouf ! c’est fini, quelle chance ! » mais, aussitôt après, tout recommençait, et je pensais : « Oh non ! assez ! que ça s’arrête !».

Quelle somme de misères des milliers de malheureux n’ont-ils pas endurées en misant aveuglément sur le néant de l’au-delà !

A l’heure où la chute de tout idéal pousse au suicide un nombre accru d’individus, il conviendrait que chacun lise ces lignes et les médite, pour en traduire le message en termes convaincants à ceux qui, pris du vertige de la mort, ont autant besoin de connaissance du sens de la vie que d’amour et de compréhension.

5. LA PEINE CAPITALE : CRIME LEGAL CONTRE L’HUMANITE?

Une question posée à la conscience des hommes

Un débat passionné oppose partisans et adversaires de la peine de mort. De nombreux arguments solides sont avancés par ceux qui souhaitent son abolition : l’exécution d’un condamné ne résout rien, ne laisse à l’homme aucune chance de rachat, ne répare pas les dommages causés par ses forfaits, n’inspire pas la crainte souhaitée aux assassins potentiels, rend la société complice à son tour d’un meurtre et, en dernière analyse, apparaît plus comme une vengeance légale des hommes — par un acte qui exorcise la peur d’un comportement monstrueux — que comme une juste (?) punition. La société cherche à effacer l’image horrible de l’un de ses enfants, en le tuant.

L’aperçu que nous venons de donner sur les états de conscience après la mort permet, avec la Théosophie, de découvrir d’autres arguments de poids contre la peine capitale.

Le législateur n’a aucune connaissance de ce qui se passe après la mort. SI CE N’EST PAS LE NEANT, n’est-ce pas faire preuve d’une légèreté injustifiable, voire criminelle, de plonger de sang-froid un homme dans l’au-delà en se lavant les mains du destin qu’il devra peut-être y subir ? N’est-ce pas comme si la loi confiait un condamné à un bourreau inconnu, qui ferait endurer au malheureux tous les supplices de son choix, pendant une durée indéterminée, dans un cachot fermé à tout contrôle ? Souhaiterait-on pareil sort, en toute conscience, même au pire ennemi de la famille humaine ?

La plus violente des morts

Or, de toutes les morts violentes, celle du condamné est sans doute la plus violente. Le sort, déjà terrible du suicidé, va se trouver encore aggravé par les passions déchaînées et le caractère criminel des pensées nourries par l’assassin non repenti à l’heure de son exécution. A peine réveillée du choc de la mort, la conscience, qui se met progressivement à fonctionner dans un corps psychique plein de vitalité qui ne s’épuisera pas avant des années, est prise dans un tourbillon de violence où aucun contrôle ne peut plus s’exercer.

Tandis que ses innocentes victimes sont plongées dans un sommeil sans cauchemar sous la protection de leur Ego et de la loi de la Nature, en attendant l’heure du réveil en Dévachan, le meurtrier, lui, bien vivant dans le monde de la mort, est comme une épave sans la lumière directrice de son Ego pour l’inspirer. Il est soumis sans recours à d’inexorables forces du monde astral qui lui font vivre le plus horrible des cauchemars.

W.Q. Judge a publié ces lignes :
« D’une manière sans cesse répétée, il se voit exécutant son crime et plongeant les hommes dans la confusion ; il revit son emprisonnement, son procès et son exécution, constamment baigné dans l’atmosphère de ses actions et de ses pensées imprimées dans sa mémoire à l’heure du châtiment sur l’échafaud ».

Le désir insatiable de retrouver la vie et de tirer vengeance de l’humanité qui l’a banni comme un paria font de cet être un danger public que personne ne soupçonne.

Une note lourde à payer

Pour la Théosophie, nul n’a le droit, sous aucun prétexte, de disposer de la vie d’un autre. L’existence incarnée est une nécessité pour chaque être, et toutes ses actions terrestres reçoivent leur juste rétribution, par l’effet de la loi de Karma, sur la scène terrestre. Tôt ou tard, le pêcheur se retrouvera dans des conditions où il devra assumer les conséquences de ses erreurs, dans cette incarnation ou une suivante. Le criminel règlera sa dette, le moment venu. La peine capitale est donc un acte, arbitraire, et ne fait qu’ajouter un crime à d’autres crimes, c’est-à-dire augmenter encore la confusion de l’atmosphère psychique de l’humanité.

La loi qui prescrit l’homicide légal cherche à protéger la société mais, au contraire, elle manque son but en exposant la communauté à une très grave menace.

Si les « âmes souffrantes » des suicidés demeurent dans notre voisinage, en exhalant dans le subconscient collectif des influences morbides, qui poussent à leur tour au suicide certaines personnes sensibles prédisposées, combien plus grave encore est la pollution psychique due au criminel exécuté !

Pour prendre une image, ce meurtrier n’est pas seulement une épave, c’est une sorte de brûlot ardent, dérivant sur les courants astraux, infailliblement attiré vers les êtres capables d’entretenir son foyer et de s’enflammer à leur tour de la folie de la violence et du crime.

Combien de malheureux, incapables de réagir par manque de volonté et de conscience, ont été ainsi entraînés d’une façon entièrement inexplicable à commettre d’horribles meurtres, sous l’empire de cette obsession démoniaque?

Ce mode de contagion de la violence n’est que trop réel, mais qui songerait que chaque exécution capitale est comme une promesse de tels crimes futurs, et ne fait qu’entretenir une situation qu’elle prétend corriger d’une manière spectaculaire?

6. LE YOGI ET L’APPRENTISSAGE DE LA MORT

La mort exemplaire du Yogi

A l’autre extrémité de l’échelle humaine, le Sage initié, ou le Maître du Yoga spirituel, donne, en mourant, l’image de l’homme qui a percé les secrets de la Nature et demeure en harmonie avec elle. Il ne subit pas la mort, il la vit en pleine conscience, en commandant à ses processus. Un passage de la Bhagavad Gita (VIII, 12-13) est très évocateur à ce sujet :
« Après avoir fermé toutes les portes du corps, placé sous contrôle le mental et le cœur, et ramené dans la tête les pouvoirs vitaux (prana), celui qui, s’étant établi dans la concentration par le yoga, abandonne son corps en répétant la monosyllabe OM (le mot-clef, symbole du Divin) et en maintenant sa conscience fixée sur le Soi Supérieur, celui-là atteint le but suprême ».

Normalement, l’être à l’agonie, perd progressivement l’usage de ses sens – l’ouïe restant généralement la dernière active. Comme nous l’avons vu, quand la mort approche, les « pouvoirs vitaux » qui animent le corps et assurent ses fonctions, se retirent et affluent vers le cerveau, en délogeant avec l’impulsion de la dernière énergie tous les souvenirs et impressions enregistrées. Ce puissant reflux, qui déclenche la revue complète de toute la vie écoulée, ne provoque-t-il pas aussi le phénomène d’illumination décrit dans l’Upanishad citée au début?

Cette lumière du « foyer central du cœur », qui éclaire le départ du Soi en pleine conscience, évoque irrésistiblement l’expérience de l’Etre de Lumière vécue par les rescapés de la mort.

Pour le Yogi, tous ces phénomènes successifs sont plus ou moins familiers. Il les a vécus déjà : la méditation décrite au chapitre VI de la Bhagavad Gita est comme une répétition de la mort, dans laquelle la conscience personnelle, entièrement dépouillée de tout lien et de toute préoccupation terrestre, s’élève pour s’unir, consciemment et volontairement, avec la racine de son être, le Soi supérieur – le Purusha suprême. Le rayonnement de l’Etre de Lumière ne sera pas un objet de surprise pour l’initié qui s’est déjà approché, de son vivant, de la Présence resplendissante, dans des expériences de conscience indescriptibles.

Conscient de l’approche du terme naturel de sa vie, le Yogi n’attend pas le moment fatal pour agir. Comme un homme se prépare au sommeil, il s’apprête pour sa dernière méditation, avec toute la connaissance acquise par sa discipline.

Après avoir paralysé, dans ses enveloppes physiques et psychique, tout ce qui pourrait le distraire (impressions extérieures entrant par les « portes du corps », pensées, désirs, images de la mémoire ranimées par le reflux désordonné des pouvoirs vitaux), il fixe sa conscience clairement active sur l’image familière de sa source spirituelle intérieure, en concentrant avec sa volonté toutes ses forces vitales et psychiques au point focal de son être.

On trouve dans la Bhagavad Gita (VIII, 9-10) ce très beau passage, qui évoque encore la communion consciente avec l’Etre de Lumière :

« Celui qui médite sur le régent intérieur, foyer de clairvoyance, Etre intemporel, plus subtil que la plus subtile des choses, soutien de tout, inconcevable dans sa forme, LUMIERE COULEUR DE SOLEIL, au-delà des ténèbres.
« Quand arrive l’heure de la mort, s’il tient son mental immobile et reste en méditation plein de dévotion, avec la force du yoga, en concentrant les pouvoirs vitaux dans le centre situé entre les sourcils, il atteint le Soi divin suprême ».

On songe qu’à ce moment « le foyer central du cœur s’illumine ». Le Yogi va franchir le seuil de la mort en gardant sa vigilance et sa volonté active. S’il parvient à cet état de façon définitive, c’est l’immortalité consciente qui permet à l’âme libérée de passer d’un monde de conscience à l’autre, sans interruption, ni défaillance.
Bien entendu, cette haute réalisation n’est pas le fruit d’une seule vie d’efforts mais exige, selon la Bhagavad Gita, de nombreuses incarnations, vécues dans la même discipline.

La mort – une initiation manquée?

Tout ce que nous avons dit, à la lumière de la Théosophie, sur la vie post-mortem suggère clairement que l’aventure humaine dans l’au-delà n’est pas laissée au hasard mais suit des lois aussi réelles que celles qui règlent les phénomènes biologiques.

De l’autre côté de la mort, la vie de l’être conscient se poursuit dans un monde d’effets, dont l’enchaînement permet, finalement, le repos de l’âme et l’assimilation du fruit des efforts terrestres. Cette situation où les expériences de conscience sont purement subjectives, comme dans les rêves, exclut, en règle générale, toute communication consciente, volontaire et objective, d’un défunt avec le monde des vivants [9], bien que certains médiums très purs puissent entrer en rapport subjectif avec un Ego dans son rêve de Dévachan, comme le font parfois deux dormeurs partageant un même rêve.

La situation affligeante des malheureux suicidés et des condamnés exécutés devrait préoccuper la conscience des vivants et les pousser à déployer toutes leurs ressources humaines pour prévenir les suicides, et s’opposer au meurtre légal de la peine capitale.

Dans la généralité des autres cas, l’au-delà n’est pas un lieu de tourments. Nous ne devrions donc pas redouter la mort qui, pour l’homme qui remplit bien sa vie, est comme la sœur du sommeil : la trêve accordée par la loi naturelle dans la longue lutte menée au fil des incarnations pour l’émancipation de l’âme.

Bien plus, nous devrions penser à la mort. Non d’une façon morbide, mais en la considérant comme l’une des phases naturelles de la vie.

Socrate recommandait de se préparer à la mort tout au long de l’existence. Peut-être le vieux sage visait-il plus que l’acquisition d’une sereine philosophie permettant d’affronter l’heure suprême.

En analysant avec la Théosophie ce que nous savons des derniers instants, on est conduit à se demander si la confrontation avec l’Etre de Lumière – qui n’est malheureusement que fugitive, pour tous les mourants, à notre degré d’évolution – ne préfigure pas l’Illumination finale couronnant les efforts des plus grands pionniers spirituels.

En somme, la mort que nous vivrons un jour, sans y être préparés, sans philosophie ni discipline, avec un cœur et un mental encombrés de choses terrestres – cette expérience solennelle inattendue ne sera-t-elle pas, à cause de notre ignorance, comme une initiation manquée?

Et, en définitive, l’expérience d’ici-bas ne nous propose-t-elle pas d’apprendre à réussir un jour ce passage de la mort, pour entrer finalement, en pleine conscience DANS LE MONDE DE LA VIE ?

[1] C.G. Jung – Ma vie, NRF Gallimard (1973), pp. 363-4.

[2] Voir Psi-International N°’ 6 et 7.

[3] Cette harmonie est fragile : toute altération du cerveau physique, du corps psychique, ou des liens qui les associent,     entraîne divers états anormaux — hypnose, somnambulisme, folie, etc.

[4] Un cadavre qui, comme une copie magnétique, conserve toutes les caractéristiques de la personnalité défunte et peut donner, à l’aide d’un médium, l’illusion parfaite de la présence du décédé.

[5] Dévachan : mot emprunté à l’exotérisme bouddhique tibétain où il désigne le Paradis Occidental d’Amitabha.

[6] Une importante exception est celle des enfants morts en bas âge qui se réincarnent très rapidement.

[7] Bien entendu, l’Ego conserve de façon indélébile la mémoire de toutes ses incarnations passées. Au terme de ses expériences     terrestres – dans un lointain futur – la revue complète de ces expériences lui apparaîtra dans une vision suprême.

[8] Lumières nouvelles sur La Vie après la Vie – Moody – p. 82.

[9] Nous n’avons pas abordé ici les phénomènes du spiritisme qui constituent un autre chapitre de la Théosophie.