G. V. Kulkarni
La vraie religion ?

(Revue Être. No 3. 1992) Extrait de « The mountain path », avril 1980. Mon père était très attaché à la religion. Il avait coutume d’adorer les images de Dieu et vouait un amour tout particulier à Çiva, qu’il adora en fait toute sa vie. Chaque jour il lisait Guru Charita de Saraswati Gandahar et […]

(Revue Être. No 3. 1992)

Extrait de « The mountain path », avril 1980.

Mon père était très attaché à la religion. Il avait coutume d’adorer les images de Dieu et vouait un amour tout particulier à Çiva, qu’il adora en fait toute sa vie. Chaque jour il lisait Guru Charita de Saraswati Gandahar et récitait de nombreux hymnes à la gloire de Dieu. Il se rendait dans les temples et pratiquait ce qu’on appelle la circumambulation. Il se rendit dans des villes sacrées, notamment à Bénarès et à Gokarna, où il séjourna un certain temps. Il entreprit des jeûnes. Il rendit visite à des saints et les servit. Pendant les dix dernières années de sa vie, où il fut complètement aveugle, il se réfugia dans Nama-Japa et trouva le contentement dans cette pratique. Il prit pour habitude d’écouter des causeries religieuses. A la fin, il tomba gravement malade, sombra dans le coma et quitta son corps. Il eut une très belle mort, car il mourut en entendant des chants de la Bhagavad-Gîtâ.

J’ai pour mon père un très grand respect. Je lui dois tant : il m’apprit que l’homme doit être totalement transformé par sa religion. Pour lui, c’était cela la vraie religion. L’homme devait surmonter sa peur de la vie et de la mort, l’attachement au corps et au monde. Aussi, d’une certaine façon, fût-ce lui mon maître.

Plus tard, lorsque je rencontrai Ramana Maharshi, non pas dans son corps qu’il avait quitté mais dans son esprit, j’eus accès à un secret encore plus profond, il me révéla plus en profondeur encore le sens de l’authentique religion. Cette rencontre eut lieu dans les circonstances suivantes :

Au cours de l’année 1951, j’étais alors maître de conférences à l’université de Poona, à N. Waidia College. Je tombais gravement malade ; atteint par le bacille de Koch, l’on me transporta au sanatorium. C’était une période très éprouvante, de grande crise. J’avais un peu entendu parler de Ramana Maharshi par un professeur, R. Sadasiva Aiyer, un fervent disciple de Bhagavan qui enseignait comme moi à Poona.

Lorsque le professeur Aiyer apprit ma maladie, il m’écrivit de longues lettres de temps à autre, et la grâce du Maharshi commença à œuvrer en moi. Il me racontait de merveilleuses anecdotes tirées de la vie de Bhagavan et de ses enseignements. Il m’envoya aussi des livres sur le Maharshi et des textes sacrés. Tous eurent sur mon esprit une profonde répercussion et me nourrirent en profondeur durant cette époque, la plus difficile de ma vie. La seule grâce de Bhagavan, qui était devenu mon Guru, d’une part me guérit physiquement et d’autre part soulagea les maux de mon esprit. Je revis, et jetai sur la vie un regard neuf et optimiste. Je repris une existence normale, après avoir soutenu ma thèse de doctorat, dont le sujet était « le concept de Viveka », et notamment les antécédents de la philosophie du Maharshi dans la littérature sanscrite ancienne. Depuis, nous nous rendons fréquemment à l’Ashram, devenu pour moi un délicieux Foyer. Nous avons, mes amis, mes parents et de fervents disciples, créé à Kolhapur le Ramana Satsang Mandal, maintenant un centre de sadhana. Bhagavan, qui est l’âme de l’univers, est notre Satguru, le foyer lumineux de notre vie. Le servir, est notre mission.

Qu’entend-on par le mot « religion » ? En sanscrit, le terme est Dharma. Dans le Mahabharata il est dit, le Dharma c’est « ce qui soutient l’Univers, l’ensemble des créatures dans l’Univers. Dans la littérature védique cela est appelé « Rita ». La meilleure définition qu’en ait donné Shankarâchârya est la suivante : « Est Dharma ce qui permet à l’homme d’atteindre la prospérité matérielle et le bien-être spirituel ». (Abhyudaya et Nishreyasa.) Est Religion ce qui relie l’homme à Dieu. Hormis la Réalisation de Dieu ou Réalisation du Soi, il n’y en a pas. Telle est la raison d’être de l’authentique religion. Bhagavan, de son côté, l’énonce ainsi : « être le Soi ». Tout le reste est secondaire. Toutes les sortes de sadhanas conduisent au but unique qui est la réalisation.

Il faut savoir distinguer entre une prétendue religion et celle qui est authentique. Dans les temps modernes, on peut dire que Ramana Maharshi a joué un rôle unique dans la révélation de la vérité en chacune d’elles. Il n’en a pas fondé de nouvelle comme le Bouddha, Jésus ou Mahomet, mais par sa vie et ses enseignements il a rendu témoignage de la véritable essence de toutes les religions. Nous allons maintenant voir ce que cela signifie.

La tragédie de l’homme est de ne pas savoir qui il est. Il s’identifie au corps, à l’esprit, à l’intellect et au monde. Il confond l’enveloppe extérieure et l’essence profonde. Il oublie de se poser cette question : « Qui suis-je ? ». « Qu’est-ce que ma vraie nature ? » Il prend tout comme allant de soi et n’approfondit jamais rien. A cause de ce point de vue superficiel et erroné, il souffre, perd sa tranquillité d’esprit et la vraie joie de vivre. L’attachement et la peur l’accompagnent durant toute sa vie. En dépit de ses pratiques religieuses, il est névrosé, misérable, égoïste. Ii vit puis meurt dans l’ignorance. Pour découvrir la vérité profonde de la religion, il lui faut se mettre en quête du Soi, se poser inlassablement cette question « Qui suis-je ? »

Bhagavan met le doigt sur tout cela et nous dit que le fait de se concentrer sur la pensée « je » fait disparaître toutes les autres pensées, et en fin de compte également la pensée « je ». Lorsque nous avons repéré la source de l’ego, la pensée « je », il y a expérience plénière de la Réalité, la béatitude du Soi. En l’absence des pensées il n’y a pas non plus de monde, ni de « je », ni de « vous », ni de « lui », ni d’« elle ». C’est cela notre vraie nature. Le temps est en soi un produit de la pensée. Lorsque nous biaisons la pensée, nous biaisons également le temps et ses divisions. Dans la réalité il n’y a ni passé ni futur. Il n’y a que l’Eternel Présent, qui est hors du temps. En apprenant à vivre dans ce Présent éternel, hors du temps, nous sommes dans la Vérité, en fait, nous sommes la Vérité. C’est cela Dieu, le Soi, « Ce qui Est ». Ni l’asservissement ni la libération n’ont de réalité. Il n’y a ni naissance ni mort, ni problème ni souffrance.

A ceux qui ne peuvent pas comprendre cette méthode et l’appliquer, Bhagavan conseille un mode de vie très simple, basé sur la soumission. La soumission est la façon la plus facile de détruire l’ego l’ego qui est l’obstacle dans l’aventure spirituelle. Ne vous chargez d’aucun fardeau. Abandonnez tout ce que vous considérez vôtre à la Puissance Supérieure, ce qui vous rend libre. Il faut faire directement l’expérience de tout cela. La soumission et l’investigation de soi-même sont comme l’envers et l’endroit d’une même pièce, c’est ce que l’on découvre en considérant profondément le problème. Dans un cas comme dans l’autre, nous délaissons l’identification avec les choses extérieures pour devenir un avec le Réel.

Notre véritable nature étant réalisée, l’autre disparaît, de sorte que dans nos relations seul l’amour demeure. Comme le dit Jnaneshwara, le saint, « l’univers tout entier est ma demeure ». C’est pourquoi nos rapports avec autrui sont exempts de toute trace d’envie, de haine ou d’incompréhension. Le ciel n’est pas quelque part au loin. Il est Ici et Maintenant.

On raconte cette histoire de l’empereur et du saint. L’empereur était ambitieux, actif et agressif. Le saint, lui, demeurait tranquillement assis à l’ombre d’un arbre. Intrigué, l’empereur s’approcha de lui et demanda : « Pourquoi restes-tu immobile tout le temps, ne crois-tu pas que c’est du temps gâché ? » Le saint se contenta de lui répondre : « Et vous qu’allez-vous faire une fois le monde conquis ? » L’empereur : « Je prendrai du repos sous un arbre. » « Eh bien, c’est précisément ce que je fais déjà ! », lança le saint sur un ton narquois.

La sagesse est dans la quiétude, dans le silence, dans le fait de se sentir « chez soi », entièrement libre de la pensée, quelles que soient les circonstances. Laissez le corps faire son chemin, selon les lois qui le gouvernent. La vraie religion est dans cet enseignement contenu en une seule phrase, un seul mot : « Soyez le Soi », « Soyez ».

Traduit de l’anglais par Béatrice Jehl