Claude Tresmontant
L'amour humain et la théorie de l'Information

Extrait de La Voix du Nord, 8 août 1980. Nos lecteurs connaissent la théorie biologique de l’information. Voici quarante ans déjà les biologistes découvraient ces molécules géantes qui portent et qui véhiculent l’information génétique. En 1953, un jeune biochimiste américain Watson, et son compagnon un peu moins jeune, Crick, découvraient la structure, la forme de […]

Extrait de La Voix du Nord, 8 août 1980.

Nos lecteurs connaissent la théorie biologique de l’information. Voici quarante ans déjà les biologistes découvraient ces molécules géantes qui portent et qui véhiculent l’information génétique. En 1953, un jeune biochimiste américain Watson, et son compagnon un peu moins jeune, Crick, découvraient la structure, la forme de ces molécules géantes qui portent l’information génétique : deux filaments enroulés l’un autour de l’autre dans une structure qui rappelle celle des escaliers en colimaçon. Cette molécule géante a pour propriété de se diviser et de se recopier elle-même fidèlement.

Nous connaissons la composition de cette molécule géante : quatre éléments fondamentaux, les quatre bases, qui sont comme quatre signes, un sucre, un acide phosphorique. Les messages sont écrits en utilisant des termes qui comprennent trois signes. Le télégramme se lit en longueur. Ce système linguistique a été inventé dès les origines de la vie, il y a plus de trois milliards d’années. Il est constant pour toutes les espèces vivantes depuis les origines, ce qui atteste l’unité de composition et donc l’unité d’origine de toutes les espèces.

Ces molécules géantes se trouvent pelotonnées à l’intérieur du noyau de la cellule. Ce sont les bibliothèques dans lesquelles sont inscrites toutes les informations qui sont requises pour commander à la construction d’un être vivant nouveau conforme à son espèce — non seulement celles qui sont requises pour le construire, mais aussi celles qui sont exigées pour qu’il puisse vivre et se développer. Autrement dit, dans cette bibliothèque logée dans le noyau de la cellule, se trouvent non seulement les informations, ou les instructions, ou les plans de construction qui déterminent l’anatomie de l’être vivant qui va être créé, mais aussi sa physiologie, son comportement, sa vie sociale et politique, ses amours. Tout est programmé, prescrit à l’intérieur de cette molécule géante logée dans le noyau de la cellule, tout ce qui est nécessaire pour que l’être vivant puisse être formé, constitué, et pour qu’il puisse vivre.

A partir de ces molécules géantes qui sont comme de longs télégrammes, sur lesquels sont inscrits, dans une langue constituée de quatre mots qui s’écrivent trois par trois, les messages constitutifs des êtres vivants, à partir de ces molécules géantes initiales, fondamentales, procèdent d’autres molécules géantes qui sont recopiées sur les précédentes et qui contiennent donc, elle aussi, l’information créatrice constituante. Mais ces secondes molécules géantes ont la capacité de sortir du noyau de la cellule et d’aller sur des appareils, les ribosomes, qui sont comme des chaînes de montage. Elles portent les instructions qui sont requises pour construire ces longues molécules fonctionnelles que sont les protéines.

Les protéines sont des molécules géantes qui sont écrites ou composées avec vingt éléments fondamentaux, vingt mots, les vingt acides aminés arrangés dans des ordres divers. Ainsi, avec les lettres de nos alphabets, nous pouvons écrire tous les livres du monde et même ceux qui n’existent pas encore. Avec vingt acides aminés, la vie a écrit ou composé toutes les protéines fonctionnelles de tous les êtres vivants depuis les origines de la vie.

Ce système aussi existe depuis les origines de la vie, il y a plus de trois milliards d’années, preuve, là encore, de l’unité de composition et d’origine.

Lorsqu’un lion épouse sa lionne chérie, il lui communique plusieurs millions de spermatozoïdes. Dans la tête de chacun de ces spermatozoïdes se trouve la molécule géante dans laquelle sont inscrites toutes les instructions requises pour construire un petit lion capable de vivre, de chasser, d’épouser à son tour. La lionne communique elle aussi un message qui se trouve dans l’ovule qui va être fécondé. Les deux messages, celui qui est donné par le lion et celui qui est fourni par la lionne, se combinent, selon des lois que nous ne connaissons pas encore, et l’ovule de la lionne se divise en deux, puis en quatre, et ainsi de suite : commence le développement du petit lion qui va naître quelques mois plus tard.

Lorsque l’homme s’unit physiquement à la femme, il communique, tout comme le lion, des millions de spermatozoïdes dont chacun contient, dans sa tête, la bibliothèque des informations requises pour composer un petit d’homme. La femme communique aussi un message et lorsque les deux messages se sont combinés, commencent le développement et la formation de l’embryon qui va aboutir à un enfant d’homme viable. L’homme et la femme ne créent pas l’enfant : ils communiquent l’un et l’autre un message. Lorsque les deux messages génétiques se combinent, commence un enfant d’homme qui n’existait pas auparavant. C’est donc bien une création réelle qui est à l’œuvre, mais ce ne sont pas l’homme ni la femme qui créent l’enfant. Ils se contentent de transmettre une information qu’ils ont eux-mêmes reçue. L’enfant ne leur appartient donc pas. L’enfant est créé dans la matrice de la femme. Il est un hôte.

Les biologistes nous enseignent depuis plusieurs années que la merveille qui fut l’invention de la sexualité a pour résultat que chaque être vivant créé est original, nouveau, inédit. Il est un poème nouveau et subsistant, tel qu’on n’en a jamais vu et tel qu’on n’en verra jamais plus.

Chaque être est irremplaçable. Dans le nouveau message génétique qui est constitué par la combinaison des deux messages génétiques, celui qui est fourni par le père et celui qui est fourni par la mère, il faut distinguer de longs chapitres qui commandent à la construction d’un vertébré, d’un mammifère, d’un anthropoïde, d’un homme, — et puis certains chapitres singuliers qui vont déterminer la singularité et l’originalité de cet individu nouveau qui vient d’être créé.

C’est ici que la biologie nous fournit des lumières nouvelles concernant la théorie de l’amour humain. Lorsqu’une femme regarde un homme, elle a l’intuition biologique, la connaissance intuitive et instinctive de l’information qu’elle peut en recevoir, car chaque homme communique des messages qui sont à son image et à sa ressemblance. La femme le sait, elle le sait avant toute instruction, avant d’avoir été à l’école. Elle sait que l’enfant qu’elle aura de cet homme, de tel homme, sera pour une part à l’image et à la ressemblance de cet homme. Elle a une connaissance intuitive, quasi prophétique, de l’enfant qui peut naître d’elle et de cet homme. C’est ainsi que la femme choisit, lorsqu’elle choisit, en fonction des messages qu’elle peut recevoir.

Léonard de Vinci disait de la peinture qu’elle est chose mentale. On pourrait aujourd’hui sans paradoxe soutenir la même chose de l’amour physique. La passion entre deux êtres, la passion physique entre Tristan et Yseult, entre Ysée et Mésa, comporte une logique profonde, une logique qui est celle de la biologie. L’enfant qui naîtra de cet amour est unique, exclusif, inédit, irremplaçable, et les amants ont tout à fait raison de dire que leur amour est unique, inouï et irremplaçable. Le message que l’un communiquera à l’autre va aboutir à la composition d’un message absolument original. L’amour est un choix parmi les messages. Anna Magdalena Bach savait intuitivement quels messages elle pouvait recevoir du maître de chapelle qu’elle avait entendu et qu’elle avait entrevu. Elle savait que de lui elle pouvait avoir des enfants qu’elle ne pourrait avoir d’aucun autre.

Il faut dont réhabiliter l’amour physique, l’amour passion, car il contient une logique de la nature et de la Création. On parle beaucoup aujourd’hui de l’amour physique, mais on en parle mal, parce qu’on ne discerne pas quelle est la signification métaphysique de l’amour passion. On en parle mal parce qu’on a dissocié ce qui relève du corps et ce qui relève de la pensée. C’est l’erreur de Descartes et l’école cartésienne.

La biologie moderne nous apprend à redécouvrir le fait que dans la nature tout est pensée, car tout a été pensé. L’amour humain est aussi une pensée, un amour entre deux pensées qui se sont choisies. Un être vivant, disait le grand Claude Bernard, se définit par son idée directrice. Un siècle plus tard, la biologie moderne nous découvrait que l’idée directrice et constituante de l’être vivant est inscrite physiquement dans ces molécules géantes qui se trouvent dans le noyau de chaque cellule. L’amour humain, c’est ce par quoi l’homme et la femme coopèrent à la Création en choisissant l’être qui va commencer d’exister. Ils le choisissent, cet être nouveau qui va être créé avec leur coopération, en se choisissant entre eux.