Gary Lachman
L’appel du destin : Expériences avec le rêve, le temps et la synchronicité

Traduction libre Cet article sur les synchronicités et les rêves précognitifs a été initialement publié dans le magazine Quest en 1997. Au moment où je l’ai écrit, je n’avais pas accès aux carnets de rêves que j’y mentionne, et j’ai donc dû me fier à ma mémoire. Depuis, j’ai récupéré ces carnets à Los Angeles, […]

Traduction libre

Cet article sur les synchronicités et les rêves précognitifs a été initialement publié dans le magazine Quest en 1997. Au moment où je l’ai écrit, je n’avais pas accès aux carnets de rêves que j’y mentionne, et j’ai donc dû me fier à ma mémoire. Depuis, j’ai récupéré ces carnets à Los Angeles, où ils dormaient dans un entrepôt, et je travaille actuellement à la rédaction d’un livre sur les rêves, le temps et leur étrange relation. Cet article peut servir d’avant-goût au traitement complet à venir [1].

Depuis 1980 environ, je tiens souvent un journal des rêves. Certaines années sont moins bien prises en compte que d’autres, mais dans l’ensemble, j’ai un carnet assez bien rempli de ce qui s’est passé dans mon esprit endormi au cours des dix-sept dernières années.

J. W. Dunne (1875-1949)

J’ai commencé ce journal après avoir lu un livre étonnant, An Experiment with Time, de J. W. Dunne. Dans ce livre, Dunne, un ingénieur en aéronautique, raconte comment il a découvert qu’il pouvait rêver l’avenir. Une nuit, il se réveilla d’un rêve dans lequel il argumentait avec quelqu’un au sujet de l’heure. Il disait qu’il était 4 h 30. Dans son rêve, Dunne a supposé, avec l’étrange logique des rêves, que sa montre à gousset avait dû s’arrêter ; il la saisit pour vérifier et constata que c’était le cas. Il se réveilla alors.

D’une nature curieuse, Dunne décida de voir quelle heure c’était « vraiment ». Il trouva sa montre de poche et regarda : elle s’était arrêtée à 4 h 30 précises. Dunne supposa qu’il avait dû le remarquer plus tôt, l’avait oublié, tout comme il oublia de la remonter puis qu’il en rêva. Il remonta sa montre et se recoucha. Lorsqu’il se réveilla plus tard, il supposa qu’il devait régler l’heure, car il n’avait aucune idée de l’heure à laquelle il l’avait remonté la veille. Lorsqu’il vérifia la montre par rapport à une horloge, il fut surpris de découvrir qu’elle était exacte. La montre s’était arrêtée à 4 h 30 du matin.

D’autres choses étranges se sont produites. Allongé dans son lit un matin, Dunne s’est demandé quelle heure il était. Il tenta une expérience. Il ferma les yeux et « tomba dans un de ces cas de semi-somnenlence dans lesquels on est conscient de sa situation » — ce que nous appellerions un « état hypnagogique » — et se concentra pour savoir quelle heure il était. Il vit une image de sa montre, posée devant lui. Elle indiquait huit heures deux minutes et demie (Dunne était méticuleux dans les détails). Il ouvrit les yeux et tendit la main vers sa montre. Sa vision était correcte : il était huit heures deux minutes et demie.

Peu de temps après, Dunne fit un rêve dans lequel il se trouvait en Égypte, près de Khartoum. Il vit trois hommes s’approcher du sud, vêtus d’uniformes militaires en loques, très semblables à ceux des soldats qu’il avait récemment combattus pendant la guerre des Boers en Afrique du Sud. Dans son rêve, il se demanda pourquoi ils devaient voyager à pied du bas au haut du continent et leur posa la question. Ils lui répondirent que c’était précisément ce qu’ils faisaient. Le lendemain matin, il vit un titre de presse : « Le Cap au Caire : Expédition à Khartoum », au-dessus d’un article décrivant l’expédition dont il avait rêvé.

Mais le rêve le plus excitant est sans doute celui de l’éruption de la Montagne Pelée sur l’île de la Martinique en 1902. Dunne a rêvé qu’il se trouvait sur une île, et que des fissures et des crevasses s’étaient ouvertes sous ses pieds. De la vapeur s’échappait de ces ouvertures, et dans le rêve, Dunne réalisa que l’île était sur le point d’exploser. Il savait qu’il devait s’échapper, et il essaya d’aider les 4 000 personnes dont il savait qu’elles seraient tuées. Le lendemain matin, le journal publia un article sur la catastrophe. Dunne s’était trompé sur le nombre de victimes ; il s’agissait de 40 000 et non de 4 000. Mais cette divergence s’est avérée être une clé de son expérience. En lisant l’article sur la catastrophe, Dunne s’était empressé de lire que 4 000 personnes avaient été tuées. Ce n’est que plus tard qu’il est revenu en arrière et a vu qu’il avait mal lu le journal. Dunne s’est rendu compte qu’il ne rêvait pas des événements réels — le volcan ou l’expédition — mais de sa lecture à leurs propos dans le journal du matin. Il avait rêvé de l’avenir, mais c’était de son propre avenir, un avenir spécifique, dans lequel il avait mal lu le nombre du journal.

Ce qui l’a conduit à croire que ce qu’il vivait était, aussi étrange que cela puisse paraître, « normal ». Il n’avait pas développé un étrange pouvoir de voir l’avenir ; nos idées sur le temps, croyait-il, étaient fausses. Nous pensons généralement que le temps se déroule dans un ordre précis : passé, présent, futur. Les rêves de Dunne lui présentaient son expérience habituelle, mais dans un ordre différent. Après avoir étudié de nombreux rêves, Dunne conclut qu’ils étaient constitués d’un mélange d’événements passés et futurs. Nous ne le remarquons généralement pas, car, d’une part, nous oublions facilement nos rêves et, d’autre part, nous accordons généralement très peu d’attention à notre expérience.

Dunne a ensuite écrit une série de livres intéressants dans lesquels il a développé sa philosophie du « sérialisme », une métaphysique quelque peu compliquée de différents « temps », chacun englobant l’autre. Tout en constituant une lecture fascinante, la théorie de Dunne nous laisse avec une régression infinie de « moi », chacun regardant en quelque sorte par-dessus l’épaule du moi précédent. Selon Dunne, la seule façon de remarquer qu’un temps est différent d’un autre est qu’il existe une conscience extérieure aux deux temps et capable de les comparer. Ainsi, le temps 1 est le temps quotidien du passé, du présent et du futur. Le temps 2, qui inclut le temps 1, est le temps des rêves, où le futur se mélange au passé et au présent. Le Temps 3 regarde le Temps 2 et le compare au Temps 1, et ainsi de suite jusqu’à ce que nous arrivions à l’ultime gardien du temps, Dieu, qui est conscient de tous les temps simultanément. Cette vision est inspirante, mais, pour moi du moins, insatisfaisante. Si vous pensez aux reflets infinis que nous obtenons lorsque nous tenons un miroir devant un autre, vous comprendrez ce que je veux dire.

Après avoir lu les livres de Dunne, j’ai décidé de tenir un journal des rêves. Je m’étais déjà intéressé aux rêves en lisant C. G. Jung et j’avais occasionnellement noté des rêves inhabituels. Et je m’étais intéressé au caractère étrange du temps en lisant le philosophe russe P. D. Ouspensky. Dans Tertium Organum, un nouveau modèle de l’univers, et son roman La vie étrange d’Ivan Osokin, Ouspensky, comme Dunne, partait du constat que nos idées habituelles sur le temps sont inadéquates. Ouspensky a exploré l’idée de l’éternelle récurrence — la notion que nos vies se répètent encore et encore. Ouspensky pensait que cela était responsable du déjà-vu, et il a spéculé sur un temps à six dimensions. Le temps est étrange, Ouspensky le savait, et comme Dunne, il pensait que notre représentation habituelle du temps était tristement inexacte. D’autres auteurs ont suivi, notamment T. C. Lethbridge et J. B. Priestley.

Lethbridge est surtout connu pour son travail avec les pendules, mais dans ses dernières années, il a écrit sur les « Dunne type dreams (Rêves de type Dunne) ». Priestley se qualifiait lui-même d’« homme hanté par le temps » et était influencé à la fois par Dunne et Ouspensky. Ses réflexions sur le temps et les rêves se retrouvent dans ses livres Man and Time et Over the Long High Wall. Il a également écrit des pièces basées sur les théories d’Ouspensky — Time and the Conways et I Have Been Here Before.

Rêves d’avenir

Cela dit, je dois mentionner que je n’ai pas de théorie pour rendre compte des « rêves futurs ». Le sérialisme de Dunne ne me satisfait pas. Les spéculations d’Ouspensky sur les quatrième, cinquième et sixième dimensions offrent davantage de pistes, mais je pense qu’elles constituent un début, pas une « réponse ». Me dire que je rêve de l’avenir parce que le temps est à six dimensions, c’est bien, à condition que vous me disiez aussi comment cela y répond. Malheureusement, lorsque je discute de ce sujet avec des amis, j’obtiens généralement une réponse similaire à celle-ci, ce qui me suggère davantage un manque de volonté de s’attaquer à la tâche difficile de la pensée qu’une compréhension sûre de la métaphysique du déplacement temporel.

Ce que j’ai découvert en suivant l’exemple de Dunne, c’est qu’il avait raison : des éléments du futur apparaissaient dans mes rêves, mais rien d’aussi excitant qu’un volcan (bien qu’ils soient réapparus plus tard). Ce qui apparaissait, c’était des éléments insignifiants. J’ai rêvé que je jouais d’une guitare rouge. Je n’en possédais pas, et je ne connaissais personne qui en possédait une. Mais plus tard dans la journée, par le biais d’une rencontre fortuite, je me suis retrouvé dans l’appartement de quelqu’un, et cette connaissance m’a tendu une guitare rouge, en me demandant de « l’essayer ». J’ai commencé à jouer de la guitare et je me suis alors rappelé que j’avais écrit ce sujet dans mon journal le matin même. J’ai rêvé d’être assis confortablement avec une femme séduisante que je connaissais un peu ; j’ai mis ce rêve sur le compte de l’accomplissement d’un souhait freudien jusqu’à ce que, toujours par le biais d’une connexion fortuite, je me retrouvai dans un cadre plus intime que ce à quoi je me serais attendu avec la femme en question. Des rêves similaires ont suivi, suffisamment pour me convaincre que quelque chose de plus qu’une simple coïncidence était ici à l’œuvre.

L’un de mes premiers « rêves futurs » s’est avéré être une « vision » d’un événement qui a eu lieu des mois plus tard. J’avais rêvé de me promener à l’arrière d’un scooter avec quelqu’un que je ne connaissais pas dans un quartier qui ne m’était pas familier. Le paysage était vallonné, avec des palmiers et d’autres végétaux non originaires de Manhattan, où je vivais à l’époque. Dans une partie particulièrement mémorable du rêve, nous passions devant de grands camions sur le côté desquels étaient peints les mots « conscience cosmique ». Un rêve assez étrange au départ, mais quelques mois plus tard, je me suis retrouvé à l’arrière d’une Vespa, en compagnie d’un nouvel ami, dans le quartier de Silverlake à Los Angeles, où je venais de déménager de Manhattan. Nous sommes passés devant les collines que j’avais vues dans le rêve, ainsi que devant les palmiers. Mais à la place des camions, il y avait autre chose. En passant devant une rue portant le même nom que mon ami — je me souviens de le lui avoir indiqué — je me suis souvenu du rêve. Soudain, j’ai eu une forte dose de déjà-vu, l’impression que des murs venaient de tomber et que ma conscience des choses s’étendait dans toutes les directions : une description assez proche d’un fragment de « conscience cosmique » pour me faire réfléchir à ce qui se passait exactement. À peu près en même temps que cet événement « d’éveil », j’ai eu un rêve lucide, très puissant — ce sont des rêves dans lesquels nous savons que nous rêvons — où se retrouvait le même ami, qui a généré le même sentiment étrange de conscience élargie.

Deux choses sont ressorties de ce rêve : la prise de conscience que certains événements futurs apparaissent « déformés » — ou « symboliquement », selon la façon dont on voit les choses — dans les rêves, et que la reconnaissance du fait que « vous avez rêvé ceci » s’accompagne d’une sensation et d’une émotion particulières. Le rêve accomplissait, en quelque sorte, sa propre prophétie : j’avais rêvé de conscience cosmique, et le fait de me souvenir de ce rêve dans la même situation à l’état de veille produisait une sensation de conscience élargie. Ouspensky disait que certains types de connaissances ne sont pas disponibles si nous ne sommes pas dans le bon état émotionnel. J’avais commencé mon expérience dans un esprit d’objectivité scientifique, mais j’ai vite compris que je ne pouvais pas traiter les rêves comme les autres objets d’étude. Ce ne sont pas des spécimens morts, comme semblent le considérer de nombreux chercheurs « scientifiques » sur les rêves. Pour les comprendre pleinement, il faut une certaine chaleur émotionnelle, un peu comme nous le faisons avec les gens.

Dans les années qui ont suivi, j’ai recueilli davantage de « rêves futurs ». Certains schémas sont apparus, ainsi que d’autres caractéristiques que Dunne n’avait pas mentionnées. Mes lectures de Jung m’avaient fait prendre conscience de la valeur psychologique des rêves, de leur signification en tant qu’indicateurs de ce que Jung appelait le « processus d’individuation », une approche des rêves apparemment inconnue de Dunne. Cela signifie que j’ai commencé à penser non seulement aux énigmes du temps et de la conscience que présentent les « rêves futurs », mais aussi à ce que ces aperçus signifiaient pour moi. Deux livres traitent de phénomènes connexes sous cet angle : The Waking Dream de Ray Grasse [1996] et Synchronicity, Science, and Soul-Making de Victor Mansfield [1995].

Certains des schémas traitaient du temps lui-même. Les rêves venaient par cycles. Il y en avait plusieurs en une semaine, puis aucun pendant quelques mois, puis une autre vague. Certains des plus spectaculaires concernaient des films. Pendant une période d’étude jungienne intense, j’ai rêvé d’un film sur le personnage de l’Ombre, un vieux roman de gare des années 30 — ce qui n’est pas inhabituel pour un lecteur de Jung. Je ne connaissais aucun film de ce genre et, bien que j’aie été un grand fan du renouveau des histoires à sensation dans ma jeunesse, je n’avais pas pensé à ce personnage depuis des années. Dans le rêve, l’Ombre apparaissait comme une figure bidimensionnelle sur un mur, puis elle sortait et devenait tridimensionnelle. J’ai fait ce rêve en 1990. En 1994, je suis allé voir le film The Shadow, avec Alec Baldwin, et j’ai vu exactement ce que j’avais vu dans mon rêve. Quelque temps auparavant, un ami qui travaillait sur la version de Dracula de Francis Coppola m’avait invité à une projection. Quelques nuits auparavant, j’avais fait un cauchemar effrayant dans lequel je sauvais une amie d’un visage macabre dans un village étrange, à la manière de Jérôme Bosch. Des loups étaient pendus à l’envers à des croix, des feux brûlaient, projetant des ombres rouge sang et une épaisse fumée noire, et des personnages à l’air répugnant se faufilaient entre les bras, les jambes et autres parties du corps, munis de haches et de piques. C’était un charnier, sorti tout droit d’un des enfers d’Emmanuel Swedenborg. Vraiment diabolique. Je suis allé à la projection et j’ai vu ce dont j’avais rêvé : le film commence par une scène de l’œuvre de Vlad l’Empaleur — des loups crucifiés, des feux, du sang et de carnage. Dans les deux cas, la « sensation » était là, ce que j’ai commencé à appeler le « glissement du temps (timeslip) ».

Nuage de Synchronicité

Outre les rêves chargés d’émotion, il y en avait beaucoup qui concernaient des choses banales et quotidiennes. Il m’arrivait de me tenir au coin d’une rue, de voir passer une voiture et de réaliser que j’avais rêvé de cela la nuit précédente. J’ai rêvé d’une fontaine, avec des marches en terre cuite s’élevant de chaque côté. Dans le rêve, c’était quelque part en Italie. Ce jour-là, par hasard, un ami m’a emmené à Hollywood et j’ai décidé de descendre à quelques rues de ma destination et de faire le reste du chemin à pied. Quand je suis sorti de la voiture, il y avait la fontaine et les marches ; ce n’était pas l’Italie, mais Sunset Boulevard. Et le sentiment. Pas exactement du déjà-vu, mais un étrange mélange de cette sensation et d’une autre décrite par Ouspensky, à partir de ses études avec Gurdjieff, appelée « rappel de soi ». Des amis jungiens ont « expliqué » mes rêves comme des « synchronicités ». Je ne doutais pas qu’ils l’étaient, mais je ne voyais pas en quoi le fait de les appeler ainsi plutôt que « coïncidences » me disait quelque chose sur la façon dont ils se produisaient.

J’ai remarqué que certaines conditions psychologiques semblaient, sinon causer les rêves, du moins les accompagner plus que d’autres. Les états de tension ou, à l’inverse, de grand intérêt et de bonheur semblaient être préférables à un état d’équilibre. La tension donnait l’impression désagréable que la membrane séparant le rêve de la réalité — des distinctions au mieux fragiles — avait été perforée. Les situations dans lesquelles j’entendais, métaphoriquement, le thème de la Quatrième Dimension (Twilight Zone) me donnaient l’impression de « rêver » alors que j’étais éveillé, et il fallait faire des efforts pour sauver les apparences et ne pas prendre la fuite. Il semblait alors que le sentiment de rêve s’infiltrait dans ma vie éveillée et que ma conscience consistait en un mélange des deux. À l’inverse, lorsque j’étais heureux, alerte et dans l’expectative, les synchronicités surgissaient presque à la pelle.

Une fois, lors d’un week-end à San Francisco, c’était comme si j’étais entré dans un « nuage de synchronicité ». Non seulement j’avais rêvé de plusieurs petits événements de la journée, mais je me suis retrouvé face à des coïncidences à gauche et à droite. Par exemple, j’étais en train de lire les récits d’Edgar Allan Poe et je venais de lire l’histoire d’un personnage particulier portant un nom inhabituel. J’ai levé les yeux vers le bâtiment devant lequel je me trouvais : le même nom était inscrit sur la façade du magasin. Plusieurs choses similaires se sont produites. De même, au début d’un déménagement en Europe, j’attendais mon vol à l’aéroport JFK en lisant Les abeilles de verre de l’écrivain allemand Ernst Junger, lui-même fin connaisseur des rêves et des phénomènes psychiques. Le héros décrivait comment, au cours de sa formation militaire, son sergent de cavalerie lui avait appris la valeur de l’apprentissage de la chute en organisant délibérément une glissade de la selle. Au moment où j’ai lu cela, j’ai levé les yeux pour voir un grand homme tomber à plat sur le dos.

Je mentionne les synchronicités, car, si certains de mes « rêves futurs » étaient clairement liés à mon développement psychologique, beaucoup ne l’étaient pas. Jung définit les synchronicités comme des « coïncidences significatives », en rapport avec notre « individuation », notre croissance et notre maturité. J’ai mentionné les volcans plus tôt. Il y a plusieurs années, je me suis réveillé d’un rêve dans lequel mon ex-épouse et moi étions avec son oncle au Japon. Il nous aidait à échapper à un torrent de lave et nous exhortait à nous dépêcher. Je n’avais ni rencontré son oncle ni été au Japon ; je n’avais pas non plus entendu parler du volcan qui était entré en éruption cette semaine-là jusqu’à ce que j’en fasse le rêve. Synchronicité ? Mais quel était le rapport entre les volcans au Japon et ma croissance psychologique ? De nouveau, il y a quelques années, j’ai rêvé de formidables explosions et de paysages dévastés ; ce n’est que plus tard dans la journée que j’ai réalisé que c’était le 6 août, jour anniversaire d’Hiroshima, ce dont je ne m’étais pas souvenu jusque-là. Certains « rêves du futur » étaient peut-être télépathiques ; mon ex-femme était peut-être en relation avec son oncle au Japon, et j’ai peut-être capté son intuition, mais elle ne m’en a pas parlé, et elle n’était pas au courant du volcan. En tout cas, cela me semble être un cas de synchronicité sans signification particulière pour moi. Pourtant, certains autres rêves avaient clairement une signification. Une nuit, j’ai rêvé du visage d’un homme directement en face du mien ; il était méchant et il criait. Cette nuit-là, je suis allé à un concert en plein air au Hollywood Bowl. Il y a eu un malentendu à propos de ma place, et j’ai perdu mon sang-froid avec un placeur. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que son visage était celui du rêve. Si j’avais été plus conscient, j’aurais pu éviter une dispute stupide.

L’écriture invisible

Mais mes rêves les plus marquants sont ceux dans lesquels je sens qu’une « intelligence » communique avec moi, me guide et me conseille. Dans ces rêves, je suis convaincu que quelque chose d’autre que « moi-même » est à l’œuvre. J’ai rêvé que je dansais dans un cercle de moines tibétains. Nous nous passions une pelote de laine d’un côté à l’autre ; lorsque la pelote arrivait à moi, elle commençait à se défaire. Nous nous sommes accrochés aux bords et avons dansé ; le fil s’est ouvert et un magnifique mandala est apparu. Je me suis réveillée avec le sentiment que quelque chose d’extraordinaire s’était produit. Ce jour-là, dans la librairie que je gérais, un collègue m’a dit qu’il avait trouvé une photo de moi dans ma vie antérieure. J’ai ri quand il a sorti un exemplaire de Les Enseignements secrets des bouddhistes tibétains (Secrets Teachings of Tibetan Buddhist) d’Alexandra-David Neel et m’a montré la quatrième de couverture. Il y avait la photo d’un moine rondouillard, chérubin, avec des lunettes rondes, comme celles que je portais. Je n’avais pas mentionné le rêve. L’ami a dit que cela signifiait que je devais me mettre au bouddhisme tibétain. Je pensais que cela signifiait que j’étais déjà sur le « bon chemin ».

Un dernier rêve. Dans la même librairie, j’ai pris l’habitude de mettre des livres de côté, en pensant que je pourrais les acheter. L’un d’eux était Hiéroglyphes (The invisible writing), l’autobiographie d’Arthur Koestler. Koestler raconte comment il a abandonné la vision matérialiste « scientifique » de sa jeunesse en attendant d’être fusillé en tant que prisonnier pendant la guerre civile espagnole. Pour passer le temps dans sa cellule, Koestler a développé la preuve mathématique qu’il n’existe pas de nombre premier le plus élevé. Il était tellement absorbé par ce travail qu’il a eu une sorte d’expérience mystique ; seul un petit souci au fond de son esprit l’a distrait. « Oh, oui », se rappelle-t-il, « je pourrais être abattu demain. Est-ce tout ? » Koestler réalisa alors qu’il avait eu tort de penser que la réalité du monde pouvait être trouvée dans la pensée marxiste rationaliste dans laquelle il avait été formé, dans les preuves visibles de l’histoire, de l’économie et de la sociologie. La réalité se trouvait dans ce qu’il appelait « l’écriture invisible », l’intuition, poétique et mystique. Cette expérience a changé sa vie. Il quitta le marxisme et se consacra à l’exploration de la créativité humaine et des points de rencontre entre la science et le mysticisme.

À l’époque où j’ai découvert le livre de Koestler, j’étais en pleine crise : Je devais décider si je devais poursuivre un programme de doctorat ou tenter ma chance en écrivant, comme j’avais toujours voulu le faire. Le doctorat serait synonyme de sécurité, d’emploi, de prestige, mais il impliquerait aussi de laisser tomber mes intérêts peu orthodoxes, comme mes rêves d’avenir, et de devenir un universitaire « sérieux ». J’ai décidé de ne pas acheter le livre. Cette nuit-là, j’ai rêvé que je retournais au magasin et que j’achetais Hiéroglyphes (L’écriture invisible). Un souhait exaucé ? Mais « acheté » en argot signifie accepter, croire. Le rêve me disait d’acheter plus que le livre ; il me disait d’« acheter » l’idée de « l’écriture invisible », un point qui m’est apparu littéralement lorsque j’ai emprunté une biographie de Jung cette nuit-là et que je l’ai ouverte au hasard à un chapitre décrivant ses idées sur les rêves en tant que messages d’un moi caché. Le titre du chapitre ? « L’écriture invisible ». Je n’ai pas terminé mes études supérieures.

L’article ci-dessus a été initialement publié dans Quest : Journal of the Theosophical Society in America, Vol. 85, Issue 12. Cet article a été republié dans New Dawn 181.

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1 Le nouveau livre de Gary Lachman, Dreaming Ahead of Time : Experiences with Precognitive Dreams, Synchronicity and Coincidence (2022), est disponible dans toutes les bonnes librairies et chez les détaillants en ligne.