Claude Tresmontant
Le christianisme et la guerre

Une armée de savants depuis une cinquantaine d’années a découvert et nous a fait connaître que l’animal, tout animal appartenant à toute espèce, est programmé. Ce qui signifie que dans le message génétique qui se trouve inscrit dans la molécule géante qui est pelotonnée dans le noyau de la cellule, il y a non seulement […]

Une armée de savants depuis une cinquantaine d’années a découvert et nous a fait connaître que l’animal, tout animal appartenant à toute espèce, est programmé. Ce qui signifie que dans le message génétique qui se trouve inscrit dans la molécule géante qui est pelotonnée dans le noyau de la cellule, il y a non seulement tous les renseignements et toutes les informations qui sont requises pour constituer et construire un système biologique conforme à celui des parents, et donc de même espèce, mais que de plus le message génétique contient les renseignements ou les informations qui sont nécessaires pour que l’animal puisse vivre, dans sa communauté. Ainsi les savants appartenant à l’école de Lorenz ou non, ont découvert qu’il existe chez l’animal, chez tout animal, des programmations qui portent sur la défense du territoire, la chasse ou la cueillette, les amours, la hiérarchie sociale, etc. Ces mêmes savants, par exemple Irenäus Eibl-Eibesfeldt, disciple de Lorenz, ont découvert aussi que le petit d’Homme naît également programmé. Le petit d’Homme naît avec en lui, dans son message génétique, des programmations qui sont inscrites dans le paléocortex ou le vieux cerveau, qu’on appelle aussi cerveau reptilien, parce qu’il est formé depuis l’ère reptilienne, il y a quelque cinq cents ou six cents millions d’années. L’enfant d’Homme naît programmé lui aussi en ce qui concerne la défense du territoire, le sens de la propriété, la réponse à l’agression, la soumission, les hiérarchies, etc. Depuis quelques années, on étudie les bébés d’Homme, et on découvre un univers insoupçonné. Tous les bébés d’Homme de tous les continents ont des comportements qui sont identiques et qui sont donc programmés.

Ceci, c’est donc la vieille humanité, l’humanité animale.

Tous les paléontologistes qui étudient les origines humaines, tous les naturalistes qui méditent sur l’apparition de l’Homme, l’Homo sapiens sapiens, en Afrique orientale, sans doute il y a quelque cent mille ans, sont d’accord pour reconnaître que ce qui définit l’Homme moderne, c’est son énorme cerveau, avec ses cent ou deux cents milliards de cellules nerveuses. Tous sont d’accord aussi pour reconnaître que cet animal qui est l’Homme se caractérise et se distingue des autres espèces animales antérieures à lui, par le fait que, grâce à cet énorme cerveau, il a franchi un seuil, le seuil de la conscience réfléchie. Grâce à cet accès à la conscience réfléchie, il est capable de faire n’importe quoi, en ce qui concerne la défense du territoire, la nourriture, les amours, et le reste, et il le fait. Les tigres et les lions et les loups, lorsqu’il existe un combat rituel pour une tigresse, une lionne ou une louve, ne s’entretuent pas. Le vainqueur pose ses crocs sur la nuque du vaincu, mais ne les enfonce pas. Cela aussi est programmé.

L’Homme est un animal qui, à cause de la conscience réfléchie à laquelle il a accès, est capable de massacrer l’Homme, de torturer, ce que les lions et les tigres ne font pas. Lorsque donc on compare l’humanité à la jungle, on fait gravement injure à la jungle, car les lions et les tigres ne se massacrent pas entre eux, et les lionnes et les tigresses ne tuent pas leurs propres enfants.

Un rabbi galiléen nommé en hébreu Ieschoua, avant les années trente de notre ère, a enseigné quelque chose. Lorsqu’on étudie son enseignement avec un peu d’attention, on remarque aussitôt que ce qu’il a enseigné, ce qu’il a communiqué, à ses disciples afin que ceux-ci nous le communiquent, c’est une nouvelle programmation.

Cette nouvelle programmation n’est pas communiquée par les gènes, par la voie biologique et génétique. Elle n’est pas inscrite génétiquement dans le paléocortex. Elle est communiquée par la parole et par la pensée, par l’intelligence et à l’intelligence. Elle s’inscrit, si elle est inscrite, dans le néocortex ou nouveau cerveau, le cerveau proprement humain, le cerveau de la conscience réfléchie et de la liberté.

Quel est donc cet enseignement ? Quelle est donc cette nouvelle programmation ?

Le rabbi galiléen a dit, il a fait observer que les renards ont des tanières, que les oiseaux du ciel ont des demeures, mais que lui, le fils de l’Homme, n’a pas de lieu, n’a pas de territoire, reposer sa tête.

Ce rabbi galiléen avait en effet pour habitude de s’appeler lui-même le fils de l’Homme.

Notons aussi en passant qu’il ne lui était pas nécessaire d’un long discours pour dire quelque chose de décisif, de foncièrement révolutionnaire. Une seule parole suffit. C’est à nous à en comprendre le contenu, à en extraire les richesses.

Cette parole a été comprise. L’Église, c’est-à-dire la nouvelle humanité qui est en genèse ou en formation sous son influence, sous l’influence et l’action de l’enseignement qu’il a communiqué, l’Église est en effet un système qui n’appartient à aucune nation, à aucun territoire. L’Église n’est pas et ne peut pas être nationaliste. Elle intègre dans l’Organisme spirituel qu’elle est et qu’elle constitue toutes les nations qui veulent bien entrer en elle.

Le rabbi galiléen a montré par son propre exemple et il a enseigné à choisir librement la pauvreté. La pauvreté librement choisie, c’est la liberté. Cela va à l’encontre des archaïques programmations animales qui poussent à la thésaurisation, à l’accumulation des richesses. Sur ce point, la doctrine du rabbi galiléen a été entendue et comprise. Des saints comme saint Antoine, saint François et des milliers d’autres, ont choisi librement la pauvreté, car la pauvreté librement choisie, c’est la liberté.

La liberté par rapport à quoi ? Par rapport aux antiques programmations animales.

Dans les sociétés animales, nous venons de le découvrir, il existe des hiérarchies strictes. Il existe un système de castes. Il existe des rites de soumission et de courtisanerie.

Dans les sociétés humaines archaïques il en va de même. Le système des castes est le plus ancien sans doute des systèmes politiques. On le trouve dans l’Inde ancienne. Mais on le trouve aussi dans la République de Platon.

Le rabbi galiléen en a parlé plusieurs fois, de ce système des castes, de ce système archaïque, animal, des dominants et des dominés. Et à plusieurs reprises il a dit aux hommes qu’il instruisait : Chez vous, il n’en sera pas ainsi. Vous n’adopterez pas ce système. C’est donc de nouveau une nouvelle programmation qu’il enseigne. Et sur ce point encore il a été entendu. C’est à cause de cette nouvelle programmation que l’Évêque de Rome depuis des siècles s’appelle lui-même le serviteur des serviteurs de Dieu.

Un disciple du rabbi galiléen Ieschoua, disciple qui s’appelait Schaoul, et qui était un rabbin pharisien, a écrit dans plusieurs de ses lettres que maintenant il n’y a plus ni Judéen ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus ni homme ni femme. Il n’y a plus ni Grec ni Judéen, ni barbare, ni Scythe, ni esclave ni homme libre. Maintenant tout est nouveau, parce que la nouvelle Création est commencée, en celui et par celui qui a communiqué les normes, les programmations de la nouvelle Création, de la nouvelle humanité.

Arrêtons-nous un instant sur ces propos du rabbin pharisien Schaoul, que les chrétiens appellent saint Paul, et essayons de mesurer l’incroyable audace de ces propos, l’extraordinaire révolution qu’ils introduisaient dans l’Empire romain, au milieu du 1er siècle de notre ère. Tout l’Empire romain était construit sur un système hiérarchique de classes et de castes. L’esclave n’avait même pas la dignité, la réalité de l’être humain. La distinction des classes et des castes, la hiérarchie sociale depuis l’Empereur jusqu’à l’esclave, était la base et le fondement de la construction. Et voilà donc qu’un va-nu-pieds venant de Judée ose écrire que ce système de castes et de classes sociales est périmé !

Sur ce point encore, l’enseignement du maître et fondateur du christianisme a été entendu.

Lentement, progressivement, mais dès la première génération, on voit les esclaves accéder à la dignité d’hommes à l’intérieur des premières communautés chrétiennes ; les aristocrates partager le pain et le vin, la persécution et le martyre, avec des esclaves. Bientôt on va voir des esclaves devenir papes de Rome, par exemple Callixte ou Calliste, — il existe deux orthographes.

C’était une extraordinaire révolution dont nous avons du mal à mesurer l’amplitude.

* * *

Le rabbi galiléen Ieschoua ha-nôzeri (que nous nous gardons bien de traduire par : de Nazareth) a aussi enseigné quelque chose en ce qui concerne l’agression. Tous les animaux de toutes les espèces animales sont programmés pour répondre à l’agression par l’agression. C’est naturel. L’enfant d’Homme aussi est programmé pour répondre à l’agression par l’agression. C’est naturel encore. C’est même biologique et animal.

Le rabbi galiléen Ieschoua a enseigné sur ce point encore une nouvelle programmation. Il a enseigné à ne pas répondre à l’agression par l’agression. Les textes sont nombreux. Chacun les retrouvera, s’il le veut bien, dans les Évangiles. Non seulement le fondateur du christianisme a enseigné à ne pas répondre à l’agression par l’agression, mais il a de plus expérimenté lui-même cette nouvelle programmation qu’il a enseignée. Lorsque Kêphas le Rocher a tiré son épée pour défendre son maître, lors de l’arrestation de celui-ci, le maître arrêté a dit : Celui qui prendra l’épée, périra par l’épée. — Il n’a pas répondu à l’agression par l’agression.

Les premiers chrétiens, des premières générations, des premiers siècles, ont fort bien compris cette nouvelle programmation, et l’originalité de cette nouvelle programmation. Durant tout le temps des persécutions, c’est-à-dire jusqu’à l’édit de Constantin, ils n’ont pas organisé une révolte armée contre les Empereurs romains persécuteurs et massacreurs. Ils ont prié pour leurs bourreaux. Nombre de ces bourreaux sont devenus chrétiens à leur tour. Au IVe siècle, l’empereur Constantin a demandé le baptême. Telle était la méthode proprement chrétienne.

Dans les tout premiers siècles, si un soldat passait du paganisme au christianisme, s’il se convertissait et entrait dans l’Église, alors il quittait le métier des armes. Il paraissait impossible aux premiers chrétiens d’adopter la nouvelle norme, la nouvelle programmation, l’enseignement de leur Seigneur, et de continuer à tuer. L’Église a horreur du sang. C’est un adage chez les théologiens. C’est un axiome. C’est un principe. L’Église a reçu de l’ancien monothéisme hébreu cette proposition qui se trouve dans le décalogue : tu ne tueras pas.

Ce fut la loi et la norme dans les premiers siècles de l’Église. Saint Augustin est mort en 430. Lorsqu’il est mort, les hordes venues du grand Nord, les Goths, les Vandales, déferlaient sur l’Afrique.

A partir de ce moment-là un problème nouveau s’imposait aux théologiens chrétiens. On ne peut pas dire à une population, même à une population chrétienne, de laisser massacrer les femmes et les enfants par les hordes sauvages qui venaient du Nord.

Il a donc fallu élaborer progressivement une théologie de la guerre.

Cette théologie de la guerre s’est élaborée et développée pendant des siècles. On était parvenu, à la fin du siècle dernier, au résultat suivant. Une guerre est juste et légitime si, et seulement si, elle est une guerre défensive, si elle est une guerre qui a pour raison d’être de protéger et de défendre les femmes, les enfants, les innocents, les vieillards, contre le massacre. Aucune guerre offensive, aucune guerre de conquête ne peut être théologiquement justifiable. Dans ce cadre déjà étroit de la guerre strictement défensive, les théologiens pendant des siècles ont accumulé les précisions et les limites. On ne fait pas la guerre après le coucher du soleil. On ne fait pas la guerre les jours de fêtes ni les veilles de fêtes. Seuls les hommes de guerre, les soldats, font la guerre. Les hommes, les femmes et les enfants, qui ne font pas partie des armées, sont absolument exclus de la guerre. Il n’est pas permis de toucher à un seul de leurs cheveux. Le soldat qui est assaillant, disons l’envahisseur, s’il tombe de son cheval, s’il est blessé, est sacré à vos yeux. Vous devez désormais le soigner. Vous n’avez pas le droit d’achever les blessés ni les prisonniers. Un prisonnier est sacré. Vous en êtes responsable devant Dieu. Et ainsi de suite.

On voit par que la notion moderne de guerre totale et absolue, qui consiste à massacrer aussi bien les populations civiles que les soldats de métier, était absolument étrangère aux vieux théologiens qui, pendant des siècles, se sont efforcés d’élaborer une théologie de la guerre. Il va sans dire, c’est évident, qu’aucune guerre ne peut être juste des deux côtés à la fois. Prenons l’exemple de la Grande Guerre de 1914-1918. Si cette guerre était juste du côté français, alors elle était injuste du côté allemand, et vice versa.

Or, — c’est encore un enseignement de la vieille théologie morale, — la conscience est souveraine. Vous n’avez pas le droit d’obéir à un ordre qui vous paraît injuste. Si une guerre vous paraît injuste et criminelle de votre côté, alors non seulement vous avez le droit de ne pas la faire, mais, bien plus, vous avez le devoir de vous refuser à la faire.

C’est la doctrine la plus classique, celle de saint Thomas d’Aquin.

Reprenons l’exemple de la guerre de 1914-1918. Cette guerre ne pouvait pas être juste à la fois et simultanément des deux côtés à la fois, du côté français et du côté allemand. Et donc normalement soit les chrétiens de France, soit les chrétiens d’Allemagne auraient refuser de faire cette guerre. Soit les évêques d’Allemagne, soit les évêques de France, auraient interdire aux hommes de leur pays de faire cette guerre, qui était forcément injuste et donc criminelle au moins d’un côté.

Or qu’est-ce qui est arrivé en réalité ? Le 13 décembre 1914, les évêques allemands publient une Lettre pastorale collective dans laquelle ils justifient la guerre franco-allemande de leur côté. En février 1915, Mgr Chapon évêque de Nice est chargé par les évêques de France de répondre aux évêques allemands. Mgr Chapon demande au Père Laberthonnière, de l’Oratoire de France, de rédiger le texte de cette Lettre pastorale collective. C’est ce qu’a fait le Père Laberthonnière. Son texte s’appelle Pangermanisme et Christianisme. Les deux premières parties sont publiées à partir de 1915 sous la signature de Mgr Chapon. Le cardinal Amette fait insérer dans la Semaine Religieuse de Paris en 1915 de longs extraits. Plus de soixante évêques donnent leur adhésion.

Voilà donc le scandale pour les païens qui regardent du dehors : les chrétiens, allemands et français, se massacrent entre eux, pendant quatre ans, et des deux côtés des évêques et des théologiens poussent à la guerre ou au moins l’approuvent.

Or, encore une fois, il n’était pas possible que cette guerre fut juste à la fois du côté ou du point de vue allemand, et à la fois du côté et du point de vue français. D’un côté au moins elle était injuste et donc les théologiens et les évêques devaient interdire aux chrétiens de la faire.

Il s’est trouvé durant la Grande Guerre de 1914-1918 un pape pour s’efforcer d’arrêter le massacre, pour conjurer les chrétiens d’Allemagne et les chrétiens de France de cesser de s’éventrer à la baïonnette.

Mais il s’est aussi trouvé un père dominicain célèbre pour proclamer en Église de la Madeleine à Paris : Non, très saint Père, sur ce point nous ne pouvons pas vous suivre…

Des deux côtés, du côté français comme du côté allemand, des théologiens avaient fait passer l’antique programmation, la programmation nationaliste, avant la programmation chrétienne. On connaît le bilan. Dix millions de morts.

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Le cardinal Ottaviani est mort il y a quelques années. Il n’était certes pas un petit abbé progressiste ni moderniste. Il était, il représentait, à ce qu’on dit, la droite et même l’extrême droite de l’Église

Il a publié un ouvrage sur la guerre, sur la théologie de la guerre. Et il est parvenu aux conclusions suivantes : Selon la doctrine la plus classique de la guerre, la guerre se justifie si, et seulement si, elle permet de sauver les personnes. Par exemple, si les Goths ou les Vandales déferlent sur l’Europe ou l’Afrique, on ne peut pas demander aux populations, chrétiennes ou non, de laisser massacrer femmes et enfants. Par conséquent il existe un droit naturel qui est le droit à la légitime défense. Ce droit à la légitime défense est précisé, codifié, comme nous l’avons rappelé dans notre précédente chronique. En aucun cas vous n’avez le droit de toucher aux civils, aux femmes, aux enfants, aux vieillards, au paysan qui travaille dans son champ. La guerre est une affaire entre hommes de guerre, entre soldats de métier ou non, mais volontaires. Lorsque Napoléon Bonaparte a instauré la conscription obligatoire, le service militaire obligatoire, l’Église de Rome a considéré cette décision comme une intolérable violence. Car encore une fois, selon la doctrine la plus classique de l’Église de Rome, selon la doctrine de saint Thomas d’Aquin, docteur commun de l’Église, la conscience est souveraine. Et si un garçon estime que telle guerre est injuste et criminelle, non seulement il a en conscience le droit de refuser de la faire, mais il en a le devoir. Le saint Curé d’Ars a été déserteur des armées de Napoléon.

Le cardinal Ottaviani qui connaissait mieux que quiconque la vieille théologie de l’Église de Rome a conclu que compte tenu des armes nouvelles qui étaient en construction après la dernière guerre mondiale, aucune guerre désormais ne pouvait plus être considérée comme légitime du point de vue théologique. Pourquoi ? Tout simplement parce que la seule justification de la guerre, d’une guerre, c’est de sauver les êtres, les personnes, les femmes, les enfants, les vieillards, les innocents. Si une guerre aboutit inévitablement au massacre général, alors elle n’a plus aucune justification. Et si elle n’a plus aucune justification, alors un chrétien normal et cohérent est tenu de refuser d’y coopérer.

Encore une fois, le cardinal Ottaviani représentait l’extrême droite de l’Église enseignante. Et telles sont ses conclusions.

Elles sont en effet évidentes du point de vue théologique, et du simple point de vue rationnel.

Les conclusions du grand cardinal Ottaviani ont été reprises, ratifiées et souscrites, par les papes Pie XII, allocution du 30 septembre 1954 ; Jean XXIII, Encyclique Pacem in Terris, 1963 ; Paul VI, Allocution aux Nations Unies 4 octobre 1965, et surtout par le Concile œcuménique réuni dans le Saint Esprit, Vatican II, Constitution Gaudium et Spes. Je cite : Tout cela nous force à reconsidérer la guerre dans un esprit entièrement nouveau. On reconnaît l’influence de la pensée et de l’œuvre du cardinal Ottaviani : Ce saint Concile ici réuni fait siennes les condamnations de la guerre totale déjà prononcées par les derniers papes Pie XII, Jean XXIII et Paul VI. Et il déclare, — n’oublions pas ici que le saint Concile œcuménique réuni dans le Saint Esprit exerce le pouvoir de l’infaillibilité et il dit donc la pensée de Dieu : Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants, est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, et il doit être condamné fermement et sans hésitation.

Telle est la doctrine de l’Église de Rome, formulée par un Concile œcuménique infaillible en matière de foi.

Un enfant de sept ans comprendra que si le massacre de populations civiles, hommes, femmes et enfants, par centaines de millions, est impensable aux yeux de l’Église de Rome, parce que c’est une abomination sans nom dans les langues humaines, alors la préparation et la construction de ces armes, qui ont pour but et pour visée de massacrer des hommes, des femmes et des enfants par centaines de millions, est exclue aussi. C’est bien pourquoi le même Concile œcuménique de Vatican, toujours dans la Constitution Gaudium et Spes, parle des dépenses fabuleuses qui sont consacrées à la fabrication de ces armes abominables et infâmes, tandis qu’une grande partie de l’humanité meurt de faim.

Les papes, à la suite du Concile œcuménique de Vatican II, n’ont cessé de répéter la doctrine de l’Église sur ce point. Désormais, du point de vue de la théologie catholique la plus traditionnelle, la plus classique, à cause de ces armes abominables, aucune guerre ne peut plus être considérée comme légitime, car elle aboutira non à sauver des personnes, mais à les détruire.

Rappelons encore une fois quelques points élémentaires de la théologie catholique la plus classique. Du point de vue de Dieu créateur, un petit enfant russe a un prix infini, au même titre qu’un petit enfant de France, ou un petit enfant d’Afrique ou d’ailleurs. Par conséquent vous ne pouvez aucunement envisager de toucher à un seul cheveu d’un seul petit enfant russe. A plus forte raison ne pouvez-vous pas envisager froidement de massacrer plusieurs centaines de millions d’enfants russes, avec leurs mères et leurs pères.

Vous avez le droit de vous défendre contre l’assaillant, du point de vue théologique, mais contre lui seul. Vous n’avez aucunement le droit de toucher à un seul enfant russe, tout simplement parce que l’enfant russe n’est pas votre assaillant. A la fin de la dernière guerre mondiale on a massacré à Hambourg, à Dresde et ailleurs, des milliers d’enfants allemands. C’est, aux yeux de l’Église de Rome, un crime abominable. On dira évidemment : Mais les Allemands ont bien bombardé les villes d’Angleterre et tué des petits enfants anglais ! Pourquoi les Anglais n’auraient-ils pas le droit de bombarder les villes allemandes et de tuer les enfants allemands ? Réponse : Parce que ce ne sont pas les mêmes. Ceux qui ont bombardé les villes d’Angleterre, ceux qui ont donné l’ordre de bombarder les villes d’Angleterre, ce ne sont pas les enfants qui ont été massacrés à la fin de la guerre à Hambourg, à Dresde ou ailleurs. Ils n’y étaient pour rien. De même, si demain le Kremlin donnait l’ordre d’annihiler les villes françaises, les petits enfants russes dans les villes de Russie n’y sont pour rien. Ce ne sont pas les mêmes.

Ceux qui ont des difficultés à sortir de la pensée magique, de la pensée archaïque, ont intérêt à lire les travaux de Lucien Lévy-Bruhl sur la mentalité prélogique.

Il existe aussi une proposition qui est compréhensible pour un enfant de sept ans : Pour résister aux Russes, il faut être. Le suicide collectif n’est pas le meilleur mode de résistance. L’annihilation réciproque n’est pas le fin du fin de la résistance.

Le rabbi galiléen Ieschoua a enseigné une méthode, une nouvelle programmation, qui est proprement thérapeutique. Tous ceux qui ont affaire à des grands malades, à des furieux, à des grands agressifs, à des fous, savent qu’on ne répond pas à l’agression par l’agression. Ce n’est pas une conduite thérapeutique. Ceux qui ont affaire aux animaux furieux le savent aussi. Ce n’est pas en répondant à l’agression par l’agression que l’on diminue l’agression de l’adversaire. L’humanité fait l’expérience, depuis plusieurs millénaires, de la vieille programmation, la programmation animale : répondre à l’agression par l’agression. On connaît le résultat. Dix millions de morts lors de la Première Guerre mondiale. Cinquante millions de morts lors de la Seconde Guerre mondiale.

(Extrait de La Voix du Nord, 7, 12 et 15 février 1984)