Traduction libre
2024-02-04
Une brève introduction
Le Dr Sachs a terminé ses études de médecine à l’université Ludwigs-Maximilians de Munich. Il travaille actuellement comme médecin en médecine psychosomatique et en psychothérapie, où il utilise, entre autres disciplines, la psychologie des profondeurs.
Le Dr Sachs examine la dynamique de nos processus mentaux les plus profonds, apparemment « inconscients », et montre des correspondances remarquables entre eux et les processus métaboliques tels que la synthèse et le repliement des protéines. Il suggère, dans une optique résolument idéaliste, que le métabolisme de notre corps n’est qu’une métaphore, l’apparence extrinsèque de nos processus mentaux internes et « inconscients ». En d’autres termes, le métabolisme pourrait être ce à quoi ressemblent les couches les plus profondes de notre propre esprit, lorsqu’elles sont affichées sur l’écran de la perception. Il s’agit d’un essai complexe, qui n’est pas des plus faciles à lire, mais qui vaut la peine d’être lu.
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Du point de vue idéaliste, qui suppose un fondement psychique ou spirituel de l’être, une énigme fascinante se pose : comment les innombrables aspects de notre monde, de la conscience humaine et de la matière au temps, à l’espace et à la vie, trouvent-ils leur origine dans ce fondement ?
Dans un article précédent [1], j’ai déjà discuté des trois ordres de la psychanalyse structurale (l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel), un développement de la conception de l’appareil psychique de Freud par le psychiatre français Jacques Lacan [2]. J’ai ensuite discuté de la manière dont la dissociation ou la division du sujet conduit à un manque d’être, ainsi que de la manière dont le sujet tente en vain de se retrouver. Dans le langage de la théorie des systèmes, ces tentatives répétées de « retour à soi » sont des processus autoréférentiels. J’ai déjà souligné les phénomènes des systèmes complexes qui découlent de l’autoréférentialité en relation avec les structures langagières du Symbolique, ainsi que sa structure référentielle itérative : les géométries fractales caractérisées par des motifs autosimilaires que l’on peut trouver partout dans la nature.
Le concept d’autosimilarité pourrait être une clé pour comprendre les liens plus profonds de notre réalité. Lorsque nous appliquons ce principe aux processus mentaux et physiques, une question passionnante se pose : existe-t-il une relation d’autosimilarité entre les processus inconscients qui régissent notre vie mentale et les mécanismes génétiques qui régulent nos fonctions corporelles ? Cette réflexion nous conduit à un examen plus approfondi de la psychanalyse structurelle et des processus biologiques.
Avant de poursuivre, il est extrêmement important de souligner que le « sujet » dont il est question ici n’est pas un individu humain au sens courant du terme. Comme je l’ai souligné dans l’article précédent, notre conscience quotidienne s’inscrit principalement dans une perspective imaginaire, ce qui signifie que le monde se présente à nous à partir de la perspective dissociée d’un « je » imaginaire. Cependant, en tant que sujet divisé, nous négligeons le lien avec les ordres symbolique et réel.
Par conséquent, lorsque je parle du sujet dans le présent essai, c’est dans le sens d’un Anthropos archétypal, l’« Esprit du monde » de Schelling, qui se déploie dans le temps et l’espace et se manifeste dans la diversité de tous les êtres vivants — et pas seulement en tant qu’humain. Les considérations se réfèrent aux structures topologiques de ce sujet dans les ordres du réel, du symbolique et de l’imaginaire.
La chaîne des signifiants
Dans le contexte de la psychanalyse structurale, le concept de « chaîne de signifiants » est essentiel pour comprendre le Symbolique et les structures langagières de l’inconscient. La meilleure façon de visualiser cette chaîne est de considérer les signifiants quotidiens que nous utilisons régulièrement et consciemment : les sons, les mots, les phrases. Ces éléments du langage sont reliés dans une séquence temporelle, connue sous le nom d’enchaînement diachronique.
Le sens d’un énoncé — le signifié — découle de la mise en relation de ces signifiants dans leur ordre spécifique. Un changement dans cet ordre peut modifier considérablement le sens, comme l’illustre l’énoncé « L’idéalisme est meilleur que le matérialisme » par rapport à « Le matérialisme est meilleur que l’idéalisme ».
Cependant, la chaîne des signifiants ne se limite pas à un enchaînement horizontal, diachronique (temporel). A chaque point de cette chaîne, on peut imaginer une chaîne ou un « plan » vertical, synchronique, qui ajoute des niveaux de signification supplémentaires. Cette liaison verticale des signifiants est comprise dans la psychanalyse structurale comme une métaphore, par opposition à la métonymie horizontale. Ici, l’accent est mis sur le fait que les significations renvoient toujours à d’autres significations et jamais directement à la « chose elle-même ». La combinaison des signifiants crée une sorte de barrière qui empêche l’accès direct au signifié, ou au sens. L’analogie est l’expérience de la recherche du sens d’un mot dans un dictionnaire : nous sommes souvent conduits d’un terme à l’autre, sans jamais parvenir à une clarification finale.
Par conséquent, la production de sens dans une chaîne de signifiants est un processus dynamique dans lequel le signifié change avec chaque élément ajouté — le signifié « glisse sous les signifiants », pour ainsi dire. Dans la psychanalyse structurale, le sens (le signifié) d’une phrase n’est pas déterminé uniquement par les signifiants individuels (les mots), mais de manière significative par leur séquence globale. Un phénomène important dans ce contexte est la détermination rétroactive du signifié d’une chaîne de signifiants, soulignant comment le sens d’une phrase est fixé par la fin de la chaîne.
Prenons l’exemple suivant : la phrase « Je t’aime » a un sens très différent de la phrase « Je ne t’aime pas ». Cela illustre la façon dont chaque signifiant ajouté modifie le sens global d’une phrase. De même, « je ne t’aime pas » suggère un contexte différent de « je ne t’aime plus ». Et cela change à nouveau si l’on ajoute « autant qu’elle », pour former « je ne t’aime plus autant qu’elle ». Dans ce cas, les mots « comme elle » influencent et fixent rétroactivement le sens de la phrase entière.
Le point de capiton
Cette dynamique de formation du sens peut être représentée topologiquement par le concept de « point de capiton », un concept dérivé du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure. Le modèle de Saussure suppose que le signifiant et le signifié correspondent point par point et forment ensemble un « signe », une hypothèse critiquée par la psychanalyse structurelle. Il souligne que le signifié d’une phrase est son sens global, qui ne résulte pas simplement de l’addition des significations des mots individuels, mais est fixé rétroactivement par la fin de la chaîne. Dans ce contexte, le point de capiton représente la fonction de signifiants spécifiques (appelés « signifiants maîtres »), qui interviennent dans le signifié chaotique, en le fixant et en le modifiant simultanément.
Le signifié : Le désir modifié par le signifiant
Dans le contexte de la psychanalyse structurale, le signifié est considéré comme une forme de besoin humain qui est influencé et transformé par le signifiant. Cette transformation du besoin par le signifiant est appelée « désir ». Cependant, le désir ne doit pas être compris uniquement en termes biologiques ou physiologiques : il est structuré par le signifiant et acquiert ainsi une dynamique particulière.
Les désirs ne sont pas seulement transformés par le signifiant, mais leur transformation est aussi associée à une perte — structurellement parlant, à un manque. L’ensemble des effets du signifié produit par le signifiant est ce manque. Ainsi, l’empreinte du signifiant dans le sujet conduit à l’émergence du signifié, qui peut aussi être compris comme un manque et qui est associé à la dissociation/division du sujet, comme je l’ai évoqué dans mon article précédent.
Ainsi, le signifié dans son ensemble n’est pas seulement le résultat de l’effet du signifiant, mais aussi l’expression du manque et de la dissociation/division du sujet qui découle de cet effet.
Le graphique du désir
En psychanalyse structurale, le « graphe du désir » [3] (voir ci-dessous) est utilisé pour illustrer le concept de point de capiton et les relations entre signifiants et signifiés. Cette représentation graphique comprend deux lignes principales formant un arc, chacune représentant des aspects différents du langage. La ligne qui va de S (signe linguistique) à S’ (signification linguistique) symbolise la chaîne des signifiants, c’est-à-dire la séquence des mots et des phrases que nous utilisons dans la vie de tous les jours au niveau de la conscience et de l’imaginaire. C’est ce qu’on appelle la « chaîne signifiante ». L’autre ligne, allant de ? (le sujet prélinguistique) à $ (le sujet barré) et formant un fer à cheval, représente la chaîne des signifiés, c’est-à-dire ce qui est généré en termes de sens et de signification par les signifiants. Cette deuxième ligne est appelée « vecteur du désir ».
En d’autres termes, le vecteur du désir représente les intentions subjectives découlant des besoins, la recherche délibérée de la satisfaction de ces besoins. La chaîne signifiante, quant à elle, représente des phrases telles que « Donnez-moi à manger ». Besoin et parole sont liés par les deux points d’intersection, symbolisant l’interaction entre signifiants et signifiés.
Le premier point d’intersection sur la droite est étiqueté « A » pour le français « Autre ». Il représente le code linguistique et le vocabulaire utilisés par le sujet. La majuscule indique qu’il s’agit de l’ordre symbolique. L’interaction à ce stade montre comment le vocabulaire s’imprime dans le sujet et modifie ses intentions, en influençant ses structures de besoins. Le désir est donc fortement dépendant de la relation à l’Autre. « Le désir est le désir de l’Autre » est la formule de la psychanalyse structurale pour désigner cet enchevêtrement. Il ne s’agit pas d’abord d’être désiré par l’Autre, mais de désirer en tant que l’Autre. Ce que nous considérons comme nos propres désirs est souvent constitué des souhaits et des messages de nos parents, grands-parents, arrière-grands-parents, etc.
Par conséquent, pour être satisfait, le besoin doit passer par la grille du langage. Il doit s’exprimer par des revendications ou des demandes symboliquement articulées. Pour être comprises, ces revendications doivent être exprimées dans un code prédéterminé.
Le point d’intersection de gauche est étiqueté « M » pour « message » : communication, message, nouvelles. Comme les chaînes de signifiants au niveau conscient, celles de l’inconscient ont aussi un message, un sens, un signifié. Le but de la pratique psychanalytique est de mettre en lumière les messages de l’inconscient : le sens des rêves, des symptômes, des parapraxies, etc.
Le graphique représente la façon dont le besoin est capturé par le langage et comment celui-ci est à son tour lié à la formation du « je ». Ce « je » idéal n’est pas seulement constitué de signifiants, mais il est aussi une modification de la structure pulsionnelle, puisqu’il agit en retour sur le besoin. Le symbole $ — un S barré — représente le sujet façonné par le langage et donc exclu de l’inconscient, siège du désir.
Il s’agit de nous rappeler que les besoins sont toujours déjà passés par ces stations et ont été façonnés par le langage ; que l’hypothèse d’un sujet entier, non divisé, porteur d’un besoin prélinguistique est donc une construction mythique fondée sur le désir d’une plénitude imaginaire. Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, la scission est constitutive du sujet. C’est elle qui rend le sujet possible.
Le signifiant maître
Le je (-idéal) doit être mis en relation avec ce que la psychanalyse structurale appelle le « signifiant maître » : un signifiant qui semble avoir un sens absolu, mais de manière illusoire. Par exemple, le « je » — avec lequel le locuteur se réfère à lui-même — est un signifiant maître. Il est à la base du mythe du Je idéal. Dans ce mythe, le Je apparaît comme une entité identique à elle-même. L’identité personnelle — l’absoluité du sens — est donc illusoire, car les signifiants ne fonctionnent que de manière différentielle. Le signifiant maître repose donc sur un blocage illusoire de la nature différentielle du signifiant. Et comme le sens repose sur la différence des signifiants, le signifiant maître est dépourvu de sens.
Les signifiants maîtres concernent l’identification ; plus précisément, une certaine forme d’identification : celle dont le résultat est appelé l’idéal du Je. Lorsque l’on cherche à clarifier le sens d’un signifiant, on est renvoyé d’un signifiant à l’autre, et le sens se déplace donc à nouveau. Comment se fait-il alors que les mots parlés restent compréhensibles ? C’est la fonction des signifiants maîtres mentionnés ci-dessus. Ils n’ont pas de sens eux-mêmes et se limitent à la fonction d’arrêter le mouvement de renvoi de sens en sens. De cette manière, ils cousent en quelque sorte les signifiants aux signifiés. Les signifiants qui réalisent cette fonction d’arrêt sont les signifiants-maîtres ou les points de capiton (comme ci-dessus) de la psychanalyse structurale : ils empêchent le signifié de glisser constamment sous le signifiant.
Si l’on se concentre sur le fonctionnement des phrases, le sens — qui se déplace avec chaque mot ajouté — est stabilisé par la fin de la phrase ; le signifiant dans la fonction de point d’ancrage est, en quelque sorte, le point.
Le fantasme
Un autre aspect important dans ce contexte est le concept de phantasme, déjà décrit dans l’article précédent. Le fantasme permet au sujet de se situer dans le contexte de ses désirs. Dans le phantasme, le sujet divisé ($) se rapporte à un objet dans lequel il projette ce qu’il a perdu en entrant dans le monde du langage. Le sujet, qui tente de se saisir dans son désir, ne peut d’abord se saisir que dans ce qu’il désire. Et là encore, le je ou l’idéal du Je au bout du vecteur du désir joue un rôle central, puisqu’il amène le sujet divisé à se situer en tant qu’objet et à se fixer de manière illusoire.
L’autosimilarité en biologie et en psychanalyse : Découvertes à l’intersection de la biosynthèse des protéines et de l’inconscient
La biosynthèse des protéines — un processus biologique central dans lequel les protéines sont synthétisées à partir d’acides aminés selon le modèle de l’information génétique contenue dans l’ADN et l’ARN — présente une analogie surprenante avec les concepts d’inconscient dans la psychanalyse structurelle.
Au cœur de la biosynthèse des protéines se trouve l’ARN messager (ARNm), qui agit comme un messager transportant l’information génétique du code ADN dans le noyau de la cellule jusqu’aux ribosomes, les sites de production des protéines. Là, la séquence de l’ARNm est traduite en une chaîne d’acides aminés spécifique qui se plie en une protéine fonctionnelle. Ce processus comporte plusieurs étapes : la transcription, la traduction et le repliement. L’ARNm joue un rôle clé en traduisant le « langage » de l’ADN en une forme qui peut être « lue » par les ribosomes et traduite en protéines par l’intermédiaire de l’ARNt.
Le lecteur attentif aura déjà remarqué la similitude. Les processus de l’inconscient nous sont transmis (en tant que « partie » dissociée du sujet divisé) sous la forme de la biosynthèse des protéines, à la manière d’une parabole. En d’autres termes, les processus de l’inconscient nous apparaissent comme une biosynthèse de protéines à partir d’une perspective dissociée (spatiotemporelle imaginaire).
Les mots et les phrases de la chaîne signifiante (S à S’ dans le graphique du désir ci-dessus) peuvent être facilement identifiés à la chaîne moléculaire de l’ARN messager, l’élément qui transmet le message génétique. Ainsi, d’un point de vue topologique, l’ARNm peut correspondre à une chaîne de signifiants dans l’inconscient. Si tel est le cas, on s’attendrait à ce que la protéine synthétisée émerge du vecteur du désir ; que le signifié corresponde à la protéine.
L’incarnation du sujet — l’organisme biologique — est façonnée par les protéines. Dans la perspective de la psychanalyse structurale, le sujet est clivé, dissocié ou exclu, ce qui est représenté par $ dans le graphe du désir. La barre du S symbolise que le sujet est marqué par les signifiants. Ce marquage a pour conséquence d’exclure le sujet d’une partie de lui-même, partie qui le constitue et que l’on appelle l’inconscient.
Cette division se reflète également dans notre corps, qui est « marqué » — entre autres — par le langage de l’ADN : des processus à l’intérieur de notre corps qui ne nous sont pas directement accessibles. En tant que tels, nous sommes également « divisés » physiquement entre la partie à laquelle nous avons accès (notre surface corporelle imaginaire) et la partie intérieure dont nous sommes à la fois psychologiquement et physiquement exclus parce que nous sommes « bloqués à l’extérieur ».
Le point de capiton ribosomal
Comme nous l’avons vu, le graphique du désir comporte deux points d’intersection entre la chaîne signifiante et le vecteur du désir, que nous avons appelés « A » pour Autre et « M » pour Message. Cela signifie que la satisfaction du besoin est soumise à un code dans le langage (A) et liée à la formation d’un message (M). Comparons cela avec les processus du ribosome.
Sur le site A du ribosome, l’ARNt chargé d’un acide aminé se lie, par l’intermédiaire de son anticodon, au codon correspondant de l’ARNm. Que représente cette reconnaissance du codon ? Ou, pour reprendre les termes de J.W.v.Goethe, comment se présente-t-elle au « pouvoir contemplatif du jugement » ? Pour que le processus de biosynthèse des protéines ait un sens, il doit se soumettre aux règles d’un code. Cette soumission s’effectue au niveau du site A du ribosome, que l’on peut donc aligner topologiquement sur le point d’intersection A du graphe du désir.
Au point d’intersection « M » du graphique du désir, le signifié est formé. Où pouvons-nous le situer dans le ribosome ? Comme nous l’avons déjà dit, le signifié correspond à la protéine synthétisée. Le site de cette synthèse, où émerge la protéine allongée, est le site P. Ainsi, nous trouvons les deux points d’intersection topologiques de manière autosimilaire aux positions correspondantes dans le ribosome.
Un autre lien est tout aussi clair : nous avons mentionné les dits signifiants maîtres, qui sont nécessaires pour finaliser la maille de la chaîne des signifiants (dans ce cas, l’ARNm) avec le signifié (la biosynthèse de la protéine) sous la forme d’un point de capiton. Ces signifiants maîtres n’ont pas de sens en eux-mêmes. Ils se limitent à la fonction d’arrêter le mouvement de renvoi d’un sens à l’autre. Or, qu’est-ce qui arrête la traduction, c’est-à-dire les mouvements de référence du ribosome d’où émerge la protéine (le sens, le signifié) ? Le codon dit « stop » ! Et pour ce codon-stop — aussi appelé « codon non-sens (!) » — il n’y a pas d’ARNt correspondant, donc il reste vide ; il n’a pas de sens lui-même, tout comme le signifiant maître n’a pas de sens lui-même.
Du point de vue du point de capiton, le rôle des ARNt, qui représentent des adaptateurs au sens de la biologie des codes [4] — c’est-à-dire les molécules qui établissent une relation entre deux types différents de molécules — devient également clair : les adaptateurs (les ARNt) exécutent le point de capiton en attachant les signifiants avec les signifiés. Ce n’est probablement pas une coïncidence si la structure de cet ARNt « point de capiton » est appelée structure en épingle à cheveux : l’aiguille avec laquelle le point de capiton est exécuté.
Le paradoxe de Levinthal
Une autre analogie remarquable est liée à la question du point de capiton : le paradoxe de Levinthal. Le biologiste moléculaire Cyrus Levinthal a découvert ce paradoxe en élucidant le processus par lequel une chaîne d’acides aminés atteint rapidement son état de protéine pliée. Le paradoxe est que la multitude combinatoire des repliements possibles augmente exponentiellement avec la longueur de la chaîne d’acides aminés et devrait nécessiter un temps considérable. Pourtant, le repliement des protéines se produit assez rapidement dans l’organisme.
Peut-on mieux comprendre ce paradoxe à l’aide des structures autosimilaires de l’inconscient ? Nous avons déjà évoqué la détermination rétroactive du signifié d’une chaîne de signifiants par la fin de la chaîne : le signifiant intervient aussi dans le signifié sur le plan diachronique, c’est-à-dire dans la succession temporelle de la chaîne de signifiants. Ici, le dernier élément d’une chaîne — un peu comme le point dans une phrase — détermine rétroactivement le sens de la phrase entière. Il y a une boucle de rétroaction entre le dernier élément de la chaîne et le signifié de l’ensemble de la chaîne.
La biosynthèse des protéines implique également la création d’un signifié, qui est précisément amené dans sa forme globale désirée — c’est-à-dire sa configuration pliée — par le dernier élément de la chaîne des signifiants, tout comme le sens d’une phrase est rétroactivement déterminé par sa fin.
Messages cachés : l’inconscient comme discours de l’Autre en psychanalyse et en biologie
Dans la psychanalyse structurale, l’inconscient est compris comme le « discours de l’Autre ». Cela signifie que l’inconscient est plus qu’un ensemble de signifiants, c’est un discours continu, une forme de communication faite d’interdits, d’instructions et de règles. L’auteur de ces messages n’est pas le sujet lui-même, mais l’Autre dans sa fonction symbolique. Cet « Autre » représente l’ordre symbolique qui pose des limites au sujet.
Le sujet doit répéter sans cesse la partie incomprise du discours de l’Autre, qui est intrinsèquement chargé de manque, se manifestant par des symptômes et des transferts. L’inconscient se manifeste dans cette répétition, dans les symptômes et les transferts.
De même, notre corps, nos cellules, parlent en nous en permanence, sans que nous en soyons conscients. Dans une répétition constante, les organismes émergent de leurs ancêtres et de leurs messages génétiques, pour se reproduire et transmettre les messages. Il s’agit de codes incompris, de règles, d’interdits et de commandements. Et ces messages agissent en nous, que nous le voulions ou non. Ils parlent sans cesse et s’échangent dans un réseau d’organismes.
Nous ne comprenons pas ce langage, ces messages, ils ne sont pas conscients pour nous. Et parce que nous ne les comprenons pas, nous sommes obligés de les répéter constamment. Ce faisant, nous produisons des symptômes. L’un de ces « symptômes » est notre corps, qui parle lui aussi sans que nous comprenions les messages.
Par conséquent, les organismes incarnés eux-mêmes peuvent être compris comme des points de capiton, comme des tentatives répétées du sujet de se coudre, de se trouver en tant que soi, et finalement de s’arrêter. Dans ce processus, de nouveaux signifiés, significations, protéines, organismes émergent continuellement, vus d’une perspective imaginaire comme un processus évolutif dans le temps et l’espace, des plantes aux animaux et jusqu’au « Je » humain.
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Texte original : https://www.essentiafoundation.org/metabolism-is-what-the-unconscious-mind-looks-like/reading/
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1 https://www.revue3emillenaire.com/blog/le-sujet-au-dela-du-je-a-propos-de-la-psychanalyse-structurelle-par-le-dr-ludwig-sachs/
2 https://www.lacanonline.com/ ou https://lacan-entziffern.de/ (allemand)
4 Barbieri M. What is code biology? Biosystems. 2018 Feb;164:1-10. doi: 10.1016/j.biosystems.2017.10.005. Epub 2017 Oct 6. PMID: 28993248.