Jean Haab
Le petit poucet

La perpétuation de la Tradition s’est toujours effectuée de deux manières absolument différentes mais cependant complémentaires. La première d’entre elles s’est appuyée sur les Maîtres et les Écoles de Mystères. La seconde manière est plus occulte et fonctionne totalement à l’insu des profanes puisqu’elle utilise l’inconscient populaire sous la forme des contes et des légendes.

(Revue Énergie Vitale. No 6. Mai-Juin 1981)

La perpétuation de la Tradition s’est toujours effectuée de deux manières absolument différentes mais cependant complémentaires.

La première d’entre elles s’est appuyée sur les Maîtres et les Écoles de Mystères. Nous en parlons au passé car si les Maîtres existent toujours, il faut bien reconnaître, qu’en Occident tout au moins, leur action est strictement souterraine et qu’ils demeurent ignorés de leurs contemporains. Or, il n’en a pas toujours été ainsi puisque dans l’antiquité le Sage était publiquement reconnu comme tel, qu’il avait un statut social et faisait partie intégrante de la cité. Par ailleurs les Écoles de Mystères comme celles d’Éleusis ou de Thèbes ont tout simplement disparu.

La seconde manière est plus occulte et fonctionne totalement à l’insu des profanes puisqu’elle utilise l’inconscient populaire sous la forme des contes et des légendes. Elle prévalut chaque fois que les ténèbres s’abattirent avec trop d’intensité sur le monde et que toute transmission au grand jour risquait d’attirer les foudres d’une quelconque inquisition.

L’étymologie du mot « légende » est riche d’enseignements puisqu’elle provient du gérondif latin legendus, legenda, legendum signifiant « ce qui doit être lu ». Une légende est donc un texte d’un intérêt primordial et non pas une historiette populaire tout juste bonne à faire rêver les enfants.

Les Contes de la Mère l’Oie (La Loi Mère), ceux de Grimm, d’Andersen, de Perrault enfin, remontent fort loin et se retrouvent, sous des formes à peine altérées, dans toutes les parties du monde. Ils furent manifestement élaborés par des adeptes qui confièrent au folklore le soin de véhiculer une sagesse de plus en plus menacée par la nuit envahissante.

Nous proposons aujourd’hui l’étude d’un conte universellement connu : « Le petit Poucet ».

Cet enfant qui devait son nom à sa petite taille était le dernier né des sept enfants de deux pauvres bûcherons. Il était si menu que ses parents en avaient honte et lui confiaient les travaux les plus pénibles.

Ces sept enfants symbolisent les sept chakras. Poucet, le dernier né, n’est autre que « Muladhar », ce chakraracine, méprisé par la morale de ce monde, prostitué par les foules, mais sur lequel repose toute l’architecture psychique de l’homme.

Une grande famine survenant, les parents résolurent de perdre leurs enfants dans la forêt.

Cette famine correspond aux ténèbres qui s’abattent périodiquement sur le monde et notamment au cours de l’actuel kaliyuga. Alors la Connaissance déserte les sanctuaires, les religions se substituent à la Tradition, et les êtres sont dans une grande détresse car «l’homme ne se nourrit pas seulement de pain»…

La forêt représente Maya, ce monde des illusions où se perdent les consciences oublieuses de Dieu.

Poucet, cependant, entendit leur conciliabule et s’empressa de remplir ses poches avec de petits cailloux blancs qu’il était allé chercher au ruisseau. Le lendemain, les parents conduisirent leurs enfants dans la forêt et les abandonnèrent après leur avoir fait faire maints détours. Bien entendu, Poucet n’eut aucun mal à retrouver son chemin qu’il avait jalonné avec les cailloux blancs.

Si Poucet est le dernier-né selon la matière, il est sur le plan spirituel où tout est inversé par rapport à nous, le premier à naître à la Lumière, d’où sa vigilance et sa lucidité. Ayant entendu ce que tramaient ses parents il s’en fuit puiser dans l’âme du monde, symbolisée par l’eau du ruisseau, les jalons qui lui permettront de ne pas s’égarer dans le labyrinthe initiatique.

L’eau est en effet l’élément – symbole du plan astral qui couvre une immense échelle vibratoire. C’est ainsi que les eaux gelées, croupies ou fangeuses portent la marque du bas astral tandis que les eaux vives d’un torrent ou d’un ruisseau figurent l’astral supérieur.

C’est donc au niveau de l’astral supérieur que Poucet va chercher ses « cailloux » dont la couleur blanche atteste la pureté.

Les pierres constituent également un symbole puisque de leur frottement jaillit le feu qui est Dieu.

Rentrés chez eux, les parents trouvent dix écus, qui leur avaient été rapportés en paiement d’une vieille dette, dont ils n’espéraient plus le remboursement. Ils achetèrent aussitôt beaucoup de viande, « trois fois plus qu’il n’en fallait pour le souper de deux personnes ». Et c’est au moment où ils regrettaient l’abandon de leurs enfants que ceux-ci firent irruption dans la chaumière.

Dès que les enfants ne sont plus à la maison, la prospérité revient. En effet, selon une loi initiatique bien connue, les plans inférieurs d’un être sont mis en évidence par la Lumière Divine avant d’être transmutés — tout rayonnement ayant pour première conséquence la création d’un cône d’ombre.

Mais une prospérité obtenue par étouffement de la lumière (les sept enfants figurant les sept chakras) ne pouvait aucunement durer. II est d’ailleurs significatif qu’elle ait été accompagnée de nourritures strictement terrestres telles que les viandes. Quant aux dix écus, ils peuvent être assimilés aux dix Sephirot qui constituent selon la Kabale les dix expressions de Dieu, dont seule la contrepartie négative a été utilisée en la circonstance.

Les dix écus ayant été vite épuisés, les parents furent de nouveau contraints d’abandonner leurs enfants dans la forêt. Cette fois, malheureusement, Poucet se trouva pris de court et dût utiliser des miettes de pain pour marquer son chemin. Les oiseaux les mangèrent et les enfants se perdirent.

Poucet avait manifestement commis l’erreur de se laisser engourdir par cette prospérité fallacieuse. Son attention fut donc émoussée et il n’eut pas le temps de chercher son salut dans l’astral supérieur. Contraint de recourir à des mies de pain pour remplacer les cailloux blancs, il se fia du même coup à des choses matérielles et périssables qui le trahirent.

Poucet monta alors au sommet de l’arbre le plus élevé et vit briller une lumière provenant de la maison de l’Ogre.

L’arbre, c’est la colonne vertébrale de l’homme (support des chakras).

L’ascension réalisée par Poucet ne peut certes pas être considérée comme la remontée jusqu’à Sahasrar (chakra coronal) des énergies accumulées en Muladhar (chakra-racine), mais elle est néanmoins suffisante pour déclencher l’illumination partielle de Sahasrar. Symboliquement, Poucet retrouve le chemin de l’initiation, chemin qui doit forcément passer par la demeure de l’Ogre, autrement dit par l’épreuve. Ce qui signifie qu’en rencontrant l’Ogre, Poucet effectuera la descente aux Enfers sans laquelle aucune initiation ne revêt un caractère d’authenticité.

Le nom même de l’Ogre provient de l’Orcus latino-étrusque figurant le dieu populaire de la mort. C’est également de cette divinité que l’orque, une baleine tueuse, tire son nom.

Les enfants se rendirent dans la maison de l’Ogre et l’Ogresse les fit coucher dans un grand lit, à côté de ses sept filles. Comme ces dernières avaient chacune une couronne sur leur tête, Poucet échangea ces couronnes contre les bonnets de coton que ses frères et lui portaient.

Les sept filles de l’Ogre représentent les sept péchés capitaux. Dès l’instant où les couronnes sont placées sur la tête de ses frères et de lui-même, les sept dons du Saint-Esprit se substituent aux sept péchés capitaux. Et l’Ogre ne peut plus rien contre les enfants.

Trompé par l’obscurité qui règne dans la chambre, l’Ogre égorge ses sept filles et va se coucher. Poucet et ses frères s’échappent alors, et notre héros s’empare des bottes de sept lieues de l’Ogre. Celles-ci lui permettent de réaliser une promotion sociale considérable et feront de lui le messager du roi.

Poucet et ses frères se trouvant sous la protection du Saint-Esprit, aucun mal ne pourra plus leur être fait.

Les sept péchés capitaux s’étant convertis en lumière, les sept filles sont égorgées.

Les bottes de sept lieues symbolisent les pouvoirs attribués aux Réalisés. Le chiffre sept employé ici est en relation avec les sept Sephiroth de la « Petite face de l’Éternel », c’est-à-dire avec tous les mondes s’échelonnant entre la Trinité Divine et l’homme.

La promotion sociale obtenue par Poucet représente le passage du plan humain au plan divin.

Enfin, sa fonction de Messager du roi, c’est-à-dire de Dieu, l’identifie à Hermès, dieu du Commerce entre le Ciel et la Terre, prototype de l’adepte parfait auquel Pythagore songeait vraisemblablement lorsqu’il prononça la phrase fameuse : « N’importe quel bois ne peut pas faire un Hermès. »