Robert Linssen
Le problème de la drogue

Indépendamment du point de vue médical, de nombreux partisans du L.S.D. se situent à un point de vue mystique. Parmi ceux-ci citons l’écrivain Timothy Leary, auteur de Introduction to L.S.D.: the consciousness expanding Drug, décrivant la « révélation » du L.S.D. comme suit : « Vous vous êtes introduit au cœur de la formule d’Einstein, vous êtes pénétré du sens du quintessentiel de la nature de la matière, votre cœur bat en harmonie avec sa pulsation primordiale, cosmique. »
Richard Alpert déclare de son côté : « Le L.S.D. est une des clés de la sagesse (!) ; ma vie m’est apparue infiniment plus satisfaisante à partir de ma première expérience psychédélique… » Définir une drogue comme « clé de la sagesse » situe immédiatement l’auteur d’une telle affirmation et la nature des notions qu’il possède de la « sagesse ».

Depuis la parution de cet article en 1976, de très nombreuses recherches et études ont été publié sur le sujet. Toutefois la conclusion de l’article reste valable : Ce n’est pas en modifiant artificiellement la chimie de notre cerveau que nous serons transformés, c’est notre transformation qui changera cette chimie.

(Extrait de l’Univers de la Parapsychologie et de l’Ésotérisme dirigé par Jean-Louis Victor, Tome 1, éditions Martinsart, 1976)

Psychédéliques, expériences psychiques et spirituelles

En ce dernier quart du XXe siècle le problème de la drogue, de l’usage des hallucinogènes et des psychédéliques a été abordé avec passion, tant par les adversaires que les partisans. Nous tenterons au cours de cette brève étude d’élever le débat et de le situer sur un plan à la fois scientifique et spirituel.

Parmi les maîtres spirituels adversaires des drogues quelles qu’elles soient, il faut citer le penseur indien J. Krishnamurti.

Ce dernier déclare à ce propos : « … Le stimulant dont on est tributaire est cela même qui engourdit l’esprit et le rend insensible. En prenant certaines drogues, on peut temporairement avoir assez d’énergie pour voir les choses très clairement mais on retombe dans l’état où l’on se trouvait, et l’on devient de plus en plus assujetti à ces stupéfiants. Tout stimulant, que ce soit l’alcool, les drogues… nous met inévitablement dans un état de dépendance qui fait obstacle à notre vision directe. Or, c’est cette vision qui déclenche la vitalité de notre énergie ». (Se libérer du connu, p. 76). Dans le numéro du Crapouillot, l’écrivain Jean Cau prend passionnément parti contre l’usage du L.S.D. et considère que de telles pratiques sont « indignes », « minables », « abjectes » et « immondes ».

Devant l’ampleur des drames quotidiens résultant de l’usage et de l’abus des psychédéliques, de nombreux périodiques ont, entre 1966 et 1975, pris une position hostile. L’Express titrait un article « L.S.D. voyage au cœur du délire », Le Monde parlait « des poisons de l’esprit ».

L’usage de certaines drogues, et notamment le L.S.D., a cependant ses partisans, mais à titre purement médical. Citons parmi eux : le professeur Hanscar Leuner, président de la Société européenne pour la thérapie psycholytique, le psychanalyste italien Emilio Servado, président de la Société psychanalytique italienne, le Dr Sidney Cohen, directeur de l’Hôpital neuropsychiatrique de Los Angeles, Richard Alpert, professeur de psychologie à l’université de Harvard. Ce dernier n’est favorable qu’à titre purement médical.

Mais indépendamment du point de vue médical, de nombreux partisans du L.S.D. se situent à un point de vue mystique. Parmi ceux-ci citons l’écrivain Timothy Leary, auteur de Introduction to L.S.D.: the consciousness expanding Drug, décrivant la « révélation » du L.S.D. comme suit : « Vous vous êtes introduit au cœur de la formule d’Einstein, vous êtes pénétré du sens du quintessentiel de la nature de la matière, votre cœur bat en harmonie avec sa pulsation primordiale, cosmique. »

Richard Alpert déclare de son côté : « Le L.S.D. est une des clés de la sagesse (!) ; ma vie m’est apparue infiniment plus satisfaisante à partir de ma première expérience psychédélique… » Définir une drogue comme « clé de la sagesse » situe immédiatement l’auteur d’une telle affirmation et la nature des notions qu’il possède de la « sagesse ».

Nous exposerons plus loin le point de vue des Maîtres authentiques de l’Éveil intérieur avec lesquels nous avons vécu, concernant ces problèmes. Ne soyons pas dupes de la similitude apparente du langage exprimé par certains mystiques et celui de drogués après absorption de L.S.D. ou de psilocybine. A titre d’exemple, des comparaisons ont été faites entre certains fragments relatant des extases mystiques authentiques et d’autres fragments empruntés aux expérimentateurs des psychédéliques. Saint Jean de la Croix écrit dans La Nuit noire de l’âme : « … Nous ne recevons cette connaissance mystique de Dieu dans aucune sorte d’images, dans aucune représentation sensible dont nos esprits ont l’habitude de faire usage en d’autres circonstances. Selon cette connaissance, dans laquelle n’interviennent ni les sens, ni l’imagination, nous ne pouvons retirer aucune forme d’expression, pas plus que nous n’en pouvons fournir aucun rapport, ni aucune ressemblance, bien que la mystérieuse et douce sagesse nous vienne si clairement des plus secrètes parties de notre âme… Imaginez un homme qui voit une certaine sorte de chose pour la première fois de sa vie. Il peut la comprendre, l’employer et en jouir, mais il ne peut lui donner un nom, ni communiquer aucune idée sur elle. Combien plus grande sera son impuissance quand il s’agira d’une manifestation au-delà des sens. C’est là, la difficulté du divin langage. Plus il est pénétrant, intime, spirituel et supersensible, plus il dépasse les sens, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, et impose le silence. L’âme, quand elle se sent placée dans une vaste et profonde solitude, à laquelle aucune chose créée n’a accès, dans un désert immense et sans borne, le désert le plus délicieux et le plus solitaire. Là, dans les abysses de la sagesse, l’âme grandit en s’abreuvant aux merveilleux printemps de la compréhension, de l’amour… et reconnaît que, quels que soient les termes sublimes que nous employons, ils sont tout à fait vils, insignifiants et impropres quand nous cherchons à discuter les choses divines avec nos propres moyens. »

Ce texte mystique de saint Jean de la Croix est comparé aux deux textes suivants, empruntés aux expérimentateurs du L.S.D.
1° Dans l’ouvrage L.S.D. et expérience mystique par G.R. Jordan. « Dans ce vide noir, il n’y avait que moi, et je priais pour accepter cette mort. Dieu marchait vers moi et je criais de joie. Ma propre voix semblait parler de sa venue, mais je n’y croyais pas. Soudain, et d’une manière totalement inattendue, le Zénith du vide fut illuminé par la présence aveuglante de l’Unique. Comment l’ai-je reconnu ? Tout ce que je puis dire, c’est qu’il n’était pas possible de douter. En bas, au-dessous : moi. Au-dessus : l’Unique. Soudain la lumière d’au-dessus fusa vers moi, vers le bas. Alors j’ai su qu’il n’y avait que Dieu. »
2° Aldous Huxley, dans Les Portes de la perception écrit : « Il me semblait que je détectais l’équivalent d’un souffle, mais d’un souffle sans retour à un point de départ, sans reflux périodique… seulement un flot de beauté vers une plus grande beauté… Des mots, tels que « grâce » et « transfiguration » me vinrent à l’esprit, parce que, naturellement, entre toutes choses, c’étaient eux qui convenaient. Mes yeux voyageaient de la rose à l’œillet et de sa légère incandescence aux bandes lisses d’améthyste qui étaient dans l’iris. La vision de béatitude, le Sat-Chit-Ananda, la joie d’être conscient, je les comprenais pour la première fois ».

Tous ces textes évoquent des états d’épanouissement de conscience, des communions mystiques profondes avec vision d’une claire lumière primordiale, joie, amour, mais ils ne sont, en aucun cas, la preuve d’une sagesse véritable, non dans le sens qu’y donnerait Richard Alpert mais un Éveillé authentique. La sagesse véritable exclut d’office tout état de dualité entre un observateur et les phénomènes observés. Elle exclut tout processus d’objectivation pour la simple raison qu’elle dissout, sur le plan psychologique, en tout cas, le centre personnel qui commente de telles objectivations et comparaisons.

Ensuite, les maîtres de l’Éveil nous enseignent que la nature des moyens que nous utilisons conditionne celle de la fin. Le sage nous pose immédiatement la question : « Qui » veut se droguer? Qu’est-ce que désire réellement ce moi ? Que voulez-vous obtenir? Dès l’instant où vous voulez atteindre quelque chose par le truchement d’une drogue ou d’une technique mentale, à l’instant même où vous faites effort vers le but que vous vous assignez, s’établit à votre insu, dans votre inconscient, les schémas mentaux qui ne sont que la matérialisation de vos propres désirs.

Deux Indiens éminents consultés au sujet de la drogue et des états mystiques adoptent un point de vue très clair sur ce point : Richard Alpert dont nous avons regretté la définition de drogue comme clé de la sagesse confie lui-même la réponse que lui donnait le mystique indien Meher Baba.

« Il a suggéré que si le L.S.D. et les autres psychédéliques peuvent faire partir quelqu’un pour un voyage spirituel, ou avoir une valeur thérapeutique, leur valeur en tant que moyen d’atteindre les plus hauts niveaux de la conscience est illusoire. » (Revue Planète, n° 33, avril 1967, p. 125). De son côté, Krishnamurti déclare : «… Vous prenez une drogue, et si vous êtes un artiste vous voyez des couleurs plus intenses, plus vives, plus vivantes, plus vivaces; si vous êtes conditionné par des dogmes religieux ayant trait à un sauveur ou à des maîtres, très évidemment, quand vous prenez cette drogue vous verrez vos propres projections. Les projections de votre conditionnement alimentent votre plaisir et, superficiellement, votre manière de vivre peut en être modifiée, mais il est évident qu’ainsi vous ne connaissez pas cette chose que l’homme a toujours recherchée… » (Au seuil du Silence, p. 24) : et : « … Lorsque vous prenez des drogues, vous en dépendez, et tôt ou tard, elles auront toutes sortes d’effets désastreux. » (Beyond Violence, p. 95). La plupart des partisans de la drogue en général, ou du L.S.D. en particulier, qu’ils se placent à un point de vue purement scientifique ou médical, ou qu’ils se placent à un point de vue mystique, ont été influencés par les travaux d’Aldous Huxley (The doors of perception), d’Alan Watts (The Joyous cosmology), dont les conclusions sont à notre avis assez contestables, malgré les appels à la prudence d’A. Watts lui-même. Ces publications ont été le point de départ d’un malentendu regrettable dont les conséquences ont été aussi considérables que désastreuses.

L’usage abusif de la mescaline, des hallucinogènes et des psychédéliques s’est répandu dans toute la jeunesse américaine, parmi les étudiants de nombreuses facultés de psychologie d’universités connues, telle celle de Harvard, où certains professeurs eux-mêmes ont encouragé, soit tacitement, soit ouvertement, l’absorption de psychédéliques. Certains parmi ces professeurs furent priés de démissionner de leurs fonctions et s’engagèrent dans une propagande intensive pour l’absorption de psychédéliques sous prétexte d’expériences mystiques. Entre 1958 et 1972 des centaines de milliers de jeunes hippies, répartis dans d’innombrables sectes mystiques principalement situées en Californie, s’adonnaient à diverses drogues, hallucinogènes et psychédéliques. Mal informés par des gurus ignorants ou des imposteurs, ils étaient convaincus que ces pratiques s’inscrivaient dans les techniques du bouddhisme Zen. Les reportages cinématographiques du Belge Verhaegen à la télévision belge, ont montré l’ampleur du malentendu Zen dans les sectes hippies de Californie. Telles sont les raisons pour lesquelles dans de nombreux pays, tels l’Amérique et l’Australie, le public, mal informé, associe l’usage des hallucinogènes, des psychédéliques et de la drogue au bouddhisme Zen. Il est important de souligner ici que le bouddhisme Zen est totalement étranger à la drogue. Les maîtres authentiques du Ch’an ou du Zen condamnent énergiquement de telles pratiques. Le terme Bouddha signifie Éveille et libéré des conditionnements psychologiques de l’égoïsme.

Aux yeux des maîtres du bouddhisme, le drogué par quelque substance que ce soit, hallucinogène ou psychédélique, est dans un état antinaturel, d’intoxication et d’autohypnose dans lequel il est simplement témoin de ses propres créations mentales. La drogue en fait un infirme, privé de la vigilance indispensable à l’éveil intérieur.

L’usage de plantes dites métagnomiques remonte à la plus haute Antiquité, tant en Inde qu’en Amérique du Sud. L’absorption d’extraits de certaines racines, de certaines plantes, tel le peyotl, permettait d’accéder à des états de conscience supranormaux au cours desquels de nombreux phénomènes se produisaient. Le peyotl est une plante de la famille des cactus, appelée Echinocactus Williamsi. Ce cactus non épineux se développe surtout dans une région montagneuse du Mexique. Il donne une fleur rose. Depuis les temps les plus reculés, le peyotl est considéré comme une plante sacrée dont la récolte s’accompagne de nombreux rites et fêtes. La plante est découpée en rondelles que l’on fait sécher au soleil. Elle se vend sous le nom de mescalbuttons.

La consommation du peyotl provoque un état d’ivresse accompagné de visions et de divers phénomènes semblables à ceux produits par l’eau de vie d’agave ou mescal. Les causes de ces différents phénomènes ont été étudiées. Elles sont attribuées à une présence de divers alcaloïdes parmi lesquels figurent la mescaline, l’anhalonidine, l’anhalonine, la lophophorine, la peyotine, l’anhalamine. Certains, parmi ces alcaloïdes, activent l’excitabilité médullaire. D’autres ralentissent les rythmes du cœur et de la respiration.

Parmi les précurseurs de l’étude scientifique des effets hallucinogènes et autres de l’absorption de la mescaline, il faut citer les Drs Prentis et Morgan. Leurs premiers travaux publiés en 1885 ont été repris et développés par Serke, Mayer-Gross et Stein, Guttmann, Zucker et le Dr Beringer. Ce dernier rendit compte de ses découvertes en 1927 dans un ouvrage intitulé Uber den Mescalinrausch.

Les partisans de l’étude scientifique des hallucinogènes en général et du L.S.D. en particulier présentent plusieurs arguments en faveur des recherches dans ce domaine. Parmi ces arguments, il est fait mention des lumières importantes qu’apportent les effets de l’absorption de certaines drogues, tel le L.S.D., sur la chimie de la physiologie du cerveau. Des informations intéressantes auraient également été recueillies sur le processus des perceptions sensorielles, sur le chimisme des réactions émotionnelles et mentales.
Grâce aux essais expérimentaux du L.S.D. des psychiatres peuvent à présent prévoir les différentes phases évolutives d’une schizophrénie. En effet, les états psychotiques, provoqués par le haschich, la mescaline et le L.S.D., ont permis d’obtenir des informations sur la schizophrénie et d’autres manifestations des maladies mentales. Le fait que l’absorption de certaines drogues par l’être humain déterminait des psychoses, attira de plus en plus l’attention des psychologues, des psychanalystes et surtout des psychiatres. Ces constatations contribuèrent à la création de plusieurs départements de psychiatrie expérimentale et de neuropsychiatrie centrés sur l’étude des hallucinogènes, des psychédéliques, de leurs effets psychiques et des processus présidant à leurs actions.

C’est en 1941 que fut réalisée la découverte de la diéthylamide de l’acide lysergique connue sous le nom de L.S.D. 25. Les recherches expérimentales ont depuis lors révélé deux propriétés principales du L.S.D. 1° Celui-ci engendre des états psychotiques offrant une grande similitude avec des crises intenses de schizophrénie. 2° Des effets peuvent être observés chez l’être humain à partir de doses assez faibles de l’ordre de 30 microgrammes de L.S.D. Les caractères cliniques des psychoses résultant de l’absorption de L.S.D. offrent une grande similitude avec ceux de la schizophrénie, mais ils ne donnent que peu d’informations sur leur localisation dans l’organisme. Il semble que malgré la similitude des processus psychotiques L.S.D. et schizophréniques, il reste nécessaire d’accorder une place de priorité aux facteurs d’ordre psychologique. Les psychiatres et neuropsychiatres s’intéressent non seulement aux effets du L.S.D. 25 (diéthylamide de l’acide lysergique) mais aussi à ceux que provoquent la psilocybine et ses dérivés.

Effets physiques et psychiques du L.S.D.

Les effets d’une dose de 30 à 150 microgrammes de L.S.D. se manifestent pendant huit à dix heures. D’autres substances agissent moins longtemps. Tel est le cas d’un dérivé de la psilocybine, dénommé C.Z. 74, dont les effets ne subsistent qu’entre quatre et cinq heures. L’action de ces différentes substances se manifeste en général quarante-cinq minutes après absorption par voie buccale. Cette période de latence est ramenée à dix minutes environ lors des injections par voie intramusculaire.

Les effets du L.S.D. ou du C.Z. 74 peuvent être divisés en deux phases. D’abord une phase physique. Diverses sensations végétatives assez désagréables, telles des nausées, parfois des vomissements, troubles cardiaques, fébrilité ou tremblements nerveux, sueurs froides ou frissons se produisent de façon un peu différente suivant les sujets. Ces troubles qui sont considérés normaux aux yeux de nombreux partisans de diverses drogues doivent être considérés comme un avertissement. Ils constituent en fait la manifestation d’une auto-défense de l’organisme à la suite de l’agression et de la violation des lois naturelles pouvant porter atteinte à son intégralité et à son équilibre. Contrairement à ce qu’affirment les partisans de diverses drogues, il ne s’agit nullement d’une auto-défense de l’ego, mais d’un réflexe de la sagesse instinctive du corps. Affirmer que l’absorption de certains psychédéliques peut réellement dissoudre l’ego est à la fois infantile et de la plus haute gravité. Nous y reviendrons en détail. Parmi les signes cliniques suivant l’absorption de diverses drogues il faut noter la mydriase ou dilatation anormale de la pupille, augmentation de la tension artérielle. Tous les indices d’une hypersensibilité nerveuse et psychique se révèlent tour à tour jusqu’au moment de la seconde phase.

A ce moment se réalise la phase dite psychique. Elle se caractérise par diverses visions de couleurs, de lumières ou d’éclairs de lumière, des phénomènes de clairaudience, ou audition de sons, parfois de musiques célestes si le sujet est artiste ou sensibilisé à la musique. Très souvent se déroule le spectacle étrange d’une multitude d’êtres humains, souvent tous semblables, groupés en grand nombre au milieu d’une avenue, le plus souvent immobiles, très rarement mouvants. Dans la mesure où l’expérimentateur est l’objet de tensions conflictuelles inconscientes et de peurs ou angoisses secrètes, la phase psychique peut lui offrir le spectacle de visions d’horreur, de spectres menaçants et grimaçants, de monstres conduisant à une confusion délirante.

Hypothèses sur les processus d’inhibition des drogues

Un instinct de conservation fondamental préside à la formation ainsi qu’au maintien des espèces depuis les êtres vivants primaires en organisation jusqu’aux êtres humains. Les biologistes savent maintenant que toutes les informations recueillies au cours des tâtonnements innombrables de l’évolution sont stockées, intégrées et forment les bases principales d’une sorte de mémoire dont le code génétique est la manifestation. Ces mémoires constituent, chez l’être humain, en plus des mémoires accumulées dans sa propre existence, la partie la plus importante de son inconscient. L’inconscient porte en lui les empreintes de l’instinct de conservation des espèces. En fait, il se protège derrière un écran d’autoprotection que forme la partie consciente de chaque être humain. La partie consciente du cerveau contient et forme à la fois une sorte de filtre remplissant une fonction à la fois régulatrice et auto-protectrice.

Les spécialistes de neurophysiologie et de neuropsychiatrie ont découvert que le L.S.D. et les autres drogues produisent leurs effets, non directement par eux-mêmes mais indirectement. Ils suppriment, à titre provisoire, le filtre que constitue la partie consciente du cerveau permettant ainsi l’irruption souvent désordonnée des images inconscientes qui se donnent libre cours. Des expériences ont été faites à la Faculté de médecine de l’université de Californie au cours desquelles des modifications ont été apportées à l’électricité cérébrale. Elles ont abouti à la suppression partielle du filtre auto-protecteur permettant la réalisation d’expériences semblables à celles de l’intoxication psychédélique. Il n’est pas exclu que le L.S.D. et d’autres drogues puissent avoir une action dissolvante sur l’adrénaline du corps humain.

La suppression du « filtre auto-protecteur » peut se réaliser de deux façons. La première, inévitablement bénéfique, est celle de la voie naturelle de la méditation véritable enseignée par la sagesse et les Maîtres de l’Éveil. Elle libère l’être humain de la peur et de l’angoisse par la révélation de sa véritable nature qui est « une » avec la nature profonde de toutes choses. Dès lors, l’être humain n’est plus un exilé vivant hors de sa patrie réelle. Il est « retourné chez lui » comme le disent les Éveillés. Ce retour n’est pas le résultat d’un court-circuitage de l’ego par une drogue quelconque mais par une dissolution lucide et vigilante des fausses identifications mentales. La seconde suppression du filtre auto-protecteur se fait par des drogues diverses. Elle peut transformer l’être humain tantôt en véritable saint tantôt en monstre sanguinaire. Ce que sera l’être humain, lorsque seront supprimés les freins régulateurs de son comportement et les filtres auto-protecteurs, dépendra de son potentiel d’acte d’amour ou de cruautés.

Des sectes de drogués, authentiquement diaboliques, véritables magiciens noirs du XXe siècle occidental, existent tant en Amérique qu’en Angleterre et en Europe continentale. Ces pitoyables faillites de l’humanité ont pour représentants, soit de véritables tyrans capables de fasciner et d’asservir leurs disciples, par la drogue, la magie et la débauche sexuelle. D’autres, pires encore, ne vivent que de violences, de cruautés, de crimes individuels ou collectifs. Les affaires du genre Sharon Tate en Amérique ne sont pas exceptionnelles. Les polices internationales possèdent hélas de volumineux dossiers incroyables qu’il est préférable de passer sous silence. Rien ne peut remplacer l’équilibre des processus de la nature, si, par nature, nous entendons, non l’aspect extérieur d’une nature plutôt dualiste et conflictuelle, mais l’Essence profonde unique des êtres et des choses.

Lors d’une communication du plus haut intérêt au congrès de Sophrologie de Nice, en février 1975, le professeur C. Demarty, se référant aux travaux des professeurs Das et Gastaut et de ceux du professeur Caycedo, détenteur de la chaire de l’École de psychiatrie de l’université de Barcelone, évoque l’action des médicaments ou drogues sur les états de conscience. Il déclara notamment : « On peut d’une manière médicamenteuse faire varier les niveaux de conscience; ainsi nous pouvons faire figurer sur notre schéma une ligne de points allant vers I et I’, le long desquels se déplacera le niveau de notre conscience, soit vers le haut, sous l’influence par exemple, des amphétamines ou des métamphétamines ou encore du L.S.D. ou de certains autres stupéfiants; soit vers le bas sous l’effet des barbituriques, des hypnotiques, comme l’éther, le chloroforme, le protoxyde d’azote, etc. Vous remarquerez que cette ligne de points est située marginalement à l’état ordinaire, et tend, vers ses extrémités, à s’infléchir vers l’état pathologique, car il y a, au fur et à mesure de l’influence de ces produits sur l’organisme, une dissolution progressive de la volonté qui provoque une perte de contrôle du sujet sur son état. L’usage abusif des stupéfiants rendra de plus en plus facile cette dissolution et la courbe s’infléchira de plus en plus tôt vers l’état pathologique et le pénétrera en profondeur. Le stupéfiant ne sera donc jamais une voie de libération mais une illusion de celle-ci, puisqu’elle est située également en miroir par rapport à l’état sophronique.

« Une autre raison la situe également à l’opposé des véritables états méditatifs : le yogi ou le moine zen se concentrant recherchent en premier lieu l’apaisement du mental avec une fonte de plus en plus totale de l’activité mentale. » Or les hallucinogènes provoquent tous une exacerbation des perceptions sensorielles tout à l’opposé de l’étape à franchir par le candidat méditant.

Rappelons enfin les variations de l’activité électrique du cerveau étudiées par les professeurs Das et Gastaut de Marseille dont les travaux ont été publiés en 1967 aux éditions Masson. Nous y relevons les réactions des différents états de conscience et ondes cérébrales enregistrées par les électro-encéphalogrammes. L’état ordinaire de la conscience se divise en plusieurs niveaux caractérisés par des ondes spécifiques. Premièrement : un niveau de repos caractérisé par les ondes alpha ou ondes de Berger. Leurs fréquences varient de 7 à 13 cycles par seconde avec une moyenne de 10,5. Deuxièmement : un niveau de concentration intellectuelle : le rythme bêta variant autour de 24 cycles à la seconde et pouvant augmenter jusqu’à 30 cycles seconde et même au-delà. Troisièmement : les ondes delta ou ondes du sommeil variant autour de 3 à 4 cycles seconde. Elles sont pathologiques au niveau de veille.

Traitements psychanalytiques au L.S.D.

L’absorption de L.S.D. à petites doses délivre beaucoup de patients de certaines inhibitions bloquant généralement les possibilités d’énoncer ou de révéler les contenus de l’inconscient. Certains auteurs considèrent qu’à doses minimes, certains patients parviennent à saisir directement, sous forme de diverses images et symboles, des zones inexplorées de leur psyché. Ces constatations ont conduit de nombreux psychanalystes américains à l’administration de traitements méthodiques à l’aide de doses légères de diverses drogues. Ces traitements doivent être effectués sous une surveillance psychothérapeutique très sévère après une longue expérience du psychothérapeute. L’unanimité n’est pas réalisée quant à l’opportunité de telles méthodes. La moindre erreur dans cette voie peut entraîner des troubles psychiques assez graves. Elle peut éventuellement suggérer à certains patients névrotiques la tentation d’absorber les drogues en dehors du traitement psychothérapique.

Deux espèces de traitements ont été mis au point. Le premier porte le nom de psycholyse ou traitement psycholytique. Il a pour point de départ le pouvoir d’activation et de libération des contenus de l’inconscient résultant de l’absorption de certaines drogues à dose minime. Le second traitement porte le nom de traitement psychédélique. Il est basé sur les expériences d’épanouissement de conscience et états mystiques provoqués par le L.S.D.

Le traitement dit psycholytique, inauguré principalement par les psychanalystes américains Bush et Johnson, envisage l’application thérapeutique du L.S.D. dans les cas suivants : névroses d’angoisse, perversions sexuelles, névroses caractérielles. L’absorption de doses minimes de L.S.D. permet au patient de se livrer plus spontanément au psychanalyste. Elle révèle les traumatismes de la plus tendre enfance en des contours d’une extraordinaire précision parfois revécus avec intensité émotionnelle. Le traitement psycholytique est contre-indiqué dans les cas d’hystérie ainsi que pour des patients dont le Moi n’est pas suffisamment structuré. Les doses doivent être calculées de telle façon que les patients conservent leur vigilance d’esprit et sont capables d’exprimer leurs sentiments et pensées au psychanalyste.

Le traitement psychédélique est assez contesté, non dans ses incidences psychologiques, mais au niveau spirituel. Il est également désigné par le terme technique d’expansion de l’esprit. Les premières tentatives de traitement psychédélique sont dues au psychanalyste américain W. N. Pahnke. Il administra 40 microgrammes de psilocybine à une vingtaine d’étudiants en théologie avant leur présence aux cérémonies religieuses du Vendredi saint. Les réponses à un questionnaire préparé par Pahnke révélèrent que les étudiants éprouvèrent de profondes joies mystiques, expansion de conscience, sensation de bonheur mystique intense, sentiment d’amour profond. Quelques mois plus tard, un second examen révéla la profonde influence qu’avait déterminée l’expérience toxique sur les sentiments religieux de la plupart des étudiants. Cependant, des investigations plus précises dans ce domaine révèlent à quel point la plupart des expériences religieuses sont entièrement conditionnées, soit par les anciens contenus de l’inconscient de chacun, soit par des suggestions apportées consciemment ou inconsciemment par les psychanalystes expérimentateurs.

La plupart des expérimentateurs psychanalystes, dans ce domaine, préparaient leurs patients par des séances collectives leur suggérant les possibilités et même les contenus des expériences exceptionnelles qui les attendaient. Certains s’efforçaient d’éduquer leurs patients par la lecture de textes mystiques bouddhistes ou autres. Il va de soi que de telles préparations n’aboutissent qu’à des états d’autohypnose au cours desquels les patients ne contemplent que leurs propres créations ou celles qui leur ont été suggérées par les préparations antérieures. Tant pour le L.S.D. que pour la psilocybine, les doses doivent rester faibles.

Le professeur Hanscarl Leuner tente d’expliquer le pouvoir de transformation et de guérison des alcooliques par le L. S. D. dans les traitements du psychanalyste Mac Lean par le choc des visions mystiques, extatiques ou autres. Si la thérapeutique psychédélique du L.S.D. a permis de guérir de nombreux alcooliques, il est dangereux d’extrapoler et d’affirmer, comme Van Dunsen, que l’expérience psychédélique représente « le cœur absolu de l’expérience humaine ». Les maîtres de l’Éveil sont fermement opposés à des affirmations semblables à celles contenues dans ces lignes du professeur Hanscarl Leuner : « Cette expérience est le centre qui rend possible une compréhension du Tout. C’est ce que les Japonais appellent le Zen-Satori, ce que la religion hindoue appelle Moksha. Il apparaît que le L.S.D. et les drogues psychomimétiques rendent possibles le contact avec ces expériences antiques et universelles. »

Dangers psychologiques et spirituels des drogues

Parmi les effets psychologiques négatifs de l’absorption de diverses drogues, il importe de noter que les perceptions visuelles physiques tendent à perdre de leur acuité et de leur précision tandis qu’au contraire, les visions et hallucinations deviennent plus actives. Le temps et l’espace perdent leur signification habituelle. Les perceptions sensorielles de la corporéité disparaissent parfois complètement. Le sujet a le sentiment de ne plus avoir de corps. Parfois ses propres membres, mains ou pieds, lui semblent appartenir à une autre personne.

La non-perception des effets de polarisation et de dépolarisation des neurones suspend, non le temps, mais la perception du temps, dans une immobilité factice qui semble conférer à quelques secondes une impression de durée considérable. Certains phénomènes d’inhibition corticale et d’hyperactivité thalamique confèrent des états de grande intensité émotionnelle, parfois sexuelle ou mystique suivant les motivations et la maturité des sujets.

C’est dans un même contexte de facteurs d’inhibition de certains centres et d’hyperactivation d’autres centres, encore à l’étude, que l’expérimentateur voit s’abolir (ou s’imagine voir s’abolir) la dualité sujet-objet, observateur-observé, parfois évoquée dans les expériences de mystique transcendantale. Mais, de toute évidence, et très peu acceptent de l’admettre, ces différents états psychiques réalisés en de telles conditions constituent non seulement la négation des états spirituels authentiques mais ils risquent, de façon presque définitive, d’en empêcher le processus d’approche sain, naturel, intégral et authentique. Nous y reviendrons plus loin. La suspension du temps, l’abolition du passé et de l’avenir, les objets matériels dont la forme physique paraît s’évanouir, tous ces phénomènes résultent d’une intoxication et d’une perturbation anormale du chimisme présidant aux phénomènes mentaux.

De tout ce qui précède se dégage clairement la fausseté de la voie dans laquelle se sont engagés ceux qui prétendent utiliser les drogues comme auxiliaires de l’Éveil intérieur et comme raccourci (!) permettant à tous d’atteindre une réalisation spirituelle véritable. En effet, nous avons noté parmi les effets reconnus des spécialistes eux-mêmes : une diminution de l’acuité des perceptions sensorielles, visuelles, tactiles et autres d’une part, et une activation considérable de visions et hallucinations durant le processus expérimental de la drogue.

Or, l’essentiel de la technique de l’Éveil authentique consiste en l’opposé extrême de tels processus et de telles attitudes intérieures. L’essentiel du Ch’an ou Zen authentique consiste, au contraire, à revaloriser la vie végétative et à dévaloriser les créations mentales imaginatives. Les sensations peuvent être, au contraire, un facteur d’Éveil et de présence totale du présent. L’Éveil authentique se caractérise par une totale présence au présent. C’est un état de perception globale immédiate. Et la qualité d’attention présidant à cet état, et qui en constitue le climat spécifique, réside dans le fait de l’absence de toute création mentale, de toute superposition imaginative, de toute vision psychique.

Les maîtres de l’Éveil enseignent que les sensations sont présentes. Elles seules sont vraiment présentes. Les perceptions des sensations sont déjà moins présentes et les actes de conscience le sont encore beaucoup moins. Des sensations jusqu’aux actes de conscience, aux activités mentales, aux imaginations, il y a une dégradation progressive et un éloignement du présent.

Ensuite, de l’aveu même des partisans des diverses drogues, les personnes soumises à ces intoxications expérimentales restent profondément impressionnées par les visions ou états extatiques vécus. Ceux-ci ont déterminé dans leur conscient et dans leur inconscient de puissants clichés mentaux doués d’un pouvoir de fascination considérable. Constamment se présentent, dans le champ de l’esprit de nombreux drogués, les visions et les extases vécues ainsi que la nostalgie de plus en plus lancinante du pseudo-merveilleux ou du pseudo-spirituel qui a été entrevu. L’ampleur de ces préoccupations mentales, de ces imaginations évoquant, avec regret, les moments passés ou anticipant nostalgiquement leur répétition dans l’avenir, prive le drogué de toute participation authentiquement vécue dans le présent. Le drogué n’a, de toute évidence, pas la maturité nécessaire à la compréhension ni à l’assimilation des phénomènes dont il est le témoin, phénomènes que seule, une déchirure artificielle dans le voile posé par la nature permet de révéler.

Les spécialistes de l’Éveil spirituel authentique enseignent que seule, une coïncidence entre le présent des profondeurs essentielles et le présent des perceptions sensorielles physiques permet l’état naturel de perception globale immédiate. Dans l’état d’Éveil spirituel, il n’y a pas suppression de la perception des conditionnements de temps et d’espace mais non-identification psychologique à ces conditionnements. Le dépassement des dualités de sujet-objet, d’observation-observé, de même que la non-identification aux conditionnements de temps, d’espace, se réalise dans une extraordinaire vigilance corporelle, grâce à deux facteurs fondamentaux : la dissolution de la conscience de l’ego, non par la drogue mais par compréhension lucide et vigilante de son caractère illusoire, et ensuite par la transparence complète d’un mental dégagé de l’emprise des acquisitions mémorielles tout en conservant ces acquisitions.

L’usage des drogues quelles qu’elles soient conduit les expérimentateurs mal informés dans une situation complètement fausse. La fausseté de cette situation provient d’une fondamentale et tragique méprise. Les expérimentateurs mal informés confondent les expériences psychiques et les expériences spirituelles. Les maîtres de l’Éveil considèrent que les premières sont un obstacle aux secondes. Et cela pour deux raisons. La première peut être définie comme suit : il faut une maturité exceptionnelle, une grande stabilité et un équilibre parfait pour ne pas être traumatisé, ni affecté, ni troublé par les visions bienheureuses ou terrifiantes qui se présentent après l’absorption des drogues. Or cette maturité, cet équilibre et cette stabilité ne peuvent être atteints que par « un enracinement psychologique et spirituel juste » dans la zone essentielle qui se trouve bien au-delà des limites de l’ego. L’accès naturel et permanent à cette zone ne résulte jamais des actions intoxicantes et inhibitrices des drogues mais de la dissolution des tensions psychiques du moi et de ses formations mentales par une attitude de grande vigilance et de compréhension intensément lucide.

Deuxième raison : les perceptions accidentelles d’éléments appartenant à la zone cosmique profonde résultent d’un court-circuitage artificiel du moi et de ses tensions conflictuelles de ses mémoires, en n’entamant en rien les processus responsables de la situation fondamentalement erronée de ce moi. Le moi, restant fondamentalement prisonnier de sa situation d’ignorance, esclave de ses conditionnements, de ses mémoires, s’emparera inévitablement des clichés mentaux ou émotionnels révélés au cours des visions psychédéliques, non pour se libérer de ses limitations, mais bien au contraire, pour se construire tout un réseau d’accumulations mémorielles et d’activités imaginatives d’une extraordinaire subtilité.

En bref, un ego, ou un moi conditionné reste, au fond et malgré les apparences, un ego ou un moi conditionné après ses expériences psychédéliques, en dépit du fait qu’il ait pu décrire des états extatiques transcendantaux de visions ou communions cosmiques. L’immense réseau de mémoires accumulées, tout le jeu des tensions psychiques contradictoires, toutes les avidités secrètes, grossières ou subtiles, formant l’ego, ayant été court-circuitées, restent là, soigneusement écartées dans l’ombre, apparemment endormies. En fait, l’ego profite de cette aubaine pour rester intact, et l’expérience pseudo-spirituelle des visions les plus béatifiques, loin d’être un facteur de délivrance authentique le renforcent. Ces expériences le fortifient pour la raison très simple et évidente, qu’après la phase des visions psychédéliques, la situation de dualité de l’observateur et de l’observé et l’entité moi est toujours présente parée d’un mental créateur de tous les problèmes ou pseudo-problèmes.

Dans une étude assez brève mais intéressante, Rosie Maurel, dans L’Express du 16-22 juin 1969, mettait en doute la valeur des expériences dites mystiques réalisées après l’absorption des hallucinogènes, psychédéliques, mescaline ou L.S.D. Désirant mettre en évidence les différences entre les états méditatifs ou mystiques authentiques et ceux réalisés par certains drogués après absorption de mescaline, d’hallucinogènes, de L.S.D., le professeur Henri Gastaut de Marseille a repris les travaux des Drs Akira Kasamatsu et Tonia Hiraï de l’université de Tokyo. En collaboration avec le Dr Alberto Tassirini de Marseille, il a retrouvé des tracés semblables à ceux des moines zen chez des religieux et des religieuses. « Les adeptes des hallucinogènes, mescalines ou L.S.D. affirment volontiers qu’ils prennent ces drogues, dites psychédéliques, pour aboutir rapidement à de tels états d’extase qui demandent normalement des années d’entraînement philosophique. » L’équipe marseillaise a voulu vérifier leurs prétentions et déclare : « Nous ignorons ce qui se passe dans leur cerveau, mais ce que nous pouvons affirmer, c’est que leurs électro-encéphalogrammes, c’est-à-dire le témoignage objectif de leur activité cérébrale, sont totalement différents de ceux qu’on a obtenus chez les prêtres zen en méditation. Il est entièrement désynchronisé. Le rythme alpha n’apparaît pas, ou s’il apparaît, il est anormalement rapide et très perturbé. Que les adeptes du L.S.D. fassent des voyages hors de la réalité, au cours desquels ils atteignent une sorte d’extase, c’est possible. Que cette extase soit de même nature que les extases mystiques obtenues par la méditation, l’électro-encéphalographie ne semble pas le montrer, bien au contraire.»

Le Dr Sidney Cohen, directeur de l’hôpital neuropsychiatrique de Los Angeles, déclare : « Il est important de dire que la plupart des expériences L.S.D. d’euphorie, d’hébéphrénie, d’absence de conscience de soi, accompagnées de plaisirs perceptifs et d’extravagances sensorielles, n’ont cependant aucun rapport avec l’expérience mystique. Ce sont des voyages dans une direction opposée du mysticisme. » Le Dr Sidney Cohen dénonce également les effets négatifs du L.S.D. Il déclare : « Des rapports importants en provenance des hôpitaux psychiatriques, des centres universitaires et des bureaux de police sont prêts à paraître. Sur 150 psychiatres recensés dans une grande ville, un tiers a été amené, une fois au moins, à assister une victime des effets secondaires du L.S.D. En outre, on n’attribue pas toujours à la drogue tous les accidents dont elle est responsable. J’ai eu connaissance de deux collisions fatales d’automobiles, qui ont eu lieu alors que les conducteurs étaient sous l’influence du L.S.D. ».

L’absorption fréquente de L.S.D. coupe de plus en plus l’être humain des réalités concrètes de la vie quotidienne, non en vertu d’une transcendance mystique authentiquement vécue, mais au contraire par intoxication, décomposition et désorganisation psychosomatique complète. Les centres neuropsychiatriques du monde entier reçoivent quotidiennement de véritables épaves humaines donnant le triste spectacle d’une ultime déchéance. Lors d’une séance d’absorption de L.S.D. à Paris, en 1972, un jeune drogué de dix-huit ans ayant perdu le sens de la pesanteur et celui de son corps prétendait être un oiseau et simulait le vol d’ailes imaginaires. La crise se prolongeant beaucoup plus longtemps que le temps normal on l’installa dans un salon, sous la surveillance d’un ami, espérant qu’au cours des heures, les phénomènes s’atténueraient. Un coup de téléphone très bref interrompit la surveillance de l’ami. Profitant de cette absence, notre homme oiseau ouvrit la fenêtre du quatrième étage et déployant ses ailes imaginaires alla horriblement s’écraser au sol.

Le Dr Sidney Cohen relate d’autres cas encore, indépendamment des suicides assez fréquents se produisant sous l’effet du L.S.D. et d’autres drogues. « Un jeune homme qui divaguait en sortant d’une surprise-party, fut aperçu sur le Wilshire Boulevard, en train de tenter d’arrêter un camion qui arrivait à vive allure. Il leva la main et cria « Halte ! ». La mort fut instantanée. Quelquefois, une psychose très proche du délire persiste après que les effets du L.S.D. se sont dissipés. Parfois, ceux-ci resurgissent des jours ou des semaines après l’expérience sans raison apparente. Un exemple : un étudiant marié avait pris de la marijuana et de petites doses de L.S.D. avec des résultats très agréables. Il essaya une capsule de 300 microgrammes. Trois semaines durant, il fut terrifié. Il voyait de petits animaux qui rampaient autour de la chambre et avait la sensation effrayante que le temps s’était arrêté. La nuit, il marchait dans les rues avec sa femme, parce qu’il avait peur de fermer les yeux. « Sans elle, je me serais tué », rapporta-t-il. Il se demandait s’il s’en sortirait jamais. Il se calma finalement grâce à un traitement psychiatrique. » « Un étudiant manifestait de la répugnance à prendre du L.S.D. mais il se laissa finalement persuader par un ami de prendre la moitié d’une capsule, c’est-à-dire environ 150 microgrammes. Des mois plus tard, il était encore incapable d’étudier et de se concentrer sur quoi que ce soit. Il dut quitter l’école parce qu’il lui était impossible de rester assis pendant les cours et de préparer ses devoirs. »

Conclusion

Les drogues quelles qu’elles soient constituent l’un des plus graves dangers pour l’équilibre physique, psychique et spirituel de l’être humain. Elles ne peuvent être considérées comme solution valable aux problèmes que posent les déséquilibres d’une civilisation hyper-technicienne et hyper-intellectuelle engendrant l’angoisse, l’insécurité, l’injustice et les guerres.

La solution véritable des problèmes d’ordre physique, psychologique et spirituel réside dans une pleine connaissance de soi conforme aux lois profondes de la nature. Cette connaissance de soi requiert une qualité d’attention et d’extrême vigilance de conscience, d’amour et de présence au monde que paralysent toutes les drogues, hallucinogènes, psychédéliques, quelles qu’elles soient. La solution véritable des problèmes réside dans un affrontement de ceux-ci et non dans une évasion.
La libération spirituelle véritable des conditionnements responsables de l’angoisse humaine ne peut se réaliser que dans une attitude d’approche vigilante de ces conditionnements et non par une sorte de court-circuitage de ceux-ci les laissant intacts sur le côté tandis que par une percée accidentelle, qui n’est qu’une tricherie prématurée, l’on perçoit des visions où l’on éprouve des extases dont la signification est, dans une telle éventualité, inaccessible.

Nous estimons qu’il est particulièrement grave sinon révoltant de constater que toute une littérature pseudo-scientifique et même mystique cherche à démontrer l’utilité et la non-nocivité des psychédéliques ou hallucinogènes. Devant l’ampleur des crises accablant l’humanité, des psychiatres et des spécialistes de psychologie-sociale (!) américains considéreraient que l’acuité des crises s’étendant à l’universalité des activités humaines, en cette fin du XXe siècle, rendrait nécessaire l’absorption d’un certain minimum de psychédéliques ou autres drogues d’évasion. Nous nous trouvons ici en présence d’un des signes distinctifs de la décadence de notre pseudo-civilisation.

Les expériences résultant de l’absorption de psychédéliques ou autres drogues ne sont jamais des expériences spirituelles, même si elles semblent en avoir certains caractères. Elles restent des expériences psychiques. Les effets secondaires des diverses drogues, L.S.D., psilocybine, marijuana, et autres, ne sont connus que depuis les années 1967 à 1974. Les rapports réalisés dans diverses académies de médecine de plusieurs pays nous révèlent que les enfants de jeunes couples drogués naissent souvent en présentant des anomalies beaucoup plus graves que celles résultant de l’abus de la thalidomide et du tristement célèbre softénon.

Les rapports officiels suivants peuvent être consultés relativement aux effets secondaires résultant de l’absorption des drogues les plus diverses.

Les psychédéliques et hallucinogènes sont utiles dans les lumières qu’ils apportent sur la schizophrénie, et ainsi que nous l’avons dit sur le chimisme du cerveau. Ils sont utilisés dans certaines psychanalyses sous forme de traitement dit psycholytique. Le traitement dit psychédélique, même sous contrôle médical, peut apporter un apaisement psychologique provisoire mais les spécialistes de l’Éveil spirituel intérieur le condamnent. Le professeur Hanscarl Leuner utilise néanmoins le L.S.D. avec succès dans le traitement des alcooliques.

Fragilité des arguments basés sur la similitude des récits de drogués et de mystiques

Les similitudes des écrits des grands mystiques et des drogués sont capables d’égarer les esprits les plus avertis. Une grande rigueur et une exceptionnelle clarté de pensée sont nécessaires afin d’établir les facteurs purement conceptuels et dualistes de l’ego intervenant dans le processus expérimental d’autrui. L’étude comparative de textes et de leurs éventuelles similitudes de fond et de forme ne peut servir d’argument sérieux en vue de prouver la sagesse ou non-sagesse de leurs auteurs. Un argument plus sérieux serait celui fourni par l’étude des moyens naturels ou antinaturels utilisés à de telles fins, et par-dessus tout, les motivations réelles présidant à de telles expériences.

Les drogues ne dissolvent pas l’égoïsme. Elles permettent de faire entrevoir à l’ego l’existence d’une réalité unique qui le dépasse et forme l’essence suprême des êtres et des choses. Mais les drogues quelles qu’elles soient court-circuitent les réseaux des résistances psychologiques et le paquet de mémoires formant l’ego en le laissant intact. Il reste par conséquent le sujet observateur de visions ou d’extases qui, loin de le délivrer, le renforcent.

La sagesse consiste au contraire dans une prise de conscience du caractère illusoire et conflictuel des résistances psychologiques et des mémoires formant l’ego. La transparence et le silence intérieur résultant de la dissolution lucide et vigilante des résistances permettent de façon définitive, naturelle et saine, l’accès à la conscience cosmique ou réalité fondamentale. La sagesse ne consiste pas à court-circuiter les résistances de l’ego, qu’elle considère comme une sorte d’abcès psychologique générateur de fausses identifications. Elle transperce et crève l’abcès plutôt que de le contourner comme le font les drogues. Dans l’optique des maîtres authentiques de l’Éveil une telle réalisation n’aboutit pas à la déshumanisation de l’humain mais constitue au contraire son plus haut accomplissement dans la plénitude de l’intelligence et de l’amour.

ROBERT LINSSEN