René Fouéré
Réincarnation indienne, survie et liberté

Je dirais, en d’autres termes, que si, dans cette vie, je n’ai pas conscience d’avoir vécu auparavant et ailleurs ; d’être, sous une enveloppe corporelle différente, une nouvelle manifestation, une réapparition, d’un moi-même antérieur qui a vécu en d’autres circonstances et qui a repris présentement, dans ce nouveau décor, possession de ses anciens souvenir; si j’ai, au contraire, le sentiment que ma conscience actuelle de mon identité et mes souvenirs ne remontent pas au-delà de ma naissance en cette vie, je n’ai aucune raison de penser que, si je me réincarne de façon analogue dans un autre corps, pour vivre une autre vie, j’aurai alors le sentiment de me perpétuer, de retrouver, dans de nouvelles conditions, le personnage que j’ai conscience d’être ici et maintenant, avec ses souvenirs.

(Extrait de La révolution du Réel, Krishnamurti, Édition Le Courrier Du Livre 1985)

LA RÉINCARNATION INDIENNE N’EST PAS LA SURVIE

Telle que l’Inde l’a conçue, la réincarnation ne répond pas au concept occidental de survie. Elle se borne à affirmer l’existence de processus dotés chacun d’un caractère individuel et comportant des phases soi-conscientes. Ces processus peuvent être représentés dans l’espace-temps par des « fils de vie » (« sutrâtmas ») s’étendant sur de vastes durées.

Comme l’a écrit à juste titre mon défunt ami Georges Chevrier, dans son petit ouvrage « La Mission Créatrice » (Publications Théosophiques, 4 square Rapp, Paris 7e 1917) :

« Donc, lorsqu’on nous allègue que l’idée de réincarnation n’a pas d’autre origine que le désir de survie naturel à l’esprit humain, nous sommes en droit de dire que cette idée ne répond nullement à un tel désir. Entre le présent et le passé, le rapport est le même qu’entre l’avenir et le présent et, puisque nous n’avons pas trouvé dans l’existence actuelle le témoignage, pour notre moi conscient, d’une survie relativement à la précédente, nous ne saurions être fondés à croire que ce même moi actuel se sentira revivre dans la prochaine incarnation. »

Je dirais, en d’autres termes, que si, dans cette vie, je n’ai pas conscience d’avoir vécu auparavant et ailleurs ; d’être, sous une enveloppe corporelle différente, une nouvelle manifestation, une réapparition, d’un moi-même antérieur qui a vécu en d’autres circonstances et qui a repris présentement, dans ce nouveau décor, possession de ses anciens souvenir [1]; si j’ai, au contraire, le sentiment que ma conscience actuelle de mon identité et mes souvenirs ne remontent pas au-delà de ma naissance en cette vie, je n’ai aucune raison de penser que, si je me réincarne de façon analogue dans un autre corps, pour vivre une autre vie, j’aurai alors le sentiment de me perpétuer, de retrouver, dans de nouvelles conditions, le personnage que j’ai conscience d’être ici et maintenant, avec ses souvenirs.

C’est-à-dire que je n’ai aucun espoir de me retrouver, ayant recouvré la mémoire de tout mon passé, dans la conscience, ou comme la conscience, de mon « successeur » d’une autre vie, et que tout se passera comme si, pour le personnage que j’ai conscience d’être, ma mort, celle que je connaîtrai au terme de cette vie, devait être définitive, et que je ne pusse jamais m’en réveiller.

Au surplus, si, dans chaque vie, je devais récupérer tous les souvenirs que j’avais dans la vie antérieure, cela me conduirait, de proche en proche, à retrouver dans chacune de mes vies la mémoire ou quelque mémoire de toutes les autres, en sorte que ma mémoire présente serait une mémoire sans fond.

Selon les vues admises, ce n’est, en effet, qu’au moment de son illumination finale — qui le délivre de toute obligation de se réincarner — que s’éveille chez l’individu libéré cette conscience transfigurée, agrandie, qui est seule capable de récupérer le souvenir essentiel des états par lesquels il était passé au cours de toutes ses vies antérieures. C’est seulement alors que suivant une très poétique expression — dont je ne puis retrouver la référence précise mais que je suppose contenue dans quelque ouvrage d’Helena Petrovna Blavatsky —, « le Fil d’Or revoit toutes ses perles », le Fil d’Or étant le sutrâtma ou Fil de Vie ; et, ses perles, les egos des vies successives.

On pourra consulter l’ouvrage de Georges Chevrier « Essai de Doctrine Occulte » (Les Éditions Adyar, Paris 1927). Voir notamment les chapitres III, IV et VII.

INCERTITUDE DES « PREUVES » DE LA SURVIE

Délibérément ou fortuitement, certaines personnes ont fait des expériences dites de « bilocation » ou de « sortie en corps astral », au cours desquelles elles « voyaient » leur propre corps physique à distance, comme elles auraient observé, avec leurs sens coutumiers, un objet extérieur [2].

Quelques-unes d’entre elles ont cru trouver dans ces expériences la preuve que notre conscience individuelle aurait pour siège une sorte de « corps subtil » fait d’une matière présentant une structure plus fine que celle de la matière usuellement accessible à nos sens.

Normalement connecté à notre corps banal, par des liens matériels ou énergétiques, ce corps subtil disposerait d’une autonomie de fonctionnement et d’alimentation en énergie lui permettant de s’en détacher et de mener, le cas échéant une vie qui lui serait propre. En sorte que, selon ces personnes, la mort du corps physique n’entraînerait pas la destruction de la conscience individuelle qui, prenant naissance dans ce corps subtil, survivrait avec lui. Se détachant du corps défunt, elle se déplacerait, grâce à ce corps subtil, dans un autre espace et s’ouvrirait à des perceptions auxquelles nos sens habituels n’ont pas accès.

Pour intéressantes qu’elles soient, ces vues ne sont pas, en toute rigueur, des certitudes. Les personnes qui les soutiennent n’ont fait les expériences dont elles parlent que du vivant de leurs corps, avec des sens insolites mais internes dont on peut penser qu’étant des parties intégrantes de la structure anatomique de ce corps ils tiraient de lui toute l’énergie dont ils s’alimentaient.

En sorte que rien ne prouve que ces singulières expériences auraient pu se poursuivre après le décès du corps. C’est à la mort effective, à la mort du sujet, qu’une certitude absolue pourrait être atteinte, et elle ne pourrait l’être que par ce sujet lui-même.

Même s’il était démontré que la conscience humaine pourrait survivre à la mort du corps parce qu’elle aurait et aurait eu toujours son siège, du vivant de l’individu, dans un véhicule subtil connecté au corps mais capable d’une vie autonome, de mouvements propres, la question resterait posée de savoir si ce véhicule lui-même ne serait pas susceptible à son tour de se désintégrer.

Ce qui conduirait, soit à l’abolition irréparable de la conscience liée au véhicule en question, soit à la persistance de cette conscience que, dès lors, on supposerait liée à un organisme encore plus subtil. Et, dans cette seconde alternative, on risquerait d’être engagé dans une sorte de régression hypothétique et interminable excluant toute certitude immédiate et absolue quant à la survie sans limite de la conscience individuelle.

23 avril 1983 (Résumé remanié d’un entretien avec Michel Troublé du 16 novembre 1972)


[1] Comme, après un sommeil sans rêves ou une perte de conscience prolongée — due, par exemple, à une anesthésie —, on reprend conscience de soi, on a le sentiment de se retrouver, de reprendre possession de ses souvenirs.

[2] Voir, entre autres, l’ouvrage de Hubert Larcher et Patrick Ravignant » Les domaines de la parapsychologie », Bibliothèque de l’Irrationnel » Paris 1972, ainsi que celui du Dr Raymond Moody, « La vie après la vie », paru en 1977 aux Éditions Robert Laffont, Paris.