Robert Linssen
Le rôle de la pensée selon Krishnamurti

En un mot, il est indispensable que nous sachions POURQUOI nous pensons, COMMENT nous pensons et CE que nous pensons. Car dans la mesure où nous n’avons pas saisi clairement les processus qui commandent à nos pensées, nos émotions et nos actes, nous sommes irresponsables. La connaissance de nous-mêmes, à laquelle nous invite Krishnamurti, n’a d’autre but que de nous faire accéder à cette pleine responsabilité.

(Revue Spiritualité. No 60-61-62. Novembre-Février 1949-50)

L’enseignement de Krishnamurti assigne à la pensée un rôle et une place très différents de ceux que lui ont conférés les disciplines traditionnelles. Il est difficile de faire admettre que l’activité mentale ne constitue pas le sommet de la vie spirituelle et que la pensée, de coordinatrice qu’elle était, doit intervenir à titre second et dérivé devant une faculté qui la dépasse.

Pour une civilisation comme la nôtre, qui a déifié la pensée depuis plusieurs siècles, cette position fait scandale.

Est-ce à dire que Krishnamurti condamne purement et simplement l’activité mentale ? Évidemment non. Mais il assigne à la pensée la juste place qu’elle doit occuper dans la hiérarchie complexe des fonctions psychiques.

L’enseignement de Krishnamurti est en lui-même très simple. Mais si les vérités éternelles sont simples en elles-mêmes, il est difficile d’en discourir. De plus, les vérités simples et profondes contiennent toujours leur part de paradoxe. Elles sont foncièrement supra-rationnelles ou supra-logiques.

Le simple fait que durant trente minutes je me suis proposé de vous faire penser, afin de vous faire entrevoir l’impuissance et l’inutilité de la pensée devant les problèmes transcendantaux, est un paradoxe.

La mission suprême de la pensée est de se démontrer à elle-même le bien-fondé de son silence et la nécessité de son dépassement par la VIE. La mission suprême de la logique est de se démontrer à elle-même la fragilité, les limitations et la rigidité mécanique de son processus opérationnel.

Les Néo-platoniciens, Plotin en Grèce, les Védantins de l’Inde antique, et les grands maîtres du Bouddhisme Thibétain ont abondé dans le même sens.

L’étude de l’œuvre krishnamurtienne nous révèle cependant une profondeur et une précision sans précédents à l’égard du rôle de la pensée. Il ne suffit pas, en effet, d’affirmer que la pensée est une entrave à la libération spirituelle de l’homme. Il est nécessaire de définir son origine, les mobiles profonds qui président à son existence, sa structure et son fonctionnement.

En un mot, il est indispensable que nous sachions POURQUOI nous pensons, COMMENT nous pensons et CE que nous pensons. Car dans la mesure où nous n’avons pas saisi clairement les processus qui commandent à nos pensées, nos émotions et nos actes, nous sommes irresponsables.

La connaissance de nous-mêmes, à laquelle nous invite Krishnamurti, n’a d’autre but que de nous faire accéder à cette pleine responsabilité.

Le problème du monde est le problème de l’individu, nous dit-il, et parce que nous sommes individuellement dans la confusion, parce que nous sommes égoïstes, avides, sans amour et sans générosité, la guerre existe. L’humanité a perdu une certaine norme d’existence. En dépit de son progrès technique et de ses raffinements superficiels, l’homme moderne reste souvent un barbare, et le monde moderne prend souvent l’allure d’un monde de fous.

Krishnamurti nous invite à retrouver la norme perdue d’un rythme de vie simple, naturel, spontané, vécu dans la plénitude de l’intelligence et de l’amour, résultant de la délivrance du souci de soi-même.

Mais avant d’en arriver là, il faut que s’établisse en nous-mêmes une clarté et une transparence, dont nous sommes éloignés. Krishnamurti nous prend tels que nous sommes, avec nos passions, nos aspirations, nos limites. Mais comme la plupart des psychologues, il insiste sur le rôle capital de l’inconscient.

Il compare notre activité psychologique à un iceberg. Si nous observons un iceberg flottant à la surface des eaux, nous n’apercevons qu’une faible partie de sa masse totale. La plus importante part se trouve masquée à nos yeux par la surface de l’océan. De même, la partie de nous-mêmes que nous voyons avec clarté, ne constitue qu’un infime fragment de notre « moi » total. Autrement dit, le conscient n’occupe qu’une place infiniment réduite dans le vaste secteur de nos activités psychologiques.

Ainsi que l’exprime l’éminent psychologue suisse Jung, « le conscient n’est qu’un rejeton tardif de l’inconscient ».

Krishnamurti nous enseigne que la pleine connaissance de nous mêmes ne peut être réalisée que par la descente progressive et totale de notre inconscient dans le conscient. Il rejoint en cela les données de la psychologie moderne.

Nous portons dans les couches multiples de notre inconscient des secteurs inexplorés constituant de véritables guêpiers. D’autres secteurs refoulés se grossissent à chaque instant et exercent sur notre existence entière une influence considérable et d’autant plus dangereuse que totalement insoupçonnée.

Krishnamurti souhaite que chacun de nous fasse de son être une entité harmonieuse, cohérente, responsable. Il insiste sur l’équilibre entre la raison et l’amour.

La position krishnamurtienne diffère cependant de celle de la majorité des psychologues actuels. Tandis que la plupart de ceux-ci considèrent le « moi », la pensée et l’égoïsme comme des « fins en soi », Krishnamurti considère le « moi », la pensée et l’égoïsme comme des moments provisoires, comme des bornes jalonnant une route sans fin.

Il est cependant nécessaire que le « moi » se connaisse pleinement avant d’accéder à sa délivrance. Une semence arrachée prématurément ne peut germer.

Nous diviserons l’évolution psychologique de l’homme en trois phases :

1° Une phase de naissance où s’ébauche le « moi » ;

2° Une phase de maturité où s’affirme le cc moi » ;

3° Une phase de libération.

Au cours de la première phase, la conscience de soi naît à peine. Chez les primitifs, l’initiative et le sens critique font défaut. Nous retrouvons actuellement encore des individualités naissantes de cet ordre dans les mouvements dits « de masse » ou subsiste l’esprit de troupeau, l’imitation, l’obéissance aveugle aux mots d’ordre.

Au cours de la seconde phase, le « moi » s’affirme. Il prend conscience de lui-même et ne se laisse plus aussi facilement enrégimenter par des mots d’ordre, que ceux-ci soient grossiers et barbares comme ceux des domaines militaires ou politiques, ou que ces mots d’ordre soient subtils, comme ceux que tentent d’imposer les dogmatismes de l’esprit.

Dans la phase d’affirmation, le jugement individuel s’éveille. Le sens critique et la soif d’autonomie progressive répugnent à s’incliner devant le fait accompli des conventions et des théories aussi respectables fussent-elles considérées. D’imitateur qu’il était, l’homme devient créateur. La stricte dépendance dans laquelle il se trouvait à l’égard des contraintes du milieu ambiant subit une métamorphose complète. La pesanteur des traditions millénaires, des routines et des préjugés lui semble insupportable. Telle est la période révolutionnaire de l’individualisme avec tout ce qu’elle comporte à la fois de créateur et de destructeur.

C’est la transposition dans le domaine de l’esprit des lois qui président à l’histoire des règnes de la matière. Dans la mesure où la vie s’installe dans la matière, elle introduit des comportements nouveaux, s’opposant radicalement à ceux de la matière brute. La substance des êtres vivants subit une régradation de l’énergie s’opposant nettement aux principes de Carnot. La croissance des plantes, par exemple, s’effectue contrairement aux lois de la pesanteur.

Nous pourrions dire qu’avec la phase de maturité du « moi », l’esprit imitateur des individualités naissantes subit une transformation analogue. Il ne suit plus la voie de la moindre résistance, sort progressivement de son inertie et ne s’incline plus devant les rythmes de l’habitude. Il tend à s’affranchir des courants de pensée de la norme, non parce qu’il érige la contradiction en système, mais parce qu’il est désireux de scruter profondément la vérité des choses.

C’est à cette attitude que Krishnamurti nous invitait, il y a quelque vingt ans, lorsqu’il nous demandait de douter de tout, y compris de lui-même.

La phase de maturité du « moi », phase critique par excellence, ainsi que nous venons de le voir est suivie de la phase de libération du « moi ». Cette étape est en réalité celle qu’ont parcouru tous les grands précurseurs du règne de l’esprit. Encore faut-il dire que règne de l’esprit, ici, ne signifie aucunement règne de la pensée.

Au sommet de la maturité du « moi », l’âme mécontente se trouve sursaturée de tout. Elle a obscurément conscience de l’impasse dans laquelle elle se trouve. Elle perçoit avec un certain écœurement le caractère étriqué de son « moi ». C’est la nausée sartrienne : sorte de vision nette et soudaine de l’absurdité de l’existence personnelle.

Encore faut-il dire que si le dénouement du drame Sartrien s’effectue dans un « en soi pâteux et insipide », celui de Krishnamurti se réalise dans une plénitude d’Amour et d’Intelligence.

Préalablement à cette réalisation l’âme prend conscience de ses contradictions, de la stérilité de ses aspirations. Elle effectue un retour soudain sur elle-même et perçoit dans une fulgurante clarté l’ampleur de la comédie qu’elle se joue à elle-même à chaque instant. Elle réalise l’immobilisation de son « devenir psychologique ». C’est le vide créateur de Krishnamurti correspondant d’ailleurs au Sunyata des Bouddhistes Thibétains. C’est aussi la transparence mentale et l’état de souveraine simplicité intérieure auxquels Jésus faisait allusion dans son Sermon sur la Montagne.

A l’abdication consciente du « fini humain », succède le règne de l’infini. Loin d’être une faillite, cette expérience constitue pour Krishnamurti la plus fondamentale des victoires. Encore faut-il savoir comment se manifeste en nous cette insatiable soif de devenir, de posséder, de durer, de dominer ?

La pensée, nous dit Krishnamurti, est la manifestation fondamentale de notre « avidité de devenir ». Elle est fondamentalement une lutte, une tension et par conséquent, nous dit-il, l’activité mentale est l’essence même de la violence.

Le sujet pourrait être clarifié d’une façon plus suggestive.

Tous les êtres vivants sont dirigés à leur insu par une force toute puissante : l’instinct de conservation. Sans instinct de conservation, ni vous, ni moi, ne serions présents dans cette salle. Qu’est-ce que l’instinct de conservation ? C’est le désir de se conserver et d’assurer à tout prix la perpétuation de son entité. C’est aussi la peur fondamentale de se perdre. Chaque homme porte inscrite dans l’intimité de ses cellules et de sa structure psychique, l’histoire de millions de siècles d’effort persévérant de la Nature. Tant d’échecs, tant de souffrances, tant de victoires anonymes nous ont précédé depuis des âges sans nombre, qu’il semble légitime à l’être complexe que nous sommes, de se continuer, ne fut-ce que par vitesse acquise.

Pourquoi Krishnamurti désigne-t-il l’activité mentale comme manifestation spécifique de l’instinct de conservation sur le plan psychique ? Par la pensée, nous dit-il, le « moi » se recrée à chaque instant. L’activité mentale incessante donne au « moi » une impression de durée très nette.

Cette notion de durée est par ailleurs voisine de celle d’une continuité parfaite de la conscience. Lorsque nous nous pensons distraitement, nous avons de notre vie intérieure une impression continue. Il semble que nous glissions uniformément dans la durée, en venant d’un passé et passant par le présent qui nous ouvre la porte de l’avenir.

Cette impression de continuité est illusoire. Les psychologues indous nous enseignent qu’il existe entre les pensées des vides interstitiels, dont nous n’avons pas conscience, tellement ils sont courts et rapidement cachés à notre attention. Ces moments de silence mental sont désignés par Krishnamurti comme étant « l’état d’intervalle ».

Dans cet état, il n’y a plus de conscience individuelle, plus de temps, plus de séparativité : l’homme perçoit l’unité essentielle de l’Univers. Il la perçoit et il l’est à la fois, au cours d’une indicible communion. La dualité du spectacle et du spectateur cesse totalement. Mais cessons d’employer ce langage dangereux, car les mots sont ici impuissants à décrire un état d’être qui dépasse la pensée, et chaque affirmation dans ce domaine est un piège bourré de paradoxes irritant la logique qui s’énerve !

Ne parlons donc plus de l’expérience krishnamurtienne pour l’instant, mais examinons plutôt les facteurs qui nous empêchent de la réaliser.

Pourquoi n’avons-nous pas conscience des vides interstitiels qui se situent entre les pensées? Pourquoi cet état d’intervalle est-il jalousement  masqué à nos yeux par quelque puissance aussi mystérieuse qu’irrésistible ?

Cette force, nous l’avons déjà nommée : c’est l’instinct de conservation. Elle sait parfaitement que si nous devions être un seul instant, face à face avec l’état d’intervalle, l’illusion de notre continuité individuelle serait démasquée et les jours du règne du « moi » seraient comptés. Le rôle essentiel de l’activité mentale consiste à nous cacher minutieusement l’état d’intervalle et les richesses qui peuvent s’y révéler nous sont de ce fait rendues inaccessibles. « Le vieil homme », dont parlent les anciennes écritures, symbolise cette force obscure d’un instinct de conservation millénaire, masquant à nos yeux de façon constante les issues possibles hors de la prison du « moi ».

Le « dépouillement du vieil homme » consiste en l’affranchissement de la magie qu’exerce sur nous l’instinct de conservation du « moi ». C’est l’affranchissement pur et simple de la peur, de la peur de se perdre et de toutes les peurs.

Nous voici en demeure de répondre à la première question : Pourquoi pensons-nous ? Nous pensons parce que nous avons inconsciemment peur de nous perdre, peur de ne pas durer, et par la pensée, le sentiment de continuité nous donne la sécurité.

Examinons maintenant comment nous pensons.

Nous pourrions employer ici l’image suggestive de la structure de la matière. L’image première d’un fragment de marbre poli nous donne une impression de continuité, d’immobilité, de solidité. Il n’en n’est rien. Les atomes constitutifs de ce marbre sont séparés entre eux par des espaces, qui sont, toutes proportions gardées, aussi considérables que ceux existant entre les étoiles. L’apparente continuité de la matière est donc illusoire. De plus, les électrons effectuent à chaque seconde des milliards de tours autour des noyaux atomiques. L’immobilité apparente de la matière est tout aussi mensongère. Si nous voulons nous rendre compte de la nature exacte des corpuscules atomiques, nous découvrons avec étonnement qu’ils ne sont plus solides, mais revêtent, l’aspect fluide et surprenant de « tourbillons de force », de zones d’influences, de paquets d’ondes.

L’univers entier se résume finalement à n’être qu’un immense océan d’énergie.

Cette « énergie-une », qui n’a pas de propriétés particulières, se matérialise en grains résultant du mouvement de sa propre puissance, et acquière par l’ingénieux artifice des dispositions électroniques, des propriétés et des formes particulières.

Ainsi que l’exprimait le professeur Leroy, « l’univers est un immense édifice d’étages vibratoires ». Édifice étrange, formé par des mouvements relativement lents, reposant sur des mouvements de plus en plus rapides. La continuité et l’immobilité apparentes d’un fragment de marbre résultent uniquement d’une superposition extraordinairement complexe et rapide de mouvements d’énergie essentiellement discontinus.

Retenons une fois pour toutes que les processus responsables de l’apparente continuité de la matière sont les mêmes que ceux conférant l’apparente continuité de l’esprit.

L’impression de continuité de la vie psychique résulte d’une succession très rapide de moments discontinus. Succession de quoi, demanderont certains ?

Succession des pensées meublant l’édifice mental. Pensées qui naissent et qui meurent, mais entre lesquelles existent d’imperceptibles intervalles.

Krishnamurti souhaite que nous prenions clairement conscience, en nous-mêmes, et par nous-mêmes, du processus responsable de l’apparente continuité de la vie psychique. Il nous sera donné de constater par expérience directe, le pourquoi et le comment de nos pensées conformément aux indications qui précèdent.

Il nous faudrait répondre maintenant à la question « Qu’est-ce que la pensée » ?

A cette question Krishnamurti répondait : « La pensée est une réaction de la mémoire devant les faits du présent ». Qu’êtes-vous, nous demande-t-il, sinon que des paquets de mémoire ?

Le complexe conscient et inconscient de l’homme est une vaste plage où s’accumulent les déchets apportés par les vagues mentales qui déferlent sans cesse. Ces vagues mentales que nous croyons être le sommet de la vie intérieure, ne forment en réalité que d’imperceptibles rides à la surface d’un océan insondable. Nommez cet océan, comme celui de l’Être Pur, ou de l’infinitude divine ou de la VIE. Peu importent les termes.

Toujours est-il que les hommes passent à côté de la VIE, quoique la Vie soit en eux. Le problème crucial pour Krishnamurti est le suivant :

Ou nous subirons l’envoûtement de notre passé en restant sous la domination de notre « moi » et de l’inconscient collectif, ou nous briserons le rêve de notre existence limitée pour plonger dans l’océan de la VIE et nous abreuver à son infinitude de force, de beauté et d’amour.

En chacun de nous s’affrontent les deux aspects de l’Univers :

D’une part, le passé avec ses mémoires, ses habitudes et ses aspects statiques et conservateurs, d’autre part un Présent Eternel, toujours renouvelé, de nature dynamique.

D’une part, un monde matériel multiforme où règnent le temps, la causalité, la naissance, la mort et la séparativité, d’autre part une Plénitude de Vie sans forme, affranchie du Temps et de l’Espace où règne l’Unité.

D’une part, l’égoïsme humain fort de ses pensées acquises ou héritées et surtout le vaste inconscient collectif et, d’autre part, la VIE sans cesse renouvelée d’une énergie spontanée, infinie, éternelle.

S’il est un mot qui est inséparable de la pensée de Krishnamurti, et sans lequel tout exposé qui le concerne serait incomplet, c’est le mot « spontanéité ».

Krishnamurti a un respect infini de la condition de spontanéité de l’ETRE. Tout son enseignement s’efforce de nous libérer de nos résistances psychologiques, de nos tensions, de nos cristallisations, de nos dogmes afin que s’établissent en nous une détente intérieure profondément naturelle, une transparence, une souplesse qui permettront à la spontanéité de l’ÊTRE de révéler en nous l’enchantement de Ses rythmes.

Quoique Krishnamurti s’oppose aux exposés dualistes, nous pourrions pour la clarté de l’idée insister sur différentes antinomies fondamentales. La pensée d’une part n’est que calcul, intérêt, analyse et fonction du passé. La Vie ou l’ÊTRE, d’autre part, est pure spontanéité; jaillissement, création et activité gratuite.

D’une part, la pensée qui est un devenir dans le temps et aspire à créer la durée; d’autre part, l’ETRE, opposé au devenir, l’Éternité au delà du temps, l’éternité que Krishnamurti désigne sans durée.

En conclusion de ce qui précède, Krishnamurti nous demande si, à l’aide de la pensée qui n’est qu’un résultat du passé ne se référant qu’au passé, il est possible d’approcher l’ETRE, qui n’est le résultat de rien, et qui se renouvelant à chaque instant ne se réfère à rien. Il est parfaitement clair que si la pensée peut réaliser des miracles dans la technique, elle est incapable de nous faire accéder à l’ETRE.

Ainsi que l’exprimait Bergson : L’intelligence qui n’est qu’une émanation de la VIE, ne peut embrasser le mouvement évolutif qui l’a déposé en cours de route.

Quelles sont pour Krishnamurti les conséquences des limitations de la pensée ?

Lorsqu’un homme a profondément compris et senti l’inutilité de sa pensée à l’égard des problèmes du Réel, cette compréhension même entraîne une immobilisation progressive de l’activité mentale. C’est à cet état de vide créateur que succède l’expérience d’une plénitude dont rien ne peut être dit.

Pour résumer, nous dirons que l’homme ordinaire est entièrement possédé par ses pensées et ses désirs. L’homme libéré au lieu d’être possédé par ses pensées, possède ses pensées. Elles sont devenues pour lui un instrument qui peut être merveilleusement adapté à des fins mécaniques, automatiques et techniques, mais non spirituelles.

L’homme libéré, nous dit Krishnamurti, est le plus pratique qui soit, car il discerne la réalité profonde des êtres et des choses. De plus, il vit à chaque instant, profondément centré sur le Présent, libéré des préjugés du passé. Une telle attitude confère une objectivité exceptionnelle. Jointe à la souplesse d’une détente de plus en plus totale, elle donne à ceux qui l’adoptent une rapidité de réflexe, une profondeur de pensée et une intuition que ne peuvent donner aucune des écoles dites « d’entraînement spécialisé ».

Loin d’apporter une déshumanisation de l’humain, l’enseignement de Krishnamurti permet de réaliser son accomplissement intégral. Accomplissement intégral, car dans l’expérience Krishnamurtienne se réalisent les plus hauts sommets de l’intelligence par les vues de synthèse et l’activité originale et créatrice d’une vie intérieure se libérant à chaque instant des fardeaux du passé. Accomplissement intégral de l’homme surtout dans la Plénitude de l’Amour.

Car le propre de l’Amour n’est-il pas la spontanéité, la gratuité, le don de soi et l’absence du souci de soi-même. C’est à cette plénitude de Vie que Krishnamurti nous invite. Nous pouvons la réaliser, là où nous sommes. Au milieu du monde et de son cortège de souffrances, il nous est possible de devenir un foyer de compréhension et d’Amour.

Maintenant, nous dit Krishnamurti, nos esprits sont remplis et nos cœurs sont vides. Clarifions nos esprits et remplissons nos cœurs. Nous retrouverons une richesse que le monde semble avoir perdue : la JOIE de VIVRE, car tout être qui s’accomplit pleinement selon les plus hautes possibilités de sa nature, s’accomplit dans la JOIE.

C’est cette JOIE PROFONDE, émergeant au delà des peines et des plaisirs, que je vous souhaite à tous, de tout cœur, de réaliser un jour.

Ram LINSSEN