(Extrait de La Tolérance, colloque Swâmi Vivekananda. Edition Être Libre 1963)
Je suis heureux d’être parmi vous et vous apporte les bons vœux et les hommages des membres de la Ramananda Vedante Society de Londres, pour le succès de votre commémoration du Centenaire de Vivekânanda. Je souhaite vous entretenir du Védanta. C’est un sujet très vaste et je ne puis que vous en définir les grandes lignes essentielles.
Le Védanta est la religion éternelle de l’Inde. On le désigne généralement sous le nom d’hindouisme, mais cette expression n’est pas adéquate. Les termes « hindous » et « hindouisme » nous ont été donnés par des étrangers et ils nous sont restés. La religion principale de l’Inde devrait être simplement désignée par les termes de « védantisme » ou religion védique. Les hindous doivent être considérés comme les disciples de la religion et de la philosophie des Védas. Ceux-ci peuvent être considérés comme la plus ancienne littérature religieuse de l’Inde. Les Védas ont été transmis oralement de génération en génération. Pour les hindous l’autorité des Védas est suprême. Le terme védanta signifie la fois la fin et l’essence des Védas.
La littérature très élevée et profondément spirituelle des Upanishads forme la base de la religion et de la philosophie des Védas.
La Bhagavad-Gita constitue l’un des textes les plus connus du Védanta. L’écrivain anglais Edwin Arnold l’appelle : « Le Chant Céleste ». Quoique la Gîta n’appartienne pas la classe des Upanishads, elle en contient la quintessence.
La Gita, nous dit le Dr. Ramakrishna, représente l’hindouisme comme un tout Elle nous donne le sens véritable de la religion, dans son universalité.
Aldous Huxley la décrit comme l’un des résumés les plus clairs et les plus compréhensifs qui n’aient jamais été faits de la philosophie éternelle.
Le Swami Vivekânanda, dont nous célébrons le centenaire, nous parle de la Gîta comme d’un bouquet composé des fleurs spirituelles les plus merveilleuses contenues dans les Upanishads. Son enseignement met en évidence la divinité cachée de l’homme. Il est basé sur l’unité et la solidarité spirituelle de toute existence.
Les enseignements du Védanta sont impersonnels. Ils ne doivent leur origine à aucune personne ou prophète particulier. Ils expriment les expériences et les enseignements spirituels d’âmes hautement évoluées qui ont atteint la vision et la réalisation de la Réalité Suprême. Ce ne sont ni des théories, ni des hypothèses, ni des spéculations métaphysiques.
Le Védanta évoque plus exactement le contenu d’une expérience spirituelle intérieure que chaque homme peut réaliser dans les profondeurs de son cœur. Ce sont là des réalités spirituelles d’un ordre très élevé qui sont valables pour tous les temps et pour tous les hommes. Elles sont universellement applicables.
L’introduction d’un des plus anciens Upanishads (L’Isha Upanishad) contient un énoncé important résumant l’essence même de l’enseignement védantique. « Tout ce qui change dans ce monde est par le Seigneur ». Cette déclaration forme la base sur laquelle est construite la superstructure entière du Védanta. Elle est énoncée en un langage clair et elle incite l’homme à sa réalisation effective.
Tout est UN, car tout est englobé par le Seigneur, tout est divin. En évoquant l’importance de ces paroles, Mahatma Gandhi déclarait un jour que « si les Upanishads étaient réduits en cendres, et si seulement ces quelques mots de l’Isha Upanishad restaient intacts dans la mémoire des hindous, l’hindouisme vivrait pour toujours ».
Lorsque le Védanta déclare que tout est UN au-delà des manifestations multiples du monde de surface, il évoque l’existence d’une Réalité Spirituelle qui est Une, infinie, universelle et absolue. Cette Réalité est considérée comme « Etre Absolu » (Sat), « félicité absolue » (ananda) et conscience absolue (Chit). Tout moyen, toute forme ne sont qu’apparences illusoires basées sur la seule réalité qui est spirituelle et divine.
Le Védanta soutient que l’esprit qui constitue la conscience absolue est le témoin universel de l’état de conscience actuel.
Faisant, pour ainsi dire, écho à cette vue védique, Sir Arthur Eddington fait une déclaration significative lorsqu’il dit : « Quelle est notre vérité ». Nous pouvons opter pour plusieurs réponses, nous sommes part d’une étoile qui s’éteint, nous sommes des machines physiques compliquées, des marionnettes qui luttent, marchent, rient et meurent. Mais souvenons-nous qu’il est une réponse élémentaire à laquelle nous ne pouvons nous dérober, nous sommes les seuls à nous poser cette question. Songez à ce que dit le « Upanishad » : Pour observer il faut connaître celui qui sait. En rapport avec la position védique du caractère apparent et illusoire de tout phénomène, il est intéressant de noter ce que dit Bertrand Russell au sujet de la nature du monde physique; il dit notamment : « Nous ne voyons jamais ce que nous croyons voir, en métaphysique le symbole est clair et simple. Je pense que le monde physique pourrait être une illusion, mais s’il existe, il se compose d’entités vivantes, éphémères, insignifiantes ou purement occasionnelles, toute autre unité ou continuité étant des inventions de notre esprit, au même titre que nos catalogues et encyclopédies; ce sont de telles vues d’hommes de science modernes qui confirment ce que Swami Vivekânanda a dit au sujet du Védanta. Il dit : « Les conclusions de la science moderne sont les mêmes conclusions que tirait le Védanta il y a longtemps déjà, avec la seule différence que dans la science moderne celles-ci sont écrites dans le langage de la matière. »
Les affirmations du Védanta sont faites dans le langage du monde spirituel, alors que les conclusions de la science moderne sont apportées dans le langage du monde matériel. Le Védanta enseigne la divinité de l’homme. En fait tout en cet univers, animé ou inanimé, est fondamentalement divin. Le but de la vie est de connaître la vérité, de s’en rendre compte et de la sentir.
C’est là le but de la religion. Swâmi Vivekânanda a parfaitement résumé tout l’enseignement du Védanta en quelques simples phrases d’où émane l’esprit d’une religion universelle. Il dit « Toute âme est essentiellement divine. L’individu doit contrôler cette divinité en contrôlant sa nature, interne ou externe. Il doit réaliser cela par le travail, l’adoration ou la philosophie, par l’une ou chacune de ces choses, et être libre. La religion, les doctrines, les dogmes, les rituels, les livres, les temples ou les forums, ne sont que des détails secondaires. Là réside le secret du Védanta sachant que nous sommes divins, nous devons le réaliser de notre vivant, pendant cette vie qui constitue le but du Védanta ».
Il s’agit de réaliser la vérité ici et maintenant, sinon la misère sera grande, prévient le « Upanishad ». Pour accomplir cela le Védanta conseille de s’écarter de la voie qui procure la richesse matérielle. Cette voie différente est la voie de la religion, de la véritable vie spirituelle. Swâmi Vivekânanda dit que la religion est la manifestation de la divinité que l’homme porte déjà en lui, c’est-à-dire l’essence même de la religion. Le déploiement de cette divinité sente en chaque âme cette définition de la religion, garde toute sa validité quelle que soit la nature des aspirations religieuses tendant au développement de cette divinité latente, présente en chacun de nous.
Il faut approuver tout système qui mène au but suprême. Le Védanta accepte toutes les voies spirituelles, toutes les formes d’adoration, toutes les aspirations religieuses et tend une main secourable à toute personne essayant d’atteindre ce but suprême. Le Védanta n’est pas en opposition avec tel dogme ou telle doctrine, avec telle école ou tel système, parce qu’il sait que chacun de ceux-ci aide l’âme à trouver le chemin de Dieu. En ce sens le Védanta est universel et démontre un respect certain envers les différentes voies et méthodes religieuses. Selon le Védanta, la religion est une façon de vivre.
En comprenant les vérités du Védanta, et en les pratiquant chaque jour, notre vie, notre comportement, notre conduite et nos rapports avec d’autres personnes en seront modifiés; notre conduite devrait correspondre à notre conviction intime, en d’autres mots elle devrait nous apporter un excellent caractère moral et spirituel. Jésus a dit « Il faut aimer son prochain comme soi-même ». Pourquoi faut-il aimer son prochain ? Le Védanta fournit la bonne réponse; dit que notre prochain c’est nous-même, mais dans une autre forme et avec un nom différent. Cette même divinité qui est en nous, qui nous donne la vie et la lumière, est également présente en toute autre personne. La divinité est la base de toute existence; sans elle nous ne pouvons vivre sans apercevoir à tout moment cet aspect divin en chaque être, et de le servir en toute humilité. Au plus nous sommes conscients de notre propre divinité, au mieux nous pourrons déceler la divinité en d’autres personnes et agir en conséquence. Au point de vue du Védanta, tout travail philanthropique, tout service humanitaire, subit une profonde transformation parce qu’à ce moment il n’est plus philanthropique, ni humanitaire. Le travail et le service sont alors élevés jusqu’à l’adoration de Dieu. Le service de l’homme est alors égal à l’adoration de Dieu. Cette attitude n’élève non seulement celui qui rend le service, parce que son acte devient spirituel, mais aussi celui à qui le service est rendu, parce qu’il est élevé à la position de Dieu acceptant l’adoration. Si l’on comprend vraiment le Védanta, rien n’est séculaire, tout est spirituel et sacré. La vie elle-même devient religion, et tous les modes de service de l’homme deviennent part de la réalisation. C’est là de l’humanisme sous sa forme la plus pure, basé sur la divinité de l’âme humaine, que l’on peut appeler humanisme divin. Le Védanta proclame que par définition tous les hommes sont égaux. Selon le Védanta il n’existe pas de privilèges dans le monde spirituel. Puisque chacun bénéficie du même appui divin, chacun est libre d’œuvrer en vue d’atteindre le suprême palier.
Voilà ce que le Védanta promet à chacun. Cet enseignement de l’égalité spirituelle de tous constitue un grand message pour l’humanité au niveau social également, car il vaut non seulement pour la dignité de l’individu, mais aussi pour la dignité du travail qu’il accomplit. Tous les types de travaux sont d’égale valeur puisque tous ces types de travaux sont nécessaires pour le maintien de la société.
A cet égard, le Védanta apporte non seulement un message spirituel, mais également un message social. C’est la pratique seule qui mène à la perfection. Les enseignements védantiques doivent être pratiqués chaque jour de notre vie si nous voulons bénéficier d’eux et expérimenter leurs leçons. Aucune accumulation de connaissance théorique ou de compréhension intellectuelle ne suffira. On doit conduire son existence avec vérité et honnêteté. Il n’est point d’autre voie.
Le Védanta nous demande de tourner notre esprit vers l’intérieur. Aussi longtemps que l’esprit court après le monde et ses objets, il ne peut se recueillir et se concentrer sur la vérité qui réside en nous. Le Christ a dit « Celui qui perd sa vie pour moi la trouvera ». Pour l’amour de Dieu nous devrons nous écarter du monde, car l’homme ne peut à la fois servir Dieu et l’Homme.
L’esprit qui regarde les objets sensibles devient dissipé, ne peut s’imposer une direction plus élevée. L’esprit devrait être purgé de ses désirs de base avant de pouvoir appeler le monde à la poursuite plus élevée d’une connaissance de soi.
D’où l’importance attribuée à la pureté d’esprit pour chaque aspirant spirituel. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, a dit Jésus, car ils verront Dieu ».
C’est dans l’esprit pur seulement que le soi est révélé. L’esprit qui est aiguisé et affiné par la concentration et la méditation, qui est devenu calme et concentré et qui n’est plus accessible aux objets et aux désirs des sens.
Aujourd’hui l’homme est en quête d’une religion qui pourrait satisfaire non seulement son cœur et son âme, mais aussi son intellect. Elle devrait être en harmonie avec la mentalité du temps. Elle devrait être assez rationnelle pour être admise par la pensée moderne. Elle ne devrait pas railler l’esprit libre de l’homme, mais le contenu de dogmes amers et de négations hésitantes. Elle devrait être non exclusive, non dogmatique mais universelle. Pour embrasser dans son contenu toute l’humanité, elle ne devrait rien nier de ce qui est positive; elle devrait pouvoir tout inclure et accepter toute forme de pensée et de conduite religieuse.
Elle devrait être extrêmement humaine dans ses abords afin de pouvoir faire face à tous les problèmes et situations de l’homme. Elle devrait être profondément spirituelle pour trancher et transformer la valeur essentielle de l’homme, pour lui faire réaliser qu’il est divin.
Voilà le type de religion dont l’humanité a besoin aujourd’hui. Le Védanta offre semblable religion. Ce qui explique qu’année après année, des peuples de plus en plus nombreux, venus de toutes parts, se tournent vers le Védanta pour gagner situation et inspiration spirituelles.
Le Védanta explique les lois universelles que Dieu instaura dans la vie spirituelle. Il clarifie les principes universels qui supportent toutes les religions, tous les prêtres.
Parlant de cette universalité, Max Muller écrit « La philosophie du Védanta laisse à chaque homme une large sphère d’utilité réelle et nous place sous une loi aussi stricte et contraignante qu’il est possible dans cette existence transitoire. Il laisse à l’homme une divinité à adorer, aussi omnipotente et majestueuse que les divinités de toute autre religion. Il offre de l’espace pour pratiquement chaque religion, puisqu’il les embrasse toutes.
Laissez-moi conclure mon exposé en vous citant un extrait fameux du Swami Vivekânanda, extrait qui représente vraiment l’esprit du Védanta à l’égard de toutes les autres religions. Il dit : « J’accepte toutes les religions qui furent dans le passé et j’adore avec elles toutes. J’adore Dieu avec chacune d’entre elles, sous quelque forme qu’elles l’aient adoré. J’irai à la mosquée des mahométans. J’entrerai dans l’église chrétienne et m’agenouillerai devant le crucifix. Je pénètrerai dans le temple bouddhique où je prendrai refuge en Bouddha et en sa lumière. J’irai dans la forêt et m’assiérai en méditation avec l’Hindou qui essaie de voir la lumière qui illumine le cœur de chacun. »
Puisse ce message du Védanta, cet esprit de Swami Vivekânanda englober le monde entier et brûler partout dans le cœur des hommes et des femmes, afin que les hommes puissent se conduire l’un l’autre vers l’atmosphère spirituelle d’harmonie et de paix, d’égalité et de respect, d’amour et de camaraderie. Merci.