Hélène Barrère
L'éducation et le chemin de la sagesse, connaissance de la vie intérieure

Ceux qui soutiennent la notion d’incompatibilité entre la Sagesse et notre civilisation occidentale pensent que la Sagesse n’est pas adaptée à la modernité car elle ne peut se trouver que dans le retrait du monde. C’est faire peu de cas de la dimension de profondeur chez l’être humain ! Quand il veut se retirer du monde, l’homme peut aussi se « recentrer » en lui-même. Certes, il se doit d’être particulièrement vigilant aujourd’hui, car il n’a pas devant lui le modèle du « Sage », comme il a celui du « Businessman », de « l’athlète » ou du « Jeune cadre dynamique », tous tournés vers le monde extérieur… Mais on voit mal pourquoi l’occidental d’aujourd’hui ne pourrait pas tourner son regard à l’intérieur de lui-même !

(Extrait de l’ouvrage collectif Éducation Créatrice publié sous la direction de Robert Linssen, édition Être Libre 1984)

« La connaissance de soi implique nécessairement la découverte progressive d’une dimension de l’être qui, seule, a le pouvoir de l’unifier, de le soumettre et de le transformer ».

Michel de SALZMANN

« La paix des profondeurs à laquelle accède l’homme mûr n’est pas un état surhumain, il est l’achèvement de la pleine dimension à laquelle l’homme peut légitimement aspirer ».

Éric EDELMANN

Quelle est la finalité proposée aujourd’hui à l’adulte ?

Notre civilisation propose la « vieillesse », alors que les civilisations traditionnelles orientales proposent la « Sagesse ». La nuance est d’importance, car si tout le monde a des chances de devenir « vieux » dans l’état actuel de la médecine, tous les « vieux » ne deviendront pas des « Sages » pour autant.

Ceux qui soutiennent la notion d’incompatibilité entre la Sagesse et notre civilisation occidentale pensent que la Sagesse n’est pas adaptée à la modernité car elle ne peut se trouver que dans le retrait du monde. C’est faire peu de cas de la dimension de profondeur chez l’être humain ! Quand il veut se retirer du monde, l’homme peut aussi se « recentrer » en lui-même. Certes, il se doit d’être particulièrement vigilant aujourd’hui, car il n’a pas devant lui le modèle du « Sage », comme il a celui du « Businessman », de « l’athlète » ou du « Jeune cadre dynamique », tous tournés vers le monde extérieur…

Mais on voit mal pourquoi l’occidental d’aujourd’hui ne pourrait pas tourner son regard à l’intérieur de lui-même !

Nous allons voir ici que l’étude des Traditions orientales pourrait enrichir nos connaissances actuelles en psycho-gérontologie.

CROISSANCE, EDUCATION ET EVOLUTION…

La croissance de l’enfant passe, selon la psychologie moderne généralement admise, par quatre phases successives : perceptive, active, affective et intellectuelle. En même temps, la jeune individualité va recevoir de la part de l’école et de son environnement socioculturel, une éducation lui permettant de s’intégrer à la société. Mais si la croissance et l’éducation s’achèvent au cours du premier tiers de l’existence, l’évolution va se poursuivre tout au long de la vie de l’individu et à son rythme propre, tout simplement en tirant les leçons des évènements et en expérimentant des comportements et des situations divers.

La connaissance de soi, ou plutôt la connaissance du fonctionnement psychique, puis sa maîtrise, c’est le but ultime que nous propose la psychologie en Occident. Mais, dans l’optique des traditions orientales, du Vedanta et du Zen en particulier, la connaissance doit se poursuivre et atteindre l’Esprit (que nous appellerons ici la conscience), ce que la majorité des hommes, même en Orient, n’envisage pas un seul instant. En effet, ils ne voient pas l’intérêt de poursuivre la connaissance de soi au-delà des limites du psychisme, celui-ci se révélant suffisant pour vivre comme tout le monde. Bien plus, ils n’imaginent même pas qu’une telle évolution soit possible et leur apporte une qualité de bonheur particulière…

Pour les traditions orientales et pour certains auteurs occidentaux comme BROSSE, GODEL ou LINSSEN, à chacun des trois niveaux de la structure humaine (soma-psyché-noùs)[1], le même processus se reproduit : il y a d’abord contact avec le niveau considéré, puis exploration et expérimentation et enfin maîtrise. Le processus qui mène à la maîtrise du premier niveau (soma) est naturel dans l’anthropogenèse : l’enfant découvre, expérimente et maîtrise tout naturellement son corps et ses mouvements, et ce dès son plus jeune âge. Ensuite, l’éducation prend le relais de la nature pour le socialiser, le mettre en contact avec le psychisme des autres et le sien propre, les connaître et les maîtriser. L’éducation occidentale s’arrête quand l’individu a développé une personnalité harmonieuse et équilibrée, ce qui d’ailleurs est loin d’être le cas pour tout le monde. C’est la raison d’être des diverses techniques psychologiques et psychiatriques qui tentent de réconcilier l’homme avec lui-même, en particulier son niveau somatique avec son niveau psychique.

Mais l’Orient va plus loin en reconnaissant à l’individu un troisième niveau dans sa structure, le niveau noétique[2] ou « conscience pure ». Le contact avec ce troisième niveau peut se produire de diverses manières : par l’intuition métaphysique, bien sûr, mais aussi par la parapsychologie, l’Astrologie, l’Amour en tant que communion avec la Nature, les Hommes ou Dieu. Certaines de ces expériences vont amener l’individu à approfondir la connaissance de sa vie intérieure, à l’explorer et à la comprendre, ce qui va lui permettre d’atteindre la maîtrise du niveau noétique et avec elle la Sagesse et la Sérénité.

L’étude comparée des mythes et des religions dévoile le sens profond de la Connaissance ultime, Les divers cultes hellènes (Rhéa, Dionysos), tibétains et hindous, de même que la « quête du Graal » en Occident, offrent des rites symboliques du passage à la Connaissance adaptés aux caractéristiques de chaque peuple. Mais le chemin de l’Initiation peut aussi être individuel (mandalas tibétains, méditation transcendantale, Zen, Yoga, escalade en montagne…). Beaucoup de techniques peuvent être l’occasion d’un voyage au-dedans de soi vers la Connaissance Suprême.

Cette dernière, chez les orientaux, est la réalisation de la Non-Dualité, doctrine éminemment orientale bien qu’on puisse en retrouver quelques traces dans nos propres traditions[3] gréco-romaine, judéo-chrétienne, égyptienne ou celtique[4]. Cependant, depuis longtemps, l’Occident a été séduit par la Dualité d’Aristote, puis du christianisme, qui nous a conduit au rationalisme cartésien et à la méthode scientifique. Remarquons que si les résultats obtenus sont loin d’être entièrement négatifs et rendent hommage au génie créateur de l’homme, il est évident qu’ils ne le comblent pas pour autant. Il a des aspirations d’un autre ordre que ne peuvent combler les seuls progrès matériels. Or, tout est fait dans nos civilisations occidentales pour étouffer ces aspirations légitimes ou les canaliser dans des religions institutionnelles.

Depuis quelques temps déjà, une dizaine d’années peut-être, un nouveau champ d’investigations s’est ouvert aux États-Unis : à la suite de la vogue de la drogue[5] et du mouvement hippie, Maharishi Mahesh Yogi a été à l’origine d’un vaste mouvement tiré des traditions séculaires de l’Orient, la Méditation Transcendantale[6]. Les bienfaits apportés par cette méthode ainsi que sa simplicité d’exécution sont à l’origine d’un véritable engouement. En même temps, plusieurs méthodes de biofeedback[7] ont été expérimentées et adoptées, l’hypnose, la suggestion, la sophrologie et d’une façon générale, la parapsychologie, apparaît comme une science à part entière aussi bien aux U.S.A. qu’en U.R.S.S.

En ce qui concerne la Médiation Transcendantale (M.T.), un peu partout dans le monde, mais surtout aux États-Unis, des Universités et des Instituts ont consacré des études rigoureuses à ses effets physiologiques, psychologiques et sociologiques. Le succès remporté par cette pratique biquotidienne dans l’épanouissement de l’être humain et de ses potentialités, la réduction expérimentalement observée du taux d’agressivité, de nervosité et d’angoisse semblent intéressants; les maladies nerveuses et les désordres psychosomatiques dus à une tension excessive deviennent, semble-t-il, guérissables.

LA DOCTRINE DE LA NON-DUALITE…

L’individu est ainsi fait qu’il ne cesse d’opposer les caractères : le chaud et le froid, le féminin et le masculin, le bien et le mal… L’Orient considère, lui, qu’il ne doit pas s’identifier aux choses, aux sentiments, aux émotions, mais chercher au-delà l’Unité primordiale, ce qu’il appelle la Réalité ultime. Pour atteindre la Non-Dualité[8], il faut « remonter vers la Source au-delà du dédoublement des opposés, jusqu’au principe en vertu duquel le couple prend naissance. C’est là que se révélera à nous la conscience dans son authenticité »[9].

La recherche spirituelle occidentale doit-elle se fondre avec la recherche spirituelle orientale, ainsi que le pensait Annie BESANT et la Société de Théosophie au début du siècle, ou bien doit-elle chercher ses propres racines qui sont, hélas ! profondément enfouies ou dénaturées ? Cette position était celle défendue par Rudolph STEINER et le mouvement de l’Anthroposophie, pour lesquels ces racines étaient plus facilement compréhensibles pour nous autres, occidentaux. A notre avis, c’est un faux problème : le chemin de chacun est particulier; chaque personne va suivre la voie qui correspond le mieux à ses aspirations profondes, et pourquoi pas une tradition orientale qui a le mérite de restaurer une sorte de métaphysique naturelle et universelle pour peu que l’on souhaite se dégager des dogmes et des rites religieux ancestraux ?

Si la pensée grecque et, par suite, judéo-chrétienne, a pris le chemin de la Dualité, si elle a dédaigné la métaphysique, lui préférant la Logique, il se trouve qu’actuellement, la physique théorique de pointe a la même vision du monde que la métaphysique orientale quand elle parle de « champ unitaire », de « vibrations », de l’électron « porteur d’esprit »[10] et de l’« interaction des particules subatomiques entre elles et avec la conscience de l’observateur ». La connaissance de l’Unité et la complémentarité des modes de conscience rationnel et intuitif, ou plus simplement la connaissance de la Conscience cosmique illusoirement individualisée en chacun de nous, comme l’affirment les philosophies orientales, nous l’appellerons avec Thérèse BROSSE la connaissance du niveau « noétique » ou niveau « conscience pure » de la structure humaine, pour la distinguer de la conscience habituelle qui se trouve être en fait la conscience psychique.

« Au XXème siècle, la physique a traversé plusieurs révolutions conceptuelles qui révèlent clairement les limitations de la perception mécaniste du monde et conduisent à une vision « organique » et « écologique » qui présente de grandes similitudes avec les conceptions des mystiques de tous temps et de toutes les traditions. L’Univers n’est plus considéré comme une machine constituée d’une multitude d’objets séparés, mais apparaît comme un Tout harmonieux et indivisible, un réseau de relations dynamiques qui incluent l’observateur et sa conscience, d’une manière essentiellement. Le fait que la physique moderne (…) établisse actuellement des contacts avec le mysticisme (…) exprime merveilleusement l’unité et la complémentarité des modes de conscience rationnel et intuitif, du Yin et du Yang[11]. Les physiciens peuvent donc fournir le contexte scientifique aux changements d’attitudes et de valeurs dont notre société a un si urgent besoin. Dans une culture dominée par la science, il sera beaucoup plus facile de convaincre nos institutions sociales de la nécessité de changements fondamentaux si nous pouvons appuyer nos arguments sur une base scientifique »[12].

« L’Univers est un tout unitaire qui peut, dans une certaine mesure, être divisé en parties séparées, en objets composés de molécules et d’atomes, eux-mêmes composés de particules. Mais ici, au niveau des particules, la notion de parties séparées ne tient plus. Les particules subatomiques et, en fin de compte, toutes les parties de l’univers, ne peuvent être comprises comme des entités isolées, mais doivent être définies par rapport à leurs interconnexions ».[13]

Il nous reste maintenant à explorer cette Unité en nous-mêmes et à l’expérimenter dans la vie courante sous forme de « conscience pure » pour en comprendre tout l’intérêt fonctionnel, car il serait, pour certains auteurs le niveau « d’intégration supérieur » de la structure humaine et, comme tel, subordonnerait les niveaux inférieurs somatique et psychique en les équilibrant.

OUVERTURE DE L’EGO ET DEGAGEMENT DE LA CONSCIENCE…

La maîtrise du niveau « conscience pure » est atteinte par la réalisation de la Non-Dualité et par « l’ouverture de l’égo ». Cette dernière formulation nous est peut-être plus accessible, à nous autres, occidentaux. Les philosophies traditionnelles orientales aiment à employer le mot« ego » pour désigner toute cette personnalité magnifiée par notre culture et que nous avons arbitrairement découpée en « çà ! », « Moi » et « Surmoi », à la suite des psychanalystes. Pour certains auteurs (Krishnamurti, Linssen, Brosse…) les êtres humains ont le sentiment illusoire d’être une entité statique continue (l’égo). En fait, seule existe une succession extraordinairement rapide et complexe de pensées qui ne sont, en fait, que des mémoires, « Ceux qui ne discernent pas cet enchaînement croient à l’existence de l’ego »[14]. Ces mémoires accumulées forment un écran opaque qui voile la lumière de la « conscience pure ». En d’autres termes, « l’égo » empêche « l’éveil », pour employer le terme ésotérique consacré. Lorsque « l’expérience libératrice » survient et que l’égo se trouve largement ouvert, certains textes parlent d’une « expansion de la conscience ». « La société crée une conscience limitée, mais la conscience en soi est synonyme d’expansion »[15].

Il semble que les Sages du Vedanta, les Yoguis du Samkhya, les Initiés tantriques, et d’autres… soient parvenus, à travers les âges, au degré le plus élevé de notre humanité, à savoir la libération de la conscience hors de l’égo et la réalisation de sat-chit-ananda (en sanscrit, Être-Conscience-Béatitude). En ce qui nous concerne, et à notre degré d’évolution, « pour qui achève la maîtrise du « mental » synthétique, la mutation qui s’offre à nous n’est rien moins que l’accession à ce niveau d’universalité qui, soustrait à l’emprise aveuglante de l’égo, cessera de nous identifier à ce fantôme imposteur. C’est alors d’autres nous-mêmes que nous reconnaîtrons sur les visages de nos contemporains, tandis que nous ressentirons notre « unité », avec toutes les formes de la manifestation[16]. L’égo, par ses ruses, se maintient au prix d’un antagonisme destructeur. S’il a joué un rôle irremplaçable dans les périodes passées de notre évolution, en veillant à notre survie, maintenant, il nous barre la route tandis que nous arrivons au seuil de la conscience cosmique.

Ce dégagement de la conscience est déjà réalisé chez quelques uns de nos contemporains, chez certains Sages. La définition du Sage pourrait être la même que celle que Thérèse BROSSE propose pour l’être spirituel : être un Sage, c’est « ressentir et exprimer le caractère universel de la conscience et le reconnaître chez les autres, en dépit des apparences, ainsi que dans toute la Manifestation ».

Le processus de l’évolution humaine est intéressant à connaître : il est généralement admis que ce qui est croissance pour l’enfant est évolution pour la race. Il semble que les enfants de 6 ans reproduisent l’âge de pierre avec la construction de cavernes et de huttes, les préadolescents et leur absolu effectif reproduiraient les races primitives prélogiques, etc… Ainsi, l’évolution psychologique récapitulerait les stades précédents de la phylogenèse humaine.

Pour Thérèse BROSSE, la conscience, qui est l’Absolu, évoluerait au travers des différents niveaux psychologiques qu’elle parcourerait successivement pour les éduquer. Elle maîtriserait ainsi le niveau sensoriel vers 5-6 ans, le niveau actif vers 7-8 ans, le niveau intellectuel analytique puis synthétique de la maturité et puis enfin dépasserait l’égo et atteindrait l’étape de l’universalité, tout au moins chez quelques-uns d’entre nous. « La conscience en tant qu’Absolu distinct de ses niveaux change de place au cours de la croissance de l’enfant et de l’évolution de l’adulte ».

L’Absolu noétique est pour cet auteur la conscience elle-même en tant que niveau supérieur transcendant le psychisme, et non pas la qualité consciente de ce psychisme comme généralement admis. Elle considère que « la Science de l’Homme demeurera dans une impasse aussi longtemps que la conscience sera considérée comme scellée au psychisme dont on en fait la caractéristique et l’expression ».

Les philosophies orientales nous aident à comprendre la nature de la conscience, car leurs conceptions sont beaucoup plus fines et précises que celles habituellement admises en Occident. Pour plus de clarté, nous ne parlerons ici que de trois niveaux de conscience, bien qu’ils soient plus nombreux dans certaines traditions : toutefois, ces trois niveaux de conscience vont nous aider à préciser la notion de conscience ou « Absolu noétique ».

Si on considère que l’homme est constitué d’un corps, d’un psychisme et d’un esprit (soma-psyché-noùs), les trois niveaux de la structure humaine seraient le niveau somatique, le niveau psychique et le niveau noétique. Au cours de sa vie, l’homme verrait une évolution parallèle de ces trois niveaux différents, avec toutefois, prédominance d’un niveau spécifique à chaque phase de son évolution : niveau somatique au cours de l’enfance, niveau psychique au cours de l’adolescence et de la maturité, niveau noétique au cours de l’élaboration de la Sagesse. La conscience accompagnerait cette évolution de l’homme, c’est-à-dire que de somatique, elle deviendrait psychique, puis deviendrait « conscience pure », quand il aurait atteint la Sagesse, but ultime de l’existence humaine, ou plutôt des existences humaines, si l’on se place du point de vue des traditions orientales.

« L’évolution même de la vie, c’est de gagner sans cesse en conscience ».

CARACTÉRISTIQUES DE LA « CONSCIENCE PURE »…

C’est la conscience dégagée du psychisme, ce qui est tout à fait nouveau pour nos civilisations occidentales. Tout le monde ne peut pas atteindre la Sagesse, bien sûr, mais il est possible de faire l’expérience de la conscience pure par la méditation ou une certaine forme de contemplation. C’est une fonction d’attention et d’intelligence, sans jugement de valeur aucun, une « présence » à soi-même et aux autres sans qu’intervienne le jugement de l’égo. Pour les traditions orientales, c’est l’état ultime de la conscience. Quand l’individu a fait au moins une fois l’expérience de la « conscience pure », ce que Roger GODEL appelle « l’expérience libératrice », il a compris beaucoup de choses, c’est ce que les orientaux appellent « l’illumination » ou encore « l’éveil », ce que nous pourrions appeler le bonheur à son degré supérieur ou la béatitude, le mot n’est pas trop fort. Même si, par la suite, l’individu ne connaît que rarement cet état de béatitude, tout le cours de sa vie en est changé, puisqu’il sait. En fait, c’est là l’objet de ce que, au cours des siècles, on a appelé « la Gnose », ou la Connaissance avec un C majuscule, ou encore l’Initiation, orientale aussi bien qu’occidentale.

Pour la tradition védantique, la « conscience pure » est Connaissance, bien sûr, mais aussi amour et béatitude. Cet amour-béatitude n’est évidemment ressenti comme suprême félicité dépassant toute conception, que dans l’état de conscience pure. Dans les états intermédiaires de la conscience, plus on moins liés au psychisme, l’amour ne s’exprimera plus que sous une forme dégradée selon le degré d’évolution de l’individualité qui le ressent : « encore dépourvu d’égoïsme dans lia partie supérieure du psychisme (buddhi), il deviendra personnel et tyrannique avec l’égo, et, plus bas encore, intimement mélangé aux influences sensorielles de plus en plus puissantes. Pour cette affectivité, comme pour toutes les manifestations de la Conscience qu’elle accompagne, la loi de relation entre les niveaux va s’affirmer comme elle le fait pour la connaissance et l’appréciation de la vérité. Alors qu’un niveau supérieur d’évolution est susceptible de comprendre les limitations et les imperfections d’un niveau inférieur par lui dépassé, ce dernier est dans l’impossibilité absolue de comprendre la qualité de la connaissance d’un niveau supérieur. De même en affectivité, la qualité de l’amour d’un niveau supérieur ne peut en aucune façon être apprécié par un niveau inférieur qui mésinterprétera toutes ses expressions. Comme on ne peut se comprendre que sur un même niveau d’évolution, on ne peut s’aimer avec réciprocité qu’à cette condition impérieuse ».

Ceci rappelle étrangement les paroles attribuées à HERACLITE d’Éphèse « les endormis vivent chacun dans leur monde, seuls les éveillés ont un monde en commun ».

Notre objectif était d’essayer de faire comprendre au lecteur intéressé une conception du Monde et de l’Homme fort éloignée de celle que notre civilisation occidentale nous a enseignée. Cette cosmologie pourrait constituer un apport fructueux pour notre psychologie, science relativement récente. Les U.S.A. l’ont bien compris, qui sont actuellement le fer de lance de l’expérimentation du rôle et des pouvoirs de l’Esprit.

Il nous reste à provoquer dans les pays européens cette même « expansion de conscience » et à fournir à l’appui de ce qui n’est pour nous qu’un concept, des preuves scientifiques indubitables, comme nous les aimons.

Hélène Barrère  Psychogérontologue et psychosomaticienne à l’association Claude Bernard (en 1988). Chargée de recherches à l’INSERM.


[1] Noùs est égal pour les grecs à esprit (niveau supérieur de la triade esprit-psyché-corps)

[2] Noétique : adjectif tiré de « noùs »

[3] LOISELEUR Véronique – Anthologie de la Non-Dualité. Éditions de la Table Ronde, 1981

[4] AMBELAIN Robert –  Les traditions celtiques. Éditions Dangles, 1977

[5] HUXLEY Aldous – Le Ciel et l’Enfer. Éditions du Rocher, 1979

[6] IMBERT Jean Claude  – L’exploration de la Conscience. Éditions Tchou, 1978

[7] Biofeedback : action rétroactive d’un effet sur sa cause; désigne généralement un processus régulateur mécanique ou organique.

[8] Unité et non-dualité sont employés ici indifféremment.

[9] GODEL Roger – L’expérience libératrice. Éditions Présence, 1952

[10] CHARON Jean E. J’ai vécu 15 milliards d’années. Editions Albin Michel, 1983

[11] Pour les taoïstes, les deux pôles de l’énergie primordiale sont de caractère Yin et de caractère Yang.

[12] COXHEAD Nina – Les pouvoirs de l’Esprit. Éditions Calmann-Lévy, 1979

[13] CAPRA Fritjof – Le temps du Changement. Éditions du Rocher, 1983

[14] LINSSEN Robert – Naissance, développement et dissolution du mirage de l’égo. 1976

[15] BHAGWAN SHREE RAJNEESH – L’éveil à la conscience cosmique. Éditions Dangles, 1981

[16] BROSSE Thérèse (Docteur) – La Conscience Énergie Structure de l’homme et de l’univers. Éditions Présence, 1978.