Krishnamurti
L’observateur est le mouvement du passé

Ainsi, il y a en nous-mêmes, cette division, l’observateur et l’observé, qui est dualistique. Vous suivez ? Et nous sommes conditionnés par l’éducation, la culture, et tout ce qui s’en suit, par la religion, la prétendue religion, à maintenir cette division, pour voir Dieu. Vous n’êtes rien. Vous suivez ? À maintenir toute cette division, qui est le corridor des opposés. Et quand il y a ce corridor des opposés, il doit y avoir conflit, effort, entraînement. Donc, il est absolument nécessaire de comprendre qu’il faut qu’il y ait seulement observation, non l’observateur essayant de contrôler, d’avoir la haute main sur l’observation, sur ce qui est observé.

Deuxième conférence publique de Krishnamurti à Saanen (mardi 11 juillet 1978), traduite par René Fouéré dans un style respectant l’oralité. Fouéré effectuait la traduction des enregistrements sur place et les lisait au public francophone le lendemain. Le titre est de 3e Millénaire.

Pouvons-nous poursuivre avec ce dont nous parlions avant-hier ? Avant que nous étudiions cela, j’aimerais vous demander, avec tout le respect qui cous est dû, et Oie tout ce qui s’en suit, pourquoi vous êtes ici ? Pourquoi vous venez à ces causeries et discussions ? Est-ce par curiosité ? Est-ce parce que, n’ayant rien de mieux à faire, vous voulez simplement passer une heure ou deux ici ? Ou, puisque vous avez apparemment fait un gros effort pour venir, vous pourriez être assez sérieux ? Si vous êtes sérieux, jusqu’à quel point voulez-vous aller ? Il ne s’agit pas d’entreprendre physiquement un autre long voyage, mais, intérieurement, psychologiquement, dans votre peau, pour ainsi dire, jusqu’à quelle profondeur voulez-vous aller ? On peut aller très profondément, si vous le voulez, et non avec un concept intellectuel de profondeur. Si vous avez un concept intellectuel de la profondeur, alors cela prendra du temps pour pénétrer dans cette profondeur. Et vous pouvez être assez sérieux pour découvrir par vous-même si vous pouvez observer tout ce mouvement du temps, la mesure, la hauteur et la profondeur, la montée et la descente, la recherche dans cette profondeur, qui exige aussi beaucoup de temps et d’énergie. Ou, il pourrait y avoir une action totalement différente, qui n’implique pas l’expansion physique, le voyage de ce pays jusqu’en Inde pour découvrir quelque gourou, laid ou beau, mais plutôt qui consiste à avoir une rapide perception des choses, une prise de conscience soudaine, une compréhension immédiate, un contact immédiat avec « ce qui est » réellement. Non pas avec ce que vous pensez être, ou avec ce que vous pourriez désirer qui fut, mais, percevoir réellement, dans sa totalité, ce qui prend place en fait. Quand on observe si totalement, si holistiquement, alors, cela donne une vision pénétrante. À partir de cette vision pénétrante, de cette prise de conscience immédiate, vous agissez ! Par conséquent, la perception et l’action sont immédiates, il n’y a pas d’ajournement de l’action. Donc, c’est ce que nous allons étudier, si nous le pouvons, ce matin, si vous le voulez, et si c’est ce que vous désirez découvrir.

Et, comme nous le disions l’autre jour, pourquoi, à travers le monde, les êtres humains sont si occupés d’eux-mêmes, de leurs groupes intellectuellement, de leur beauté physique, ou de quoi que ce soit, et, psychologiquement, intérieurement. Si anxieusement occupés d’eux-mêmes, de leur compréhension, se demandant s’ils méditent convenablement, s’ils réalisent la posture correcte, si c’est la chose qu’il convient de faire, ce qu’on devrait faire — cette recherche qui ne cesse de s’étendre et cette occupation constante à leur propre sujet. Si on découvre par soi-même le danger d’une telle occupation, le danger réel, non pas seulement psychologique aussi bien que physiologique, de cette occupation centralisée, alors, peut-être, on peut clairement et aisément approfondir la question « Pourquoi ».

Pourquoi les êtres humains, dont nous faisons tous partie, sont-ils ainsi ? Et, chaque être humain, si vous étudiez la question plus profondément, est le représentant de toute l’humanité. Il est très important, je pense, de comprendre ce point, parce que, chaque être humain dans le monde entier souffre, est anxieux, incertain, dans le désespoir, enivré et dans la confusion, attaché. Ainsi, tous les êtres humains sont cela. Donc, vous, si vous vous regardez très soigneusement, très objectivement, de façon non personnelle, vous verrez que vous êtes comme le reste de l’humanité. Et cette découverte que vous êtes réellement, vraiment, irrévocablement, le représentant de chacun des êtres humains, vous donne un extraordinaire sentiment de vitalité, de force. Ce n’est pas un simple sentiment, un concept romanesque, une idée intellectuelle, mais un fait quotidien réel.

Nous disions, l’autre jour, que cette occupation limite l’énergie. Et quand l’énergie est limitée, rétrécie, canalisée, elle commence à perdre sa vitalité, son intensité primitives. Et ce rétrécissement, dû au fait que chacun s’occupe de lui-même, comme on peut l’observer, ce rétrécissement a créé une masse de souffrance dans le monde, lorsque chaque personne est occupée d’elle-même, avec ses ambitions, avec ce qu’elle a fait, avec ses désespoirs, avec ses peurs, etc., etc. — dans ces conditions, vous ne pouvez pas avoir de vrais rapports avec quelqu’un d’autre.

Vous pouvez penser que vous avez de vrais rapports, mais, en fait, vous n’en avez pas quand la totalité de votre esprit est occupée par votre propre progrès, vos propres anxiétés, vos propres problèmes, etc. C’est si évident ! Mais, bien que ce soit très évident, nous ne faisons rien à ce sujet. Au contraire, nous y travaillons, nous l’améliorons — c’est appelé le perfectionnement de soi, devenir meilleur, mais c’est toujours à l’intérieur de limites étroites.

C’est ce dont nous parlions l’autre jour. Ceci est peut-être nouveau pour quelques-uns d’entre vous, donc, si ce qui est dit est nouveau pour vous, ne vous dites pas à vous-même : « Oh, c’est le vieux fatras » — « Nous avons entendu tout cela, de différentes manières auparavant ». Ou ne dites pas : « Il répète ce qu’a dit quelqu’un d’autre ». Ou peut-être, vous ne comprenez pas parfaitement le vocabulaire. Nous nous servons de la langue anglaise ordinaire. Nous ne faisons pas usage de jargons, nous ne donnons pas un sens spécifique à des mots spéciaux, mais nous parlons l’anglais ordinaire, l’anglais quotidien.

Si nous parlons anglais, l’un et l’autre, la communication devient aisée, mais la communication verbale est loin de suffire. Vous pouvez comprendre que c’est un beau jour — heureusement : — mais, quand on va plus profondément, quand on se livre à une recherche étendue, sagement, avec hésitation, les mots ne suffisent pas. Les mots ne sont jamais la chose, la description n’est jamais ce qui est décrit, Donc, on ne doit pas être seulement conscient de la signification des mots, mais aussi du fait que le mot n’est pas la chose.

Alors, on commence à rechercher très, très profondément, lentement, avec hésitation, sans aucune conclusion. D’accord ? C’est comme un homme de loi qualifié ou un chirurgien. Il ne fait pas état de tous ses concepts, il enquête d’abord sur le cas. Le cas est nous, nous sommes le problème. Donc, nous devons savoir clairement ce qu’est notre problème, et je commence à me demander s’il en est bien ainsi. Nous sommes si diffus, émotionnels, sentimentaux, en sorte que nous sommes toujours en train de colorer le problème, de le regarder à partir d’un point de vue très étroit, très limité. N’en est-il pas ainsi ? Donc, nous devons être très délibérément attentifs dans notre examen de la question de savoir pourquoi les êtres humains sont si funestement occupés d’eux-mêmes ; et s’il est possible d’être totalement libre de cette occupation, complètement. Cette libération est la complète dissolution du « soi ». Alors, il y a libération. Nous allons approfondir tout cela.

Est-ce qu’on voit le réel danger de cette occupation, centrée sur soi ? En s’occupant de soi, on peut s’identifier avec une nation, avec un groupe, avec un idéal ou une croyance particuliers. C’est le même processus. J’espère que c’est clair. Quand je m’identifie avec un groupe, avec une idée, avec une croyance, avec une conclusion, cette identification est l’essence même du fait de s’occuper de soi-même. D’accord ? Quand on est occupé avec, disons, l’internationalisme, on est passé du fait de s’occuper de soi-même, au fait de s’occuper de quelque chose avec quoi on s’est identifié. Par conséquent, cette identification, c’est encore s’occuper de soi-même. Est-ce que c’est clair ? Quand je m’identifie avec le Christ, ou Jésus, ou Krishna, ou qui que ce soit, je suis encore dans le processus de m’identifier avec cette chose, mais c’est encore m’occuper de moi-même. Je me demande si c’est clair ? Pouvons-nous poursuivre ; si c’est clair ?

Donc, cette question centrale est celle de savoir si on peut exister sensément, sainement, harmonieusement, sans s’identifier avec quelque chose ? Non seulement extérieurement, mais intérieurement. M’identifier avec mon expérience, s’identifier avec la famille, avec les croyances, des institutions, etc. Cela signifie : peut-on vivre dans ce monde sans identification ? En d’autres termes, peut-on vivre harmonieusement, à la fois avec l’extérieur et l’intérieur, sans aucun sens d’occupation et d’identification ? Est-ce que c’est clair ?

Tout d’abord, posons clairement le problème avant de le traiter. Quand on est occupé de soi-même, de son propre corps, de sa beauté, de ses yeux — vous savez, cette constante occupation au sujet de soi, on renie en fait tout rapport réel avec autrui, bien qu’on puisse dormir avec un autre, bien qu’on puisse se tenir les mains avec un autre et dire : « Combien tu es adorable ! » — tout cela. Mais, le processus d’identification sépare les êtres humains. Et, à partir de cela, la violence, les guerres, les divisions raciales, toutes ces choses s’installent. D’accord ?

Maintenant, la question suivante est celle-ci : est-il possible de vivre quotidiennement dans ce monde, sans aucun sentiment d’identification ? Non seulement avec les sens, avec le corps, mais avec la journée, avec tout le passé, l’hérédité — vous comprenez ? — l’Anglais, l’Allemand, toute l’histoire de tout le passé. Être complètement libre de tout cela, et cependant vivre en harmonie en exerçant une activité dans la vie quotidienne. Est-ce que ce problème est maintenant clair ?

Tout d’abord, il n’y a pas d’orateur. Comme nous l’avons souligné l’autre jour, vous vous parlez à vous-même, vous vous regardez vous-même. Je puis, l’orateur peut être le miroir, mais le miroir n’a pas de valeur. Vous vous servez du téléphone pour parler, mais le téléphone, en lui-même, a très peu d’importance. Ce que vous dites dans le téléphone est important. Ainsi, de la même manière, il n’y a pas d’orateur ici. Vous parlez vous-même, vous vous observez vous-même, vous observez votre occupation avec vous-même, et le résultat de cette occupation dans votre vie quotidienne, résultat qui est de créer un tel chaos dans le monde.

Quand des personnes s’identifient avec la Russie, avec une certaine idéologie, elles deviennent terriblement brutales, elles sont disposées à torturer des gens, etc. — nous n’avons pas besoin d’approfondir cela, chacun est au courant, chaque magazine, chaque journal parlent en détail de tout cela.

Donc, la question suivante est : est-ce que l’esprit peut se dissocier non seulement du savoir qu’il a acquis et emmagasiné et auquel il s’est attaché, mais encore, est-ce qu’il peut ne pas rester dans l’isolation ? Parce qu’on pense que, si quelqu’un n’est pas occupé par son propre sujet, il n’a pas de relation avec les autres.

Vous êtes si totalement isolé. Toutes ces choses sont des concepts, des conclusions, des théories. Donc, ce que nous disons est ceci : est-ce que l’esprit, y compris le cerveau, les sens — quand nous faisons usage du mot « esprit » ; nous incluons tout cela : le cerveau, le mouvement de la pensée, les expériences accumulées en tant que savoir, la mémoire, tout l’élan de la pensée, et les sens. Tout cela est l’esprit, qui est essentiellement conscience — D’accord ? Est-ce que cet esprit, qui a été si conditionné au cours des millénaires — parce que nos esprits, nos cerveaux, sont très, très, très vieux ; ce n’est pas quelque chose de nouveau que nous avons acquis quand nous sommes nés, c’est un esprit terriblement vieux, lourdement conditionné à s’occuper de lui-même —, est-ce que cet esprit peut se libérer lui-même du passé, qui inclut le savoir, la tradition, l’hérédité, tout cela, et vivre activement, sainement, harmonieusement dans la vie quotidienne. Est-ce possible ? D’accord ? Vous comprenez le problème ?

L’identification, entre le Juif et l’Arabe, au Moyen-Orient, qu’arrive-t-il quand les Russes se sont occupés avec une idéologie et forcent l’homme à se façonner selon cette idéologie, le totalitarisme autoritaire, qui détruit, etc., etc. Voit-on que cette occupation centralisée est un énorme danger ? Qu’elle va détruire l’homme !

Alors, le problème est : comment démêler, comment déraciner tout cela et chasser tout cela ? D’accord ? Maintenant, quelle est votre réponse ? Je ne réponds pas à cela, vous répondez ! Vous regardez dans le miroir. Il n’y a pas d’orateur. Vous regardez, et vous vous posez cette question. Si vous vous posez cette question, en regardant dans le miroir, vous pouvez dire : « Ce n’est pas possible ! » — c’est la réponse, la réaction instinctuelle, de dire que ce n’est pas possible. Si vous dites que ce n’est pas possible, alors vous vous êtes bloqué. D’accord ? C’est naturel, n’est-ce pas ? Mais, si vous dites que c’est possible, cela signifie aussi que vous vous êtes bloqué. À la fois, la réponse négative et la réponse positive sont une manière d’esquiver la question. D’accord ? Donc, vous regardez dans le miroir ; il n’y a pas d’orateur, vous n’acceptez ni ne niez, en disant c’est ou ce n’est pas possible, mais vous regardez.

Donc, ici, surgit le problème : ou bien, vous regardez réellement, ou bien vous regardez une idée que vous avez projetée. Vous comprenez ma question ? Ou bien, vous regardez réellement dans le miroir, ou vous regardez, avec la conclusion ou l’idée, ou un espoir et, à travers cet espoir, à travers cette idée, à travers cette conclusion, vous vous regardez. Vous comprenez ? Si vous faites cela, vous ne pouvez pas voir. Si j’ai un préjudice à votre égard, parce que vous portez une chemise blanche ou une chemise bleue, ou des cheveux ondulés, ou ceci ou cela, je ne peux pas vous voir. C’est stupide : si je veux avoir un contact quelconque avec vous, ce n’est pas possible. Mais, il s’agît de vous regarder dans le miroir, et de trouver par vous-même la réponse dans le miroir, parce que personne ne répondra à la question, alors, vous pouvez dire : Pourquoi sommes-nous ici ? Si vous ne répondez pas à la question, comme l’orateur, de par le diable, pourquoi suis-je assis là ? Ce qui serait une réponse naturelle. Mais, comme nous l’avons dit, nous sommes des êtres humains. Il y a cet immense problème qui nous lance un défi, il y a une crise, le danger, la destruction. Et les gens sains, sensés, sérieux, doivent répondre à cela, trouver une réponse à tout cela. Donc, regardant le miroir dedans lequel il n’y a pas d’orateur, vous dites pourquoi est-il du tout possible de sortir du mouvement habituel, constant, et apparemment irrévocable de cette occupation au sujet de soi ? D’accord ?

Donc, regardez-vous dans le miroir ? Ou regardez-vous l’idée que vous avez un miroir en face de vous ? Vous voyez la différence ? La voyez-vous ? L’idée, qui n’est pas le fait. L’idée est une abstraction du fait, un mouvement qui vous éloigne du fait. Donc, s’il est terriblement important que vous trouviez la réponse, de façon urgente, sérieuse, alors, les idées n’ont pas de place, vous regardez réellement. Alors, qu’est-ce qui se passe ?

Ici surgit un problème différent : ou bien vous regardez à l’intérieur, comme le ferait un outsider, ou vous êtes dans la chose, non au-dehors. En d’autres termes, regardez-vous, comme si vous étiez différent de cette chose que vous voyez ? Vous avez compris ? C’est assez simple, n’est-ce pas ?

Maintenant, je vais commencer différemment, c’est-à-dire : quand vous êtes jaloux, cupide, en colère, violent, êtes-vous différent de cette violence, de cette cupidité, de cette envie, de cette colère ? Ou, êtes-vous cette colère ? Cette cupidité ? Cette violence. En d’autres termes, pouvez-vous vous observer dans le miroir, comme étant non un observateur, mais seulement la chose même qui est observée, sans l’observateur ?

Est-ce que cela devient plutôt difficile ? Ou est-ce la vieille histoire ? — que vous avez entendue auparavant d’innombrables fois ? Et vous dites : « Eh bien ! Passons à autre chose ! ».

Il est très important de comprendre cela, parce qu’aussi longtemps qu’il y a cette division, entre l’observateur et l’observé — vous comprenez ? —, il doit y avoir conflit, il doit y avoir effort, il doit y avoir un sentiment, soit de conquérir la chose, soit de la réprimer, soit de l’éviter. Donc, pour éliminer totalement, absolument, l’effort, il ne doit pas y avoir de division. D’accord ? S’il n’y a pas de division entre le Juif et l’Arabe, c’est fini ! Entre l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud, c’est passé !

Ainsi, il y a en nous-mêmes, cette division, l’observateur et l’observé, qui est dualistique. Vous suivez ? Et nous sommes conditionnés par l’éducation, la culture, et tout ce qui s’en suit, par la religion, la prétendue religion, à maintenir cette division, pour voir Dieu. Vous n’êtes rien. Vous suivez ? À maintenir toute cette division, qui est le corridor des opposés. Et quand il y a ce corridor des opposés, il doit y avoir conflit, effort, entraînement. Donc, il est absolument nécessaire de comprendre qu’il faut qu’il y ait seulement observation, non l’observateur essayant de contrôler, d’avoir la haute main sur l’observation, sur ce qui est observé.

Est-ce clair ? Peut-on faire cela ? Vous pouvez entendre cela. Vous pouvez dire : « Je vois l’essence de cela, j’ai le sentiment de cela, je pense que ce que vous dites est vrai, mais cela nous fuit, cela s’échappe ! ». Mais cela est vôtre, vous avez à le découvrir ! Ce qui signifie qu’il n’y a pas de division entre l’observateur et la chose observée. De même qu’il n’y a pas de division entre vous-même et la colère. D’accord ? Au moment où vous êtes en colère, vous êtes la colère. Il n’y a pas d’observateur, vous n’êtes que cela. Plus tard, vous venez dire : « J’ai été en colère », puis vous ajoutez : « Je ne devrais pas me mettre en colère ». Ou vous donnez des raisons, des explications du fait que vous êtes en colère. Ou vous réprimez votre colère. Au moment de la colère, de la cupidité, de la violence, il n’y a pas de division. C’est un fait. Ainsi, de la même manière, y a-t-il un observateur du tout ?

Je vous en prie, donnez tout votre esprit, votre attention, votre amour pour comprendre cela, car, si vous le comprenez, nous éliminons totalement, complètement le conflit. Nous pouvons vivre une vie dans laquelle il n’y a pas une ombre de conflit, non seulement en vous-même, mais extérieurement. Et il est immensément important de comprendre cela, parce que, comme nous l’avons dit, cela concerne la manière dont vous vous observez dans le miroir — il n’y a pas de miroir, vous vous observez vous-même, mais, pour le moment, nous inventons le miroir. Qui est l’observateur ? Vous comprenez ? Quand vous dites : « J’observe l’arbre, le ruisseau, je vous observe et je m’observe », qui est cet observateur ? Il est très important de comprendre cela, avant que nous comprenions l’observé. D’accord ? Est-ce que nous cheminons ensemble ? Est-ce que nous communiquons l’un avec l’autre ? Dites oui ou non, pour l’amour du ciel. Êtes-vous tous endormis ?

Donc, qui est cet observateur ? Quand vous dites : « J’ai été en colère », ou « J’ai été violent », quelle est cette entité qui dit : « J’ai été » ? Cette entité est l’observateur, n’est-ce pas ? Qui dit : « Oui, j’ai été en colère ». L’observateur n’est-il pas le passé, qui dit : « J’ai été en colère » ? » D’accord ? Non seulement dans ce cas, mais chaque fois qu’il observe, toute l’observation est le mouvement du passé.

J’observe un Français, parce qu’il m’a été dit que c’est un Français, vous suivez ? — Le conditionnement, le passé, le savoir. Ainsi, tout ce mouvement d’observation est né du passé. D’accord ? Donc, en essence, l’observateur est le passé. D’accord ? N’acceptez pas ce que je dis. C’est un fait. En regardant dans le miroir, il n’y a pas d’orateur, parce que vous questionnez désespérément, anxieusement, passionnément. Vous questionnez ! J’espère que vous questionnez.

Donc, l’observateur est le passé : les souvenirs du passé, les expériences du passé, le savoir du passé. Avec le passé, il s’observe lui-même, dans le miroir. D’accord ? Ainsi, vous avez créé une division entre ce que vous voyez maintenant et ce qui a été. Ainsi, il y a une division entre l’observateur et l’observé. D’accord ? Saisissez-vous cela ?

Ainsi, commence le conflit. Dans le fait que vous vous occupez de vous-même, n’entrez-vous pas en conflit avec un autre, quelque intimes que puissent être vos rapports ? Hein ? En conséquence, pour éliminer totalement ce conflit, pour l’éliminer de façon permanente, éternellement, on doit comprendre la nature de l’observateur. D’accord ? Et, lorsque, vous observez, recherchez et apprenez, l’observateur est le passé. Donc, le passé est toujours divisé. D’accord ? Je suis un Juif, et vous êtes un Arabe. Le Juif est tradition, propagande, croyance, un certain mode de vie, etc., etc., etc. Et, l’Arabe a son propre mode de vie, etc. D’accord ? Donc, partout, où il y a division, il doit y avoir conflit. Non seulement extérieurement, mais aussi intérieurement. D’accord ? Est-ce que c’est clair ? Ce l’est, si vous êtes sérieux, si vous voulez vivre complètement sans contradiction, sans effort, et, par conséquent, vivre en paix, vivre dans l’amour et la compassion. Si cela doit être, il vous faut éliminer totalement la division en vous-même, extérieurement. Avez-vous compris cela ? Ce n’est pas une idée, un concept intellectuel, mais la réalité.

Donc, pouvez-vous vous regarder dans le miroir, sans l’observateur ? C’est l’issue réelle, celle par laquelle l’identification cesse et, par conséquent, la division. Vous comprenez ? Là, où il n’y a pas identification, il n’y a pas division. Ainsi, vous pouvez observer votre colère, votre violence, vos torts et tout ce qui s’en suit, sans ramener au jour les souvenirs passés, le savoir passé, les luttes passées ? Simplement, observer sans l’observateur ? Alors, que se passe-t-il ? Je ne pose pas la question, vous posez la question vous-même.

Alors, que se passe-t-il, quand vous regardez le fait ? Non pas avec les souvenirs se rapportant au fait. D’accord ? Est-ce possible ? Pouvez-vous le faire ? Si vous ne le pouvez pas, vous ne pouvez pas aller plus loin. Parce que c’est une très importante question, car l’homme a vécu millénaire après millénaire, constamment en bataille avec lui-même, avec le diable et Dieu, avec le « soi » inférieur et le « soi » supérieur. Vous comprenez ? Cette bataille, ce conflit, vous le voyez dans toutes les anciennes peintures, les anciens dessins : la division entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, cette constante bataille ! Et, pourquoi devrions-nous vivre de cette manière ?

Donc, nous allons rechercher et découvrir s’il est possible de vivre totalement, d’une manière différente. C’est-à-dire, si vous êtes sérieux. Donc, voyez-vous la vérité ? Non pas l’idée, mais la vérité, le fait, la réalité que l’observateur est le passé — souvenirs accumulés, savoir — et que, dès lors, il ne perçoit jamais le présent ? Pour percevoir le présent, il doit y avoir absence du passé, évidemment. Et il n’y a pas d’effort impliqué dans le fait d’écarter ou de mettre de côté l’observateur parce que vous voyez que c’est ainsi. Vous comprenez ?

Exprimons cela différemment : est-ce que l’amour est un souvenir ? Que dites-vous ? Est-ce que l’amour est quelque chose dont vous vous êtes souvenu, et vous dites alors : « Je vous aime » ? Mais, si c’est un souvenir, une chose qui est passée, alors c’est simplement le plaisir, et ce plaisir dit : « Je vous aime », parce qu’il désire s’accroître encore.

Est-ce que c’est l’amour ? L’orateur n’est pas là, vous vous posez la question à vous-même. Il vous appartient d’y répondre, vous ne pouvez pas vous asseoir là et délibérément y réfléchir. Il vous appartient d’y répondre.

Donc, pouvez-vous observer ce fait durable et fantastique de s’occuper de soi-même, cette occupation de soi ? Observez-la sans l’observateur, vous comprenez ? Alors, y a-t-il encore une occupation ? Je me demande si vous voyez cela ? L’occupation au sujet de vous-même est le mouvement du passé. « J’ai été cela, je dois être différent de ce que j’ai été, je suis un échec, je dois être une réussite. Je suis déprimé, je dois être heureux. Je ne suis pas bon, mais je veux être bon. Je ne suis pas vertueux, mais je veux avoir de la vertu. Je veux comprendre ». Vous suivez ? Tout ce mouvement de l’identification et de l’occupation est né du passé.

Parce que, si vous ne vous identifiez pas avec quelque chose, avec un être humain, avec une idée, avec un pays, avec une famille, avec quelque chose, avec un roc, qu’êtes-vous ?

Ainsi, la peur de n’être rien vous fait vous identifier, vous fait vous occuper de vous-même. D’accord ? Faites-y face. C’est un fait, ce n’est pas une structure intellectuelle. Si vous n’êtes pas occupé, identifié avec votre pays, votre corps, votre Dieu, votre savoir, votre femme, votre petite amie ou votre amant, vous êtes vide, n’est-ce pas ? Hé ! D’accord ? Si vous êtes vide, dans cette vacuité il y a une énergie énorme. Mais nous sommes si effrayés de cette vacuité, de ce vide en nous-mêmes ! Et, pour éviter ce vide, nous nous occupons avec Dieu, avec la société, avec… Vous suivez ?

Dès lors, la question suivante est : écoutez-vous le miroir qui vous dit qu’il n’y a pas d’observateur, que l’observateur est le passé, et que la plupart d’entre nous vivant dans le passé ? « Combien j’étais beau quand j’étais jeune ! Combien rapidement je pouvais courir quand j’étais jeune ! Quel agréable temps j’ai eu, j’ai tellement mangé, j’ai tellement joui ». Vous savez, le passé, vivre, vivre dans le passé ! C’est l’observateur.

Ainsi, l’observateur crée la division, et tout le conflit commence. Maintenant, voyez-vous la vérité de cela, non pas les mots de cela, non pas le sens des mots, mais le fait de cela ? Si vous ne le voyez pas, pourquoi ? Est-ce que vous êtes incapable de penser, d’observer, de remarquer ? Ou vos esprits sont-ils devenus si vieux, ou est-ce que cela ne vous concerne pas ?

Ou, est-ce que vous ne voyez pas réellement ce fait : l’observateur crée la division, qui est du passé — le Juif et l’Arabe, l’Hindou et le Musulman, le catholique et le protestant — le passé crée cette division et ce conflit ? À la fois, intérieurement et extérieurement. Pouvez-vous voir, voyez-vous quel danger s’est pour l’humanité, pour vous et vos enfants, et tout ce qui s’en suit ?

Alors, quand il n’y a pas d’observateur, il y a seulement observation. L’observation des sens, sans s’identifier avec les sens. Vous comprenez ? Pouvez-vous observer sans vous identifier avec les sens, pouvez-vous observer le mouvement, l’activité des sens ? Qu’il s’agisse des sens sexuels, du goût, de l’odorat et tout ce qui s’en suit, l’activité des sens. De cela surgit la question : y a-t-il une observation du mouvement total des sens ? Non pas d’un sens particulier. Est-ce que vous voyez tout cela ? Dès lors, quand il y a une observation du mouvement total des sens, il n’y a pas de centre qui s’identifie avec les sens. Est-ce que je ne parle qu’à moi-même ? Si c’est le cas, je vais m’en aller dans ma chambre. Si ce n’est pas le cas, vous vous parlez à vous-même. Il n’y a pas d’orateur. Donc, cela n’exige ni discipline ni entraînement. D’accord ? Quand vous vous entraînez, de nouveau, il y a division. D’accord ?

Mais, voir instantanément le fait, la vérité, c’est la perception immédiate (insight), dont nous avons commencé à parler ce matin, c’est avoir la perception immédiate. Avoir une perception immédiate de tout le mouvement de l’identification. Ce qui signifie : est-il possible d’observer sans vous forcer, sans vous discipliner en vue de remarquer, sans vous entraîner ? Parce que, quand vous le faites, de nouveau, vous avez introduit tout cet effort dualistique. Et pouvez-vous vous dissocier, est-ce que l’esprit peut se dissocier de sa tradition, de son conditionnement à l’identification qui crée la dualité ? Vous comprenez ? Faites-le : Pouvez-vous vous dissocier et ne pas vous identifier avec votre petite amie ?

Pouvez-vous vous libérer de l’attachement, qui est identification, évidemment ?

L’attachement à votre pays, à votre groupe, à votre famille, à vos enfants. Vous suivez ? L’attachement, le fait de vous accrocher à votre nom, à vos idées, à vos conclusions. Est-ce que cette non-identification avec l’autre aboutit à l’isolement, est-ce qu’il met un terme au fait de l’amour ? Comprenez-vous ma question ? Savez-vous ce qu’est l’amour ? Non pas le savoir intellectuellement, verbalement. On a écrit des volumes au sujet de la nature de l’amour, bon Dieu ! Pouvons-nous, regardant dans le miroir, poser ces questions fondamentales ? Quand il n’y a pas d’identification ou d’attachement avec l’autre, cela signifie-t-il la fin de l’affection, la fin de la tendresse, la fin de l’amour ? Parce que, maintenant, quand vous êtes attaché, vous dites : « Je vous aime ». Il vous faut regarder cela, répondre à cela.