Serge Brisy
Peut-on définir le « moi » ?

Dès que l’être comprend le sens de la Vie et est harmonisé avec son essence il s’allège de tout ce qui l’illusionne, jusqu’à devenir d’une transparence telle, qu’il n’existe plus en tant que « moi » séparé. Canal parfait de la Vie, il ne dresse plus devant elle aucun obstacle personnel. C’est à ce moment qu’il est « sans égo », c.-à-d. sans obstacle. Ayant tué en lui tout égoïsme, il exprime naturellement le Divin, dont il n’est plus que l’expression parfaite.

(Revue Spiritualité. No 13. 15 Décembre 1945)

Définir le « moi » dans sa Réalité est chose impossible. Les Sages eux-mêmes n’y arrivent pas.

Tout d’abord, le mot renferme en lui d’innombrables interprétations de plus, celui qui n’a pas encore traversé l’expérience ultime de la libération, interprète toute parole à la mesure de sa propre compréhension ; et tant qu’il n’a pas conscience du Moi Réel, il interroge le Sage à travers ses limitations multiples et ne cesse de les opposer, inconsciemment, aux paroles que le Sage prononce.

C’est pourquoi ceux-ci nous disent : « Les mots ne sont que des formations de l’intellect. L’intellect ne peut rien nous faire dire du vrai moi… Le silence est son véritable langage… La difficulté consiste à présenter cette Réalité fondamentale sans en altérer la pureté, à ne pas la recouvrir de mots… Malgré tout, les mots créent des malentendus… Ils peuvent devenir des cages.» (Krishnamurti.)

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Si le Sage ne nous définit pas ou peu cette Réalité ultime, fondamentale, comment la définirions-nous, alors que nous sommes loin encore d’avoir traversé l’expérience qui nous l’explique, sans texte, sans maître, sans rien d’autre que notre illumination ? Nous sommes au stage où nous questionnons encore et le Sage, à nos questions, se contente de répondre:

« Toute question implique la présence de celui qui la pose, de l’ego, dont l’existence est le négation même du véritable Moi. » (Maharshi)

Songeons à nos faux « moi » (notre corps, nos émotions passagères, nos pensées variables, même notre égo qui veut se faire prendre pour le Moi Réel); évoquons le sentiment de séparation que nous ressentons devant toute chose, — sentiment dû à nos sens insuffisamment développés. Notre égo ou individualité se substitue au Moi Réel, en prend l’apparence, nous leurre sans cesse. C’est lui qui nuis donne la certitude d’être différent, distinct de notre voisin, d’un objet, parce qu’il n’a pas un contact continu avec la vie qui anime n’importe quelle forme et qui est une en chaque chose. Et parce que la question surgit du centre même de ce sentiment de séparation, le Sage nous dit encore :

« L’interrogateur suppose que l’égo est le Moi et formule ensuite la question. Et la question ayant un point de départ faux n’est jamais correctement posée. Or, si l’interrogateur  arrachait cette erreur initiale de l’égo, il n’y aurait plus de question à poser. » (Maharshi)

Il n’y aurai plus de question à poser parce que, le Moi s’étant réalisé dans sa Réalité même, comment l’Homme Réel devrait-il encore questionner sa réalité devenue tangiblement, intégralement lui-même ?

Nous ne questionnons que ce qui est, ou nous apparaît en-dehors de nous, au-delà de nous, étranger à nous-mêmes. Questionnons-nous les battements de notre cœur ? Oui, lorsque la maladie apporte une rupture d’équilibre dans son fonctionnement et qu’il nous gêne, comme un corps étranger à nous-mêmes, et nous ne le questionnons alors que pour rétablir l’équilibre rompu.

Dès que l’être comprend le sens de la Vie et est harmonisé avec son essence il s’allège de tout ce qui l’illusionne, jusqu’à devenir d’une transparence telle, qu’il n’existe plus en tant que « moi » séparé. Canal parfait de la Vie, il ne dresse plus devant elle aucun obstacle personnel. C’est à ce moment qu’il est « sans égo », c.-à-d. sans obstacle. Ayant tué en lui tout égoïsme, il exprime naturellement le Divin, dont il n’est plus que l’expression parfaite.

Les Sages ne nous expliquent donc jamais le « moi », mais se contentent de nous indiquer les moyens de nous débarrasser de nos entraves personnelles. Ils nous décrivent la route qu’ils ont suivie et ne peuvent faire davantage. Car la libération, promise à tous, n’est pas du ressort du Maître, quelque grand qu’Il soit. Elle appartient à l’individu lui-même. Chacun doit briser ses limitations propres, tout comme chaque poussin doit briser, seul, la coquille de son œuf, dès que cette coquille limite l’expansion de sa vie individuelle.

Contentons-nous donc, de donner quelques définitions du Moi par des Sages contemporains :

« Nous disons que l’étincelle divine dans l’homme est une et identique avec l’Esprit Universel et que, par conséquent, le Moi spirituel est en réalité omniscient, mais que les obstacles de la matière l’empêchent de manifester sa connaissance. » (H. P. Blavatsky)

« Alors que nous sommes déjà le vrai Moi, nous faisons des efforts pour le trouver. Un jour viendra où nous rirons de nos efforts. Et ce que nous réaliserons, ce jour-là, est dès maintenant la Vérité : nous n’avons pas à devenir le vrai Moi, nous le sommes. » (Maharshi)

« Le Divin est le Moi unique dans notre être immuable et hors du temps, présent aussi dans le monde, dans toutes les existences, dans toutes les activités, maître du silence et de la paix, maître de la puissance et de l’action, le maître de chaque être individuel. » (Shri Aurobindo)

« Il n’y a qu’un Moi, et ce Moi unique: c’est vous. Derrière cette petite nature que nous voyons se trouve le Moi… Il est la réalité de la nature. Partout où l’on est deux, il y a conflit, il y a danger, il y a lutte. Quand tout est UN, il ne reste plus que l’Ultime Réalité. » (Vivekananda)

« C’est l’ignorance qui contraint l’égo à percevoir la multiplicité là où seul, l’UN existe. » (Swami Siddheswarananda)

« L’égo n’est qu’une ombre, une obsession et une illusion. Toute vie est une et c’est vous-même. » (Swami Ramdas)

« L’étincelle — Ou ce que je voudrais appeler la vie conditionnée — ne peut entrer dans la flamme éternelle ou réaliser la Vérité, qui est la plénitude de la vie, si elle ne devient elle-même la flamme, ou si la vie conditionnée n’atteint pas la plénitude de la Vie elle-même. » (Krishnamurti)

Serge BRISY