Une amie très chère m’a contacté aujourd’hui, une aînée estimée de la Voie du Conseil, pour me demander comment j’allais. Je lui ai dit que j’avais l’impression d’assister à un accident de voiture au ralenti, tout en ressentant un étrange sentiment de sérénité pendant que la catastrophe se déroule. Car le temps où l’on suppliait les conducteurs de tourner le volant et de freiner est révolu. Nous l’avons fait pendant longtemps, mais ils ont accéléré à la place, et maintenant la collision depuis longtemps prévisible est inévitable. En fait, elle a déjà commencé.
Un jour, tout le monde, conducteurs, passagers et spectateurs, sortiront de l’épave et de la poussière, sobres, les yeux plissés, pour soigner les blessés, pleurer les morts et se demander ce qu’ils créeront ensemble dans leur liberté retrouvée.
Qui sait quand viendra ce jour. Selon une chronologie, il devrait arriver dans environ trois ans. Cette chronologie dépend de notre volonté collective d’accepter et d’intégrer des informations qui vont profondément à l’encontre de l’ancienne réalité consensuelle. Ces informations alimenteront un nouveau drame humain, si tel est notre choix.
Les prédictions d’un nouveau chapitre de l’histoire de l’humanité commençant (insérez la date : 2028, ou était-ce 2012, ou peut-être la Convergence Harmonique en 1987) ne sont pas réellement des prédictions, mais des prophéties. Une prédiction est objective. Elle nie l’action du participant. Lorsque je prédis le vainqueur d’un match de football (c’est mon activité secondaire), je pars du principe que je n’ai aucun moyen d’influencer le résultat. Je ne suis pas un joueur. Une prophétie, en revanche, ne devient vraie que si les gens alignent leurs choix sur la possibilité qu’elle invoque.
Je croyais autrefois que l’effondrement nous sauverait, que nous cesserions de détruire la nature, les autres et nos propres corps parce que nous serions obligés d’arrêter. Je n’y crois plus, pas plus que le fait de toucher le fond ne peut sauver un toxicomane. Le « fond » est le moment où le toxicomane fait un choix différent. L’effondrement d’une, puis d’une autre, puis d’une autre dimension de sa vie — son travail, son mariage, sa famille, sa santé, sa liberté — lui offre une série d’invitations. Ce sont des moments où un choix est possible, où l’élan s’interrompt et où il est invité à prendre un autre chemin. Ce qui est le fond pour un dépendant n’est, pour un autre, qu’une étape sur la route de l’enfer.
Notre société s’approche justement d’un tel moment, d’un tel point de choix.
Parmi nos nombreuses dépendances collectives et individuelles, celle dont je vais parler maintenant est la dépendance aux habitudes de guerre.
La mentalité guerrière n’est pas une soif de violence ni une envie de se battre. La mentalité guerrière est un mode de pensée et une façon de voir le monde. Elle divise le monde en nous et eux, amis et ennemis, héros et méchants. Elle présente les solutions en termes de victoire et le succès en termes de conquête. Elle fait appel à la punition et au blâme, à la dissuasion et à la justification, au bien et au mal. Elle est addictive, car lorsqu’elle ne parvient pas à résoudre un problème, la solution consiste à augmenter la dose. Elle s’étend à de nouveaux ennemis, à de nouvelles batailles. S’il n’y a pas de coupable évident à blâmer pour l’aggravation de la situation, elle s’efforce d’en trouver un, ou en crée un à la place.
La solution que la mentalité guerrière propose pour chaque problème est de trouver le mauvais et de l’éradiquer. Cette solution s’applique à divers domaines de l’activité humaine : l’agriculture (tuer les parasites) ; la médecine (trouver un agent pathogène) ; la parole (censurer les mauvaises idées) ; les conflits politiques (tuer les terroristes) ; la sécurité publique (enfermer les criminels). Les problèmes complexes, tels que l’addiction massive au fentanyl en Amérique ou le déclin industriel, se réduisent à des solutions simples, mais futiles dès que l’on trouve quelqu’un sur qui rejeter la faute. Les Chinois ! Les cartels mexicains ! Il y a une sorte de soulagement dans cette formule, même si elle est rarement couronnée de succès.
La réponse désastreuse de la santé publique face à la crise Covid s’est appuyée sur une mentalité de guerre. Après des décennies de déclin sanitaire et d’augmentation des maladies chroniques, pour lesquelles aucun coupable externe n’avait pu être identifié, voici enfin une menace qui pouvait être identifiée et contrôlée. Toute l’anxiété du public a donc été projetée sur ce nouveau grand méchant. L’habitude de penser en termes d’ennemis à abattre a rendu le public très réceptif à des politiques allant de la folie à l’absurde au tyrannique.
Nos dirigeants construisent un récit qui situe le mal dans une personne, une nation ou un groupe donné, et la mentalité guerrière fait le reste. Bientôt, le public est prêt à soutenir la guerre, la censure, le confinement, la suspension des libertés civiles et de l’État de droit, ainsi que les crimes contre l’humanité.
Le même schéma de pensée de base anime également les récits conspirationnistes. Si nous pouvons localiser la cause des injustices et des horreurs du monde dans un groupe restreint de méchants, une cabale de psychopathes, alors en théorie nos problèmes sont faciles à résoudre [1]. Tout comme, si une maladie est causée par un agent pathogène, tuer le germe guérit la maladie, nous pouvons également guérir les maux de la société en écartant les pathocrates du pouvoir.
Même dans les cas où un agent pathogène est la cause directe, nous devons encore nous demander quelles sont les conditions qui rendent l’organisme vulnérable à cet agent pathogène. Certains de mes lecteurs me trouvent naïf de sous-estimer l’influence d’une cabale satanique au sein de l’élite qui orchestrerait les événements mondiaux. Pour moi, cependant, la question la plus importante n’est pas de savoir si une telle cabale existe. C’est le schéma (ou conditionnement) psychosocial qui lui permet de garder le contrôle, qu’elle existe ou non.
Ce schéma est, encore une fois, une mentalité de guerre. C’est une pensée en termes de « nous contre eux ». C’est la déshumanisation et l’exclusion de l’autre, la division du monde entre l’humain à part entière et le sous-humain. Cette dernière catégorie peut prendre la forme de racisme, de sexisme, d’homophobie, etc. ou simplement de mépris pour la tribu d’opinion opposée.
Une fois que les deux parties sont enfermées dans une logique de guerre, celle-ci s’intensifie comme une addiction jusqu’à ce que tout le reste soit consommé.
La haine et le mépris sont devenus incontrôlables dans la politique américaine. Attention : il est impossible d’écrire sur ce sujet tout en restant fidèle au récit de l’un ou l’autre camp. Si vous êtes pleinement convaincu (1) que Trump représente une prise de contrôle oligarchique fasciste de la démocratie, s’appuyant sur les pires éléments racistes, misogynes et xénophobes de la psyché américaine pour détruire tout ce qu’il y a de bon et d’humain dans l’Amérique, ou (2) que la révolution MAGA (Rendre l’Amérique à nouveau grande) rétablira la liberté et la raison dans un système qui a été pris en charge par un État profond qui a utilisé l’environnementalisme et la justice sociale comme des excuses pour mettre en œuvre un système de contrôle totalitaire, ou (3) tout autre récit qui divise le monde entre l’équipe du Bien et l’équipe du Mal, alors, eh bien, vous secouerez la tête, consterné par le fait qu’Eisenstein a perdu la raison. Vous ressentirez de la frustration, voire de la rage, à l’idée que je présente un argument qui n’inclut pas une dénonciation en règle des méchants. Face au mal à l’état pur, il n’y a pas d’autre réponse valable que de le combattre par tous les moyens nécessaires.
Comme les choses seraient alors simples. Comme il est facile d’être le héros de l’histoire.
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On s’attend en effet que le plus humble de ses membres soit compétent, industrieux, voire intelligent, dans des limites étroites, mais il faut aussi trouver en lui un fanatique crédule et ignorant, dont les affects dominants soient la peur, la haine et le triomphe orgiaque. En d’autres termes, il faut qu’il ait une mentalité appropriée à l’état de guerre. [George Orwell — 1984]
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L’objectif principal de la guerre est, bien entendu, de vaincre l’adversaire. La différence entre la guerre et les jeux, les sports, la concurrence commerciale et, en temps normal, la politique, c’est que dans ces derniers domaines, les deux parties ont un objectif supérieur à la victoire, à savoir les règles du jeu. Les équipes de football n’essaient généralement pas d’empoisonner leurs adversaires. Pour elles, le jeu lui-même est plus sacré que la victoire. Dans une démocratie fonctionnelle, où toutes les parties croient en une constitution ou en un ensemble de normes et de valeurs, il existe certains tabous qu’elles ne violeront pas, même pour gagner. Aux États-Unis et dans de nombreux autres pays, la politique dérive de plus en plus vers la guerre, inévitable lorsque chaque camp considère l’autre comme l’incarnation du mal. Aujourd’hui, dans mon pays, la gauche et la droite sont convaincues que l’autre camp représente une « menace pour la démocratie elle-même ».
Dans cette certitude, chacun devient exactement ce que l’autre redoute. C’est une prophétie autoréalisatrice. L’ancienne élite politique et les usurpateurs trumpistes sont enfermés dans une spirale vicieuse. Si l’un des deux camps modère sa quête effrénée du pouvoir, réduisant sa cruauté par respect pour les principes démocratiques, l’autre l’exploitera comme une faiblesse. Une fois qu’un camp se débarrasse de ses scrupules, tous les autres doivent en faire autant. Lorsqu’une équipe triche dans un match de football, l’autre ne peut gagner qu’en trichant aussi.
Lorsque vous combattez le mal, tous les moyens sont justifiés. Il peut être nécessaire de détruire la démocratie pour la sauver, de supprimer la liberté d’expression pour préserver la liberté d’expression, d’annuler des élections pour défendre les élections. La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est une force. Il ne suffit plus de vaincre ses adversaires lors d’une élection, il faut aussi les emprisonner. Les États-Unis, la Turquie, la France, le Brésil et la Roumanie ont tous poursuivi des politiciens de l’opposition au cours de l’année écoulée sur la base d’accusations douteuses, signalant ainsi un retour à la norme historique.
Aux États-Unis, l’opposant politique Donald Trump a survécu à la guerre juridique et a remporté l’élection. La question est de savoir si c’est une victoire pour la démocratie ou simplement une victoire pour Donald Trump ? Mettra-t-il fin à l’instrumentalisation politique d’agences fédérales telles que le ministère de la Justice, l’IRS, le département d’État, la CISA, la CIA et le FBI, ou se contentera-t-il de les diriger vers de nouvelles cibles ? Rétablira-t-il la liberté d’expression et les libertés civiles, ou appliquera-t-il les outils de censure et de surveillance à de nouveaux ennemis ?
Donald Trump va-t-il jeter l’anneau du pouvoir dans les flammes du destin ? Ou bien l’anneau a-t-il simplement changé de mains, alors que la technologie amplifie encore ses pouvoirs (censure, propagande, surveillance, exclusion bancaire) ?
Je suis désolé, mais cela ne s’annonce pas bien. Pour prendre un exemple, l’« antisémitisme » (défini comme toute critique de l’État d’Israël) a remplacé la « lutte contre la désinformation » comme prétexte pour violer la liberté d’expression, la liberté de réunion, le droit à la protection contre les fouilles et saisies abusives (surveillance) et le droit à une procédure régulière. Les arrestations de Rumeysa Ozturk et de Mahmoud Khalil pour « soutien du Hamas » (c’est-à-dire pour s’être opposés au massacre, à la famine et au nettoyage ethnique de Gaza par Israël), et les pressions exercées sur les universités pour qu’elles mettent fin aux manifestations étudiantes, créent un précédent qui fait froid dans le dos.
En attendant, bien que Trump détourne, heureusement, le pays du sentier de la guerre avec la Russie, il ne l’éloigne pas pour autant du sentier de la guerre. La mentalité guerrière imprègne les échelons supérieurs de son administration. Au lieu de la Russie, le sentier de la guerre mène maintenant à l’Iran et à la Chine.
La mentalité guerrière nécessite toujours un ennemi. Si aucun ennemi ne se présente, la mentalité guerrière en crée un. La nation héroïque a besoin d’un méchant. Le vainqueur a besoin d’un perdant. Si je m’attends à ce que vous cherchiez à profiter de moi, et que je vous traite en conséquence, vous finirez probablement par confirmer mes attentes. Voir un monde plein d’ennemis, et des légions d’ennemis apparaîtront.
Pour être juste, Donald Trump n’est en aucun cas une aberration lorsqu’il s’agit de croire que tout le monde essaie d’obtenir la meilleure affaire possible. C’est un principe de base de l’économie classique, voire de la biologie évolutive, selon lequel nos gènes nous programment pour maximiser notre intérêt personnel en matière de reproduction. Ces paradigmes sont toutefois obsolètes depuis longtemps. Le moi distinct et séparé est un prisme qui révèle une seule longueur d’onde de l’arc-en-ciel de la vie, mais qui obscurcit ce qu’il est urgent de reconnaître aujourd’hui.
Parce que le monde est bien plus qu’un ensemble d’entités distinctes et concurrentes, mais qu’il est interconnecté et interdépendant, les politiques qui s’appuient sur la pensée « nous contre eux » nuiront inévitablement à « nous » autant qu’à « eux ». La guerre à l’étranger entraîne la tyrannie à l’intérieur du pays. La violence domestique est le reflet de la violence étrangère. La dégradation de l’environnement engendre des maladies humaines. Et toute politique économique qui ignore l’interconnexion de l’économie moderne se retournera contre son créateur.
Permettez-moi une brève digression sur l’économie et les droits de douane de Trump. Il y a en fait une certaine vertu dans leur conception. Des droits de douane soigneusement ciblés, mis en œuvre à un rythme permettant aux entreprises de s’y adapter, pourraient contribuer à des objectifs positifs : revitaliser les économies locales et biorégionales, inverser la financiarisation de l’économie nationale et mettre fin au « nivellement par le bas » du libre-échange, qui dresse les travailleurs du monde entier les uns contre les autres. Malheureusement, les tarifs douaniers abrupts et généralisés de Trump ne sont ni ciblés ni progressifs. Ils risquent de détruire des centaines de milliers d’entreprises et d’appauvrir des millions de familles, tant aux États-Unis qu’à l’étranger. Les droits de douane entraîneront de graves perturbations à court terme et des inefficacités massives à long terme. Il existe d’autres complexités sur lesquelles j’écrirai séparément ; ce qui importe pour l’instant, c’est que l’erreur de la politique tarifaire découle d’une incompréhension fondamentale de l’interdépendance économique, une incompréhension qui se produit naturellement chez toute personne enfermée dans un raisonnement « nous contre eux ».
D’après ce que j’ai pu observer par l’intermédiaire de mes amis et connaissances « de l’intérieur », l’équipe de Trump croit sincèrement qu’elle fait respecter l’État de droit, qu’elle poursuit ses adversaires politiques pour des délits réels et qu’elle défait les ONG corrompues (qui se trouvent également dirigées par ses adversaires politiques). En effet, les institutions en place abondent dans le sens de la criminalité. Les agences que Trump est en train de détruire, comme l’USAID, la NED et l’USIP, ont joué un rôle déterminant dans le maintien de l’ordre mondial néolibéral et dans l’application du programme néoconservateur de domination globale. L’équipe de Trump se considère comme des réformateurs qui restaurent l’honneur et la prospérité de la nation. « Assécher le marais » et « Rendre sa grandeur à l’Amérique » ne sont pas des slogans cyniques.
Enivrée par des idéaux exaltants, l’équipe Trump ne voit pas que son programme correspond également à une autre description : la prise du pouvoir.
Face à cette évaluation, certains membres de l’entourage de Trump seraient probablement d’accord avec elle. Ils pourraient répondre : « Quel choix avons-nous, face à un État profond, impitoyable et corrompu ? » De même, ses opposants pourraient, dans un moment d’honnêteté, admettre que, oui, ils ont utilisé les tribunaux, le FBI, etc. contre Trump et ses alliés, et se sont livrés à diverses formes de tricherie, mais quel choix avaient-ils, alors qu’un mouvement néo-fasciste était sur le point de s’emparer du pays ?
Ce que les deux parties croient, c’est que l’autre partie aspire au pouvoir plus qu’elle ne valorise la démocratie. Mais pour que le jeu fonctionne et ne dégénère pas en guerre, chaque camp doit croire que l’autre considère que le jeu lui-même (des élections équitables, la Constitution) est plus important que la victoire. Si vous êtes convaincu que l’autre camp va tricher, vous devez tricher aussi.
Il ne fait aucun doute que de nombreux représentants de chaque camp pensent qu’il s’agit de « mesures extraordinaires » temporaires et que, lorsqu’ils auront enfin triomphé des forces antidémocratiques de l’autre camp, ils rendront le pouvoir au peuple. Ce n’est jamais ainsi que cela fonctionne. Chaque camp croit, à juste titre, que la victoire de l’autre camp sera permanente. D’où l’escalade de la lutte à mort, la spirale vicieuse, l’inévitable accident de voiture.
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Ce qui m’a le plus alarmé au cours de mes dix dernières années à plaider pour la paix, ce ne sont pas les actions et les attitudes des hommes politiques, mais l’infiltration de la mentalité guerrière dans le grand public, le niveau croissant de la haine ambiante. C’est cette énergie qui nourrit les éléments les plus psychopathes de l’oligarchie. C’est sa source de vie. C’est sa source de pouvoir. C’est ainsi qu’elle gouverne en dressant ses sujets les uns contre les autres. (Je dis « elle » [l’oligarchie] et non « ils » [les oligarques], car ces derniers ne sont que des marionnettes de dynamiques systémiques qui sont indépendantes des individus qui occupent ces rôles). Le principal tour de passe-passe psychopolitique de l’oligarchie consiste à rediriger la colère primale des dépossédés vers une fausse cible, c’est-à-dire à transformer la colère en haine. Paradoxalement, même lorsque les élites elles-mêmes sont l’objet de la haine, le système qui les élève continue de prospérer. Une élite peut être remplacée par une autre, un vin nouveau dans une vieille outre.
En préparant cet essai, j’ai cherché des récits personnels sur l’impact des coupes du Département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE) afin d’éclairer et d’humaniser les dégâts. Un ami m’a mis en contact avec de petits agriculteurs d’une certaine région de tendance gauche et tournée vers un retour à la terre. Ils n’ont pas voulu me parler. L’un d’entre eux, une personne queer, a exprimé sa crainte d’être mis en danger (je suppose en raison de mon public MAGA et transphobe). Une autre, qui s’est décrite comme faisant partie du spectre autistique, s’inquiétait de mon association avec des personnes qui défendent des théories dérangées selon lesquelles les vaccins ont un lien de causalité avec l’autisme. Je les ai assuré qu’ils ne subiraient aucun préjudice, même si quelqu’un lisait mon essai en nourrissant de la peur et de la haine à l’égard des personnes queers, puisque je n’avais aucune raison de les identifier par leur nom ou de mentionner leur identité de genre lorsque je discutais de l’impact des gels de financement sur les agriculteurs régénératifs. Pour ce qui est de la question des vaccins, d’accord, je pense que les vaccins pour enfants sont en partie responsables de l’explosion de l’autisme et des maladies chroniques infantiles. Mais ce n’est pas une raison pour faire honte aux autistes et autres personnes neurodivergentes. Bien au contraire : ces personnes sont porteuses de dons cruciaux pour la métamorphose de notre société.
Mais je m’éloigne du sujet. Ce qui se passait en réalité, c’est que mes associations et mes opinions sur certains sujets politisés me plaçaient dans le camp adverse, le mauvais camp, le camp intouchable. En un sens, il est « dangereux » de me fréquenter. J’ai des poux, voyez-vous, et toute personne qui me fréquente risque de les attraper. À l’époque du maccarthysme, le simple fait d’être vu en compagnie d’un communiste pouvait anéantir votre carrière. Sous Hitler, fréquenter des Juifs, c’était risquer l’emprisonnement ou pire encore. Dans le Sud, à l’époque de Jim Crow, un Caucasien qui sympathisait avec des personnes à la peau foncée risquait l’ostracisme, voire le lynchage. C’est effrayant de s’associer à des personnes socialement inacceptables, car ce statut est contagieux. Le fait que mon intention était de présenter quelques récits susceptibles de réveiller les gens du syndrome d’adulation de Trump (l’image miroir du syndrome de folie de Trump), sans doute un objectif louable aux yeux de mes correspondants, n’a pas suffi à surmonter le tabou de l’association avec une personne socialement inacceptable.
Ce fossé qui se creuse au sein de notre société a également tendance à se nourrir de lui-même. Une fois qu’il a pris suffisamment d’élan, il progresse inexorablement vers la guerre civile ou le génocide. Pendant de nombreuses années, j’ai supplié les conducteurs de ces véhicules de prendre une autre direction. Aujourd’hui, j’ai fini de plaider. Le drame se jouera de lui-même. Pourquoi en ai-je fini ? Un sentiment de futilité et de lassitude. Eh bien, je suppose que je n’en ai pas tout à fait fini — je suis en train d’écrire à ce sujet en ce moment même. Et je peux déjà anticiper la haine que je vais susciter en violant les récits des deux camps, mon « incapacité à considérer X », mon « privilège blanc qui m’aveugle sur Y », mon « refus d’accepter la réalité du mal », ou que je suis tombé amoureux de Trump, ou que je me suis dégonflé et l’ai trahi, ou que je suis un lâche indécis, ou que je me complais dans le luxe des deux côtés… Ce n’est pas tant que je me sente personnellement offensé par ces accusations, mais elles sont un signe alarmant de notre époque. Si moi, évangéliste de la paix, je suis si facilement jeté dans les rangs des intouchables, quel espoir y a-t-il de compréhension ou de réconciliation entre les factions belligérantes de la société ?
Pourtant, je ne me sens pas désespéré. La semaine dernière, j’ai consulté un sage, un de mes guides spirituels. Je ne révélerai pas son nom, pour ne pas lui transmettre mes poux. Je dirai simplement qu’il est d’origine africaine et qu’il est un initié de haut niveau dans les lignées de sagesse d’Afrique du Sud et de l’Ouest ainsi que dans la tradition hermétique occidentale. Il m’a fixé d’un regard pénétrant et bienveillant et m’a dit que mes problèmes de surrénales et de glycémie sont dus au fait que mon travail public a fait de moi une cible de projection. Les attaques atterrissent sur mon corps, a-t-il dit. Je lui ai demandé ce que je pouvais faire lorsque la société semble être devenue folle. Il m’a répondu : « Attendez ».
Cette injonction, « Attendez », n’est pas un appel à la passivité. Elle consiste à reconnaître quand il est temps d’agir et quand l’action est futile ou contre-productive. C’est aussi reconnaître qu’il existe des puissances, bien au-delà des nôtres, qui agissent dans le monde. Et c’est accepter que certains drames doivent se dérouler jusqu’à leur conclusion avant qu’un nouvel acte puisse commencer. Ce n’est peut-être pas le moment, du moins pour moi, d’exhorter les belligérants à se réconcilier. L’exhortation tombe dans l’oreille d’un sourd. Chaque camp considère le partisan de la paix comme un traître à la cause, car le fait d’humaniser l’autre camp ou de reconnaître qu’il a lui aussi une vision du monde sincère, fondée sur ses propres expériences, fait retomber la fièvre de la guerre. La haine est un outil nécessaire à la guerre, mais aussi à la politique, lorsque celle-ci se transforme en guerre.
Ce qui est futile devient rapidement épuisant. Ce n’est peut-être que lorsque les parties en conflit se seront épuisées elles aussi, à force de jouer le drame « nous contre eux », qu’un nouveau drame, celui du pardon, du remords et de la réconciliation, pourra se dérouler.
C’est une perspective déchirante, car le coût humain est énorme. Le type de violence subie dans des endroits comme la Palestine, le Rwanda, la Yougoslavie, la RDC, l’Irak, le Yémen, l’Ouganda, le Cambodge ou le Vietnam a longtemps épargné mon pays, mais nous ne sommes pas à l’abri. Quelque chose de primal et de terrifiant se cache derrière le mince vernis de la civilisation. Il ne faut pas grand-chose pour que les pulsions meurtrières éclatent. Elles bouillonnent déjà sur les réseaux sociaux. Nous ne sommes pas une espèce différente de celle des auteurs des génocides passés ou présents. Je ne dis pas qu’il est certain que cela se produira dans mon pays, mais il est loin d’être certain que cela n’arrivera pas.
D’une certaine manière, ce processus est en cours depuis longtemps, sous une forme dissimulée. Combien de millions de personnes sont mortes ou ont souffert interminablement de l’incarcération, de la violence, des abus domestiques, de la maltraitance des enfants, de la toxicomanie, de la dépression et des maladies chroniques ? Par des voies longues et tortueuses, tous ces phénomènes ont la même origine que les guerres ouvertes et les génocides. Ils découlent de la réduction des êtres humains à quelque chose de moins que sacré. Pourtant, tous ces phénomènes se déroulent sous une façade de normalité. Cette façade tombera au cours des trois prochaines années.
La désintégration de la normalité est finalement une bonne chose. Lorsque la poussière se dissipera, nous nous retrouverons au milieu des ruines de notre prison, remplis de nouvelles questions.
Nous verrons alors que le clivage du monde entre nous et eux, et le diagnostic de culpabilité qui l’accompagne, ont échoué. Nous verrons que la guerre n’a pas apporté la paix, que la haine n’a pas apporté la justice, que la domination n’a pas apporté la sécurité et que le contrôle n’a pas apporté la liberté. Ces échecs de l’intention refléteront un échec plus profond, un échec de la compréhension. Les façons dont nous donnions sens au monde ne feront plus sens. Aurons-nous la force de rester dans la perplexité suffisamment longtemps pour qu’une nouvelle compréhension se développe ? Ou bien nous lancerons-nous par peur dans une nouvelle variation d’un vieux récit, en substituant une nouvelle série de méchants à l’ancienne, un nouveau nous et un nouveau eux, pour jouer le même drame une fois de plus ?
Texte original publié le 6 avril 2025 : https://charleseisenstein.substack.com/p/when-politics-becomes-war-wait
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1 Bien qu’impossible dans la pratique : Toute théorie affirmant que des puissances néfastes orchestrent les événements mondiaux leur attribue nécessairement une quasi-omnipotence.