Probablement écrit en 1965 et publié dans quelques livres de Fromm.
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Je crois que l’unité de l’homme par opposition à d’autres êtres vivants provient du fait que l’homme est la vie consciente de lui-même. L’homme est conscient de lui-même, de son avenir qui est la mort, de sa petitesse, de son impuissance ; il est conscient des autres en tant qu’autres ; l’homme est dans la nature, soumis à ses lois même s’il la transcende par sa pensée.
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Je crois que l’homme est le produit d’une évolution naturelle qui naît du conflit d’être prisonnier et séparé de la nature, et du besoin de trouver l’unité et l’harmonie avec elle.
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Je crois que la nature de l’homme est une contradiction enracinée dans les conditions de l’existence humaine qui exige la recherche de solutions, lesquelles créent à leur tour de nouvelles contradictions et, à présent, le besoin de réponses.
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Je crois que toute réponse à ces contradictions peut réellement satisfaire à la condition d’aider l’homme à surmonter le sentiment de séparation et à atteindre un sentiment d’accord, d’unité et d’appartenance.
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Je crois que dans chaque réponse à ces contradictions, l’homme a la possibilité de choisir uniquement entre avancer ou reculer ; ces choix, qui se traduisent par des actions spécifiques, sont des moyens de faire régresser ou progresser l’humanité qui est en nous.
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Je crois que l’alternative fondamentale pour l’homme est le choix entre la « vie » et la « mort », entre la créativité et la violence destructrice, entre réalité et illusions, entre objectivité et intolérance, entre fraternité-indépendance et domination-soumission.
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Je crois que l’on peut attribuer à la « vie » la signification d’une naissance continue et d’un développement constant.
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Je crois que l’on peut attribuer à la « mort » la signification d’une suspension de la croissance, d’une répétition continue.
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Je crois que l’homme, avec la réponse régressive, essaie de trouver l’unité, en se libérant de la peur insupportable de la solitude et de l’incertitude, en déformant ce qui le rend humain et le tourmente. L’orientation régressive se développe dans trois manifestations, séparées ou combinées : la nécrophilie, le narcissisme et la symbiose incestueuse.
Par nécrophilie, on entend l’amour de tout ce qui est violence et destruction, le désir de tuer, le culte de la force, l’attirance pour la mort, le suicide, le sadisme, le désir de transformer l’organique en inorganique par le biais de l’« ordre ». Le nécrophile, dépourvu des qualités nécessaires pour créer, trouve dans son impuissance la facilité de détruire, car elle ne sert pour lui qu’une seule qualité : la force.
Par narcissisme, on entend le fait de ne plus avoir d’intérêt authentique pour le monde extérieur, mais un attachement intense à soi-même, à son propre groupe, clan, religion, nation, race, etc. avec pour conséquence de graves distorsions du jugement rationnel. En général, le besoin de satisfaction narcissique découle de la nécessité de compenser la pauvreté matérielle et culturelle.
Par symbiose incestueuse, on entend la tendance à rester attaché à la mère et à ses équivalents — sang, famille, tribu — pour fuir le poids insupportable de la responsabilité, de la liberté, de la conscience, et pour être protégé et aimé dans un état de dépendance certaine que l’individu paie par l’arrêt de son propre développement humain.
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Je crois que l’homme qui choisit le progrès peut trouver une nouvelle unité en développant pleinement toutes ses forces humaines, qui se manifestent dans trois orientations. Celles-ci peuvent être présentées séparément ou ensemble : la biophilie, l’amour de l’humanité et de la nature, et l’indépendance et la liberté.
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Je crois que l’amour est la clé principale pour ouvrir les portes de la « croissance » de l’homme. L’amour et l’union avec quelqu’un ou quelque chose d’extérieur à soi, une union qui permet de se mettre en relation avec les autres, de se sentir un avec les autres, sans limiter le sens de l’intégrité et de l’indépendance. L’amour est une orientation productive pour laquelle il est essentiel que soient présents en même temps : le souci, la responsabilité, le respect et la connaissance de l’objet de l’union.
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Je crois que l’expérience de l’amour est l’acte le plus humain et le plus humanisant qu’il soit donné à l’homme de vivre et que, comme la raison, elle n’a pas de sens si elle est conçue de manière partielle.
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Je crois à la nécessité d’une « liberté par rapport » aux liens internes et/ou externes, comme condition préalable pour pouvoir avoir la « liberté de » créer, construire, vouloir savoir, etc. pour pouvoir devenir un individu libre, actif et responsable.
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Je crois que la liberté est la capacité de suivre la voix de la raison et de la connaissance, contre les voix des passions irrationnelles ; c’est l’émancipation qui rend l’homme libre et le met sur la voie de l’utilisation de ses propres facultés rationnelles et de la compréhension objective du monde et du rôle qu’il y joue.
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Je crois que « lutter pour la liberté » a eu en général le seul sens de lutter contre l’autorité qui s’impose, en surmontant la volonté individuelle. Aujourd’hui, « lutter pour la liberté » devrait signifier se libérer individuellement et collectivement de « l’autorité » à laquelle nous nous sommes soumis « volontairement » ; se libérer des forces intérieures qui nécessitent cette soumission parce que nous sommes incapables de supporter la liberté.
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Je crois que la liberté n’est pas un attribut constant que « nous avons » ou « nous n’avons pas » ; il n’y a peut-être qu’une seule réalité : l’acte de se libérer en faisant des choix. Chaque étape de la vie qui accroît la maturité de l’homme augmente sa capacité à choisir l’alternative libératrice.
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Je crois que la « liberté de choix » n’est pas toujours égale pour tous les hommes à chaque instant. L’homme à orientation exclusivement nécrophile, narcissique ou symbiotique-incestueuse ne peut faire qu’un choix régressif. L’homme libre, libéré des liens irrationnels, ne peut plus faire de choix régressif.
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Je crois que le problème de la liberté de choix n’existe que pour l’homme aux orientations contrastées, et que cette liberté est toujours fortement conditionnée par des désirs inconscients et par des rationalisations apaisantes.
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Je crois que personne ne peut « sauver » son prochain en faisant un choix à sa place. Pour l’aider, il peut lui indiquer les alternatives possibles, avec sincérité et amour, sans sentimentalisme et sans illusion. La connaissance et la conscience des alternatives libératrices peuvent réveiller chez l’individu toutes ses énergies cachées et le mettre sur la voie du choix du respect de la « vie » au lieu de celui de la « mort ».
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Je crois que l’égalité est ressentie lorsque, se découvrant complètement soi-même, on reconnaît que l’on est égal aux autres et que l’on s’identifie à eux. Chaque individu porte l’humanité en lui ; la « condition humaine » est unique et égale pour tous les hommes, malgré les inévitables différences d’intelligence, de talent, de taille, de couleur, etc.
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Je crois que l’égalité entre les hommes doit être rappelée, notamment pour éviter qu’un homme ne devienne l’instrument d’un autre.
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Je crois que la fraternité est l’amour que l’on porte à ses semblables. Elle restera cependant un mot vide de sens, tant que ne seront pas éradiqués tous les liens « incestueux » qui empêchent de juger objectivement le « frère ».
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Je crois que si un individu n’est pas sur la voie de transcender sa société et de voir en quoi elle favorise ou entrave le développement du potentiel humain, il ne peut pas entrer en contact intime avec son humanité. Si les tabous, les restrictions, les valeurs déformées lui paraissent « naturels », c’est une indication claire qu’il ne peut pas avoir une connaissance réelle de la nature humaine.
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Je crois que la société, tout en ayant une fonction à la fois stimulante et inhibitrice, a toujours été en conflit avec l’humanité. Ce n’est que lorsque la finalité de la société s’identifie à celle de l’humanité que la société cessera de paralyser l’homme et encouragera son épanouissement.
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Je crois que l’on peut et que l’on doit espérer une société saine qui favorise la capacité de l’homme à aimer ses semblables, à travailler et à créer, à développer sa raison et l’objectivité d’un sens de soi fondé sur l’expérience de son énergie productive.
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Je crois que l’on peut et que l’on doit espérer la reconquête collective d’une santé mentale caractérisée par la capacité d’aimer et de créer ; par la libération de l’homme des liens incestueux avec le clan et le sol ; par un sentiment d’identité fondé sur l’expérience que l’individu fait de lui-même en tant que sujet et agent de ses pouvoirs ; par la capacité d’agir sur la réalité à l’intérieur et à l’extérieur de soi et de faire évoluer l’objectivité et la raison.
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Je crois que dans la mesure où notre monde semble devenir fou et déshumanisé, un nombre toujours plus grand d’individus ressentira le besoin de s’associer et de travailler avec des hommes qui partagent leurs inquiétudes.
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Je crois que ces hommes de bonne volonté ne doivent pas seulement parvenir à une interprétation humaine du monde, mais doivent montrer la voie et travailler à une possible transformation. Une interprétation sans volonté de changement est inutile ; un changement sans interprétation préalable est aveugle.
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Je crois en la réalisation possible d’un monde dans lequel l’homme peut être beaucoup, même s’il a peu ; un monde dans lequel la motivation dominante de l’existence n’est pas la consommation ; un monde dans lequel « l’homme » est la fin, la première et la dernière ; un monde dans lequel l’homme peut trouver le moyen de donner un but à sa vie ainsi que la force de vivre libre et sans illusions.