Joan Tollifson
Qu’est-ce que c’est ? Ne pas savoir est le plus intime

Traduction libre 30 SEPT. 2023 « Où allez-vous ? » « Je suis en pèlerinage. » « À quoi cela sert-il ? » « Je ne sais pas. » « Ne pas savoir est le plus intime ». – Koan zen, Livre de la sérénité, Cas 20 Plus je vieillis, plus je suis désemparée, moins je sais. De plus en plus, j’apprécie la simplicité absolue et le mystère insaisissable de […]

Traduction libre

30 SEPT. 2023

« Où allez-vous ? »

« Je suis en pèlerinage. »

« À quoi cela sert-il ? »

« Je ne sais pas. »

« Ne pas savoir est le plus intime ».

– Koan zen, Livre de la sérénité, Cas 20

Plus je vieillis, plus je suis désemparée, moins je sais. De plus en plus, j’apprécie la simplicité absolue et le mystère insaisissable de ce moment, CELA, avant d’y mettre une étiquette, d’y penser, d’essayer de l’expliquer, de le comprendre ou de le placer dans un cadre métaphysique. Simplement CELA. Tout à fait insaisissable, mais vivement là.

« Un jour, un moine a demandé à Bouddha s’il existait ou non un moi éternel. Il a répondu qu’il ne répondrait pas à une telle question, car elle n’est pas pertinente pour la libération spirituelle. Pour Bouddha, la saisie d’un concept, quel qu’il soit, est une distraction qui empêche de vivre dans le présent. »

– Anam Thubten

Voici un extrait de mon premier livre, Bare-Bones Meditation : Waking Up from the Story of My Life. Dans cet extrait, nous sommes dans les années 1980 et j’ai une trentaine d’années :

J’ai commencé à méditer au Berkeley Zen Center. Un jour, Mel Weitsman, l’abbé et enseignant, m’a croisé dans le jardin et m’a dit : « Nous n’avons jamais parlé. »

« Parlé ? » ai-je dit.

Il m’a dit qu’il était possible de le rencontrer pour discuter ma pratique du zen. Je me suis donc inscrite. Il pourrait peut-être me dire ce que je devrais faire de ma vie.

La semaine suivante, je suis allée le voir à cinq heures du matin. Il m’attendait dans une petite pièce éclairée à la bougie avec un autel. J’étais à bout de souffle. Je me suis inclinée comme on me l’avait dit et je me suis assise sur le coussin en face de lui. Mon cœur battait la chamade, ma gorge était sèche. J’avais l’impression de rencontrer Dieu.

« Comment ça se passe ? » demande-t-il.

J’ai hoché la tête nerveusement.

« Qu’est-ce qui apparaît lorsque vous vous asseyez en zazen ? »

« Je pense souvent à l’avenir », lui ai-je dit. « C’est toujours le cas. Je n’arrive pas à décider ce que je vais faire de ma vie. »

« Devriez-vous en faire quelque chose ? »

« Eh bien, je veux dire que je pense apprendre l’acupuncture… ou devenir thérapeute… »

« Qu’est-ce que vous faites maintenant ? » demanda-t-il.

« Je fais des massages. Mais, je veux dire, c’est probablement fou. Je m’inquiète toujours de ce que les gens pensent lorsqu’ils arrivent pour la première fois et que j’ouvre la porte ! Une masseuse manchote, cela ressemble à une mauvaise blague ».

« Si vous pensez que vous pouvez le faire, ils le penseront aussi », a déclaré Mel. « Je n’y vois pas d’inconvénient. » Il sourit. « Que faites-vous d’autre que des massages ? »

« Oh, j’écris un livre. Et j’étudie le karaté. Et je fais de la photographie. Et je fais parfois du travail politique, bien que je n’en fasse plus beaucoup. Je me sens un peu dispersée. Je commence des choses et je ne les finis pas ».

« Il vous faut trouver ce que vous voulez vraiment faire », dit Mel, « ce que l’on aime le plus. La chose que vous ne pouvez pas ne pas faire. Et ensuite, il faut s’y tenir. Et ne pas abandonner, quoi qu’il arrive. Il faut laisser tomber les chemins qui n’ont pas été empruntés et s’autoriser à pénétrer profondément dans celui que l’on a choisi. Sinon, on ne fait qu’effleurer la surface, on fait du lèche-vitrine, on évite toujours ce qui est devant soi, on s’imagine qu’il y a une porte de sortie ».

« Mais comment savoir quel chemin choisir ? » lui ai-je demandé.

« C’est généralement celui qui est le plus facile, le plus évident, juste devant vous », a-t-il déclaré.

L’écriture ou le zazen me viennent instantanément à l’esprit. « Peut-être devrais-je devenir thérapeute », ai-je dit à haute voix. « Je n’arrête pas de penser que j’ai besoin d’une carrière. Quelque chose de substantiel. »

« Il faut faire un choix et s’y engager », a déclaré Mel. « Il faut brûler tous les ponts pour ne pas pouvoir revenir en arrière. Le nirvana, c’est aller jusqu’au bout d’une chose. Sinon, la vie n’est qu’un ensemble d’idées mentales sur un avenir imaginaire. Vous devez revenir sans cesse à votre souffle, à la journée que vous êtes en train de vivre. Pas la journée que vous aimeriez vivre, ou la journée que vous pensez devoir vivre, ou la journée qu’il vous est possible de vivre ailleurs demain, mais cette journée que vous vivez en ce moment même ».

J’ai pensé : « Jésus ». « Ça ne peut pas être ça. »

« Gardez-vous toujours l’espoir d’y arriver un jour ? » demanda Mel. « Que vous allez trouver votre vie idéale ? »

« Je sais que c’est impossible », ai-je répondu, « mais je garde l’espoir », ai-je admis.

« Votre pratique de la méditation vous enseignera l’impossibilité », a-t-il souri. « Certaines personnes passent toute leur vie à le chercher, mais ne le font jamais », a-t-il ajouté. « Qu’est-ce que c’est ?

Je me demande. »

« C’est votre koan naturel », m’a dit Mel plus tard. « Qu’est-ce que c’est ? Posez-vous cette question, tout le temps. N’essayez pas d’y répondre. Juste continuez à vous la poser. Qu’est-ce que c’est ? »

Qu’est-ce que c’est ? Le vent, le bus, la pensée, l’insecte, la sensation, le son, l’odeur, le souffle. Qu’est-ce que c’est ?

Toute ma vie, j’ai attendu que quelque chose se passe…

J’ai entendu les gouttes de pluie sur le toit et le chant des oiseaux dans la cour. J’ai entendu les pneus des voitures sur la rue mouillée…

« L’illumination ne consiste pas à obtenir quelque chose », nous a dit [Mel]. « Avec tout grand maître zen, ce qui compte, n’est pas ce qu’il a, mais ce qu’il n’a pas ».

J’ai aimé le sentiment de liberté, le soulagement d’être enfin assise et de ne rien faire du tout. Écouter tranquillement pour la première fois. Être simplement en vie. Entendre la pluie.

« Vous es parfaite tel que vous êtes », Mel m’a dit, « mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour l’amélioration. Chaque moment est parfait, mais vous n’avez pas à vous y accrocher ».

– de Bare-Bones Meditation: Waking Up from the Story of My Life

Se comparer aux autres

On m’a récemment demandé de parler de la comparaison avec les autres. La première chose à remarquer à propos d’une telle comparaison est qu’elle implique la pensée et la conceptualisation. La pensée, identifiée comme « moi », le soi séparé, se compare, en tant qu’objet imaginé, à un ou plusieurs autres objets. Il s’agit d’un mode d’être très différent de notre expérience réelle non conceptuelle du moment présent, que la plupart des humains négligent habituellement au profit du conceptuel. Dans la présence nue, il n’y a pas de centre, pas de soi à trouver, seulement un espace ouvert de conscience qui contemple (qui est et qui tient) tout — l’univers entier.

Paradoxalement, comme je l’ai dit dans mon dernier article sur Substack, lorsque cette pensée-sentiment d’être un soi-centre séparé et encapsulé est absent, nous sommes libres d’être authentiquement nous-mêmes en tant qu’être humain. Nous ne nous remettons plus en question, nous ne nous retenons plus par peur de la désapprobation, nous ne nous exhibons plu pour obtenir l’approbation ou d’essayer d’être quelqu’un d’autre. De notre point de vue subjectif, nous ne sommes pas un objet encapsulé dans un corps distinct. Nous ne sommes rien du tout — simplement une présence consciente et ouverte qui se manifeste en tant qu’expérience présente — en mouvement comme la vie. Nous sommes comme l’océan qui ondule, un mouvement de la totalité.

En tant qu’être humain, un organisme corps-esprit, chacun d’entre nous possède une nature et une éducation uniques — génétique, neurochimique, conditionnement pendant l’enfance, expériences de vie, santé physique, attributs, capacités, talents, forces, faiblesses, etc. Comme des villes différentes, des êtres humains différents ont des systèmes météorologiques différents, des conditions différentes. Il n’y a pas deux personnes identiques. Et nous sommes tous des mouvements d’un tout indivisible, comme les vagues de l’océan.

Nous sommes tels que nous sommes, et en ce moment, il ne peut en être autrement. C’est pourquoi je trouve qu’il n’est pas très utile de se comparer aux autres. Nous ne pouvons voir ou travailler qu’avec ce qui est là, et ce qui est là pour chacun d’entre nous sera différent. Tout comme certaines villes ont des journées plus ensoleillées ou plus nuageuses, ou un temps plus ou moins orageux que d’autres villes, certaines personnes sont plus sujettes à la dépression ou à l’anxiété que d’autres, certaines ont l’esprit plus occupé, certaines sont naturellement plus calmes, d’autres plus agitées par nature. Certaines personnes sont « meilleures » que moi dans toutes sortes de domaines, et d’autres sont « pires » que moi. Je peux me comparer (en tant qu’objet) et me sentir supérieur ou inférieur, mais dans quel but ?

La seule vie actuellement présente est CETTE vie, se déplaçant dans CE corps, avec CETTE histoire et CETTE expérience de vie. Personne d’autre ne peut être moi. Personne d’autre ne peut être vous. Nous ne sommes pas ici pour être quelqu’un d’autre. Nous sommes ici pour être cette ondulation unique de l’océan, pas une autre ondulation. Tout ce que nous avons réellement expérimenté, c’est le moment présent, tel qu’il est. Cela n’annule pas le passé et le futur, mais tout cela se manifeste MAINTENANT comme ce seul moment sans fond, en perpétuel changement et pourtant sans jamais s’éloigner d’ici et maintenant.

Notre souffrance consiste à nous prendre pour un objet, un moi séparé et encapsulé, puis à nous comparer aux autres, à penser que nous devrions être autre chose que ce que nous sommes, et à croire que quelque chose (de différend, de plus, de mieux) doit se produire. La libération (la paix, la facilité d’être, la joie, la liberté) consiste à n’être rien du tout, à être juste ce moment, tel qu’il est. Ne pas essayer de le saisir, de le comprendre ou de lui donner un sens (autrement que par des moyens pratiques nécessaires). Simple, simple, simple. La simplicité elle-même.

Le bruit de la circulation, le cri soudain d’un corbeau, le goût du thé, le rire des enfants, la respiration, les battements de cœur, les nuages qui se gonflent dans le ciel, l’aboiement d’un chien, l’arbre qui se trouve devant ma fenêtre… juste cela.

Qu’est-ce que c’est ?

Certaines personnes passent leur vie à le chercher, mais ne le font jamais. Qu’est-ce que c’est ?

N’essayez pas de répondre. Il suffit de vivre avec la question, de la laisser nous faire (ou nous défaire) plutôt que d’essayer de faire (ou d’y répondre).

Ne pas savoir est le plus intime. Rien n’est vraiment séparé ou autre. C’est toujours cela ! Insaisissable et pourtant bien présent.

Ne le manquez pas !

Amour à tous…

Texte original : https://joantollifson.substack.com/p/what-is-it