Dominique Casterman
Robert Linssen, Un penseur de notre temps à l’intersection des sciences et de la spiritualité

Les aspects visibles et invisibles de l’univers sont une totalité une. Il n’y a aucune dualité radicale entre ce que nous définissons conventionnellement comme étant de l’ordre du physique, du psychique et du spirituel. C’est la tendance exclusivement analytique du mental qui découpe, par le moyen de la pensée fonctionnant en mode dualiste, cette totalité une en entités séparées. Dans les faits bruts, il n’y a pas d’esprit qui soit opposé à la matière, pas de dedans qui soit opposé au dehors, en bref il n’y a pas de cloisons étanches car tout est solidaire de tout.

J’ai rencontré Robert Linssen (1911-2004) dans les années septante et cela m’a permis de m’intéresser très tôt aux philosophies et disciplines spirituelles d’Asie, ainsi qu’à une foule de sujets de prime abord très éloignés comme la physique quantique, l’intelligence animale, les relations entre la Conscience et la matière, ou encore l’évolution du cerveau. En ce qui concerne les philosophies orientales, Je me suis prioritairement penché sur les fondements philosophiques plus que sur l’aspect historique. Ce qui m’a d’emblée intéressé c’est la connaissance en action.

Le texte qui suit est partiellement inspiré par les bases épistémologiques de « Spiritualité de la matière » et « Bouddhisme, Taoïsme et Zen ». C’est en même temps un hommage à celui qui, grâce à ses remarquables talents d’écrivain, a initié le jeune chercheur que j’étais aux méthodes de la philosophie non-dualiste selon laquelle la vérité est le jeu de l’interdépendance qui est synonyme de « vide d’existence propre » ou Vacuité. Je me rappelle encore les réunions en petit comité, à Bruxelles Chez madame A. de Limburg Stirum, où inlassablement il nous entretenait des philosophies orientales et de la vision scientifique du monde. Son discours a le caractère d’une certaine « radicalité » propre à celles et ceux qui ne sont pas manipulés par des opinions, des préjugés, des préférences, mais qui ont des convictions profondes1. Dès les années trente il évoquait déjà qu’il y avait du sens à mettre en parallèle certains modèles scientifiques et d’autres issus des philosophies traditionnelles qui insistent sur l’unité et l’interdépendance de toute chose. Il avait un égal intérêt pour la science et la spiritualité ce qui l’a conduit à éclaircir les rapports entre l’esprit et la matière. Avec la même passion il s’est aussi penché sur les philosophies de l’Asie, Le Bouddhisme, le Taoïsme, le Zen et la méditation. Dans sa résidence et à l’Institut des Sciences et Philosophies nouvelles fondé en 1935 à Bruxelles il organisait des rencontres entre des scientifiques et des sages, tous étaient convaincus qu’il y avait des similitudes et des complémentarités au-delà des premières apparences de ces diverses démarches. Parmi ces chercheurs remarquables il y avait D.T. Suzuki, Jean Herbert, A. David-Neel, Th. Brosse, David Bohm, F. Capra, R. Godel, Carlos Suarès, Douglas Harding, Wei Wu Wei, Jean Charon, etc. En 1966 il publiait « spiritualité de la matière » aux éditions Planète : une éclatante synthèse entre science et spiritualité d’une originalité épistémologique remarquable fondée sur une vision holistique avant-gardiste. Cet ouvrage a plusieurs fois été réédité jusqu’à la publication d’une nouvelle version en 1982, « Au-delà du hasard et de l’anti-hasard », éd. Le courrier du Livre.

Robert Linssen était convaincu, avec une rare détermination, que non seulement la philosophie traditionnelle mais la vision scientifique du monde imposent l’idée d’une unité fondamentale, présente et agissante sous les phénomènes « matériels » et « spirituels ».

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L’humain en son moi profond, ainsi que les processus qui organisent ses comportements et la nature en général, mettent en œuvre de nombreux systèmes d’interrelations et de solidarités. Un nouveau courant de pensée tend à mettre en évidence cet aspect positivement dynamique de la réalité humaine. Disons que l’ampleur de ce nouveau point de vue s’est amorcé dans les années 1970 avec ce qu’il a été convenu d’appeler le paradigme holistique. Ces processus relationnels sont positivement « productifs » à tel point que sans eux il serait impossible de concevoir des modèles permettant de comprendre le fonctionnement du monde dans son ensemble. Cette vision de l’unité de l’univers bouleverse l’ancienne vision mécaniste du monde et oblige à nous questionner sur le sens des valeurs de l’ancien point de vue où l’aspect séparé des êtres et des choses est prioritaire.

Par exemple, le zen, la physique quantique, la pensée systémique, la psychologie des profondeurs de Jung, bien que ces disciplines soient très différentes, elles insistent, chacune en leur domaine, sur une réalité dynamique, toute faite de corrélations et d’interconnexions. Cette vision d’un flux dynamique uni et indivisible insiste prioritairement sur les notions de processus en mouvement (tout est un processus) afin de faire reculer l’importance accordée aux notions d’objets statiques et de choses séparées.

Puisque l’univers n’existe que dans sa totalité, les entités extérieures, distinctes les unes des autres, s’intègrent dans un réseau d’interactions et de corrélations mutuelles en continuelles transformations. Chaque chose emprunte son existence à la totalité qui se recrée et se transforme constamment. Par l’union consciente à la totalité du monde nous sommes les complices de l’unité immédiate de tous les êtres et de toutes les choses. Dès cet instant, nous pouvons prendre conscience que « je » n’existe pas car en réalité, je « suis existé » par l’union à la totalité du monde.

Robert Linssen insistait sur l’aspect positif d’une pensée fonctionnant autrement qu’en mode exclusivement dualiste afin de glisser vers la vision d’un univers envisagé comme une structure vivante où le fait des relations et l’interdépendance entre tous les éléments sont prioritaires. Au fond, il nous conviait à une ballade philosophique à travers la nature de la vie, de la Conscience et de l’univers considéré comme un tout indivisible.

« N’est-il pas intéressant de constater que dans la mesure où l’homme tente de découvrir la nature profonde de la matière, cette recherche même l’oblige irrésistiblement à remanier ses positions, à donner une orientation nouvelle aux cheminements habituels de sa pensée, à improviser de l’inédit ? »

« Les sacrifices de valeurs anciennes auxquels il doit consentir acheminent l’homme, sans qu’il s’en rende compte, vers une attitude de pensée à tel point dépouillée qu’elle se rapproche considérablement de la pure essence de son être profond. Autrement dit, l’étude de la nature profonde des choses dans le monde physique, suscite dans l’esprit même de l’observateur attentif, des transformations telles, que ce dernier tend à se rapprocher de la découverte de sa nature véritable. »

« Il ne pourrait en être autrement, en raison de l’identité d’essence de l’observateur et de l’observé d’une part, et de l’unité de l’esprit et de la matière, d’autre part. » (Robert Linssen, Bouddhisme, Taoïsme et Zen, Courrier du Livre, 1992, p. 111).

Une autre question qui le préoccupait aussi était celle de l’épanouissement spirituel de l’être humain et d’une possibilité qu’il se libère des conditionnements liés à l’étroitesse de ses vues. À cet égard il faisait très souvent référence à la pensée de J. Krishnamurti.

Le siècle passé et le présent sont marqués par le sceau d’une fabuleuse technicité avec pour corollaire une civilisation matérialisée à l’extrême par l’activité sans cesse croissante d’une société de production où l’individu, acculé à un scepticisme total, semble avoir perdu tout contact avec l’essentiel, c’est-à-dire avec ce dont il fait l’expérience tout au fond de lui-même : la Conscience-Présence.

Cependant, la science, qui a fait de l’homme « l’animal technique » le plus redoutable de la planète, semble pouvoir mettre en évidence ­— si nous lui accordons quelques libertés — les valeurs incontestablement relationnelles de l’essence ultime de la matière, des écosystèmes, des sociétés humaines et de l’ensemble cosmique.

Aujourd’hui, nous pouvons envisager — avec raison — que « l’homme n’est pas seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il aurait émergé par hasard » (Monod). Nous existons parce que nous sommes reliés.

Notre époque permet d’évoquer avec force et conviction un nouveau paradigme, une vision holistique dans le sillage d’une synthèse interdisciplinaire entre science, philosophie, religion, spiritualité, art, économie, politique… Aujourd’hui plus que jamais, « durer », on serait presque tenter de dire « survivre », veut dire s’entendre par l’exercice constant d’une compréhension intelligente que l’unité dans le respect de la diversité est l’objectif premier.

Notre position dans l’histoire est donc celle de l’espérance et du désarroi. Nous pourrions, en effet, par l’exercice de l’ensemble de nos connaissances actuelles sauver notre monde, le débarrasser de tous ses grands maux, de ses tares endémiques. Il serait intéressant de s’interroger activement sur les causes de la violence et de l’ampleur des crises qui se révèlent dans l’universalité des activités humaines. Lors de mes rencontres avec Robert Linssen, je me rappelle qu’il pensait que l’origine commune des violences humaines et de leurs crises collectives se situe peut-être dans un facteur de dégradation importante de la pensée. Celle-ci ayant pu contribuer à l’emprisonnement du cerveau dans un processus de divisions et de morcellements inextricables privant l’être humain de toute capacité de vision globale et de synthèse. L’opposition radicale du particulier empêche la vision spontanée de la totalité dont chacun d’entre nous fait partie intégrante.

Seul un préjugé — par trop scientiste ou spiritualiste — empêche de voir que la pensée intuitive des grandes traditions spirituelles peut rencontrer la science contemporaine qui, par certains de ses aspects, a ébranlé les assises de maintes certitudes que l’on pensait établies pour toujours.

Il n’y a pas si longtemps de cela, la science, imbue de sa supériorité rationaliste et libérée des contraintes obscurantistes de l’église, pensait avoir résolu la quasi-totalité des grandes énigmes de ce vaste monde. Comme l’Église par le passé, elle crut que des formes particulières de savoir pouvaient passer pour des vérités absolues.

Aujourd’hui se dégage de la physique, de la biologie, de l’astrophysique une vision globale de l’univers et de l’être humain2. Il s’agit d’une véritable révolution intellectuelle car transposée dans le domaine social, plutôt que d’accentuer les conflits entre les individus et les nations, elle insiste sur l’unité humaine, la coopération et l’interdépendance mutuelle. C’est une invitation à cesser de regarder à travers l’écran déformant de nos tendances au morcellement et à l’isolement en transcendant l’esprit de fragmentation, et en développant un processus de pensée favorisant l’expérience en profondeur d’une totalité indivise à travers laquelle la Conscience peut entrevoir la vraie nature de la réalité.

« Les synthèses nouvelles qui se dégagent de ces rencontres de plus en plus nombreuses entre physiciens et métaphysiciens, entre physico-chimistes, neurobiologistes et psychologues nous force à repenser les assises traditionnelles de la pensée. »

« Dans cette nouvelle recherche, nous voyons réapparaître avec une force particulière les antiques sagesses et spiritualités orientales tout imprégnées d’unité et d’universalité. » (Bouddhisme, Taoïsme et Zen, p. 324).

La vérité est un état de recréation et de renouvellement constant car rien n’indique que l’univers serait le résultat de l’exécution d’un plan prédéterminé. Ce concept, tout empreint d’anthropomorphisme, incite à penser qu’il est temps de réunir les éléments psychologiques capables de libérer l’esprit des conditionnements liés aux habitudes mentales. Comme celle, par exemple, qui consisterait à croire que l’univers aurait été créé une fois pour toutes par une force transcendante distincte de lui-même et dont nous serions, en quelque sorte, les créatures.

Admettons que l’univers matériel est l’expression d’une énergie fondamentale et que cette énergie est un flux indivisible et inconnu. Tout est solidaire de tout même si en apparence les aspects du monde de surface sont multiples. Les idées que nous nous faisons habituellement de la matière sont à revisiter. Au même titre que nos états de Conscience se modifient constamment, les profondeurs de la matière aux niveaux moléculaire, atomique et subatomique révèlent un incessant mouvement de danse et de vibration.

On peut dire que matériellement et psychologiquement tout se transforme, tout est interdépendant. La lucidité intellectuelle conduit l’observateur à la prise de Conscience que le monde matériel et son propre moi ne sont nullement des entités continues. Sur le plan de la matière tout est succession perpétuellement changeante, tout se meut ; et sur le plan mental il n’y a rien de statique, il n’y a pas d’individualité permanente mais une succession ininterrompue de moments de Conscience.

« Dans la doctrine de la ‘‘ Vue juste ’’, le Bouddhisme nous enseigne que les processus responsables de l’apparente continuité de la matière sont identiques à ceux qui engendrent l’apparente continuité de la conscience. » (Ibidem, p. 211).

Face à l’événement, l’attitude d’approche intérieure et l’état d’esprit sont tout aussi importants que les circonstances extérieures. Dans cette optique il est favorable d’admettre que l’expérience du réel se réalise d’instant en instant. Il est aussi favorable de voir que l’existence en général n’est pas morcelée entre des événements prétendus extraordinaires et d’autres ordinaires. On appelle cela délivrer l’esprit de notre image dualiste du monde et de ses fausses valeurs. La réalité n’est pas en dehors de nous, en dehors de la vie quotidienne, elle est là ici et maintenant.

Les aspects visibles et invisibles de l’univers sont une totalité une. Il n’y a aucune dualité radicale entre ce que nous définissons conventionnellement comme étant de l’ordre du physique, du psychique et du spirituel. C’est la tendance exclusivement analytique du mental qui découpe, par le moyen de la pensée fonctionnant en mode dualiste, cette totalité une en entités séparées. Dans les faits bruts, il n’y a pas d’esprit qui soit opposé à la matière, pas de dedans qui soit opposé au dehors, en bref il n’y a pas de cloisons étanches car tout est solidaire de tout.

En nous éloignant des processus répétitifs de l’habitude nous nous approchons d’une réalité insaisissable car perpétuellement changeante. Impossible de prévoir le temps qu’il fera dans six mois, les fluctuations de l’économie à long terme, la réaction d’un être vivant face à un événement inconnu, où quel atome en particulier va se désintégrer dans un corps radioactif.

Robert Linssen évoquait souvent ‘‘ la force de l’habitude ’’. L’histoire d’un univers est caractérisée par un processus continuel d’associations qui met en évidence une force d’habitude associative dans la nature. Nous voyons les gaz de poussières cosmiques se condenser pour former les étoiles et les planètes. Plus proches de nous, sur terre, nous voyons les atomes s’associer à d’autres pour former des molécules plus complexes, des cellules, des organismes. Ce processus opérationnel s’étend jusque dans le psychisme humain. Nous nous identifions à nos possessions matérielles, à nos réussites, à nos échecs, à notre situation sociale, en bref à notre image et notre histoire.

L’histoire d’un univers est aussi caractérisée par un processus continuel de relations. La base même de la vie biologique est un renouvellement constant. Les corps ne sont pas créés une fois pour toutes, mais ils se créent et se recréent constamment. Les substances se transforment et se renouvellent, c’est un échange perpétuel avec l’environnement jusqu’à la mort. Un simple morceau de pain implique non seulement une activité humaine, mais aussi les échanges intensifs entre la céréale, le soleil, la lumière, la terre et ses composants, l’atmosphère. Il faut beaucoup d’imagination, ou simplement un autre regard, pour concevoir toutes ces figures d’inter-échanges, d’interférences. Toutes ces relations sont aussi importantes que la nature particulière ou l’individualité des éléments reliés.

« L’‘‘esprit disposé en accord de résonance’’ avec l’essence profonde des choses dépasse les processus d’analyses dualistes qui nous sont familiers. Le plan sur lequel s’établit cet accord de résonance est celui de l’Unité à laquelle n’accèdent jamais les couches inférieures de l’intellectualité concrète. L’analyse intellectuelle dualiste ne peut résoudre le problème de la Totalité-Une, car la partie ne peut comprendre le Tout. » (Ibidem, p. p. 107, 108).

Aujourd’hui, on établit une distinction assez radicale entre la pensée philosophique et la pensée scientifique. Les penseurs de l’antiquité, tant en occident qu’en orient, avaient une vision moins fragmentée. Par exemple, pour certaines écoles du bouddhisme, l’esprit et la matière étaient les faces opposées mais complémentaires d’une seule et même réalité.

Pour les anciens grecs, comme Pythagore, Héraclite, Démocrite, Platon et Aristote, il n’y avait pas de séparation entre les phénomènes naturels, la vie dans son ensemble et l’homme.

Il serait favorable de considérer la connaissance comme un processus au sein duquel se révèlent à la fois la nature du monde et celle de notre esprit. Compartimenter la science, la philosophie, la politique, la vie quotidienne, la spiritualité, au nom de l’hyper spécialisation, rétrécit notre fenêtre d’accès à l’existence et à la réalité en général.

« Les formes supérieures du Bouddhisme en général et le Zen en particulier sont des ‘‘ maïeutiques ’’ comparables à celle de Socrate. La ‘‘ maïeutique ’’ ou ‘‘ science de l’accouchement spirituel ’’ s’efforce de réunir les éléments psychologiques favorables à la délivrance de l’esprit. Celui-ci étant asservi par les « forces d’habitudes » mentales, il est nécessaire de supprimer les énergies qui les alimentent. » (Ibidem, p. 54).

C’est vrai qu’à partir du XIXe siècle l’étendue des phénomènes étudiés n’a cessé de croître, et cela a conduit les scientifiques à travailler sur des domaines de recherche de plus en plus spécialisés. Mais aujourd’hui, en prenant conscience de l’interdépendance de tous les phénomènes et fort des savoirs acquis dans de multiples domaines, les chercheurs sont amenés à concevoir une connaissance interdisciplinaire afin de surmonter les déformations inhérentes aux visions des choses repliées sur elles-mêmes.

Toutes les branches de la culture humaine sont solidaires, sans exclure l’expérience de la vie quotidienne. Il s’agit de regarder la réalité sous des angles différents afin d’en avoir une vision d’ensemble qui nous permettra d’améliorer notre connaissance de la nature du monde et de celle de l’esprit. Quel meilleur programme pour trouver la plus juste façon d’agir face au défi quotidien de l’existence en général et de notre humanité en particulier.

Cette nouvelle forme d’union à la totalité du monde met particulièrement en évidence les notions d’unité et d’universalité évoquées dans les antiques sagesses et spiritualités orientales. Il est heureux de voir que les sciences et les consciences individuelles en quête d’unité se mettent à la recherche de ce qui les unit à l’univers. Curieusement, science et conscience, l’une dynamisée par ses découvertes et l’autre par le besoin de surmonter sa propre anxiété, commencent à entrevoir une nouvelle vision de la réalité, une nouvelle forme de relation avec l’univers. Nous sommes au cœur d’une révolution intellectuelle qui nous fait entrevoir à quel point l’opposition entre matérialisme et spiritualisme fait partie d’une époque complètement révolue.

Un élément positif qui joue en notre faveur et que Robert Linssen soulignait c’est la complexité d’architecture cellulaire du corps humain, et l’hyper complexité du cerveau. Cette superstructure possède, en tout cas potentiellement, la capacité d’être réceptive à la plénitude indivise de l’univers. Plus aucun doute ne subsiste dans notre esprit car nous savons avec certitude qu’il n’existe aucun être, aucun objet, aucune chose, aucun atome, aucune pensée, indépendant. C’est comme si chaque élément était tissé de tous les autres dans un univers qui tient par son ensemble tant tout interpénètre tout.

Il est complètement irréaliste de considérer qu’un être vivant, qu’une chose, qu’une planète, une étoile, un événement quotidien puissent avoir une existence isolée ou indépendante. Tout se tient et l’énergie de liaison qui rattache tout fragment de matière à la totalité de l’univers et réciproquement fait partie intégrante du processus cosmique. NOUS EXISTONS PARCE QUE NOUS SOMMES RELIÉS.

« Dans cette optique, l’Univers est considéré comme l’unité organique d’un seul et même Vivant. Ceci sous-entend que chaque être humain, chaque objet, infiniment petit ou infiniment grand, la Terre, le Soleil, les étoiles proches ou lointaines, les Galaxies situées à des millions d’années-lumière font partie intégrante d’une Totalité vivante et peuvent être considérés comme les membres apparemment séparés d’un même Corps-cosmique. » (R. Linssen, KRISHNAMURTI, Précurseur du IIIme Millénaire, Courrier du Livre, p. 79).

Le livre de Robert Linssen Bouddhisme, Taoïsme et Zen est une source d’inspiration extrêmement riche pour tous ceux et celles qui s’intéressent à une spiritualité vivante, connectée à notre temps et inséparable de la vie quotidienne. Il est d’un accès facile et constitue une ouverture très large à un monde qui défie l’imagination.

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Dominique CastermaneAuteur essayiste et chercheur autodidacte, mes premiers écrits, qui datent de presque 30 ans, furent d’emblée une tentative en vue d’indiquer une complémentarité possible entre science et spiritualité, sans perdre de vue les conditionnements à la base des comportements de l’être humain. L’objectif étant d’entrevoir l’avènement possible d’un nouvel humanisme débarrassé, progressivement, des habitudes de penser selon les seules règles du dualisme.

Donner une vue d’ensemble ne va pas sans difficulté car il s’agit de tirer la substance d’un certain nombre de disciplines de façon à aboutir à un système cohérent et utile d’où émerge l’idée d’une unité fondamentale.

La réflexion sur les relations entre science et spiritualité est un domaine très évolutif. Tandis que le comportement humain est complexe, imprévisible, conflictuel et égotiste mais, heureusement, améliorable. Je reste convaincu, avec la même foi qu’il y a 30 ans, qu’une approche complémentaire entre raison et intuition, entre physique et métaphysique, voire entre science et mystique, se renforcera dans le futur, et projettera quelques lumières nouvelles sur notre condition humaine.

Les développements récents des sciences, y compris les sciences humaines, n’indiquent rien qui soit, à mon sens, en contradiction avec une vision globale de la nature de la réalité.

Très tôt dans la vie, je me suis intéressé aux questions fondamentales que l’existence pose à la Conscience humaine en proie à l’incertitude, ainsi qu’à la nature de la réalité. Ma première rencontre avec Robert Linssen date de 1975. Il m’initie à une vision globale de l’univers et à l’idée d’une unité fondamentale présente et agissante à la base de toute chose. Depuis lors, j’approche quotidiennement les philosophies et disciplines spirituelles non-dualistes confrontées aux modèles scientifiques éprouvés par des décennies de recherches. L’objectif est d’intégrer, autant que possible, en une seule vision, l’Homme, l’Esprit et la Matière.

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1 « Son œuvre, aussi riche que variée, favorise une prise de conscience radicale qui laissera émerger l’humain véritable, sans attachement à une forme ou à une autre de culte, de rituel ou de personne. Il dit souvent qu’il n’a jamais eu de maître, mais seulement des instructeurs (…) Il ne s’agit pas ici d’annihiler l’ego, ce qui entraînerait des conséquences pathologiques, mais bien de ‘‘l’épanouir pour le dépasser’’. Tous les enseignements en psychologie ont fourni différents systèmes et éclairages pour délivrer l’humain de la souffrance existentielle. Mais l’enjeu à la fin de ce siècle (ces lignes sont écrites en 1995), en psychologie comme en éducation, n’est pas tant de privilégier un système plutôt qu’un autre, mais d’arriver à ce moment d’ouverture et d’intégration qui permettra aux principaux intervenants d’accompagner adéquatement les différentes étapes de la vie afin que personne ne se fixe à un niveau ou à un autre, mais s’ouvre à ce qu’il y a de plus humain en nous, soit l’énergie inconditionnée. Bien sûr, les sages ne sortent pas des écoles et des universités et le nouveau paradigme est né et grandira quand il y aura suffisamment d’éducateurs, de psychologues et de parents, bref, d’adultes qui sauront que l’humain est plus vaste que tous les systèmes de valeurs dans lesquels on voudrait le voir ‘‘entrer’’. » (Extrait de la préface de Lucette Leclerc du livre de R. Linssen, La spiritualité quantique, Boucherville (Québec), éd. de Mortagne, 1995, p.p. 12-14).

2 « Nécessaire et fructueux raisonnement analogique ! En permettant de transférer idées et concepts d’une science à l’autre, il conduit, par ces sortes de courts-circuits, à faire passer le courant des idées à travers les épaisses murailles qui séparent les disciplines et cloisonnent les spécialistes dans l’étroite prison d’un savoir en miettes. » (Jean-Marie Pelt, Les plantes : amours et civilisation végétales, Paris, Fayard, 1981, p. 6).