Asa Boxer
Science contre-intuitive et culture de manipulation

15 septembre 2024 Image tirée du film Gaslight réalisé par George Cukor en 1944. Ci-dessus, Ingrid Bergman joue le rôle de la protagoniste Paula, dont le mari manipule le flux de gaz alimentant l’éclairage de la maison pour faire croire à Paula qu’elle devient folle. Aujourd’hui, je vous emmène faire un petit tour dans un article […]

15 septembre 2024

Image tirée du film Gaslight réalisé par George Cukor en 1944. Ci-dessus, Ingrid Bergman joue le rôle de la protagoniste Paula, dont le mari manipule le flux de gaz alimentant l’éclairage de la maison pour faire croire à Paula qu’elle devient folle.

Aujourd’hui, je vous emmène faire un petit tour dans un article scientifique du Dr Ethan Siegel sur les ondicules (wavicules, ondes-particule). Je vous conseille vivement de cliquer sur le lien et de jeter un coup d’œil à l’autopromotion de Siegel. Il se présente comme le Dr Woo en personne, mais avec le descriptif suivant :

Ethan Siegel est astrophysicien et auteur de « Starts with a Bang! ». Il est vulgarisateur scientifique qui enseigne la physique et l’astronomie dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur. Depuis 2008, il a remporté de nombreux prix pour son blog, dont le prix du meilleur blog scientifique décerné par l’Institute of Physics.

Donc ce n’est pas un simple journaliste scientifique. Son blog s’appelle Big Think, et l’article en question est « Les origines surprenantes de la dualité onde-particule » — que vous pouvez trouver ici.

Je ne peux qu’effleurer le sujet en me concentrant sur quelques-unes des erreurs contenues dans cet article et qui sont typiques des adeptes de la théorie des ondicules, qui est un courant dominant depuis près d’un siècle. Je vous conseille de lire l’article, afin de vous faire une idée complète du texte : que vous le fassiez avant ou après avoir lu mon article, cela dépend de vous. Cela dépend si vous voulez commencer par une lecture impartiale. Pour ceux qui sont un tant soit peu familiers avec ce sujet, ce que Siegel a à offrir n’a rien de nouveau. Je n’ai rien trouvé de « surprenant ».

Le principal défaut de l’article de Siegel est qu’il simplifie l’histoire du développement de l’idée de la dualité onde-particule. Cette composante narrative de la science est un sujet que j’ai exploré dans « Science & Textbook Pedagogy » (Science et pédagogie des manuels scolaires). L’intérêt d’examiner un document comme celui-ci est qu’il illustre la science des manuels scolaires. Si vous vous souvenez bien, l’une des conséquences de ces fausses histoires est qu’elles promeuvent la fausse notion de progression linéaire, où il apparaît qu’une idée a été travaillée et développée par des esprits successifs qui ont transmis le matériel de l’un à l’autre, le perfectionnant progressivement en cours de route, de sorte qu’aujourd’hui nous avons la Vérité finale. Toutes les énigmes, tous les faux départs, toutes les critiques, tous les retours sur des paradigmes antérieurs, toutes les bévues, tous les tâtonnements aveugles, toutes les découvertes accidentelles (qui sont en fait surprenantes) sont effacés et remplacés par le mythe de la science en tant qu’accumulation linéaire de faits qui mènent à une conclusion inévitable et incontestable.

Pour ceux qui auraient besoin d’un petit rappel : l’hypothèse de la dualité onde-particule propose que l’énergie et la lumière se comportent tantôt comme une onde, tantôt comme une particule. Qu’est-ce que cela signifie exactement ? L’article de Siegel est utile aux néophytes, alors jetez-y un coup d’œil, car les images sont utiles. En bref : laissés à eux-mêmes, les phénomènes de la lumière et des diverses énergies se propagent comme des ondes de différentes longueurs d’onde ; cependant, lorsque nous les mesurons, ils se comportent comme des quantités mesurées (d’où les termes « quanta » et « quantique »).

Comme je ne cesse de le souligner — et Newton a mis en garde contre ce problème dans ses « Principia » —, nous devons veiller à ne pas confondre l’appareil de mesure avec le phénomène. Le temps de l’horloge n’est pas le Temps :

« Ceux qui violent la précision du langage, qui doit rester précis, en interprétant ces mots [temps, espace, lieu et mouvement] pour les quantités mesurées. Et ceux qui ne déforment pas moins la pureté des vérités mathématiques et philosophiques, qui confondent les quantités réelles avec leurs relations [analogies] et mesures sensibles ».

Nos mesures arbitraires ne sont pas l’espace. Si vous trouvez des moyens de mesurer des unités d’énergie dirigées par des instruments, vous ne devriez pas être surpris que ces unités se comportent comme telles. Si les résultats sont utiles à des fins d’ingénierie, tant mieux, mais nous ne devons pas nous laisser emporter et conclure que nous avons compris une quelconque vérité métaphysique sur la réalité.

Disons que vous observez l’écoulement d’une rivière ou les interférences sur un lac. Si vous sortez une goutte d’eau de ce contexte et que vous commencez à la décomposer en gouttelettes de plus en plus petites, vous avez changé de contexte. Vous observez maintenant des particules. Faut-il s’étonner que le flux se comporte différemment lorsqu’il est divisé en petits morceaux ? Allez-vous maintenant promouvoir une métaphysique absurde sur la dualité onde-particule ? La dualité est une invention de l’expérience.

Voilà donc le problème de base. Un autre élément critique est en jeu : le problème de l’éther, que Siegel omet commodément de mentionner dans son récit des « origines surprenantes ». La physique moderne affirme que la lumière est une onde sans support. Comment une onde peut-elle exister indépendamment d’un élément qui est perturbé en ondes ? Il est essentiel que vous considériez l’absurdité de ce concept. Une onde est la perturbation d’un milieu — qu’elle se propage dans l’air, l’eau, la boue ou le sable, une onde est une forme qui monte, descend et ondule dans un milieu. Nous appelons cela la « propagation » et nous appelons la vitesse de son mouvement, le « taux de propagation ». Pour être précis, il ne s’agit pas de la « vitesse de la lumière » ou de la « vitesse du son », mais de la vitesse de propagation de la lumière ou du son. Sans support, il n’y a pas de propagation, pas d’onde… parce que, eh bien, qu’est-ce qui est en train d’onduler ? Mais la physique moderne a déclaré qu’il n’y avait pas de milieu, pas d’éther. En effet, la physique de l’éther est aujourd’hui considérée comme de la foutaise.

Pour faire face au monde absurde de la physique moderne, Siegel invoque le concept de « contre-intuitif » — une pratique courante dans le discours scientifique moderne. L’idée est que, puisque le bon sens veut que la Terre soit fixe et que le soleil tourne autour d’elle, et que ce bon sens s’est révélé faux, la science consiste à démystifier les conclusions du bon sens. La meilleure science, estime-t-on, est contre-intuitive. En fait, moins c’est logique, plus c’est scientifique. Comme l’a dit le physicien quantique Richard Feynman (1918-1988) : « Je pense pouvoir dire sans me tromper que personne ne comprend la mécanique quantique ». Si vous regardez en ligne les explications de cette déclaration, vous verrez qu’elles ressemblent à des interprétations sacerdotales d’un quelconque patriarche biblique. Feynman, nous dit-on, communiquait un « savoir pur », quelque chose de trop subtil pour être compris par de simples esprits mortels. Apparemment, le « savoir pur » n’a rien de mystique ; c’est quelque chose que seuls les scientifiques travaillant avec les mathématiques peuvent comprendre. Je renvoie les lecteurs à la mystique pythagoricienne des mathématiques (dont j’ai parlé ici), qui est à l’origine de notre culte moderne des mathématiques en tant que savoir pur. Essentiellement, c’est la croyance selon laquelle le monde physique est une illusion, tandis que le monde mathématique — le monde des formes — est la véritable réalité. Ce postulat contredit le naturalisme (le paradigme avec lequel la science moderne prétend travailler), qui se présente comme pragmatique et fondé sur les phénomènes physiques.

Notez les graphiques suivants :

Schéma d’interférence du scientifique britannique Thomas Young (1773-1829), montrant des motifs d’interférence constructive et destructive dans un fluide dirigé à travers deux passerelles séparées, A et B. L’interférence destructive résulte d’ondes et de creux qui s’annulent mutuellement, comme aux points C, D, E et F. L’interférence constructive résulte de creux ou d’ondes qui convergent.

Notez la représentation des ondicules de photons : des particules avec des ondes à l’intérieur d’elles.

C’est la vision classique de l’effet photoélectrique qui, selon Einstein, établit l’aspect quantique de l’énergie et de la lumière. C’est de cette expérience qu’est né le photon (ou particule de lumière). Vous remarquerez qu’au lieu de motifs d’interférence, le dessin animé nous donne des représentations de losanges et de sphères, qui représentent des paquets quantiques d’énergie. Vous trouverez ici une bonne explication pour débutants du raisonnement en question. Cela se résume à l’affirmation suivante : puisque l’augmentation de l’intensité ou de la durée de l’exposition à la lumière ne déplace pas de plus grandes mesures de charge électrique, la lumière ne provient pas d’un milieu fluide. Si c’était le cas, le fluide, avec suffisamment de temps, remplirait, inonderait le matériau expérimental (une feuille de métal) et expulserait de l’énergie ; ou, alternativement, avec une augmentation de la quantité de lumière, le matériau serait également inondé d’une énergie et en expulserait une autre.

Telles étaient les prédictions des théoriciens de l’éther. Mais ces prédictions étaient erronées. Le concept d’un milieu fluide comme l’eau et l’air n’ayant pas permis de rendre compte des phénomènes observés, il a été abandonné et remplacé par le paradigme quantique dans certains cas. Étant donné que la dualité onde-particule rendait compte mathématiquement d’un plus grand nombre d’apparences, et qu’une tendance philosophique s’est répandue, considérant les mathématiques comme une vérité métaphysique, cette dualité est devenue la pierre angulaire du sens moderne de la réalité — une réalité qui est fondamentalement contre-intuitive et absurde. Mais que se passerait-il si, au lieu de fermer la porte à cette question, elle avait été laissée ouverte comme une énigme en quête de solutions potentielles ?

Il est intéressant de noter que Max Planck (1858-1947), qui a inventé les mathématiques pour rendre compte des phénomènes énergétiques (théorie du rayonnement du corps noir), considérait à l’origine ses mathématiques comme un moyen de contournement utile, une sorte de truc astucieux ou de dispositif heuristique qui facilitait les calculs. Il n’a pas confondu les mathématiques avec la réalité elle-même (jusqu’à ce que ce point de vue devienne populaire).

Nous en revenons au problème de l’idolâtrie scientifique, un thème sur lequel je reviens sans cesse : confondre le modèle avec le phénomène. Le groupe Electric Universe a soulevé quelques défis intrigants à cette physique, mais il a été vilipendé comme pseudoscientifique et il n’y a pas de dialogue possible.

En étudiant les mathématiques, on finit par trouver inévitablement des calculs de probabilité à l’œuvre, et je considère ce dispositif comme le nœud du problème si l’on tente de comprendre la réalité.… par opposition à la simple prise en compte des apparences. De plus, comme pour l’expérience de la goutte d’huile de Robert Millikan, l’hypothèse n’est pas claire parce que le but du travail scientifique est d’établir une mesure, c’est-à-dire de quantifier l’énergie plutôt que de tester une proposition. En d’autres termes, par analogie, l’expérience vise à isoler des gouttes et des gouttelettes d’une rivière. Il est évident que vous allez découvrir les phénomènes que vous créez dans de telles circonstances.

Personnellement, il ne m’est pas difficile d’imaginer diverses explications alternatives à la solution quantique de l’effet photoélectrique ou à la constante utilisée pour mesurer le rayonnement du corps noir. L’éther est semblable à un fluide — par analogie — mais pas de la manière dont nous le pensions. Est-ce si extraordinaire ? Il est clair qu’il a des propriétés que nous ne comprenons pas encore, et comme nous avons éliminé le concept, nous ne le saurons jamais. Entre-temps, la physique actuelle a dû introduire les fictions de l’énergie noire et de la matière noire pour sauver un modèle défaillant. Comme je l’ai suggéré la semaine dernière, un grand ménage s’impose.

Si je mentionne la manipulation (gaslighting) dans le titre de cet article, c’est parce qu’il y a quelque chose de plus profond que j’aimerais souligner, à savoir un problème inhérent à la notion de contre-intuitif. L’idée qu’il ne faut pas faire confiance à son intuition est au cœur de tout gaslighting. En effet, le but même du gaslighting est de perturber la conversation intérieure entre le cœur, les tripes et le cerveau d’une personne. Si vous parvenez à convaincre une personne qu’elle ne peut pas se faire confiance, vous pouvez la manipuler. Elle devient malléable entre vos mains. En conséquence de cette idée populaire selon laquelle les idées les plus profondes sont contre-intuitives, notre culture est une culture de gaslighting — une culture qui vous dit que vous ne pouvez pas faire confiance à votre instinct, à votre cœur, ni même à votre esprit, parce que vos instincts et vos intuitions sont un épiphénomène accidentel de l’activité neuronale. La véritable connaissance, la connaissance pure, se trouve dans les mathématiques, et elle n’a pas besoin d’avoir du sens. Par conséquent, vous devez croire et faire confiance à LaScienceMD.

Comme je l’ai souligné ailleurs, ce paradigme est absurde et même triste. Les mathématiques ont été inventées, non découvertes. Elles ont été inventées pour nous aider à manipuler les choses et à prédire les résultats. Aujourd’hui, nous leur avons donné une vie propre, de sorte qu’elles nous dirigent plutôt que l’inverse. Nous sommes censés utiliser nos outils, et non être utilisés par eux. De plus, si notre esprit est si peu fiable — puisqu’il n’est qu’un épiphénomène accidentel —, alors les mathématiques elles-mêmes doivent faire partie de l’illusion fantastique que cet esprit a fabriquée, et tout notre charabia scientifique n’est que pure absurdité et poursuite du vent. C’est une triste conclusion, car elle implique : « Pourquoi se donner la peine ? Toute considération honnête du paradigme actuel doit se terminer par un éclat de rire, tant il est clair que nous sommes tombés loin des recherches de la philosophie naturelle et que nous sommes pris dans un jeu de billes de verre.

La prochaine fois que vous entendrez le terme “contre-intuitif” ou que vous serez tenté de l’utiliser, prenez un moment un instant pour réfléchir à ce que vous entendez ou dites. Faites-en un sujet de conversation avec vos amis et votre famille. Il est temps de cesser d’utiliser ce terme, car il est préjudiciable. Il perturbe notre autonomie et nous rend esclaves de toutes les idées douteuses qui revendiquent l’imprimatur de la science.

Texte original : https://analogymagazine.substack.com/p/counterintuitive-science-and-gaslight