Thomas Harrington
La trahison des guérisseurs

Traduction libre En 1927, l’intellectuel français Julien Benda a publié son livre La Trahison des Clercs, qui a été traduit en anglais par The Betrayal (ou aussi par The Treason) of the Intellectuals. Ce livre est un réquisitoire virulent contre le rôle joué par les intellectuels des deux camps de la Première Guerre mondiale, qui […]

Traduction libre

En 1927, l’intellectuel français Julien Benda a publié son livre La Trahison des Clercs, qui a été traduit en anglais par The Betrayal (ou aussi par The Treason) of the Intellectuals. Ce livre est un réquisitoire virulent contre le rôle joué par les intellectuels des deux camps de la Première Guerre mondiale, qui ont attisé les flammes de ce conflit dévastateur qui a porté la capacité de l’homme à tuer et à détruire à des niveaux jusque-là inimaginables.

Pour Benda, le grand péché impardonnable des intellectuels, tant en Allemagne qu’en France, a été d’abandonner l’impératif de produire un savoir « désintéressé » et de prêter leurs talents et leur prestige à des tâches de promotion du chauvinisme national d’une part, et, d’autre part, de dénigrement systématique de la culture et des citoyens de l’ennemi.

L’essor de la figure de l’intellectuel, telle que nous la concevons aujourd’hui, est intimement lié à deux processus historiques imbriqués du dernier tiers du XIXe siècle : la sécularisation rapide de la société et la montée des journaux quotidiens.

En effet, lorsque les citoyens ont commencé à abandonner l’église et ses dirigeants, ils ont redirigé leur désir de transcendance vers la presse quotidienne et ses nouveaux « clercs » laïques. Ces nouveaux chefs spirituels, à leur tour, ont dû décider, comme l’avaient fait avant eux leurs prédécesseurs dans l’ancien Israël, la Grèce et la Rome, comment exercer leur nouveau pouvoir.

Leur tâche consistait-elle à consolider l’esprit positif de la collectivité à l’ère de l’État-nation ? Ou était-ce de révéler à leurs paroissiens-lecteurs les dures vérités de leur temps ?

Compte tenu des énormes enjeux de cette affaire, la deuxième option était, pour Benda, la seule moralement acceptable.

Au fur et à mesure que le vingtième siècle avançait, l’écrivain du début du siècle a été progressivement supplanté au sommet de la nouvelle communion sociale par l’homme de science, et surtout par la figure du médecin. Compte tenu des exigences de la méthode scientifique, l’adhésion à une recherche désintéressée de la connaissance aurait dû devenir encore plus importante pour ces personnes qu’elle ne l’avait été pour les objets « lettrés » de la colère de Benda.

Cependant, il n’a pas fallu longtemps pour découvrir que les nouveaux hommes de science étaient tout aussi enclins que les écrivains traîtres de Benda à abuser des pouvoirs institutionnels que leur conféraient la société et l’État afin de mener des campagnes d’intimidation et/ou d’expérimentation sur l’homme auxquelles ils adhéraient étroitement et qui étaient souvent profondément inhumaines.

Il y a eu, bien sûr, la longue campagne de terreur intellectuelle menée par Lysenko et ses acolytes en Union soviétique et l’adhésion à grande échelle — bien plus importante que ce qui est encore généralement reconnu ou admis — des médecins allemands au programme génocidaire de la « médecine nazie » dans les années 30 et 40. Et chez nous, nous avons plus qu’assez de cas dégoûtants d’abus médicaux (lobotomies forcées, l’Étude Tuskegee, MK Ultra, Oxycontin, pour n’en citer que quelques-uns) pour occuper toute une vie d’un journaliste judiciaire ou d’un historien du crime médical.

Mais lorsqu’il s’agit de reconnaître cela, les choses sont à peu près ce qu’elles sont lorsqu’il s’agit de reconnaître les crimes en série de l’empire américain. C’est — comme l’a dit Harold Pinter en abordant cette dernière question dans son discours de remise du prix Nobel — comme si « Cela n’est jamais arrivé. Rien n’est jamais arrivé. Même pendant que ça se passait, ça ne se passait pas. Cela n’avait pas d’importance. Cela n’avait aucun intérêt ».

Et parce que nous avons largement ignoré ces outrages à la dignité humaine et à l’éthique fondamentale de la guérison — les expliquant les très rares fois où ils sont mentionnés par le sempiternel « quelques pommes pourries » — nous nous retrouvons complètement désarmés face aux dangers d’une nouvelle imposition de politiques de santé publique hautement discutables, dirigée par des experts, ainsi que d’un cadre médical plus arrogant et moins capable de perspicacité personnelle et collective qu’on ne l’aurait jamais cru possible.

Cette nouvelle réalité est illustrée par un « dialogue » sur le contrôle du Covid que j’ai récemment eu avec un ami médecin qui a insisté, avec le style déclamatoire inimitable de sa caste, sur le fait que « nous savons ce que nous devons faire pour contrôler le Covid » : « Nous savons ce que nous devons faire pour contrôler le Covid. Il suffit d’utiliser les masques et la distanciation sociale. »

Lorsque j’ai exprimé mon scepticisme à ce sujet et que je lui ai demandé si, comme moi, il avait lu les données scientifiques disponibles sur l’efficacité de ces approches de contrôle, il m’a ignoré. Et quand j’ai à nouveau demandé s’il avait lu les données scientifiques, il a dit : « Vous pouvez citer toutes les futilités que vous voulez, mais nous savons que c’est ce qui fonctionne ».

En effet, je suis de plus en plus convaincu que la plupart des médecins en exercice ont lu très peu d’études sur le traitement clinique du Covid ou sur l’efficacité des mesures de santé publique inventées de toutes pièces en mars 2020 pour combattre la propagation de la maladie.

Au contraire, comme les « bons élèves » à l’esprit hiérarchique qu’ils étaient et qu’ils sont, ils supposent simplement que quelqu’un, quelque part en haut de la chaîne du pouvoir, a réellement lu des choses sur ces sujets, les a soumis à la critique et a décidé que tout cela était parfaitement logique. En effet, jamais le portrait que Thomas Kuhn a dressé de la pensée de la plupart des scientifiques en activité, semblable à un radotage et asservie à un paradigme, n’a paru aussi vrai.

Comment expliquer autrement le fait qu’un si grand nombre de médecins soient restés assis en silence alors que des absurdités flagrantes, anti-scientifiques et anti-logiques, étaient présentées au public jour après jour par leurs collègues des médias, et pire encore, qu’ils aient, dans de nombreux cas, organisé et mené des campagnes pour faire taire la minorité dans leurs rangs qui a le courage de contester ces affirmations absurdes et les politiques qu’elles rendent possibles ?

Avez-vous besoin d’exemples ?

Chacune des autorisations d’utilisation d’urgence (AUU) pour les trois injections Covid actuellement distribuées aux États-Unis indiquait clairement qu’il n’y a aucune preuve que les traitements pouvaient ou pourraient réduire la transmission, ce qui a été confirmé de manière éloquente par une multitude d’études sur les cas des personnes qui malgré l’injection ont été infectées au cours des deux ou trois derniers mois.

Votre serviteur, fidèle paysan trafiquant de « futilités », a lu ces AUU immédiatement après leur publication en décembre et janvier et s’est demandé comment ce fait saillant était compatible avec un déploiement de vaccins clairement ancré dans l’idée que la vaccination individuelle était la meilleure, voire la seule façon de « nous protéger tous » grâce à l’immunité de groupe.

Y a-t-il parmi les dizaines de milliers de médecins – qui préconisent sans relâche les injections au nom de la responsabilité collective –, quelqu’un qui a lu ces résumés d’efficacité clinique sur la transmission ?

S’ils ne l’ont pas fait, alors ils ont fait preuve de négligence professionnelle et ne méritent donc plus aucune déférence ni aucun respect.

S’ils l’ont fait, mais continuent à déclarer ou à laisser entendre que les injections stopperaient l’infection et la transmission, ils devraient être tenus responsables des décès et des blessures causés chez les personnes ayant reçu les injections en vertu de cette prémisse trompeuse.

Et si et quand le système de passeport vaccinal d’apartheid fait l’objet, comme il se doit, d’un examen judiciaire, ces mêmes médecins devraient se retrouver sur le banc des accusés avec les politiciens comme complices du crime pour avoir fourni un fondement intellectuel complètement faux au projet liberticide.

Où se trouvaient tous ces brillants esprits lorsque les CDC et la FDA, entièrement sous contrôle, jetaient par la fenêtre l’une des prémisses les plus élémentaires de l’immunologie, mettaient en doute à plusieurs reprises la réalité et la puissance de l’immunité naturelle, et suggéraient à plusieurs reprises qu’un vaccin non entièrement testé qui ne produit que des anticorps pour une partie du virus offre une meilleure protection que les défenses millénaires de l’organisme ?

Ont-ils protesté ? Ou au moins ont-ils eu la témérité de se moquer de l’idiotie de telles déclarations et suggestions ? Se sont-ils arrêtés et ont-ils demandé si cela avait un sens ? En dehors d’une minorité courageuse — l’Institut Brownstone entend quotidiennement parler de ces dissidents — très peu l’ont fait ou le font encore aujourd’hui.

La plupart d’entre eux ont agi comme un médecin que je connais qui, après avoir reçu d’un patient une pile d’études sur la puissance et la durabilité de l’immunité naturelle (dont il n’avait lu ni même entendu parler) ainsi qu’une demande de déclaration attestant la guérison du patient du Covid, a littéralement quitté la pièce pendant 15 minutes, pour revenir avec une déclaration peu convaincante et méprisante qui ne confirmait en rien la guérison de son patient ni le fait désormais scientifiquement indéniable de sa protection quasi totale contre l’infection et la transmission du virus.

Où sont les protestations de ces personnes qui, il y a quelques années encore, pouvaient être entendues pontifier sur la « nature sacrée » de la relation médecin-patient et la « doctrine de la nécessité médicale », alors que ces concepts fondamentaux de l’éthique médicale sont mis en pièces par des mandats de vaccination qui ne font aucune distinction entre la sensibilité individuelle des patients à la maladie ?

Ces radoteurs pathétiques d’Hippocrate ont-ils, au moins, pensé à ce que cela pourrait signifier pour la pratique de la médecine ? Après avoir encouragé les efforts du gouvernement pour imposer des injections expérimentales à des dizaines, et plus probablement à des centaines de millions de personnes pour lesquelles ces injections ne peuvent apporter aucun bien statistiquement significatif, et ne peuvent donc que nuire, ils ne sont pas en mesure d’arrêter les nouvelles demandes pharmaceutiques venant des forces combinées des grandes entreprises et du gouvernement.

Sur quelle base, par exemple, un médecin pourrait-il aujourd’hui s’opposer, au nom de son patient, à un employeur qui, brandissant un modèle statistique produit dans un institut quelconque, a décidé d’imposer la prescription universelle, par exemple, de statines ou, plus gravement encore, d’antidépresseurs parmi la population active, au nom de la réduction de la mortalité et de la maladie et/ou de la diminution des coûts d’assurance ?

Dans ce cas, un grand pourcentage de cette main-d’œuvre prendrait des médicaments dont elle n’a pas besoin. Mais après avoir plié devant les efforts déployés pour faire la même chose avec des médicaments à l’efficacité bien moins prouvée et aux effets secondaires totalement inconnus, pourquoi les bailleurs de fonds des entreprises consulteraient-ils les médecins à l’avenir ?

La triste vérité est qu’ils ne le feront pas.

Enfin, nous devons réaffirmer ce qui est sans doute l’une des plus grandes responsabilités d’un guérisseur (bien que la plus assidûment ignorée ces dernières années) : l’obligation de calmer et de rassurer le patient.

Où étaient les médecins qui faisaient tout pour dire à leurs patients que les chances statistiquement prouvées de mourir du Covid étaient minimes, à peu près les mêmes que celles de mourir de la grippe ? Où étaient ceux qui soulignaient à plusieurs reprises l’âge élevé et la comorbidité parmi les victimes mortelles de la maladie ?

Encore une fois, à d’honorables exceptions près, ces praticiens, pour la plupart très bien payés, ont complètement disparu, sauf lorsqu’ils se sont empressés d’utiliser les conseils médicaux de leur État pour harceler et sanctionner ceux de leurs collègues qui ont la témérité de rappeler ces vérités dérangeantes.

Pire encore, nombre d’entre eux ont choisi de nous mentir et de nous insulter encore davantage en nous assénant des platitudes, manifestement fausses, sur le fait que Covid est une « menace pour tous » qui « ne fait pas de discrimination entre ses victimes ».

Certains jésuites de ma connaissance avaient l’habitude de dire : « A qui l’on donne beaucoup, on attend beaucoup ». Au milieu du 20e siècle, les privilèges sociaux, la déférence et le pouvoir accordés auparavant aux clercs, puis aux écrivains, ont été léguée aux guérisseurs de la science.

Bien qu’ils aient fait beaucoup pour améliorer nos vies grâce à l’argent et à l’autorité que nous leur avons donnée, ils sont — même s’ils ne semblent pas en avoir conscience — tombés dans un grave état de décadence morale.

Si, comme leurs prédécesseurs du début du XXe siècle, ils avaient été contraints d’étudier et de reconnaître la menace toujours présente de l’orgueil démesuré dans les affaires humaines, ils auraient peut-être pu éviter ce dénouement historique.

Malheureusement, la plupart d’entre eux sont aujourd’hui des technocrates irréfléchis incapables de reconnaître, et encore moins de critiquer et de se distancier, des épistémologies de plus en plus restrictives dans lesquelles ils accomplissent leurs tâches quotidiennes. Et à cause de cette cécité œdipienne, ils perdront bientôt, bien plus tôt qu’ils ne le pensent, une grande partie du capital social qu’ils avaient supposé être le leur à perpétuité.

***

Texte original en anglais : https://brownstone.org/articles/the-treason-of-the-healers

Thomas Harrington est essayiste et professeur d’études hispaniques au Trinity College de Hartford (États-Unis). Il est spécialisé dans les mouvements ibériques d’identité nationale et la culture catalane contemporaine.