Première conférence publique de Krishnamurti à Saanen (dimanche 9 juillet 1978), traduite par René Fouéré dans un style respectant l’oralité. Fouéré effectuait la traduction des enregistrements sur place et les lisait au public francophone le lendemain. Le titre est de 3e Millénaire.
Je suis si navré, le temps est tellement mauvais. Ce n’est pas notre faute.
Comme nous allons avoir sept causeries et cinq discussions, je pense que nous devrions approfondir les choses très soigneusement, délibérément, peut-être dans le plus grand détail, prenant le temps, approfondissant tous nos problèmes et essayant de découvrir s’il y a quelque solution à tous ces problèmes. En conséquence, je prie ceux qui peuvent m’avoir entendu auparavant de prendre patience.
Je pense que la plupart d’entre nous sont occupés de nous-mêmes, que ce soit désespérément, occasionnellement ou de façon névrotique. Il y a ceux qui sont fort intéressés à leur relation avec le monde et avec eux-mêmes, avec leur petite famille, leur responsabilité à l’égard de cette famille, de leurs enfants ; et ceux qui sont déjà conditionnés névrotiquement. Nous tous, à différents degrés et à différentes profondeurs, nous sommes occupés de nous-mêmes, pas seulement dans l’ordre physique, avoir assez d’argent, de nourriture, de vêtements, avoir un abri, toutes choses qui sont peut-être assez faciles à se procurer, mais c’est bien davantage la préoccupation dans l’ordre psychologique que nous allons discuter, que nous allons étudier ensemble et peut-être alors, serons-nous capables de découvrir notre rapport avec le monde et les rapports entre chacun de nous.
Pourquoi sommes-nous psychologiquement si préoccupés au sujet de nous-mêmes, si intéressés à nous-mêmes ? Je pense que cette question doit être posée. Ou bien vous-vous posez cette question sérieusement, essayant de lui trouver une réponse correcte, une réponse vraie, au vous vous posez cette question plutôt superficiellement, occasionnellement. Seulement lorsqu’il y a un problème vital, vous êtes alors intéressé à vous-même, ou lorsqu’il y a une crise, ou lorsqu’il y a quelques incident ou accident qui amènent la douleur, la confusion, l’incertitude, alors vous vous posez cette question à vous-même. Et ainsi, selon notre conditionnement, selon notre tempérament et notre expérience, selon notre conditionnement social, économique, notre question au sujet de nous-mêmes, cette terrible préoccupation, pourquoi surgit-elle ?
Vous savez, si je puis le souligner une fois de plus, et j’espère que vous n’y verrez pas d’inconvénient, que nous partageons cette chose ensemble. Il n’y a pas d’orateur. L’orateur est vous-même. L’orateur ne fait qu’exprimer vos propres pensées, votre propre conditionnement, votre propre malheur, votre propre tristesse, votre propre douleur, vos peurs, etc. Ainsi, en fait, bien que l’orateur soit assis sur une estrade pour des raisons de commodité, dans la réalité, le fait psychologique est qu’il n’y a pas d’orateur, il n’y a que vous et moi qui nous examinons nous-mêmes, qui nous explorons nous-mêmes grandement, profondément ou — si vous êtes très, très sérieux — beaucoup plus profondément. Donc, je vous en prie, gardez présent à l’esprit, si je puis attirer votre attention sur ce point, que nous sommes en train d’examiner, d’explorer, d’étudier ensemble, qu’il n’y a pas d’orateur en tant que tel. Et j’entends dire cela très sérieusement.
Donc, nous demandons pourquoi la plupart des êtres humains d’un bout du monde à l’autre sont si occupés d’eux-mêmes ? De leurs relations avec un autre, de leurs rapports avec leur malheur, avec leur laideur psychologique, leur complexe varié ou schizophrénique; ou ils se demandent à eux-mêmes s’ils pourront jamais trouver quelque chose d’éternel, de beau, de vrai. Et dans leur recherche, s’agissant de ceux qui sont sérieux, ils sont pris dans des choses, telles que la religion, ils sont pris par les gourous variés, pris dans quelques croyances ou dans quelques idées ou dans quelques conclusions. Tout cela indique, n’est-ce pas, que nous sommes essentiellement occupés au sujet de nous-mêmes et que, par conséquent, en tant qu’individu, en tant qu’être humain, nous devenons le centre de l’univers, parce que nous sommes si absorbés, si engagés, si empêtrés, nous désirons si désespérément quelque chose ou quelque autre chose — le bonheur, l’illumination, comment nous conduire convenablement, ce qu’est l’action correcte. Ou, si vous avez un esprit névrosé, cette névrose devient de plus en plus forte parce que vous êtes préoccupés au sujet de vous-même. Et il y a tous ces prêtres psychologiques qui essaient de vous aider. Donc, on observe ce fait.
Pourquoi est-ce que les êtres humains sont si centrés sur soi, si effroyablement égoïstes, tellement pris dans leur propre anxiété, dans leur propre désir, leur solitude, leur désespoir, etc. ? C’est un fait quotidien ordinaire. Quelques-uns d’entre nous peuvent vouloir y faire face, et d’autres peuvent l’esquiver ou nous pouvons nous fuir nous-mêmes et nous identifier avec une nation, avec un dieu, avec un prêtre, avec quelque chose ou quelque autre chose.
Mais cette identification, c’est encore s’intéresser à soi — D’accord ? Donc pourquoi ? Parce que plus nous sommes occupés au sujet de nous-mêmes et plus notre aptitude à comprendre le tout devient impossible. C’est comme un torrent de montagne qui descend la pente en grondant, mais l’homme l’a maintenu avec le ciment et le roc de manière qu’il ne puisse déborder. Et nous faisons la même chose en ce qui nous concerne. Cette préoccupation à notre propre égard a une certaine qualité d’énergie. Et cette énergie est contenue, soigneusement canalisée, et étant pris dans cela, plus nous avons été préoccupés de nous-mêmes et plus le monde est devenu étroit et rigide, vous avez dû observer cela.
Donc, nous allons rechercher ensemble pourquoi les êtres humains, dans le monde entier, sont si ardemment, si subtilement — d’une manière très, très définie, s’ils ne sont pas stupides, s’ils ne sont pas endurcis, s’ils ne sont pas indifférents — par des chemins très, très subtils, préoccupés par leur centre. Et ce centre, avec son énorme énergie, ou bien amène une catastrophe, ou il y a une possibilité de briser ces murs étroits que nous avons construits artificiellement autour de nous-mêmes — ils peuvent être brisés et, par conséquent, il y a libération d’une terrible énergie. En sorte que, c’est ce dont nous parlons : s’il est possible pour les êtres humains, où qu’ils soient, socialement, économiquement, sous des formes variées, s’il est possible de renverser les murs étroits que l’homme; les êtres humains, dans le monde entier, ont édifié autour d’eux-mêmes. Et s’il est possible, sans aucun effort, non pas intellectuellement ni théoriquement hypothétiquement, mais réellement/dans notre vie quotidienne, s’il est possible de briser ce centre du soi préoccupé par son conditionnement. Peut-il jamais être brisé, et qu’il y ait en conséquence libération d’une extraordinaire qualité d’énergie ? Et cette énergie est nécessaire quand il n’y a pas de mur du tout, elle est nécessaire pour la méditation pour faire des recherches sur ce qu’est la vérité, pour qu’un terme soit mis à la douleur et qu’il y ait découverte de ce qu’est la compassion, l’amour.
Donc, j’espère que nous sommes suffisamment sérieux, puisque vous avez pris la peine de venir ici sous cet effroyable climat, cette année tout au moins. Donc, soyons sérieux. Parce que ceci n’est pas un divertissement, ce n’est pas un amusement intellectuel ou une recherche intellectuelle romanesque. Nous avons à mettre de côté, je le crains, tous nos sentiments, tout notre romantisme, notre imagination, nos sensations, notre désir de nouvelles expériences et à affronter le fait central. Je ne sais pas si vous pouvez y faire face parce que nous sommes très habiles dans l’art de nous dissimuler (les choses) derrière une façade de théories, d’opinions, de jugements et de nous y accrocher agressivement, passivement ou inconsciemment. En sorte qu’il sera très difficile d’explorer aisément, sans aucune contrainte, sans aucune pression, sans aucune récompense ou punition, de simplement pénétrer à l’intérieur de nous-mêmes et de nous regarder, et de découvrir, si nous le pouvons, pourquoi vous et les êtres humains, d’un bout à l’autre du monde, avez fait de cela une question centrale, un problème central. Et cela signifie avoir l’aptitude à regarder. À regarder sans aucune distorsion, parce que toute idée, toute conclusion, toute opinion, toute expérience est un facteur de distorsion. D’accord ? Je vous en prie, comprenez cela. Votre expérience même — qu’elle soit sexuelle ou appartienne au type varié d’expérience emmagasinée en tant que mémoire — devient dans la recherche, dans l’observation, un facteur de distorsion, évidemment. Ceux d’entre nous qui avons de très fortes opinions, — et agressivement — ou des jugements, ces dispositions deviennent encore des facteurs de distorsion. Et si vous croyez — en quoi que ce soit que vous puissiez croire — en accord avec votre conditionnement particulier, cette croyance, avec toutes ses associations, avec toute sa tradition, avec tout le passé, devient un facteur qui s’opposera à l’observation claire, lucide.
Ainsi, afin d’étudier profondément cet énorme et complexe problème, il faut être libre pour observer, non pas ce que vous pensez et ce que je pense, ce que vous sentez et ce que je sens, ce que sont vos conclusions ou les miennes, aucune de ces choses n’a aucune importance quand on observe, quand on voit clairement pourquoi les êtres humains sont si désespérément préoccupés d’eux-mêmes — D’accord ?
Quand vous écoutez ces déclarations de l’orateur, écoutez-vous réellement ? Ou vous formez-vous une conclusion ou une idée à propos de de que vous entendez ? Vous comprenez ? Écoutez-vous réellement ce qui est dit ? Ou, en l’écoutant, en avez-vous fait une abstraction, et cette abstraction devient une idée avec laquelle vous êtes en accord ou en désaccord, ou, si vous êtes d’accord, discutez vous propos de cette idée, ou, si vous êtes en désaccord, la rejetez-vous ? Mais, en fait, vous n’écoutez pas. Donc, on doit se rendre compte si vous écoutez en vue de découvrir par vous-mêmes pourquoi ce rétrécissement, cette résistance qui entraîne une dépense d’énergie et qui devient de plus en plus étroit, de plus en plus égoïste ? Et cet égoïsme est soit si domestiqué que vous dites que ce n’est pas de l’égoïsme, ou vous l’avez identifié à quelque chose de plus grand et vous dites que c’est plus grand, je ne suis pas grand, par conséquent, je me préoccupe de cela, et non pas de ceci. Et cette identification, c’est cela d’une manière plus vaste, plus rétrécie.
J’espère que vous suivez tout cela. Comme nous l’avons dit, il n’y a pas d’orateur. N’est-ce pas là une merveilleuse idée ? Qu’il n’y a pas d’orateur ! Je viens juste de la découvrir. Que nous nous regardons dans le miroir et que le miroir nous raconte toute l’histoire nous dit tout. Mais, vous devez savoir comment regarder dans le miroir — non pas comment interpréter ce que vous voyez dans le miroir, ou comment jouer avec ce que vous voyez dans le miroir. Mais si vous savez comment regarder, cette observation même amènera l’action juste, l’action correcte, chaque chose tombera à sa juste place. Ce n’est pas une déclaration rhétorique. C’est un fait réel.
Donc, nous recherchons sérieusement pourquoi les êtres humains, avec ce monde merveilleux autour d’eux, la beauté, l’extraordinaire nature, la qualité de l’eau, les oiseaux, la mer et la terre, et le ciel et les cieux au-dessus d’eux, pourquoi ils ont réduit toutes ces choses à ce petit atome étroit, à cette petite chose, et pourquoi ils écrivent d’énormes livres à son sujet et cherchent comment s’en débarrasser, que faire, quelle pratique adopter, comment méditer, se sacrifier, se renier, s’interdire la nourriture, jeûner, faire toute chose pour se débarrasser du petit « moi ». Il y a cette futilité du sacrifice, cette futilité du déni du « moi » et de l’identification à quelque chose d’autre, à la famille, à la nation, à une croyance, à un dieu, à ce qui est international — vous suivez ? — ces innombrables formes d’identification qui ne résoudront pas le problème. Qu’est-ce qui dissoudra cette chose qui est si corruptrice, qui est toujours à la recherche du pouvoir, d’une position, de l’autorité, qui s’empare pour elle-même, de toute chose, qui utilise le savoir comme un moyen pour obtenir davantage de succès, davantage de pouvoir, davantage de satisfaction, etc. ?
Maintenant, pouvons-nous réellement observer ? — non seulement l’idée du « moi », l’idée de ce centre, mais aussi, observer le mouvement des sens, de divers sens, ce mouvement qui constitue, en fait, les sensations. Ces sensations, le toucher et tout ce qui s’en suit, ces sensations existent, elles sont réelles, elles doivent avoir lieu, vous ne pouvez renier ces sensations. Mais quand la pensée s’identifie avec ces sensations alors, la structure du centre commence à se former — vous comprenez ? D’accord ? Je vous en prie, il ne s’agit pas d’observation intellectuelle, simplement d’un fait quotidien ordinaire ; si vous observez, ce sont les sens qui observent.
On aime une forme particulière de nourriture, de boisson, on aime fumer, on aime les drogues, et alors, la pensée s’identifie avec cette nourriture particulière, elle parle du goût qu’elle a, de l’odeur qu’elle a, du délice que cela représente pour elle, et avec cette identification, par cette identification, le centre est formé. C’est évident.
Maintenant, pouvez-vous observer — je vous en prie, écoutez cela, c’est très intéressant si vous l’approfondissez — pouvez-vous observer le mouvement des sensations, qu’elles soient sexuelles, que ce soit le goût, l’ouïe ou la vision, pouvez-vous observer le mouvement de ces sensations naturelles ordinaires, sans vous identifier à elles ? Comprenez-vous cela ? Est-ce que je dis quelque chose d’étrange, de névrotique ou de bizarre ? C’est très important de comprendre cela, parce que nous allons approfondir ce problème de l’identification. L’identification étant l’attachement, l’inséparable attachement avec toutes ses associations, et donc, il y a cela. L’identification est un mouvement de l’énergie, et cette énergie devient de plus en plus limitée, c’est ce qui constitue le centre. D’accord ?
Donc, nous demandons : y a-t-il une observation des sens, sans qu’aucune forme de pensée s’identifie avec une forme particulière ? Les sensations sont naturelles. Si vous n’aviez pas de sensations, vous seriez complètement paralysé — peut-être que la plupart d’entre nous le sont, mais seulement dans une direction particulière, sexuelle ou autre. Mais nous parlons du mouvement de tous les sens et non de celui d’un sens particulier.
Si vous voyez la logique de cela, la raison de cela, à savoir que, du moment que la pensée s’identifie avec une sensation particulière ou avec toutes les sensations, cette identification est le mouvement qui consiste à faire passer cette vaste énergie dans un canal étroit. D’accord ? Me suis-je expliqué ? Ai-je rendu la chose claire ? Non pas moi — il n’y a pas d’orateur, simplement, dans la conversation entre nous, en tant que nous sommes deux êtres humains, nous sommes en train de découvrir cela. Nous le découvrons. Pas l’orateur, il n’y a pas d’orateur. Ainsi, nous découvrons que toute forme d’identification, pas seulement avec les sens, mais avec la famille, la nation, les idées, les conclusions, etc., est le début du rétrécissement de cette vaste énergie, laquelle se limite elle-même, et, par conséquent, résiste au vaste mouvement de la vie. D’accord ?
Puis-je reprendre mon souffle ?
Donc, nous nous demandons, pendant que vous êtes assis là : pouvez-vous observer vos sens, sans aucune identification ? Identification avec le corps — voyez, c’est très, très sérieux ce que nous sommes en train d’étudier, si vous ne désirez pas écouter, n’écoutez pas, pensez à quelque chose d’autre. Mais, si vous écoutez, écoutez avec votre cœur, avec votre esprit, avec tout votre être, car nous essayons d’étudier cette question de la libération de la terrible énergie qui est maintenant canalisée à l’intérieur d’une très petite, très étroite prison, à partir de laquelle nous agissons. Et, il n’y a pas seulement identification avec les sens, donc avec le corps, mais ensuite l’identification avec le nom, naturellement. D’accord ? Même si vous vous donnez un autre nom, ou un nouveau numéro, c’est encore une identification — ce que font les moines, etc. Pourquoi la pensée s’identifie-t-elle constamment avec quelque chose ? Vous comprenez ma question ? C’est ce que vous faites : ma femme, mon enfant, ma famille, ma fille, mon fils, ma maison, ma qualité. J’ai accumulé tant d’expérience, je dois m’appuyer sur cette expérience. Je m’identifie avec le Christ, avec Krishna, vous savez, toute la gamme des objets d’identification ! Pourquoi la pensée s’identifie-t-elle toujours avec une chose ou une autre ?
Si je puis poser la question non en tant qu’orateur, vous vous le demandez vous-même, ne vous demandez-vous pas vous-même pourquoi ? Pourquoi faut-il que je m’identifie avec la forme, avec le nom, avec toutes les expériences que j’ai accumulées, ou l’identification future, pourquoi ? Pourquoi la pensée fait-elle tout le temps cela ? Ma maison, ma femme, ma croyance, mon Dieu, mon pays. Je suis anglais, vous êtes français; je suis allemand, vous êtes russe. Vous suivez ? Pourquoi ? Est-ce parce que la pensée étant dans un état de flux constant — Je vous en prie, découvrez-le, je suis simplement en train de chercher, découvrez-le ! — la pensée étant dans un état de flux, de mouvement constant, a besoin d’une sécurité au sujet de quelque chose ? Cherchez, je vous en prie, vous êtes en train de chercher, de vous demander cela à vous-mêmes.
Quand vous dites: « C’est ma maison », cela vous donne une certitude, une stabilité, une sécurité. Quand vous, quand la pensée s’identifie avec une maison, c’est nécessaire, n’est-ce pas ? Cela lui donne sécurité, abri, sûreté, protection. L’identification physique avec la maison lui donne une sécurité. Mais observez la chose ! Ce mouvement d’identification ayant une nécessité physique est repris psychologiquement. D’accord ? Là il est nécessaire, mais ici il peut ne pas l’être du tout. Mais nous faisons cela constamment — à partir de la nécessité, qui inclut mes pantalons ou ma chemise ou mon blazer ou n’importe quoi que je puisse porter (bien que je puisse ne pas m’identifier avec ces choses). Mais il y a l’attachement, les besoins physiques, et, à partir de cela, le besoin envahit le terrain psychologique et dit « C’est nécessaire là aussi » et il se peut qu’il n’en soit rien. Vous suivez tout cela ? Je me le demande.
Est-ce que cela n’a pas lieu toujours ? Généralement, à partir de ce qui est purement physique, le besoin de nourriture, le besoin de vêtements, le besoin de propreté et tout ce qui s’en suit, ce mouvement déborde dans le domaine psychologique, et le débordement de cela en direction de ceci peut être totalement inutile, sans nécessité, cela peut être une illusion. Il y a seulement cela et non pas ceci. Je me demande si je me fais bien comprendre ? Nous étudierons cela très soigneusement.
Après tout, quel est le terrain., le domaine, le champ de la psyché ? Vous comprenez ? Nous comprenons plus ou moins ce qui est physique. On a besoin de nourriture, de vêtements et d’abri, c’est évident. Et le danger vient quand nous nous identifions nous-mêmes avec cela. Nous disons : « Ce sont mes vêtements ». D’accord ? « Ce sont mes biens, n’y touchez pas ! » Or, cette nécessité a été identifiée comme mienne par la pensée, et c’est le même mouvement qui passe du physique au psychologique. Mon expérience, mes désirs, mes nostalgies. Vous comprenez ? Je me demande si vous comprenez cela ? Parce que, voyez-vous, ce que nous essayons de souligner c’est qu’il n’y a pas d’orateur. En observant dans le miroir, si vous observez très soigneusement, vous pourrez voir que ce qui est nécessaire physiquement, cette même idée, a été transporté dans le domaine psychologique, et que, là, c’est devenu beaucoup plus important que dans l’autre domaine. On peut n’avoir que peu de nourriture et ne pas s’en soucier. Mais, ne portez pas atteinte à mon pouvoir ! J’ai besoin de ma position ; je veux ceci, je veux cela, psychologiquement. Vous comprenez ce que je dis ? Êtes-vous en train de découvrir cela par vous-mêmes, dans le miroir ? Ou, est-ce que je le signale et vous l’observez, et l’acceptez ? Cette acceptation n’est qu’une forme de persuasion, une sorte de pression. Lorsqu’il y a pression, acceptation, il n’y a pas de recherche.
Ainsi, nous arrivons à quelque chose d’autre qui est : pouvez-vous être libre de toute pression ? Vous comprenez ? Pour observer la pression des institutions. D’accord ?
L’institution de l’Église, l’institution du gouvernement, l’institution de tant de choses. Le mot « institution » vient du latin, etc. Il veut dire rester, demeurer, être mis en place. Et, ne le déplacez pas ! Ainsi, nous sommes généralement sous la grande pression des institutions : peut-être pouvez-vous n’en être pas conscient, mais, si vous observez, vous vous rendrez compte que vous l’êtes. Les institutions, qu’elles soient démocratiques, totalitaires, socialistes, économiques, vous suivez ? Cette constante pression ! Ensuite, il y a la pression des idéologies, de l’idéal, qui est peut-être plus effroyable que la pression économique ; la pression des théories. D’accord ? Connaissez-vous tout cela ? Avez-vous pris conscience de tout cela ? La pression des livres, la pression du savoir, la pression de l’autorité, la pression d’une famille, la pression de la femme sur le mari ou du mari sur la femme, la fille et le garçon, cette pression constante ! Et la pression de l’expérience, du savoir. Vous comprenez ? Ce n’est pas simplement la pression de quelqu’un sur vous, le gouvernement ou quelqu’un, mais, intérieurement, cette pression énorme du fait d’avoir acquis de l’expérience, du savoir, et ce savoir exerce une pression incessante. Faites ceci, ne faites pas cela, ceci est juste, cela est faux, vous allez avoir davantage de savoir ! Est-on conscient de tout cela ? Je crains que non.
Et la pression des rapports. D’accord ? Nous n’approfondirons pas tout cela. Nous le ferons un peu plus tard, lorsque nous poursuivrons.
Donc, nous disons : « vous ne pouvez pas observer cette extraordinaire structure du centre, la préoccupation au sujet du centre. Car, pour observer cela librement, sans aucune pression, il faut que le regard soit libre. Mais, la plupart d’entre nous subissent une pression. La plupart d’entre nous, quand vous observez, ont un motif et ce motif devient la pression : « Quand j’observe, je dois comprendre la chose, je dois la dépasser, il doit y avoir une récompense à la fin de ce sacré cirque ! » Vous comprenez ? Cette grande pression constante, par le motif, par le désir, par la récompense, par le fait d’échapper à la punition, etc. Aussi longtemps qu’il y a ce poids, l’observation à l’intérieur de la cause pour laquelle les êtres humains se sont réduits eux-mêmes à de si étroites petites entités humaines, si préoccupés au sujet d’eux-mêmes, du matin au soir, cette observation est impossible.
Autrement, vous ne voudriez pas avoir de gourou ! Autrement, vous ne voudriez pas avoir de prêtres et de religions. Autrement, vous ne voudriez pas avoir tout cet énorme ensemble de prêtres psychologiques ! Vous comprenez ? Tout cela indique naturellement cette préoccupation au sujet de nous-mêmes.
Et peut-on vivre sans avoir du tout cette préoccupation ? Alors, seulement, il y a la paix, alors seulement, il y a amour et compassion lorsqu’il y a un centre, maintenu, en tant que moi, par la pensée, dans une étroite ornière, il doit y avoir souffrance, violence et brutalité, cruauté, haine. La totalité de ces choses est centrée là. C’est un fait réel.
Alors, la question suivante est : est-il possible de briser cela ? Pas avec un ciseau et un marteau, comme beaucoup d’entre nous sont aptes à le faire, marteau psychologique, ciseau psychologique : faire un effort, se discipliner, se contrôler, se sacrifier, se nier toutes choses qui sont un marteau. D’accord ? Donc, nous demandons : est-il possible de briser cela, ces murs qu’on a construits autour de soi, sans un simple mouvement d’effort ? Car, si vous faites un effort, vous vous identifiez vous-même avec ce qui arrivera, quand vous briserez le mur. Vous comprenez ? Ce qui est encore une autre structure du « soi » étroit. Je me demande si vous voyez tout cela ? Oui ? D’accord ? Donc, est-ce que cela peut être brisé ? C’est le problème. C’est réellement la question centrale pour toute l’humanité. Il n’y a pas d’autre issue, pour l’homme, politiquement, religieusement, économiquement, que de mettre un terme à cette pensée colossale centrée sur soi, cet égoïsme subtil qui engendre la division et tout ce qui s’en suit. C’est le problème central. Et c’est la question centrale de la religion. Pas de tout ce cirque qui se déroule dans le monde, dans les églises, dans les mosquées, les temples, les assemblées religieuses. L’essence de la religion, c’est d’en finir avec le soi, totalement, complètement.
Quelle heure est-il, Monsieur ? (onze heures trente) Dois-je continuer ? Ou en avez-vous assez de cela pour ce matin ? Nous avons commencé cinq minutes en retard, donc, je vais continuer pendant cinq minutes encore.
Si vous avez regardé soigneusement, sérieusement, dans le miroir, non pas seulement votre visage, ou vos cheveux, ou vos sourcils, ou la coloration de votre peau, et tout ce qui s’en suit, mais regardez sans aucune direction, parce que la direction est une distorsion. Je vous en prie, comprenez cette unique chose, et alors, vous serez capable de voir dans le miroir très clairement. Nous agissons toujours dans une direction particulière — celle du succès, et tout ce qui s’en suit, je n’ai pas à entrer dans les détails. Donc, pouvez-vous observer, sans aucun mouvement ? Le mouvement étant le fait de la pensée qui regarde. Je me demande si vous voyez cela.
Voyez-vous, quand vous regardez quelque chose, peu importe de quoi il s’agit, c’est la pensée qui regarde. Avez-vous découvert cela ? La pensée, c’est-à-dire, l’imagination, la fantaisie, la mémoire, le passé. D’accord ? Pouvez-vous regarder sans le mouvement de tout cela ? Autrement, vous ne pouvez pas voir clairement. Voyez la logique, la raison de cela. Si vous voyez la raison, la logique, le caractère sain de cela, la vision même de ce caractère écartera tout cela. Vous comprenez ? C’est la personne qui n’a pas l’esprit clair, qui introduit toutes ces choses. Et ce sont ceux qui sont sensés qui regardent, parce qu’ils sont lucides. Ce qui signifie que ce n’est pas une chose saine de vous remémorer toutes vos maladies, toutes vos douleurs passées. Mais, quand ces choses sont mises de côté, vous pouvez regarder très clairement sans aucune difficulté. Le fait même de regarder met alors de côté toutes ces choses qu’il n’est pas sain d’introduire. Vous comprenez ce que je dis ? L’urgence même de regarder rejette ces choses qui s’opposent à la vision réelle. D’accord ? Est-ce que c’est clair ? En cas de très urgente nécessité de quelque chose — comprenez-vous ? —, vous oubliez tout ce qui concerne n’importe quoi d’autre. La nécessité urgente crée — par quelqu’un en train de mourir, par le feu —, cette nécessité urgente écarte totalement le mouvement du passé : vous agissez!
Regardez dans le miroir, et vous regardez dans le miroir sans aucune persuasion, sans aucune pression, parce qu’il n’y a pas d’orateur, mais vous ne faites que vous observer vous-même dans le miroir ; et la raison, la logique vous a dit que le monde, tel qu’il est, avec toute sa violence, sa brutalité, son insanité, est créé par ce centre, au nom de la paix, au nom du Christ, au nom de la nationalité, de la fraternité, vous savez, toute la gamme. Pouvez-vous regarder ? L’intensité et le caractère urgent d’observer écartent toute interférence de la pensée, avec toutes ses images et ses associations. Le faites-vous ? Ou écoutez-vous l’orateur quand il dit qu’il n’y a pas d’orateur ? Vous comprenez ? Il n’y a pas d’orateur ! Et je veux dire cela, désespérément et passionnément. Et je dis cela avec une grande affection, avec amour, car, alors, vous regardez dans le miroir, vous-même. Ce n’est pas l’orateur qui vous influence, vous contraint, vous pousse, vous persuade. Donc, vous êtes ici, si on peut le souligner, non pour écouter l’orateur, mais pour écouter, pour vous observer vous-même dans le miroir. Et toute l’histoire de l’humanité est révélée là ! Et quand vous regardez avec intensité, cela devient si absolument simple. D’accord ?