J. Krishnamurti
Être est le plus grand des miracles

Le titre est de 3e Millénaire Question : Pourquoi ne faites-vous pas de miracles ? Tous les instructeurs en ont fait. Krishnamurti : Que voulez-vous dire par miracles ? Guérir les malades corporellement, et ceux qui sont malades psychologiquement ? Les deux choses ont été faites. D’autres l’on fait et moi aussi je l’ai fait. […]

Le titre est de 3e Millénaire

Question : Pourquoi ne faites-vous pas de miracles ? Tous les instructeurs en ont fait.

Krishnamurti : Que voulez-vous dire par miracles ? Guérir les malades corporellement, et ceux qui sont malades psychologiquement ? Les deux choses ont été faites. D’autres l’on fait et moi aussi je l’ai fait. Mais cela n’est d’aucune importance, n’est-ce pas ? Être guéri psychologiquement est plus important qu’être guéri physiquement, parce qu’être malade psychologiquement affecte le corps, qui, à son tour, devient malade. Par conséquent, l’état de santé psychologique est de beaucoup plus important que la santé physique – ce qui ne veut pas dire que nous devions refuser le bien-être physique ; mais se concentrer simplement sur la santé physique ne provoquera pas un bien-être psychologique. Tandis que, s’il y a une transformation dans la psyché, dans l’esprit, cela agira inévitablement sur le bien-être du physique. Le miracle que nous voulons tous, que nous espérons tous voir arriver, est en réalité un signe de paresse, d’irresponsabilité. Nous voulons que l’on fasse notre travail pour nous. Si je puis me permettre de parler de moi-même, il fut un temps où moi aussi faisais le guérisseur ; mais j’ai découvert qu’il était bien plus important de guérir l’esprit, l’état intérieur de l’individu. Car, lorsque chacun de nous pourra trouver les richesses intérieures, il y aura une amélioration des maladies physiques. Celui qui se borne à se concentrer sur les guérisons physiques peut devenir populaire, attirer des foules, mais cela ne mènera pas l’homme au bonheur. Donc, nous devrions nous concentrer sur la guérison du vide intérieur, la maladie interne, la corruption interne, la déformation interne – et cela ne peut être fait que par vous. Personne ne peut vous guérir intérieurement, et c’est cela le miracle de la chose. Un docteur peut vous guérir extérieurement, un psychanalyste peut vous aider à être normal, à être adapté à la société ; mais aller au-delà de cela, ce qui veut dire être réellement bien portant, intérieurement vrai, clair, entièrement non corrompu – cela, vous seul pouvez le faire et personne autre que vous ; et je crois que se guérir soi-même complètement et Être est le plus grand des miracles. C’est cela que nous avons fait ici au cours de ces trois derniers mois : voir par nous-mêmes les causes des maladies intérieures, des conflits intérieurs, des contradictions intérieures, observer les choses telles qu’elles sont, très clairement, purement et avec précision ; et lorsque toute chose est vue clairement, le miracle survient. Car lorsque ce qui est est perçu sans déformation, il y a compréhension ; et cette compréhension engendre une qualité guérisseuse. Mais la compréhension ne peut provenir que de votre propre lucidité individuelle et non par le miracle que fait un autre, non par l’impression, l’influence, la contrainte ou l’imposition de l’idée d’un autre.

Des miracles, certes, se produisent. Ils se produisent tout le temps, mais nous n’en sommes pas conscients. Physiquement aussi bien que psychologiquement, intérieurement aussi bien qu’extérieurement, vous n’êtes pas le même aujourd’hui qu’hier. Le corps subit des transformations tout le temps, et il en est de même de la nature intérieure, de l’esprit ; et si nous pouvons le suivre avec facilité et rapidité, nous verrons quel extraordinaire miracle se produit en nous et autour de nous – le miracle étant la constante nouveauté, la fraîcheur de la vie, l’infinie beauté, la souplesse, la profondeur de l’existence. Mais l’homme ne peut pas suivre rapidement s’il est attaché, s’il est prisonnier, s’il est incessamment préoccupé de ses réussites, de ses inquiétudes, de ses poursuites.

Pour l’homme ambitieux il n’y a pas de miracle, parce qu’il sait ce qu’il veut et l’obtient ; mais l’homme qui est incertain, qui ne demande rien, pour lui la vie est un miracle, un miracle de continuel renouveau ; et nous manquerons ce renouveau si nous ne faisons que rechercher un résultat, un but.

Question : Vous avez dit qu’une certaine transformation a eu lieu chez tous ceux qui vous ont écouté. Je suppose qu’ils doivent maintenant attendre les manifestations de cette transformation. Comment, dès lors, pouvez-vous dire qu’elle est immédiate ?

Krishnamurti : Tant que nous cherchons à obtenir une transformation, il n’y aura certes pas de transformation. Tant que nous pensons en termes d’hier, d’aujourd’hui et demain, il ne peut évidemment pas y avoir de transformation, parce que l’esprit est encore pris dans le filet du temps. Si je veux changer immédiatement, maintenant, si telle est mon intention, cela n’est pas possible, parce que je pense en termes de durée, d’aujourd’hui et demain. Tant que nous pensons en termes de présent et de futur, il ne peut pas y avoir de transformation, parce qu’alors la transformation n’est qu’un changement, une continuité ; mais dès que la pensée est libérée du temps, il se produit une transformation intemporelle (ce qui n’est pas une contradiction). Je veux dire que tant que l’on pense à un problème, le problème continuera. La pensée, qui est le produit du passé, crée le problème ; et ce qui est le résultat du passé ne peut pas résoudre le problème. Il peut le regarder, il peut l’examiner, il peut l’analyser, mais il ne peut pas résoudre le problème. Le problème – n’importe quel problème, un problème de mathématiques ou de rapports humains ou un problème idéologique – n’est résolu que lorsque le processus de pensée arrive à un terme, lorsque l’esprit, qui est la pensée, le résultat de nombreux hiers, s’arrête. Ce qui est le résultat du temps ne peut pas engendrer une transformation ; lorsqu’il le fait, ou il y aura un changement qui ne sera qu’une continuité modifiée, ou le problème deviendra plus complexe. Tandis que s’il y a une lucidité passive du problème, une observation sans condamnation ni justification, vous verrez qu’il y aura une transformation immédiate, une cessation immédiate de ce problème. Et après tout, lorsque nous parlons de transformation, de quoi voulons-nous parler ? De la cessation d’un problème, évidemment. Pourquoi un homme veut-il être transformé ? Parce qu’il est dans un état de misère, de conflit, parce qu’il a des soucis quotidiens ; et il ne peut y avoir de transformation, de résolution du problème que lorsque l’esprit, le penseur qui est le créateur du problème, se comprend lui-même – ce qui veut dire lorsque le processus de pensée se rapportant à un problème arrive à sa fin. C’est toujours cela que vous faites lorsqu’il y a un problème aigu. Vous y pensez, vous vous tourmentez, et lorsque la pensée ne peut pas aller plus loin, vous l’abandonnez. Alors, en ce calme le problème est compris et résolu, et à ce moment-là, il y a une immédiate transformation. Monsieur, si vous vous en rendez compte, c’est cela le processus par lequel nous passons tous les jours, n’est-ce pas ? De même qu’un fermier cultive son champ au printemps, puis sème et moissonne, et laisse la terre reposer pendant l’hiver, ainsi, si nous sommes lucides, nous verrons que l’esprit est toujours en train de cultiver, de semer et de récolter ; mais, malheureusement, il ne se permet jamais de se mettre en jachère et c’est en ce repos, tout comme pour la terre, qu’est le renouveau. De même que pendant l’hiver, sous les pluies, sous les tempêtes et les rayons de soleil, le champ retrouve une jouvence, ainsi l’esprit se recrée et se renouvelle lui-même lorsque chaque problème est dissous. C’est-à-dire qu’en cultivant chaque problème, en entrant pleinement, profondément, complètement en lui, il y a la mort de ce problème et, par conséquent, un renouveau. Faites-en l’expérience et vous verrez combien extraordinairement vite et facilement chaque problème est résolu lorsqu’il est vu clairement, distinctement, avec pureté. Mais pour voir un problème très clairement, sans déformation, vous devez y appliquer votre pleine attention – et c’est là que réside la difficulté. Nos esprits sont constamment distraits, fuyants, parce que voir un problème clairement pourrait entraîner une action qui provoquerait de nouvelles perturbations ; donc l’esprit évite constamment d’affronter le problème, augmentant de ce fait l’intensité du problème, mais lorsque la chose est vue très clairement, sans déformations, vous verrez que le problème lui-même a une réponse à vous donner.

Donc, tant que nous pensons en termes de transformation, il ne peut pas y avoir de transformation, ni maintenant ni dans l’avenir. La transformation a lieu immédiatement lorsque chaque problème est compris au fur et à mesure qu’il surgit, et l’immédiateté de cette transformation dépend de votre compréhension du problème. Vous ne comprenez un problème que lorsqu’il n’y a ni condamnation ni justification, lorsque vous le regardez vraiment, lorsque vous pouvez aimer ce problème. Alors vous verrez qu’il donne sa réponse, et par conséquent, il y a une libération ; et en cet instant de liberté il y a un renouveau, il y a une transformation. L’esprit s’est renouvelé et est alors libre de s’attaquer au prochain problème qui surgit. Monsieur, il n’est pas nécessaire que la vie soit une succession de problèmes. La vie est provocation et réponse ; la provocation est toujours neuve et si la réponse est conditionnée par le vieux, les problèmes continuent à surgir. Mais si la réponse est aussi neuve que la provocation, il y a un constant renouveau, une constante transformation ; et la réponse n’est neuve que lorsque la pensée, qui est le produit de la mémoire – de la mémoire psychologique, pas de celle des faits – est comprise et non emmagasinée. Alors la réponse est aussi neuve que la provocation et, par conséquent, la vie est un perpétuel mouvement, un être sans effort, en lequel est une félicité – non cette constante lutte pour devenir, pour se transformer en quelque chose.

Question : Quelles bases correctes pouvons-nous donner à nos moyens d’existence ? Comment puis-je découvrir si mes moyens d’existence sont moraux et comment puis-je gagner ma vie avec équité dans une société foncièrement mauvaise ?

Krishnamurti : Dans une société foncièrement mauvaise il ne peut pas y avoir une façon correcte de gagner sa vie. Qu’arrive-t-il à travers le monde, à notre époque ? Quels que soient nos moyens d’existence, ils nous mènent à la guerre, à la misère et à la destruction générales – ce qui est un fait évident. Quoi que nous fassions conduit inévitablement à des conflits, à la décomposition, à la cruauté, à l’affliction. La société actuelle est foncièrement mauvaise ; elle est fondée, n’est-ce pas, sur l’envie, la haine et le désir de puissance ; et une telle société doit nécessairement créer de mauvais moyens d’existence, tels que le soldat, le policier, l’homme de loi. Par leur nature même ce sont des facteurs de désintégration dans la société ; et plus vous avez d’hommes de loi, d’agents de police et de soldats, plus évidente est la décomposition de la société. C’est cela qui se produit à travers le monde : il y a de plus en plus de soldats, d’agents de police, d’hommes de loi, et naturellement l’homme d’affaires va avec eux. C’est tout cela qui doit être changé afin de fonder une société juste – et nous pensons qu’une telle tâche est impossible. Elle ne l’est pas, Monsieur ; mais c’est vous et moi qui devons le faire. Car, à présent, quoique nous entreprenions pour subsister soit crée de la misère pour un autre, soit conduit à l’ultime destruction de l’humanité – c’est ce qui nous est montré dans notre existence quotidienne. Et comment cela peut-il être changé ? Cela ne peut être changé que lorsque vous et moi ne cherchons pas le pouvoir, ne sommes pas envieux, ne sommes pas pleins de haine et d’antagonisme. Lorsque vous, dans vos rapports humains, engendrez cette transformation, vous aidez alors à créer une nouvelle société, une société dans laquelle il y a des personnes qui ne sont pas soumises à la tradition, qui ne demandent rien pour elles-mêmes, qui ne poursuivent pas le pouvoir, parce qu’elles sont intérieurement riches, elles ont trouvé la réalité. Seul l’homme qui cherche la réalité peut créer une nouvelle société ; seul l’homme qui aime peut amener une transformation dans le monde. Je sais que cela n’est pas une réponse satisfaisante pour la personne qui veut savoir comment gagner proprement sa vie, dans la présente structure de la société. Faites pour le mieux dans la présente structure de la société – devenez un photographe, un marchand, un homme de loi, un agent de police ou autre chose. Mais si vous le faites, soyez conscient de ce que vous êtes en train de faire, soyez intelligent, lucide, pleinement averti de ce que vous perpétuez, reconnaissez l’entière structure de la société, avec sa corruption, avec sa haine, avec sa convoitise, et si vous ne vous laissez pas entraîner dans toutes ces choses, peut-être pourrez-vous alors créer une nouvelle société. Mais dès que vous demandez s’il existe une façon équitable de gagner sa vie, toutes ces questions sont inévitablement là, n’est-ce pas ? Parce que vos moyens d’existence ne vous satisfont pas – vous voulez être envié, vous voulez être puissant, vous voulez plus de confort et de luxe, une situation et de l’autorité, donc, inévitablement, vous créez ou maintenez une société qui apportera la destruction à l’homme, à vous-même. Et si vous voyez clairement ce processus de destruction dans votre façon de subvenir à vos besoins, si vous voyez que ce processus de destruction est le résultat de votre poursuite, il est évident que vous trouverez des moyens corrects de gagner de l’argent. Mais d’abord, vous devez voir le tableau de la société telle qu’elle est, une société corrompue, en voie de désintégration ; et lorsque vous le voyez très clairement, vos moyens de gagner votre vie viendront. Alors d’abord vous devez voir le tableau, voir le monde tel qu’il est, avec ses divisions nationales, avec ses cruautés, ses ambitions, ses haines, ses dominations. Alors, au fur et à mesure que vous le voyez plus clairement, vous trouverez qu’une façon de gagner votre vie avec équité se présentera – vous n’avez pas besoin de la chercher. Certes, la difficulté, pour la plupart d’entre nous, est que nous avons trop de responsabilités ; des parents âgés comptent sur nous pour que nous subvenions à leurs besoins. Et comme il est difficile de trouver un emploi dans la société telle qu’elle est à présent, tout emploi est le bienvenu. Mais ceux qui ne sont pas contraints, qui peuvent se permettre de ne pas immédiatement accepter n’importe quel emploi et peuvent, par conséquent, voir tout le tableau, ce sont eux les responsables. Mais, voyez-vous, ceux qui ne sont pas dans une nécessité immédiate sont embarqués dans d’autres choses- leur expansion personnelle, leur confort, leur luxe, leurs divertissements. Ils ont du temps, mais ils le dissipent. Ceux qui ont du temps sont les responsables de l’altération de la société ; ceux qui ne sont pas harcelés par le besoin devraient se préoccuper réellement de tout ce problème de l’existence et ne pas s’embourber dans une simple action politique, dans des activités superficielles. Ceux qui ont du temps et ce qu’on appelle des loisirs devraient chercher la vérité, car ce sont eux qui peuvent provoquer une révolution dans le monde, pas ceux dont le ventre est vide. Mais, malheureusement, ceux qui ont des loisirs ne se soucient pas de l’éternel. Ils sont occupés à passer le temps. Ils sont, de ce fait, eux aussi, une cause de misère et de confusion dans le monde. Donc, ceux d’entre vous qui écoutez, ceux d’entre vous qui avez un peu de temps, vous devriez accorder de la pensée et de la considération à ce problème, et par votre propre transformation vous provoquerez une révolution mondiale.

Question : Comment un homme qui n’a jamais atteint les limites de son esprit, peut-il aller au-delà de son esprit pour faire l’expérience d’une communion directe avec la vérité ?

Krishnamurti : Monsieur, lorsque vous connaissez les limites de votre esprit, n êtes-vous pas déjà au-delà des limites ? Être conscient de vos limites est certes le premier pas, le premier processus – qui est très difficile, parce que les limites de l’esprit sont prodigieusement subtiles. En sachant que je suis limité, en en étant conscient sans condamnation, il y a déjà un affranchissement de cette limitation, n’est-ce pas ? Savoir que je suis un menteur, en être conscient sans condamnation, sans justification, déjà me libère du mensonge. Connaître les limites de l’esprit est déjà une formidable libération, n’est-ce pas ? Savoir que je suis ligoté à une croyance est déjà un affranchissement de cette croyance ; mais un esprit qui justifie cette croyance, cette servitude qui la défend et dit : « Tout va bien, j’en ai besoin », un tel esprit ne peut jamais connaître sa limitation. Lorsque je sais que je suis ficelé, limité par une croyance, et suis conscient de cette limitation, sans condamner ni justifier, cela est déjà me libérer de la croyance. Monsieur, faites-en l’expérience, et vous verrez combien c’est extraordinairement actif, combien c’est extraordinairement vrai. Connaître un problème, en être conscient, c’est en être libre ; et un esprit ne peut pas faire l’expérience de la vérité, s’il ne connaît pas sa limitation. Voilà pourquoi il est très important d’avoir la connaissance de soi. La connaissance de soi n’est pas un but ultime. Se connaître soi-même c’est connaître sa limitation de moment en moment et, par conséquent, percevoir la vérité de moment en moment. Une vérité continue n’est pas la vérité, car ce qui continue ne peut jamais se renouveler ; mais en une fin est le renouveau. Ainsi, un esprit qui n’est pas averti de sa propre limitation ne peut jamais vivre par expérience la vérité ; mais si l’esprit est averti de sa limitation, vous verrez qu’il se produit une libération ; et en cette liberté, la vérité est réalisée. Il n’y a pas « vous » unifié à la vérité : « vous » ne pouvez jamais trouver la vérité. « Vous » devez cesser pour que la vérité entre en existence, parce que « vous » êtes la limitation. Donc vous devez comprendre de quel côté vous êtes limité, l’étendue de votre limitation ; vous devez être passivement conscient et en cette passivité, la vérité naît. La lumière ne peut pas s’unir aux ténèbres. Ce qui est ignorance ne peut pas devenir un avec la sagesse. L’ignorance doit cesser pour que la sagesse soit. La sagesse n’est pas un but ultime, mais elle apparaît lorsque l’ignorance est dissoute, de moment en moment. La sagesse n’est pas une accumulation qui confère une continuité ; la sagesse c’est comprendre le problème complètement chaque minute, chaque seconde. Ainsi la sagesse, la réalité, n’est pas captée dans le filet du temps. Ce n’est que par la connaissance de soi que les limitations créées par l’esprit parviennent à un terme ; et ces limitations peuvent être comprises d’instant en instant, à mesure qu’elles surgissent. Chaque limitation, à mesure que vous l’observez, apporte la vérité ; à chaque moment au cours duquel vous voyez le faux, le vrai est perçu ; mais voir que le faux est faux et que le vrai est vrai est difficile, est ardu ; cela exige une parfaite clarté de perception. Un esprit qui est distrait ne peut jamais voir le faux comme étant faux ni le vrai comme étant vrai ; et voir le vrai en ce qui concerne le faux exige une rapidité d’esprit, un esprit qui n’est enchaîné à aucune servitude, à aucune limitation.

Question : L’attachement est la substance dont nous sommes faits. Comment pouvons-nous être libres de tout attachement ?

Krishnamurti : L’attachement n’est certes pas le problème, n’est-ce pas ? Pourquoi êtes-vous attaché et pourquoi voulez-vous être attaché ? Pourquoi y a-t-il cette lutte continuelle entre l’attachement et le détachement ? Vous savez ce que l’on entend par attachement – le désir de posséder une personne, de posséder des choses. Monsieur, pourquoi êtes-vous attaché ? Qu’arriverait-il si vous n’étiez pas attaché ? L’attachement ne devient un problème que lorsqu’il y a la poursuite du détachement, lorsque ce qui est attaché n’est pas compris. Prenons un exemple. Examinez-vous : pourquoi êtes-vous attaché à votre femme, à votre mari, à votre argent, à votre maison, à vos propriétés, à vos idées ? Pourquoi ? Parce que, sans cette personne vous êtes perdu, vous êtes vide ; sans propriétés, sans un nom, vous n’êtes rien ; et sans votre compte en banque, sans vos idées, qu’êtes-vous ? Une coque vide, n’est-ce pas ? Donc, parce que vous avez peur de n’être rien du tout, vous êtes attaché à quelque chose ; et étant attaché – avec tous vos problèmes, avec vos craintes, avec vos cruautés, avec vos angoisses et vos frustrations – vous essayez de devenir détaché, vous essayez de renoncer à la propriété, de renoncer à votre famille, de renoncer à vos idées. Mais vous n’avez pas réellement résolu le problème, qui est la peur de ne devenir rien du tout – et c’est pour cela que vous êtes attaché. Après tout, vous n’êtes, en effet, rien du tout. Dénudez-vous de vos titres, de vos M.A., de vos professions et de vos petites qualités, de vos maisons et de vos propriétés, de vos quelques bijoux et de tout le reste – et qu’êtes-vous ? Sachant intérieurement qu’il y a un vide extraordinaire, une vacuité, un néant, et ayant peur de cela, vous êtes dépendant, vous êtes attaché, vous possédez ; et dans cette possession, il y a une effroyable cruauté. Ce n’est pas l’autre personne qui vous importe, c’est vous-même – et c’est ce que vous appelez l’amour. Ainsi, parce que vous êtes effrayé, parce qu’il y a de l’effroi dans ce vide, vous êtes disposé à tuer votre semblable, à détruire l’humanité. Alors pourquoi ne pas accepter l’évidence, qui est que vous n’êtes rien ? Non pas qu’il faudrait que vous ne soyez rien, mais qu’en fait vous n’êtes rien ? Monsieur, lorsque vous l’acceptez, il n’y a pas de renoncement, non plus que de l’attachement, ou du détachement. Vous ne possédez simplement pas – et alors il y a une beauté, alors il y a une richesse, une bénédiction que vous ne pouvez absolument pas comprendre tant que vous êtes effrayé par ce vide. Alors la vie est pleine de sens, alors la vie devient réellement un miracle. Mais l’homme qui a peur de ce vide, peur de n’être rien, est attaché ; et avec l’attachement surgit le conflit du détachement, le conflit du renoncement et l’horrible cruauté qui accompagne l’attachement et la dépendance. L’homme qui n’est rien connaît l’amour, parce que l’amour n’est rien.

Question : Est-ce que la lucidité extensive est la même chose que le vide créatif ? La lucidité n’est-elle pas passive, et par conséquent, non créative ? Le processus de la connaissance de soi, n’est-il pas un processus ennuyeux et pénible ?

Krishnamurti : Si l’on s’exerce à la lucidité, si elle devient une habitude, alors elle devient douloureuse et ennuyeuse ; mais la lucidité ne peut pas être l’objet d’un entraînement, elle ne peut pas être contrôlée, on ne peut pas la transformer en un conflit, en une discipline – et c’est cela sa beauté. Vous êtes lucide ou vous n’êtes pas lucide. Tout ce à quoi l’on s’exerce devient un accablement pénible qui implique la volonté et l’effort, qui crée des déformations. Or, la lucidité n’est pas ce genre de chose du tout. Qu’est-ce que la lucidité ? Qu’est-ce que c’est être lucide ? C’est être conscient des choses autour de vous extérieurement, des couleurs, des visages, du coucher de soleil, des ombres, des oiseaux dans leur vol, de l’océan sans repos, des arbres dans le vent – être conscient de tout cela n’est que la lucidité superficielle. Vous ne condamnez pas un oiseau qui vole, vous l’observez tout simplement. Mais dès que vous devenez conscient de votre nature intérieure, vous commencez à condamner, vous êtes incapable de la regarder sans condamnation ni justification. Or pour comprendre, il ne doit y avoir ni condamnation ni justification. Donc, être lucide, simplement observer vos pensées, simplement savoir ce que vous pensez et sentez, sans condamnation, sans défense, sans justification – être simplement lucide n’est certes ni ennuyeux ni douloureux, mais si vous dites : « Je dois être lucide afin d’obtenir un résultat », cela devient un ennui. Si vous essayez d’être lucide afin de déraciner la colère, la jalousie, le sens possessif – ou ce que c’est – cela devient pénible. Une telle lucidité n’est pas la lucidité. Ce n’est qu’un processus d’introspection, essayant de devenir quelque chose. Dans la lucidité il n’y a pas de devenir, mais simplement de l’observation, une silencieuse observation – comme lorsque vous entrez dans un cinéma et voyez le film. Si vous pouvez observer, si vous pouvez être conscient de vous-même en action, en mouvement, sans identification, vous verrez alors qu’il y a une lucidité extensive. Elle commence, ainsi que je l’ai dit, avec les choses superficielles. Ensuite, alors que vous allez de plus en plus profondément, il y a une lucidité étendue, extensive. Cette lucidité est nécessaire parce qu’en cette lucidité toutes les couches cachées, toutes les émissions secrètes entrent en activité. Au fur et à mesure que la lucidité extensive s’approfondit et s’élargit, les conflits de ce qui est caché sont dissous ; et alors vous trouverez qu’il survient un vide créatif. Tout cela est un seul processus total, non un processus qui va pas à pas ; car en la lucidité il n’y a ni commencement ni fin. C’est un seul processus entier. Dès que vous observez un problème sans condamnation, il y a forcément une lucidité passive ; et lorsqu’il y a lucidité passive, il y a la dissolution du problème. C’est-à-dire qu’en la lucidité passive, il y a une immobilité créative, un vide créatif. Alors, en ce vide créatif la réalité entre en existence, qui dissout le problème. Mais là où sont la douleur, le conflit, le sentiment d’un travail fastidieux, ennuyeux, il n’y a pas de lucidité, il n’y a qu’un esprit émoussé. Contrairement à cet état de torpeur, dans la lucidité il y a une sensibilité aiguisée et la lucidité passive et créative. La plus haute forme de pensée est penser négativement ; lorsqu’il y a complète cessation de la pensée, lorsqu’il y a cette passivité qui n’est pas un état ensommeillé, il y a un état d’être créatif. Je ne sais pas si vous avez remarqué que lorsque l’esprit est rempli de problèmes, lorsque l’esprit est rempli de pensées, il n’y a pas de création. Ce n’est que lorsque l’esprit est vide, lorsque l’esprit est silencieux, lorsqu’il n’a pas de problèmes, lorsqu’il est réellement passif – ce n’est que dans ce vide qu’il y a création. La création ne peut avoir lieu que dans la négation, laquelle n’est pas le contraire de l’assertion positive. Je n’emploie pas le mot « négation » en tant que contraire de positif. N’être rien du tout n’est pas l’antithèse d’être quelque chose ; n’être rien n’est pas relié à être quelque chose. Lorsque le « être quelque chose » a cessé complètement, il y a le néant. Ce n’est que lorsque tous les problèmes que l’esprit a créés ont cessé, lorsque l’esprit n’est rien, qu’il est vide – ce qui n’est pas provoqué par une discipline, par un contrôle – ce n’est qu’alors que la lucidité passive et vive entre en existence. Cette passivité doit exister si un problème doit être dissout. Vous ne pouvez comprendre un problème que lorsque vous ne le condamnez pas, lorsque vous ne le justifiez pas, lorsque vous êtes capable de le regarder en silence, et cela n’est pas possible lorsque vous êtes en quête d’un résultat. Un problème n’existe que dans la recherche d’un résultat ; et le problème cesse s’il n’y a pas de recherche d’un résultat. Lorsque l’esprit est en observation silencieuse, lorsqu’il est donc passif, un état d’être créatif survient, et l’état d’être créateur est un continuel renouveau. Ce n’est pas une continuité, c’est un état d’être intemporel. Ce n’est qu’en cet état qu’il peut y avoir création et par conséquent seul cet état est révolution.

Question : Que voulez-vous dire par amour ?

Krishnamurti : Ici encore, nous allons découvrir, par la compréhension, ce que l’amour n’est pas ; parce que l’amour est l’inconnu, nous devons arriver à lui en éliminant le connu. L’inconnu ne peut évidemment pas être découvert par un esprit qui est rempli de connu. Donc ce que nous allons faire c’est découvrir les valeurs du connu, regarder le connu ; et lorsque cela est simplement regardé, sans condamnation, l’esprit se libère du connu et alors nous saurons ce qu’est l’amour. Donc, nous devons aborder l’amour négativement, pas positivement.

Or, qu’est-ce que l’amour pour la plupart d’entre nous ? Lorsque nous disons que nous aimons quelqu’un, que voulons-nous dire ? Nous voulons dire que nous possédons cette personne. De cette possession surgit la jalousie, car si je la perds qu’arrive-t-il ? Du fait que je retiens cette personne, que je la possède, résulte la jalousie, la peur et les innombrables conflits qui surgissent de la possession. Être, une telle possession n’est pas l’amour, n’est-ce pas ? Ne remuez pas la tête en acquiescement ; car si vous êtes d’accord avec moi, vous ne l’êtes que verbalement et un tel accord n’a absolument aucun sens. Vous ne pouvez être d’accord que lorsque vous ne possédez pas vos propriétés, votre femme, vos idées.

Manifestement, l’amour n’est pas sentiment. Être sentimental, être émotionnel, cela n’est pas de l’amour, parce que la sentimentalité et l’émotion ne sont que des sensations. Une personne dévote qui pleure sur Jésus ou Krishna, sur son gourou ou sur quelqu’un d’autre, n’est que sentimentale, émotionnelle. Elle se complaît dans la sensation, qui est un processus de pensée, et la pensée n’est pas l’amour. La pensée est le produit des sensations. Une personne sentimentale, émotionnelle, ne peut absolument pas connaître l’amour. Ne sommes-nous pas émotionnels et sentimentaux ? La sentimentalité, l’émotivité n’est qu’une forme d’expansion de soi. Être plein d’émotion n’est manifestement pas de l’amour, parce qu’une personne sentimentale peut être cruelle lorsque ses sentiments n’éveillent pas la réciprocité, lorsque ses sentiments n’ont pas de dégagement. Une personne émotionnelle peut se laisser exciter jusqu’à la haine, la guerre, la boucherie. Et un homme sentimental, rempli de larmes pour ses dévotions, cet homme, certes, n’a pas d’amour. Il est clair qu’il n’y a pas d’amour lorsqu’il n’y a pas un réel respect, lorsque vous ne respectez pas un autre, qu’il soit votre serviteur ou votre ami. N’avez-vous pas remarqué que vous n’êtes pas respectueux, charitable, généreux avec vos serviteurs, avec les personnes qui sont soi-disant « au-dessous » de vous ? Mais vous avez du respect pour ceux qui sont au-dessus, pour votre patron, pour le millionnaire, pour l’homme qui possède une vaste maison et un titre, pour l’homme qui peut vous faire avoir une situation meilleure, un meilleur emploi, en somme pour celui dont vous pouvez obtenir quelque chose. Mais vous donnez des coups de pied à ceux qui sont au-dessous de vous ; vous vous servez à leur égard d’un langage spécial. Là où il n’y a pas de respect, il n’y a pas d’amour ; où il n’y a pas de charité, pas de pitié, pas de pardon, il n’y a pas d’amour. Et comme la plupart d’entre nous sommes dans cet état, nous n’avons pas d’amour. Nous ne sommes ni respectueux, ni charitables, ni généreux. Nous sommes possessifs, pleins de sentiment – d’émotion – qui peut être orienté des deux côtés : à la tuerie, à la boucherie, ou à s’unifier autour de quelque idiote, ignorante intention. Alors comment peut-il y avoir de l’amour ? Vous ne pouvez connaître l’amour que lorsque toutes ces choses ont cessé, sont parvenues à un terme, lorsque vous ne possédez pas, lorsque vous n’êtes pas qu’émotionnel par dévotion à un objet. Une telle dévotion est une supplication : c’est, sous une forme différente, chercher à obtenir quelque chose. L’homme qui prie ne connaît pas l’amour. Puisque vous êtes possessif, puisque vous tendez vers un but, vers un résultat, par la dévotion, par la prière, ce qui vous rend sentimental, émotionnel, naturellement il n’y a pas d’amour ; et manifestement il n’y a pas d’amour lorsqu’il n’y a pas de respect. Vous pouvez dire que vous avez du respect, mais votre respect est pour votre supérieur, ce n’est que le respect qui provient de ce que l’on demande quelque chose, le respect de la crainte. Si vous éprouviez réellement le respect, vous seriez respectueux envers les plus bas comme aussi envers les soi-disant supérieurs ; et comme vous n’avez pas cela, il n’y a plus d’amour. Combien peu d’entre nous sont généreux, cléments, miséricordieux! Vous êtes généreux lorsque cela vous paye, vous êtes cléments lorsque vous pouvez en tirer profit. Lorsque ces choses disparaissent, lorsque ces choses n’occupent pas votre esprit, et lorsque les choses de l’esprit ne remplissent pas votre cœur, il y a l’amour ; et seul l’amour peut transformer la folie, l’insanité actuelle du monde – et non des systèmes ou des théories, de gauche ou de droite. Vous n’aimez réellement que lorsque vous ne possédez pas, lorsque vous n’êtes pas envieux, avide, lorsque vous êtes respectueux, lorsque vous avez de la charité et de la compassion, lorsque vous avez de la considération pour votre femme, pour vos enfants, pour votre voisin, vos malheureux domestiques qui n’ont pas un jour de congé, qui sont devenus vos esclaves. Lorsque vous serez respectueux envers eux et non seulement envers votre gourou, l’homme au-dessus de vous, alors vous connaîtrez l’amour. Seul cet amour peut transformer le monde, cela seulement peut remplir le monde de miséricorde et de beauté. Mais si vous remplissez votre cœur des choses faites par l’esprit ou par la main, il n’y a pas d’amour ; et comme vos cœurs sont remplis de ces choses, vous menez continuellement des batailles les uns contre les autres. Si vous percevez toutes ces choses, si vous en êtes conscient sans entrer en conflit avec elles, il y a alors une liberté et en cette liberté l’amour, qui n’est pas une théorie. Vous ne pouvez connaître l’amour avec ses bénédictions, avec son parfum, avec sa grâce, que lorsque « vous » cessez d’être, lorsque « vous » cessez de réussir, de devenir quelque chose ; et seul un tel amour peut transformer le monde.

Question : Pouvons-nous vous prier de déclarer clairement si Dieu existe ou non ?

Krishnamurti : Monsieur, pourquoi voulez-vous le savoir ? Quelle différence cela vous ferait-il que je le déclare clairement ou non ? Je vous confirmerais dans votre croyance, ou je vous ébranlerais dans votre croyance. Si je confirmais votre croyance, vous seriez content, et vous continueriez à vivre selon vos habitudes, aimables et hideuses. Si je vous troublais, vous diriez : « Oh! cela n’est pas important », et malheureusement vous continueriez aussi à être tel que vous êtes. Mais pour quelle raison voulez-vous savoir ? Voilà qui est plus important que de découvrir si Dieu existe ou non. Pour connaître Dieu, Monsieur, pour connaître le réel, il ne faut pas le chercher. Si vous le cherchez, c’est que vous fuyez ce qui est ; et c’est pour cela que vous demandez si Dieu existe ou non. Vous voulez échapper à votre souffrance, fuir dans une illusion. Vos livres sont pleins de divinités, chaque temple est plein d’images faites par la main ; mais il n’y a pas de Dieu, parce que ce ne sont là que des évasions hors de votre souffrance. Pour trouver la réalité, ou, plutôt, pour que la réalité entre en existence, la souffrance doit cesser ; et simplement chercher Dieu, la vérité, l’immortalité, c’est fuir la souffrance. Mais il est plus agréable de discuter si Dieu existe ou non que de dissoudre les causes de la souffrance, et c’est pour cela que vous avez des livres innombrables traitant de la nature de Dieu. L’homme qui discute sur la nature de Dieu ne connaît pas Dieu, parce que cette réalité ne peut pas être mesurée, elle ne peut pas être captée dans des guirlandes de mots. Vous ne pouvez pas saisir le vent dans votre poing ; vous ne pouvez pas capturer la réalité dans un temple, ni en faisant puja, ni au cours d’innombrables cérémonies. Ce ne sont là que des évasions, comme boire de l’alcool. Vous buvez, vous vous enivrez parce que vous voulez vous évader ; de même, vous allez dans un temple, vous faites est, vous suivez des rituels – ou ce que vous suivez – et c’est afin de vous évader de ce qui est. Ce qui est, est la souffrance, cette perpétuelle bataille contre soi-même, donc contre un autre ; et tant que vous ne comprenez pas et ne transcendez pas cette souffrance, la réalité ne peut pas entrer en vie. Donc votre interrogation au sujet de l’existence ou de la non-existence de Dieu est vaine, n’a aucun sens, ne peut mener qu’à une illusion. Comment un esprit qui est prisonnier de l’agitation quotidienne, de l’affliction et de la souffrance, qui est ignorant et limité peut-il connaître ce qui est sans limites, indicible ? Comment ce qui est le produit du temps peut-il connaître l’intemporel ? Il ne le peut pas. Il ne peut même pas y penser. Penser à la vérité, penser à Dieu est encore une forme d’évasion ; car Dieu, la vérité, ne peut pas être saisi par la pensée. La pensée est le résultat du temps, d’hier, du passé ; et étant le résultat du temps, du passé, étant un produit de la mémoire, comment la pensée peut-elle trouver ce qui est éternel, intemporel, immensurable ? Comme elle ne le peut pas, tout ce que vous pouvez faire c’est libérer l’esprit du processus de pensée ; et pour libérer l’esprit du processus de pensée, vous devriez comprendre la souffrance et ne pas la fuir – la souffrance non seulement sur le plan physique, mais sur tous les plans de la conscience. Cela veut dire être ouvert, vulnérable à la souffrance, ne pas se défendre contre la souffrance, mais vivre avec elle, l’embrasser, la regarder. Car vous souffrez maintenant. Vous souffrez du matin au soir, avec un rayon de soleil occasionnel, avec une éclaircie occasionnelle dans le ciel nuageux. Or, puisque vous souffrez, pourquoi ne pas considérer cela, pourquoi ne pas y entrer pleinement, profondément, complètement et le résoudre ? Cela n’est pas difficile. La recherche de Dieu est beaucoup plus difficile, parce que c’est l’inconnu, et vous ne pouvez pas aller à la recherche de l’inconnu. Mais vous pouvez rechercher la cause de la souffrance et la déraciner en la comprenant, en en étant conscient, non en la fuyant. Puisque vous avez fui la souffrance au moyen de différentes évasions, examinez toutes ces évasions, mettez-les de côté, et arrivez face à face devant la souffrance. En comprenant cette souffrance, il y a un affranchissement. Alors l’esprit devient libre de toute pensée, il n’est plus le produit du passé. Alors l’esprit est tranquille, sans problèmes ; il n’est pas rendu tranquille, il est tranquille, parce qu’il n’a plus de problèmes, il ne crée plus de pensée. Alors la pensée a cessé – la pensée qui est mémoire, qui est l’accumulation de l’expérience, les cicatrices d’hier ; et lorsque l’esprit est totalement calme, pas rendu calme, la réalité vient en existence. Cette expérience est l’expérience de la réalité, pas d’une illusion, et une telle expérience donne une bénédiction à l’homme. La vérité, l’amour est l’inconnu, et l’inconnu ne peut pas être capté par le connu. Le connu doit cesser pour que l’inconnu soit ; et lorsque l’inconnu vient à exister, il y a une bénédiction.

Bombay, le 28 mars 1948