1er août 2024
Qui ou que sommes-nous ?
Notre première et plus primordiale identité est le sentiment d’être simplement en vie. C’est ce que l’on appelle souvent le JE SUIS. C’est le sentiment indéniable d’être ici et maintenant, présent et conscient — non pas en tant que quelqu’un en particulier, mais simplement en tant que présence-conscience sans limite ou expérience présente. La présence-conscience (JE SUIS) est le facteur commun à toutes les expériences différentes. La conscience sans bornes a été appelée le Sujet Ultime ou le fondement de l’être, la totalité qui sous-tend l’infinie diversité de l’éveil et du rêve.
Le JE SUIS est mis en veilleuse chaque nuit dans le sommeil profond, du moins en tant que quelque chose de connaissable ou d’expériençable. Dans certaines traditions, son apparition dans le rêve et la vie éveillée est considérée comme la première manifestation, la première émergence de quelque chose d’objectif, aussi subtil soit-il. Et à partir de ce premier sentiment brut de présence et de conscience, le temps, l’espace et les dix millions de choses suivent instantanément.
Dans la vie éveillée, cet organisme est manifestement très attaché à être vivant et à survivre en tant que conscience et expérience. Et pourtant, nous avons aussi un profond désir de retourner à l’obscurité germinale du sommeil profond, à la conscience-au-repos, libre de la souffrance qui accompagne l’être conscient et l’expérience consciente. Nous pouvons ressentir ces deux forces en nous.
La couche suivante de l’identité qui émerge de la présence impersonnelle est la pensée-sensation d’être un « moi » individuel. Le JE SUIS illimité s’est maintenant transformé en « je suis quelqu’un », un être apparemment borné, limité, encapsulé. Je suis moi et non pas vous. Je suis ici et non là-bas. Je suis un individu unique qui semble avoir un libre arbitre et un choix. La présence consciente non limitée, non encapsulée et impersonnelle, se confond désormais avec l’organisme corps-esprit et le personnage de l’histoire de ma vie.
Dans ce film semblable à un rêve qu’est la vie éveillée, il y a indéniablement ce qui semble être un organisme corps-esprit unique avec une durée de vie, une personnalité et certaines qualités, caractéristiques, tendances, capacités, et ainsi de suite. Nous ne pouvons pas nier la personne, mais ce n’est pas la « chose » solide et indépendante que nous pensons souvent qu’elle est. Même d’un point de vue totalement matérialiste, elle est organique, vivante, en changement continu, inséparable et interdépendante de son environnement. Elle n’existe que dans une relation dynamique avec tout ce qui lui est apparemment extérieur, et la frontière entre l’intérieur et l’extérieur va de poreuse et perméable à introuvable et inexistante. C’est comme une vague dans l’océan, un mouvement inséparable de la totalité.
Nous pouvons également remarquer que le corps-esprit et l’histoire du moi apparaissent et disparaissent par intermittence dans cette vaste présence consciente et ouverte, et que, d’un point de vue expérientielle, la présence-conscience est non limitée, non encapsulée. Expérientiellement, le corps-esprit apparaît dans la conscience, et non l’inverse. Et c’est une apparition intermittente. Mais à cause de la mémoire, du conditionnement et de notre façon de penser, il semble très substantiel, continu et toujours présent.
Cette entité « moi » semble regarder par mes yeux, être l’auteur de mes pensées, faire mes choix, vivre mes expériences et ma vie. Mais si nous regardons de près, nous ne pouvons pas vraiment trouver cette entité. C’est une sorte de mirage créé par un mélange d’images mentales, d’histoires, de pensées, de sensations et de souvenirs. Il n’y a pas de véritable substance. C’est plus une activité qu’à un objet, plus un verbe qu’un nom, c’est pourquoi on parle parfois d’« activité de construction continue du moi, “moiage” (selfing) » plutôt que de « moi (self) ». Il a certainement une certaine réalité — nous savons à quel nom répondre, dans quelle bouche mettre la nourriture, comment distinguer entre nous — même et la carotte que nous coupons, et l’importance de ne pas se mettre devant un bus qui roule à toute allure. Nous ne pourrions pas fonctionner dans la vie quotidienne sans un certain sens de l’identité corporelle, des frontières et de la localisation dans le temps et l’espace.
À l’instar des autres organismes vivants, il existe un désir inné de survivre en tant que cet organisme. Chez les mammifères, cela inclut des activités telles que la recherche de nourriture, la recherche d’un abri, la protection des frontières personnelles et territoriales, l’accouplement et l’éducation de la progéniture. Au niveau animal, il est tout à fait naturel de ressentir de la peur ou de la colère si l’une de ces activités est menacée.
Mais bien sûr, les humains ont dépassé, à des degrés plus ou moins importants, les contraintes de la nature sauvage et, par conséquent, nous ne sommes peut-être plus guidés principalement par des pulsions et des instincts biologiques, mais de plus en plus par des philosophies, des croyances, des rôles sociaux et des attentes, des convictions politiques, des vocations professionnelles ou artistiques, des expériences transcendantales et toute une série d’identités. Nous avons des capacités qu’aucun autre animal ne semble avoir, du moins dans la même mesure, pour imaginer des possibilités futures et créer des technologies, ce qui nous a placés au sommet de la chaîne alimentaire. Mais nous sommes également soumis à un réseau complexe de dépendances, de compulsions et d’illusions qu’aucun autre animal n’a assez de cerveau pour en être captif, et nous semblons être sur le point de nous détruire nous-mêmes avec nos technologies et leurs effets.
En plus de la pensée-sensation de base que « je suis moi », un corps-esprit individuel particulier, s’ajoute une multitude d’identités et d’étiquettes de seconde main que nous adoptons et attachons à nous-mêmes au cours de notre voyage à travers la vie. Ces identités et ces étiquettes nous disent ce qu’est notre « moi » particulier : notre nom, notre âge, notre sexe, notre identité de genre, notre race, notre ethnie, notre nationalité, notre milieu familial, notre niveau d’éducation, notre classe ou notre statut économique, notre orientation sexuelle, notre religion, notre affiliation politique, notre profession, notre philosophie de vie, et ainsi de suite. Cela inclut également toutes les choses que nous avons appris que nous sommes : grand, petit, fort, faible, introverti, extraverti, aventureux, timide, intelligent, stupide, conformiste, non conformiste, gagnant, perdant, séduisant, laid, sportif, maladroit, éveillé, non éveillé, bon enfant, mauvais enfant, bon parent, mauvais parent, bon élève, élève médiocre, bon méditant, mauvais méditant, illuminé, cas désespéré, et ainsi de suite.
Non seulement nous apprenons dans quelle catégorie sexuelle ou raciale nous nous situons, mais nous apprenons aussi une foule d’idées sur ce que signifie être ce type particulier d’être humain. Les femmes sont émotives, les hommes ne pleurent pas, les Noirs ont du rythme, les Blancs sont des oppresseurs, les handicapés seraient mieux morts, les lesbiennes détestent les hommes — toute une série d’histoires, de mythes et d’idées — certaines vraies ou partiellement vraies, mais beaucoup pas du tout.
Nous nous identifions même à d’autres groupes qui semblent se trouver dans une situation similaire à la nôtre — par exemple, si nous nous considérons comme un outsider, nous pouvons nous identifier à d’autres outsiders ou à d’autres groupes opprimés, ou encore à un camp particulier dans une guerre ou un conflit international qui nous fait penser à nous d’une manière ou d’une autre. Si cet autre groupe est menacé ou insulté, nous nous sentons menacés ou insultés. Cela semble personnel.
Ainsi, en grandissant, nous nous identifions non seulement au sentiment d’être ici en tant que présence consciente et illimitée, et non seulement à notre personnalité individuelle, mais aussi à toutes ces catégories, idées, croyances et histoires. Si vous insultez une catégorie à laquelle je m’identifie, je me sens personnellement menacé, blessé et insulté. Si vous mettez en doute mes idées politiques ou ma religion, je peux les défendre avec la même férocité que d’autres animaux défendent leur territoire ou leurs petits. Si vous me traitez de stupide, de laid ou de faible, cela peut me blesser autant, voire plus, que si vous me donnez un coup de poing ou un coup de pied. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi sur un sujet brûlant, je peux avoir l’impression que ma vie même est menacée. Voilà ce que c’est que d’être humain !
Exploration méditative de tout cela
Décrivant ce qu’elle appelle « le travail de ce moment », c’est-à-dire le travail de médiation et de l’enquête méditative, mon amie et enseignante Toni Packer a dit ceci :
L’essence [de ce travail] est de parvenir à une forme profonde d’écoute et d’ouverture qui révèle la puissance et l’élan intenses de notre conditionnement humain, la façon dont nous sommes pris et attachés à des idées sur nous-mêmes et sur les autres, la violence avec laquelle nous défendons ces idées — non seulement individuellement, mais collectivement — et la façon dont cette défense nous maintient isolés les uns des autres et de nous-mêmes. L’autre aspect de cette écoute est de parvenir à un silence intérieur/extérieur, à une immobilité, à un espace dans lequel il n’y a pas de sentiment de séparation ou de limitation, à l’extérieur ou à l’intérieur.
C’est une belle description de ce voyage d’éveil qui consiste à passer de la transe de la séparation à la découverte de la plénitude de la présence consciente et de la non-substantialité des apparences. C’est passer de la pensée-sensation d’être un fragment séparé dans un monde fracturé et divisé à celui d’être cet ensemble fluide qui se produit sans division. Le clivage sujet/objet s’estompe de plus en plus, et cet événement que nous sommes est senti de plus en plus fluide, plus semblable à de la conscience ou à de l’énergie qu’à un amas de matière solide et sans vie. Nous nous sentons de plus en plus comme une présence consciente sans limite et comme un flux d’expérience sans centre et sans faille.
À la fin des années 80 et au début des années 90, j’ai travaillé pendant cinq ans au Springwater Center, le centre de retraite fondé par Toni Packer et ses amis dans une région rurale du nord-ouest de l’État de New York. Ancienne enseignante zen, Toni avait abandonné les rituels, la hiérarchie et les dogmes du zen formel institutionnalisé et avait créé un lieu très ouvert pour explorer la vie. Nous avions une dizaine de retraites silencieuses d’une semaine par an. Celles-ci se déroulaient dans un silence total, à l’exception d’un entretien quotidien et de réunions avec Toni. Contrairement au zen formel, à Springwater, toutes les séances d’assises étaient facultatives. Il n’y avait pas de posture assise prescrite. Nous avions des coussins, des bancs de méditation, des chaises de toutes sortes, même des fauteuils inclinables et des canapés. Aucune pratique n’était prescrite. L’accent était mis sur l’écoute ouverte, sur une prise de conscience ouverte, voir comment l’esprit fonctionne, sentir le corps, la respiration, la brise sur la peau, entendre le croassement des corbeaux — simplement être présent et réveillé d’instant en instant, faire pleinement l’expérience de la vie telle qu’elle est.
En dehors des retraites, l’accent était mis sur les mêmes choses dans le contexte de la vie quotidienne — travailler, manger et vivre ensemble — faire face à tous les conflits, malentendus et difficultés qui surgissent dans les communautés humaines, voir les façons dont nous sommes déclenchés, voir comment nos boutons sont poussés, voir comment l’esprit et tout le domaine des émotions-pensées fonctionnaient dans les relations.
Les questions étaient explorées directement, plutôt que d’adopter simplement la réponse ou la conclusion d’une autorité. Toni a fait preuve d’une présence totale et d’une écoute ouverte remarquables, d’une volonté de regarder avec fraîcheur et de voir quelque chose de nouveau et d’inattendu plutôt que de s’enfermer dans de vieilles idées et croyances. J’ai écrit sur tout cela en profondeur dans mon premier livre, Bare-Bones Meditation : Waking Up from the Story of My Life.
Remise en question des identités
Toni remettait en question toutes les identités. Au début, cela me semblait très menaçant, comme si j’allais me retrouver dans la situation où j’étais avant le féminisme ou la libération LGBT, dans le cauchemar des années 1950. Mais Toni m’a encouragée à me demander si c’était vraiment vrai, si j’avais encore besoin de m’accrocher à ces identités. Elle parlait de la façon dont elle s’était identifiée au fait d’être juive — elle avait grandi à moitié juive dans l’Allemagne nazie — et comment son attachement à cette identité s’était estompé au cours de ses années dans le zen.
Elle m’a invité à me demander si l’identité en tant que membre de divers groupes me donnait un sentiment de stabilité, de plénitude ou d’appartenance, ou si cela pouvait être un moyen d’essayer de combler un sentiment de manque, de déficience, d’isolement ou de séparation. Elle nous encourageait toujours à examiner comment le sentiment d’appartenance à un groupe pouvait devenir source de division et à la racine des conflits, mondiaux et personnels.
Bien sûr, dans la vie de tous les jours, certaines de ces identités ont leur place, surtout si nous appartenons à un groupe social qui a été opprimé, stéréotypé négativement, marginalisé, effacé ou méprisé d’une manière ou d’une autre. Il y a quelques années, j’ai trouvé très libérateur d’appartenir à de tels groupes — dans mon cas, des groupes de femmes, de lesbiennes et de personnes handicapées. Dans ces groupes, j’ai découvert que nombre des problèmes que je considérais comme personnels étaient communs à nous tous. Se rassembler et discuter avec d’autres membres du même groupe peut révéler des choses sur la manière dont nous sommes traités en tant que groupe et nous permettre de nous organiser et de travailler ensemble pour apporter des changements. Nous pouvons voir cela avec le mouvement des droits civiques, le mouvement des femmes, le mouvement de libération LGBT, le mouvement des droits des personnes handicapées, etc.
Il peut également être très important, dans le cadre d’une guérison psychologique, d’explorer notre passé en tant qu’individu et de comprendre la manière dont nous avons été conditionnés.
Je ne veux donc pas suggérer qu’il n’y a pas de place pour l’histoire, les identités de groupe ou le travail psychologique ou politique. Mais il est facile de s’attacher à ces identités d’une manière qui n’est pas utile, et de faire de tout cela une source de séparation et de conflit. Il semble y avoir une tendance populaire aujourd’hui à mettre tout le monde dans des cases : opprimé et oppresseur, noir et blanc, homme et femme, trans et cisgenre, gay et hétérosexuel, gauche et droite, bon et mauvais, vrai et faux. En réalité, aucune de ces cases ou lignes de démarcation n’est aussi solide ou aussi simpliste qu’elle ne le semble.
Je considère que c’est une bonne chose que nous ayons dépassée le monde dans lequel j’ai grandi, où il y avait encore des lois Jim Crow et où il était simplement supposé que vous étiez hétérosexuel et que vous vous identifiez au genre (étroitement défini) qui correspondait à votre sexe biologique. Lorsque ma mère est née, les femmes n’avaient toujours pas le droit de vote aux États-Unis. Nous avons parcouru un très long chemin au cours de ma vie, et peut-être qu’en corrigeant les injustices sociales, il est inévitable que nous en fassions trop parfois ou que nous nous enfermions dans de nouvelles cases.
Mais pour ceux d’entre nous qui souhaitent s’éveiller de la transe de la séparation et découvrir une plus grande vérité, pouvons-nous commencer à remarquer quand l’identité passe de quelque chose de pratique, d’utile ou de fonctionnellement nécessaire à quelque chose qui engendre la souffrance, le conflit et la division ? C’est une question à explorer en permanence. C’est une question à vivre au fur et à mesure que nous évoluons dans le monde. Il se peut que nous découvrions que notre identité la plus primordiale — la présence consciente illimitée — est toujours présente en tant que fondement de l’être. Ensuite, dans la vie quotidienne, nous pouvons remarquer comment nous nous identifions périodiquement en tant que personne, ou avec un groupe particulier, ou avec certaines causes, idées et opinions, et comment tout cela nous affecte. Une identité particulière est-elle utile ou non ? La réponse peut être différente selon les situations et les moments.
Nous pouvons remarquer, si nous sommes contrariés, confus ou si nous nous sentons déficients d’une manière ou d’une autre, si nous nous identifions à une personne séparée ou à une présence illimitée. Nous pouvons remarquer que la conscience contemple tout cela avec équanimité, permettant à chaque chose d’être comme elle est, ne s’attachant à rien. N’est-ce pas toujours le petit « moi » séparé qui se sent déficient et confus, contrarié et en conflit, supérieur ou inférieur, meilleur ou pire que quelqu’un d’autre ? La conscience illimitée se sent-elle ainsi ?
La spiritualité telle que je la vois consiste à voir comment fonctionne l’esprit, comment fonctionne l’identité, à voir la nature de la réalité, à découvrir et à se dissoudre dans l’immensité de l’être et à observer tout cela — être le spectacle entier, rien et tout, et oui, également un personnage unique dans le film de la vie éveillée, jouant notre rôle dans le Grand Drame, la lila divine. Tout est inclus.
Enfin, pouvons-nous également nous demander qui ou quoi s’identifie en tant que ceci ou cela ? Et quelle est exactement cette activité que nous appelons « identification » ? Non pas pour trouver une réponse verbale, mais pour vraiment ressentir ces questions, pour regarder, voir, s’interroger et explorer. Qu’est-ce que cette activité implique ? Quelles sont les pensées et les émotions qui l’accompagnent ? Comment cela se manifeste-t-il dans le corps ? Comment cela se produit-il ? Qu’en retirons-nous ? Cela nous blesse-t-il d’une manière ou d’une autre ? Encore une fois, non pas pour trouver les « bonnes réponses », mais pour explorer directement et ouvertement, sans savoir ce qui pourrait être découvert.
La vie spirituelle telle que je l’entends est une exploration et une découverte continuelles, d’instant en instant — découvrir comment nous créons notre souffrance et découvrir s’il existe une possibilité différente, et si c’est le cas, ce qui y contribue et ce qui n’y contribue pas. Il s’agit d’un chemin sans chemin qui ne mène nulle part (maintenant/ici), c’est-à-dire là où nous nous trouvons déjà. Il se peut que nous l’ayons négligé en pensant « ce n’est pas ça », en cherchant ailleurs et en cherchant un résultat futur. Mais la solution (ou la dissolution) est toujours ici et maintenant.
Et en cet instant précis, qui ou que suis-je ? Si vous commencez à y réfléchir ou à chercher la bonne réponse, vous avez déjà manqué la cible. Dans ce premier instant, l’esprit s’arrête. Il devient vide. Et il y a simplement ceci, tel que c’est.
Amour à tous…
Texte original : https://joantollifson.substack.com/p/identity