Bert Olivier
La guerre entre le savoir et la bêtise

Traduction libre 14 mars 2024 Bernard Stiegler était, jusqu’à sa mort prématurée, probablement le philosophe de la technologie le plus important de notre époque. Son travail sur la technologie nous a montré que, loin d’être exclusivement un danger pour l’existence humaine, elle est un pharmakon — un poison aussi bien qu’un remède — et que, tant […]

Traduction libre

14 mars 2024

Bernard Stiegler était, jusqu’à sa mort prématurée, probablement le philosophe de la technologie le plus important de notre époque. Son travail sur la technologie nous a montré que, loin d’être exclusivement un danger pour l’existence humaine, elle est un pharmakon — un poison aussi bien qu’un remède — et que, tant que nous abordons la technologie comme un moyen d’« intensification critique », elle peut nous aider à promouvoir les causes de l’illumination et de la liberté.

Il n’est pas exagéré de dire qu’il est probablement indispensable de mettre à la disposition des citoyens des informations et des analyses crédibles pour résister au mastodonte de mensonges et de trahisons auquel nous sommes confrontés. Cela n’a jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui, étant donné que nous sommes confrontés à ce qui est probablement la plus grande crise de l’histoire de l’humanité, avec rien de moins que notre liberté, sans parler de nos vies, en jeu.

Pour pouvoir garantir cette liberté contre les forces inhumaines qui menacent de l’entraver aujourd’hui, on ne saurait mieux faire que de tenir compte de ce que Stiegler soutient dans States of Shock : Stupidity and Knowledge in the 21st Century (2015 ; tr fr États de choc : Bêtise et savoir au XXIsiècle). Au vu de ce qu’il écrit ici, il est difficile de croire qu’il n’a pas été écrit aujourd’hui (p. 15) :

L’impression que la déraison domine désormais les hommes accable l’esprit de chacun de nous face aux effondrements systémiques, accidents technologiques majeurs, scandales sanitaires ou pharmaceutiques, ruines et destructions économiques, révélations stupéfiantes, déchaînements pulsionnels et actes de folie en tout genre et dans tous les milieux sociaux, comme si une vulgarité généralisée devait accompagner ce déraillement universel — sans parler de l’extrême misère dans laquelle vivent désormais nombre de nos concitoyens proches et de nos congénères plus lointains.

Bien que ces mots soient certainement aussi applicables à notre situation actuelle qu’ils l’étaient il y a près de 10 ans, Stiegler était en fait engagé dans une analyse interprétative du rôle des banques et d’autres institutions — avec l’aide et la complicité de certains universitaires — dans la mise en place de ce qu’il appelle un « système financier littéralement suicidaire » (p. 1). (Ceux qui en doutent n’ont qu’à visionner le documentaire primé de 2010, Inside Job, de Charles Ferguson, que Stiegler mentionne également à la page 1). Il explique plus en détail comme suit (p. 2) :

S’il y a dans les universités du monde occidental un profond malaise, et si ces universités ont pu se trouver, à travers certains de leurs corps professoraux, souvent consentantes — et parfois compromises à un point considérable — quant à la mise en place du système financier qui, avec l’installation d’une société hyperconsumériste, pulsionnelle et « addictogène », a conduit à la ruine économique et politique planétaire, c’est parce que leurs finalités, leurs organisations et leurs moyens ont été entièrement mis au service de la destruction de la souveraineté telle que les philosophes dits des Lumières la concevaient…

En bref, Stiegler écrivait sur la manière dont le monde était préparé, à tous les niveaux — y compris les plus hauts niveaux d’éducation — à ce qui est devenu beaucoup plus évident depuis l’avènement de la soi-disant « pandémie » en 2020, à savoir une tentative totale de provoquer l’effondrement de la civilisation telle que nous la connaissions, à tous les niveaux, dans le but à peine déguisé d’installer un régime mondial néo-fasciste et technocratique qui exercerait le pouvoir par le biais de régimes d’obéissance contrôlés par l’intelligence artificielle. Ce régime s’appuierait sur la technologie de reconnaissance faciale omniprésente, l’identification numérique et les CBDC (qui remplaceraient l’argent au sens habituel du terme).

Étant donné que tout cela se passe autour de nous, bien que de manière déguisée, il est étonnant que relativement peu de personnes soient conscientes de la catastrophe en cours, et encore moins qu’elles s’engagent de manière critique à la divulguer à d’autres personnes qui habitent encore le pays où l’ignorance est une bénédiction. Non pas que ce soit facile. Certains de mes proches résistent encore à l’idée que le « tapis démocratique » est sur le point d’être retiré de sous leurs pieds. S’agit-il simplement d’une question de « bêtise » ? Stiegler parle de la bêtise (p.33) :

le savoir ne peut pas être séparé de la bêtise. Mais je considère

– que cette situation est pharmacologique,

– que la bêtise est la loi du pharmakon,

– que le pharmakon est la loi du savoir, et qu’une pharmacologie pour notre temps doit penser à même le pharmakon, que j’appellerai aussi, aujourd’hui, l’ombre.

Dans mon billet précédent, j’ai parlé des médias comme pharmaka (pluriel de pharmakon), en montrant comment, d’une part, il y a des médias (grand public) qui fonctionnent comme un « poison », tandis que, d’autre part, il y a des médias (alternatifs) qui jouent le rôle de « remède ». En associant le pharmakon à la bêtise, Stiegler attire l’attention sur la situation « pharmacologique » (métaphoriquement parlant), à savoir que le savoir est inséparable de la bêtise : là où il y a du savoir, la possibilité de la bêtise s’affirme toujours, et vice versa. Ou en termes de ce qu’il appelle « l’ombre », le savoir projette toujours une ombre, celle de la bêtise.

Ceux qui en doutent n’ont qu’à jeter un coup d’œil sur les personnes « bêtes » qui croient encore que les « vaccins » Covid sont « sûrs et efficaces » ou que le port d’un masque les protégerait contre l’infection par le « virus ». Ou, plus récemment, pensez à ceux — la grande majorité des Américains — qui tombent systématiquement dans le panneau de l’administration Biden lorsqu’il s’agit d’expliquer les raisons pour lesquelles elle a autorisé des milliers de personnes à franchir la frontière sud — et, plus récemment, la frontière nord. Plusieurs sources alternatives d’information et d’analyse ont levé le voile sur cette question, révélant que cet afflux n’est pas seulement un moyen de déstabiliser le tissu social, mais peut-être une préparation à la guerre civile aux États-Unis.

Il y a une autre façon d’expliquer cette « bêtise » généralisée, bien sûr — une façon que j’ai déjà utilisée pour expliquer pourquoi la majorité des philosophes ont lamentablement laissé tomber l’humanité, en ne remarquant pas la tentative de coup d’État mondial en cours, ou du moins, en supposant qu’ils l’aient remarquée, en ne s’élevant pas contre elle. Ces « philosophes » comprennent tous les autres membres du département de philosophie où je travaille, à l’exception honorable de l’assistante du département, qui a le mérite d’être bien consciente de ce qui se passe dans le monde. Ils comprennent également quelqu’un qui faisait partie de mes héros philosophiques, à savoir Slavoj Žižek, qui s’est laissé prendre au piège de la supercherie.

En bref, cette explication de la bêtise des philosophes — et, par extension, de celle des autres personnes — est double. Il y a tout d’abord le « refoulement » au sens psychanalytique du terme (expliqué en détail dans les deux articles dont le lien figure dans le paragraphe précédent), et ensuite un phénomène que je n’ai pas développé dans ces articles, à savoir ce que l’on appelle la « dissonance cognitive ». Ce dernier phénomène se manifeste par le malaise qu’éprouvent les gens lorsqu’ils sont confrontés à des informations et à des arguments qui ne correspondent pas à leurs croyances, ou qui les remettent explicitement en question. La réaction habituelle consiste à trouver des réponses standard ou approuvées par le courant dominant à ces informations perturbatrices, à les balayer sous le tapis et à continuer à vivre comme si de rien n’était.

La « dissonance cognitive » est en fait liée à quelque chose de plus fondamental, qui n’est pas mentionné dans les comptes rendus psychologiques habituels de cette expérience déstabilisante. De nos jours, peu de psychologues daignent invoquer le refoulement pour expliquer les troubles psychologiques ou les problèmes rencontrés par leurs clients. Pourtant, ce concept est tout aussi pertinent que lorsque Freud l’a utilisé pour la première fois pour rendre compte de phénomènes tels que l’hystérie ou la névrose, tout en reconnaissant qu’il joue également un rôle dans la psychologie normale. Qu’est-ce que le refoulement ?

Dans Vocabulaire de la psychanalyse, Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis décrivent le « refoulement » comme suit :

Au sens propre : opération par laquelle le sujet cherche à repousser ou à maintenir dans l’inconscient des représentations (pensées, images, souvenirs) liées à une pulsion. Le refoulement se produit dans les cas où la satisfaction d’une pulsion susceptible de procurer par elle-même du plaisir risquerait de provoquer du déplaisir à l’égard d’autres exigences.

Il peut être considéré comme un processus psychique universel en tant qu’il serait à l’origine de la constitution de l’inconscient comme domaine séparé du reste du psychisme.

Dans le cas de la majorité des philosophes, évoqués plus haut, qui ont soigneusement évité de s’engager de manière critique avec les autres sur le sujet de la (non-)« pandémie » et des questions connexes, il est plus que probable que le refoulement s’est produit pour satisfaire l’instinct de conservation, considéré par Freud comme tout aussi fondamental que l’instinct sexuel. Ici, les représentations (liées à l’autoconservation) qui sont confinées dans l’inconscient par le refoulement sont celles de la mort et de la souffrance associées au coronavirus qui serait à l’origine de Covid-19, qui sont refoulées parce qu’elles sont intolérables. Le refoulement (de la satisfaction) d’un instinct, mentionné dans la deuxième phrase du premier paragraphe cité ci-dessus, s’applique évidemment à l’instinct sexuel, qui fait l’objet de certains interdits sociétaux. La dissonance cognitive est donc symptomatique du refoulement, qui est primaire.

Pour en revenir à la thèse de Stiegler sur la bêtise, il convient de noter que les manifestations d’une telle inanité ne sont pas seulement perceptibles dans les hautes sphères de la société ; pire encore, il semble y avoir, dans l’ensemble, une corrélation entre les classes supérieures, avec des diplômes universitaires, et la bêtise.

En d’autres termes, elle n’est pas liée à l’intelligence en soi. Ceci est évident, non seulement à la lumière du phénomène initialement surprenant de l’absence de prise de parole des philosophes face à l’évidence que l’humanité est attaquée, discutée plus haut en termes de refoulement.

Le Dr Reiner Fuellmich, l’une des premières personnes à avoir réalisé que c’était le cas, et qui a ensuite réuni un grand groupe de juristes et de scientifiques internationaux pour témoigner devant le « tribunal de l’opinion publique » (voir à partir de la 29e minute et 30 secondes dans la vidéo) sur divers aspects du « crime contre l’humanité » actuellement perpétré, a attiré l’attention sur la différence entre les chauffeurs de taxi à qui il parle de la tentative éhontée des mondialistes d’asservir l’humanité, et ses collègues juristes érudits en ce qui concerne la prise de conscience de cette tentative en cours. Contrairement aux premiers, qui sont parfaitement éveillés à cet égard, les seconds — ostensiblement plus qualifiés intellectuellement et « informés » — ignorent complètement que leur liberté s’éloigne de jour en jour, probablement en raison d’une dissonance cognitive et, derrière cela, de la répression de cette vérité difficilement digérable.

Il s’agit de la bêtise, ou de l’« ombre » du savoir, que l’on reconnaît à l’effort soutenu de ceux qui en sont atteints, lorsqu’ils sont confrontés à la vérité choquante de ce qui se passe dans le monde entier, pour « rationaliser » leur déni en répétant les assurances fallacieuses données par des agences telles que le CDC, selon lesquelles les « vaccins » Covid sont « sûrs et efficaces » et que cela est confirmé par « la science ».

Il convient ici de tirer une leçon de la théorie du discours. Que l’on se réfère aux sciences naturelles ou aux sciences sociales dans le contexte d’une affirmation scientifique particulière — par exemple, la théorie familière de la relativité restreinte d’Einstein (e = mc2) sous l’égide des premières, ou la théorie sociologique de David Riesman sur le type dirigé vers l’intérieur (introdéterminé) par opposition au type dirigé par la tradition ou vers l’autre (extrodéterminé) dans le cadre des sciences sociales — on ne parle jamais de « la science », et ce pour une bonne raison. La science est la science. Dès que l’on fait appel à « la science », un théoricien du discours sentirait le rat proverbial.

Pourquoi ? Parce que l’article défini, « la », singularise une version spécifique, probablement douteuse, de la science par rapport à la science en tant que telle, qui n’a pas besoin d’être élevée à un statut spécial. En fait, lorsque cela est fait par l’utilisation de « la », vous pouvez parier votre dernier dollar qu’il ne s’agit plus de la science au sens humble, laborieux, « appartenant à tout le monde ». Si nos antennes sceptiques ne se mettent pas immédiatement à bourdonner lorsque l’un des commissaires du CDC commence à pontifier sur « la science », c’est probablement que nous sommes également frappés par la bêtise qui est dans l’air.

J’ai évoqué précédemment le sociologue David Riesman et sa distinction entre les personnes « dirigées de l’intérieur » et les personnes « dirigées par les autres ». Il n’est pas nécessaire d’être un génie pour comprendre que, pour naviguer dans la vie en étant relativement épargné par les colporteurs de corruption, il est préférable de s’orienter à partir d’une « direction intérieure » par un ensemble de valeurs qui promeuvent l’honnêteté et évitent le mensonge, plutôt qu’à partir d’une « direction par les autres ». Dans les circonstances actuelles, cette orientation par autrui s’applique au labyrinthe de mensonges et de désinformation émanant de diverses agences gouvernementales ainsi que de certains groupes de pairs, qui aujourd’hui comprennent principalement les pourvoyeurs véhéments et bien-pensants de la version dominante des événements. La direction intérieure au sens ci-dessus, lorsqu’elle est constamment renouvelée, peut être un garde-fou efficace contre la bêtise.

Rappelons que Stiegler a mis en garde contre le « malaise profond » des universités contemporaines dans le contexte de ce qu’il a appelé une société « addictogène », c’est-à-dire une société qui engendre des addictions de toutes sortes. À en juger par la popularité de la plateforme vidéo TikTok dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur, son utilisation avait déjà atteint des niveaux d’addiction en 2019, ce qui soulève la question de savoir si les enseignants devraient se l’approprier en tant qu’« outil pédagogique » ou s’il faudrait, comme certains le pensent, l’interdire complètement dans les salles de classe.

Rappelons qu’en tant qu’exemple de technologie vidéo, TikTok est une incarnation exemplaire du pharmakon et que, comme l’a souligné Stiegler, la bêtise est la loi du pharmakon, qui est, à son tour, la loi du savoir. Une manière un peu confuse de dire que savoir et bêtise sont indissociables ; là où l’on rencontre le savoir, l’autre, la bêtise, est tapie dans l’ombre.

En réfléchissant à la dernière phrase, il n’est pas difficile de se rendre compte que, parallèlement à l’idée de Freud concernant Éros et Thanatos, il est humainement impossible que le savoir l’emporte une fois pour toutes sur la bêtise. À certains moments, l’un semble dominer, tandis qu’à d’autres occasions, c’est l’inverse qui se produit. Si l’on en juge par le combat qui oppose aujourd’hui le savoir à la bêtise, cette dernière a manifestement encore le dessus, mais comme de plus en plus de gens prennent conscience de la lutte titanesque qui les oppose, c’est le savoir qui a le vent en poupe. Il ne tient qu’à nous de faire pencher la balance en sa faveur, à condition que nous soyons conscients qu’il s’agit d’un combat sans fin.

Texte original : https://brownstone.org/articles/the-war-between-knowledge-and-stupidity/