Cinquième conférence publique de Krishnamurti à Saanen (mardi 18 juillet 1978), traduite par René Fouéré dans un style respectant l’oralité. Fouéré effectuait la traduction des enregistrements sur place et les lisait au public francophone le lendemain. Le titre est de 3e Millénaire.
Nous avons discuté ensemble de la question de la peur et de savoir si, après avoir entendu, après avoir entendu notre conversation ensemble sur ce fardeau de la peur, si nous nous sommes quelque peu libérés de ce fardeau. Ou, avons-nous simplement écouté cet entretien, perçu son caractère raisonnable, son caractère sensé, et, n’ayant pu rien en faire, l’avons-nous laissé simplement tomber ? Je me demande ce que nous avons réellement fait chacun d’entre nous, en ce qui concerne cette question de la peur et celle de notre identification avec nos amis, notre famille, nos meubles, notre maison, notre pays, nos idées, etc. Je me demande si, après ces quatre causeries, nous avons réellement mis fin à toute identification et si, par conséquent, nous sommes parvenus à beaucoup de liberté. Pas de liberté relative, mais de liberté. Et, lorsque nous nous posons ces questions à nous-mêmes, si nous nous les posons superficiellement, intellectuellement, ou si nous nous les posons comme des questions nous affectant très profondément, très sérieusement. Et, après nous être posé ces questions à nous-mêmes, si nous avons été quelque peu sérieux, nous avons mis la maison en ordre — votre maison, qui est vous. Et, quand nous mettons les choses en ordre dans notre maison, nous sommes libres, nous avons plus d’énergie. C’est seulement quand il y a désordre que nous gaspillons l’énergie.
Et l’ordre implique que nous avons compris profondément quels sont les mouvements du désordre en nous-mêmes, pourquoi nous vivons — peut-être même dans nos propres appartements — dans un tel désordre. Ou, si notre maison est en ordre, pourquoi il y a en nous-mêmes un désordre aussi profond et permanent, une incertitude quant à la raison pour laquelle de tels êtres humains vivent dans ce désordre, depuis le moment de leur naissance jusqu’à leur mort — pourquoi ? Comment pouvons-nous tolérer que nous vivions dans de telles conditions ? Je me demande si vous vous êtes posé ces questions ?
Si vous l’avez fait — peut-être quelques-uns d’entre vous l’ont fait — et que vous ayez découvert que vous étiez dans le désordre, vous vous êtes mécaniquement appliqué à mettre tout en ordre en vous-mêmes. Pour cela, vous vous êtes entraîné à une discipline, vous avez suivi un modèle, un modèle établi après deux mille ans ou dix mille ans, ou les modèles établis par quelque gourou, quelque, prêtre ou quelque spécialiste de la prétendue spiritualité. Ou, vous avez essayé de vous évader de ce désordre permanent, interminable, apparemment interminable, vous avez essayé de vous identifier à quelque chose qui est l’ordre suprême, qui est le cosmos, les cieux, l’univers entier.
Je me demande ce que vous, vous observant dans le miroir qui vous dit exactement ce que vous êtes, je me demande ce que vous faites à propos de ce désordre ? Êtes-vous conscient que vous vivez dans le désordre ? Êtes-vous conscient que vous vivez dans la contradiction ? Ce constant conflit entre « ce qui est » et « ce qui devrait être »…
Si vous vous posez ces questions, attendez-vous une réponse de vous-même ? Ou attendez-vous une réponse de quelqu’un d’autre ? Hein ?
Je crains que la plupart d’entre vous soient inclinés à trouver l’ordre et non à comprendre le désordre. En recherchant ce qu’est l’ordre, nous acceptons aisément l’avis de quelque spécialiste, de quelque autorité, de quelque prêtre, de quelque gourou qui nous dira ce qu’est l’ordre. Ainsi, nos esprits deviennent de plus en plus mécaniques, parce que, lorsque nous acceptons un modèle d’ordre, nous devenons pareils à un soldat entraîné, jour après jour, jour après jour, mois après mois, entraîné, les tambours martelant sa cervelle. Ainsi nous suivons, nous acceptons, nous obéissons, nous nous soumettons. Est-ce que cette soumission, cette obéissance, cette acceptation ne sont pas la racine même du désordre ? Comme nous l’avons dit, s’il vous plaît, n’acceptez rien, absolument rien de ce que dit l’orateur. Et j’insiste bien sur ce point. Ce sont les questions que vous vous posez à vous-même.
Donc, nous découvrons, par nous-mêmes, combien nos actions, nos attitudes, nos réactions sont extraordinairement mécaniques. Et, il en est de même de nos cerveaux. Toute notre existence devient une routine. Et cette routine a façonné nos esprits.
J’entends par esprit : le cerveau, la pensée, tout le contenu de la conscience, les sens, j’entends tout cela par ce mot. Tout cela est exprimé par le mot « esprit » : la conscience, les sens, le mouvement de la pensée, le contenu de la conscience, tout cela est l’esprit. Je me sers de ce mot dans ce sens. Nous pourrons modifier ce sens plus tard, l’année prochaine ou demain, faire usage d’un mot différent, mais, pour le moment, nous nous servons du mot « esprit » pour exprimer tout cela.
Si vous vous observez dans le miroir, ne découvrez-vous pas que votre esprit, tout le contenu de votre esprit, est devenu extraordinairement mécanique ?
Vous êtes chrétiens, ou, si vous avez abandonné votre christianisme, vous appartenez à quelque chose d’autre ou, si vous avez abandonné cela aussi, vous appartenez à quelque chose d’autre encore. Ou, vous suivez une certaine routine, une certaine manière de penser, en accord avec vos opinions, vos expériences, qui fonctionnent toujours dans d’étroites limites. D’accord ? Avez-vous remarqué cela ? Que votre esprit est mécanique. Parce que, s’il vous plaît, nous allons en venir à quelque chose qui est peut-être assez difficile. Je ne sais pas où cela va nous conduire. Cela peut devenir un peu plus complexe. Par conséquent, s’il vous plaît, donnez un peu de votre attention.
Vous savez, quand vous avez un petit enfant avec vous, vous écoutez ses cris, vous écoutez ses mots, son murmure. Vous êtes si préoccupé ! Vous écoutez : Vous pouvez être endormi, mais, du moment qu’il crie, vous vous éveillez ! Et vous êtes constamment attentif, parce que l’enfant est vôtre, vous devez en prendre soin, vous devez l’aimer, le tenir dans vos bras et, dès lors, vous êtes terriblement attentif. Même si vous dormez, vous vous éveillez.
Maintenant, pouvez-vous écouter de cette manière ? Avec la même qualité d’attention, d’affection, avec le même soin, comme si vous écoutiez chaque mouvement de cet enfant ? Pouvez-vous faire cela, en observant le miroir ? Non pas moi, vous ne m’écoutez pas, vous écoutez ce que le miroir, qui est vous-même, vous dit. Vous l’écoutez avec cette affection concentrée, avec ce soin extraordinaire. Voulez-vous le faire ?
Donc, nous nous demandons : pourquoi les êtres humains sont-ils devenus si mécaniques ? Cette habitude mécanique, évidemment, produit le désordre.
Parce que, si vous fonctionnez tout le temps à l’intérieur d’étroites limites, dans ces étroites limites, il y a toujours cette énergie qui est limitée et, par conséquent, elle lutte pour passer au travers. Ce qui est l’essence du conflit. Vous comprenez ? Non, vous ne me comprenez pas, vous comprenez ce que dit le miroir, il n’y a pas d’orateur ici.
Donc, pouvez-vous observer, avec soin, avec cette attention que vous inspire un sentiment de grande affection à l’égard de ce que vous allez entendre ?
Nous parlons au sujet du désordre. Et nous vivons dans le désordre, le désordre des habitudes, des croyances, des conclusions, des opinions. C’est le cadre dans lequel nous vivons. Lequel, naturellement, étant limité, crée obligatoirement le désordre.
Maintenant, quand on est dans le désordre, rechercher l’ordre est une erreur, évidemment. Parce que l’esprit qui est confus, qui n’est pas clair, reste encore dans la confusion et dans l’incertitude, lorsqu’il recherche l’ordre. C’est bien évident. Tandis que, si vous prenez connaissance du désordre dans lequel vous vivez, si vous le comprenez, si vous en comprenez les causes, le mouvement, par le fait même de comprendre ce désordre, du fait de cette compréhension, l’ordre surgit naturellement, aisément, heureusement, sans aucune contrainte, sans aucun effort pour se maîtriser. Vous comprenez ce que je dis ? C’est ce que le miroir vous dit : comprendre, non pas verbalement, intellectuellement, émotionnellement, mais comprendre le mouvement du désordre en vous-même, pourquoi ce désordre survient — et vous pouvez découvrir les causes instantanément, si vous y prêtez attention, cette attention que vous accordez à un petit enfant sans défense — c’est avoir une perception pénétrante et instantanée de ce désordre.
Donc, quelle est la racine du désordre ? Sa racine ? Il y a de nombreuses causes de désordre. La comparaison, se comparer avec un autre, comparer l’homme ou la femme qu’on est avec ce qu’il ou ce qu’elle devrait être, imiter un exemple, cet exemple étant quelqu’un qui passe pour un saint — vous savez toute cette sottise, je n’ai pas à étudier cette absurdité — ou se conformer. D’accord ? Conformité, imitation, se modeler sur quelque chose dont vous pensez qu’il se trouve au-delà de ce qui est. D’accord ? Donc, il y a toujours conflit entre « ce qui est » et « ce qui devrait être ». Vous avez saisi ? Cela revient à comparer, ce qui est le mouvement de la pensée : j’étais ceci, ou j’étais heureux et quelque jour, je serai de nouveau heureux. Donc, ce constant mesurage entre « ce qui a été “ou” ce qui est » et « ce qui devrait être ». Cette constante évaluation amène le conflit et c’est une des raisons fondamentales du désordre. D’accord ? Et une autre cause de désordre est le fait d’opérer à partir du passé.
Maintenant, est-ce que l’amour est un mouvement dans le temps, un mouvement de la pensée, un mouvement du souvenir ? Vous comprenez ? Vous comprenez ma question ? La question que vous pose le miroir dans lequel vous regardez. Et, est-ce que cet amour, ce prétendu amour ne cause pas un si extraordinaire désordre dans les rapports humains ? D’accord ? Regardez, regardez la chose vous-même, pour l’amour de Dieu !
Maintenant, quelle est la racine du désordre ? Vous pouvez en voir les causes, et nous pourrions en ajouter d’autres, mais ce n’est pas la question. En examinant ce qu’est la racine du désordre, n’analysez pas ! Nous sommes passés par là. Regardez simplement ! Si vous regardez sans analyse, vous avez une vision pénétrante et immédiate de cela. Si vous dites : « J’examinerai, je déduirai » ou si vous analysez de l’extérieur — induction et déduction —, c’est encore le mouvement de la pensée… « Tandis que, si vous pouvez observer avec ce soin, cette attention profonde dans lesquels sont impliquées beaucoup de tendresse et d’affection, alors vous avez une perception immédiate et pénétrante de la chose. Donc, nous demandons : quelle est la racine du désordre ? Avançons, Messieurs, découvrons la chose !
Quelle est la racine du désordre, du désordre intérieur et, par conséquent, du désordre extérieur ? Vous pouvez voir ce terrible désordre dans le monde, ce désordre insupportable. Des gens s’entretuent, des dissidents sont torturés, mis en prison — vous suivez, tout cela se passe ! Nous tolérons tout cela, parce que nos esprits acceptent que les choses soient ce qu’elles sont ou, au mieux, essaient de les changer, ça et là, un tout petit peu.
Donc, quelle est la racine du désordre ? Ce qui signifie qu’il vous faut étudier la question : qu’est-ce que notre conscience ? Vous comprenez ? Qu’est-ce que votre conscience ? Lorsque vous vous regardez, dans ce miroir sans déformation, qu’est-ce que votre conscience ? Ce pourrait être l’essence du désordre. Bon ! Donc, nous devons rechercher ensemble ce qu’est notre conscience.
Notre conscience est une chose vivante, une chose mouvante, elle est active. Elle n’est pas quelque chose de statique, de fermé, de bouclé — elle n’est pas comme cela. C’est une chose qui est constamment changeante, mais qui change à l’intérieur d’une frontière étroitement limitée. Elle est pareille à un homme qui pense qu’il change, quand il se borne à changer un petit peu là, dans un coin, sans transformer le reste du domaine.
Donc, nous avons à comprendre la nature et la structure de la conscience. Nous faisons cela pour découvrir si c’est la racine de notre désordre. Cela peut ne pas être le cas. Nous allons le découvrir.
Donc, qu’est-ce que notre conscience ? N’est-ce pas tout ce que la pensée a assemblé, construit ? La forme, le corps, le nom, les sens, avec lesquels la pensée s’est identifiée ; les croyances, les douleurs, les tortures, les agonies, l’inconfort, les dépressions et les exaltations, les jalousies, les anxiétés, les peurs, les plaisirs ; mon pays et votre pays, je crois en Dieu, je ne crois pas en Dieu, Jésus est le plus important, Krishna est beaucoup plus important, etc., etc., etc. N’est-ce pas tout cela, votre conscience ? Non ? Vous pouvez y ajouter davantage, dans le détail : je suis brun, je souhaiterai être d’un teint plus clair ; je suis noir, mais le noir est beau, etc., etc.
Le passé, la tradition, l’hérédité, toute la tradition de l’humanité est basée essentiellement sur cela. Sa mythologie — tout cela est le contenu de la conscience.
Si vous étiez né en Inde ou en Afrique, où le Christianisme n’est pas à la mode, ce ne au serait pas la même tradition. Ils ont leurs propres dieux, leurs propres images, leurs propres formes d’adoration, cela fait partie de leur conscience. Comme cela se passe ici ; seulement ils appellent cela d’un nom différent, mais, essentiellement, c’est la même structure. D’accord ?
Et aussi longtemps qu’on ne se rend pas compte du contenu de la conscience et qu’on agit, cette action est inévitablement limitée et, dès lors, entraîne le désordre. Non ? Vous comprenez ? La pensée dans son mouvement crée nécessairement le désordre. À moins qu’elle ne réalise sa propre place, qui est la connaissance. La connaissance est limitée et, par conséquent, elle a la place qui lui convient. C’est clair. Nous avons étudié cela. Je vais l’étudier encore et encore.
Donc, la pensée, née d’hier ou de dix mille millions d’hier, est limitée, et le contenu de notre conscience est, en conséquence, limité, ainsi que notre conscience elle-même. Bien que la pensée puisse dire que cette conscience n’est pas limitée et qu’il y a une conscience supérieure, mais c’est encore une forme de conscience. Vous avez saisi ?
Donc, la pensée, qui ne s’est pas rendu compte de sa propre place, est l’essence même du désordre. D’accord ? Vous comprenez ? Ce n’est pas quelque chose de romantique, de vague, un non-sens. Vous pouvez voir par vous-même, si vous êtes logique, si votre esprit est sain, s’il est clair, que la pensée étant limitée doit créer du désordre.
C’est comme un homme qui dit : « Je suis un Juif » ou « Je suis un Arabe » ou « un Chinois », il est limité et, par conséquent, il s’enferme, il résiste. C’est le commencement des guerres et de toute la souffrance. D’accord ? Voyez-vous réellement ce fait ? Non comme une idée, non comme quelque chose que quelqu’un vous a dit, mais le voir par vous-même, comme vous voyez le bébé et entendez son cri. Alors, à ce cri, vous agissez ! Vous vous levez !
Donc, une partie de notre façon mécanique de vivre est née de cette conscience limitée. D’accord ? Donc, est-il possible de ne pas élargir ladite conscience ? Comprenez-vous le sens de ce mot ? L’agrandir, l’élargir, y ajouter davantage de choses, plus de savoir, plus d’expérience, davantage de mouvement d’un point à l’autre, essayer de l’étendre. Il y a des écoles qui font cela, par l’entraînement, la discipline, la maîtrise de soi, tout cela. Or, quand vous essayez d’élargir la conscience, il y a un centre de mesure. Vous comprenez ? Quand vous essayez d’agrandir quelque chose, d’agrandir une maison — vous suivez ? — de passer d’une petite fondation à une grande fondation, quand vous agrandissez, il y a un centre à partir duquel vous agrandissez. De la même manière, il y a un centre à partir duquel vous agrandissez la conscience, ce qui introduit la mesure. Cela importe peu si vous ne comprenez pas : regardez-vous ! N’essayez-vous pas d’élargir votre conscience ? Vous pouvez ne pas vous servir de ce mot. Vous pouvez dire : « Eh bien ! J’essaie d’être meilleur » — « J’essaie d’être davantage ceci ou cela » — ou de réussir. Aussi longtemps qu’il y a un centre à partir duquel vous agissez, il doit y avoir désordre.
Alors, le problème surgit : est-il possible d’agir, de fonctionner naturellement, heureusement sans qu’il y ait un centre ? Sans le contenu de la conscience ? Comprenez-vous ces questions ? Nous posons des questions fondamentales. Vous pouvez ne pas être accoutumés à cela. La plupart d’entre vous posent ces questions plutôt mollement ou avec indifférence, et s’en vont. Mais, nous posons des questions auxquelles vous devez répondre, auxquelles vous devez trouver une réponse, que vous devez approfondir pour leur trouver, par vous-mêmes, une réponse. Est-il possible d’agir, de vivre notre vie quotidienne sans ce centre, qui est l’essence du désordre ?
En d’autres termes, dans vos rapports avec un autre, quelque intimes qu’ils puissent être, si vous êtes constamment préoccupés de vous-même, de vos ambitions, de votre personnalité, de votre beauté, de vous, dans vos rapports avec un autre, et si l’autre fait aussi de même dans ses rapports avec vous, naturellement, il y a conflit, c’est-à-dire désordre.
Donc, est-il possible de ne pas agir à partir d’un centre ? Nous avons étudié la nature de ce centre. Le centre est cette conscience avec son contenu et le contenu est toutes les choses que la pensée a assemblées, construites, avec ses sensations, avec ses désirs, avec ses peurs, etc., etc. D’accord ? Quelle est cette action dans laquelle il n’y a pas de contradiction, pas de regret, ni récompense, ni punition, donc, une action qui est complète ? Vous comprenez ? Nous allons le découvrir. Nous allons le découvrir. Ce n’est pas moi qui vais le découvrir et vous donner la réponse, vous la dire. Mais nous allons découvrir la chose ensemble, en nous souvenant qu’il n’y a pas d’orateur, mais seulement le miroir dans lequel vous regardez.
Pour découvrir cela, nous devons étudier la question de savoir ce qu’est l’amour. Car, nous pouvons découvrir la vérité au sujet de l’amour, cela peut complètement dissoudre le centre, amener une action complètement holistique. Donc, nous devons étudier cela très, très soigneusement, si vous le voulez bien ?
Cela signifie : voulez-vous écouter ? Vous avez vos opinions au sujet de l’amour, évidemment. Vous avez vos conclusions au sujet de l’amour. Vous dites que l’amour ne peut pas exister sans jalousie, que l’amour existe seulement quand le sexe intervient, seulement quand vous aimez tous vos voisins, les animaux et tout ce qui s’ensuit. Vous avez un concept, une idée, une conclusion au sujet de la nature de l’amour. Si c’est le cas, alors vous ne pouvez absolument pas enquêter. D’accord ? Si vous dites déjà : « C’est ainsi », vous êtes fini ! C’est comme un de ces gourous qui dit : « Je sais, j’ai atteint l’illumination ! » et, parce que vous êtes crédule, vous le suivez, vous ne le mettez jamais en question.
Donc, nous sommes là — il n’y a pas d’autorité, pas d’orateur, mais nous nous posons une très, très sérieuse question, qui pourrait nous conduire à faire dissoudre le conflit, la contrainte, à mettre un terme à cette bataille constante en soi-même et avec l’autre. Et, pour découvrir cela, nous devons étudier très profondément cette question de la nature de l’amour. Non pas ce qu’est la compassion. Je parle de l’amour. N’introduisez, pas un autre mot et ne jetez pas ainsi de la confusion dans celui-ci. Nous parlons simplement de ce que les êtres humains appellent l’amour. Aimer leurs animaux, leurs animaux favoris, aimer leur jardin, leur maison, aimer leurs meubles, aimer leur fille ou leur fils, aimer leurs dieux, leur pays — vous suivez ? Cette chose appelée amour, qui est si chargée, qui est si piétinée. Nous allons découvrir ce qu’elle est. D’accord ?
Ne vous endormez pas ! Ou ne prenez pas de notes. Je crois que vous allez avoir des cassettes, que vous pourrez écouter après coup, si vous le désirez. Mais, prendre des notes pendant que le bébé crie (Krishnamurti rit). Vous suivez, c’est une bonne comparaison pour vous, vous la comprendrez. Dire pourquoi il crie et écrire tout cela très soigneusement ! (Rires) Donc, je vous en prie, faites un peu attention. C’est-à-dire, écoutez, cela veut dire l’art d’écouter. Vous savez, ce bébé, quand il crie, vous écoutez avec tout votre esprit. L’art d’écouter signifie mettre chaque chose à sa juste place. Si vous comprenez réellement le sens de ce mot, c’est l’art réel, non pas de peindre des tableaux et tout ce qui s’ensuit. Cela vient en second lieu ou en troisième lieu. Mais, l’art de mettre votre vie en ordre, c’est-à-dire vivre harmonieusement : quand vous avez mis toute chose en vous-même à sa juste place, vous êtes libre. Ce fait de mettre chaque chose à sa juste place fait partie de l’intelligence. Alors, vous allez dire : « Vous donnez un sens nouveau à ce mot intelligence ». Il le faut ! L’intelligence implique qu’on lise entre les lignes, entre les mots, entre deux silences, écouter de telle sorte que votre esprit soit toujours alerte pour entendre. Vous n’écoutez pas seulement avec votre oreille, mais vous écoutez aussi sans l’oreille. Donc, nous demandons quelle est la signification et la beauté — si beauté il y a — de l’amour ? Cela me donne une idée — pas une idée !
Avez-vous jamais examiné ce qu’est la beauté ? Que signifie la beauté ? Est-elle en rapport avec le désir ? Ne le niez pas. Regardez la chose, écoutez soigneusement et découvrez ce qu’il en est. Est-ce que la beauté fait partie du désir ? Est-ce qu’elle fait partie des sens ? Vous voyez une merveilleuse construction, le Parthénon, un ancien édifice grec ou égyptien, ou une de ces cathédrales, une merveilleuse construction — vos sens sont éveillés par la beauté de cela. Donc, est-ce que la beauté fait partie de cela ? Et est-ce que la beauté est dans le visage, la couleur, la forme, la structure osseuse de la face, l’éclat des yeux, de la peau et de la chevelure, et l’expression d’un homme ou d’une femme ? Vous comprenez toutes ces questions ? Ou y a-t-il une autre qualité de beauté qui puisse transcender toute cette beauté-là, et qui est telle que, lorsqu’elle fait partie de cette vie, la forme, la beauté, toutes choses ont leur place ? Tandis que si cela n’est pas saisi, n’est pas compris, l’expression extérieure, l’extérieur — tout cela prend toute l’importance. D’accord ? Donc, nous allons découvrir ce qu’est la beauté. Si vous êtes intéressés !
Vous savez, quand vous voyez quelque chose comme cette merveilleuse montagne se détachant sur le ciel bleu, la neige très brillante, claire, pure — la majesté de cela chasse toutes vos pensées, vos préoccupations, vos problèmes, les écarte de cela. Avez-vous remarqué cela ? Vous dites : « Combien c’est beau ! » Et, pendant peut-être deux secondes, ou même une minute, vous êtes absolument silencieux. D’accord ? Avez-vous remarqué cela ? Ce qui signifie quoi ? Que la grandeur du spectacle chasse, pendant cette seconde-là, notre mesquinerie. D’accord ? Ainsi, cette immensité vous a saisi, nous a pris. D’accord ? Vous comprenez cela ? C’est comme un enfant avec un jouet compliqué — pendant une heure, il est occupé, il ne parle pas, il ne fait aucun bruit, il est complètement absorbé par cette chose. Ce qui signifie que le jouet l’a absorbé — Vous suivez cela ? Vous comprenez ?
De même, la montagne vous absorbe, et, par conséquent, pendant une seconde ou une minute, vous êtes absolument tranquille. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de soi. Maintenant, sans être absorbé par quelque chose — vous comprenez ? — que ce soit un jouet, une montagne ou un visage, ou une idée, ou ceci ou cela, être en soi-même, complètement, sans le moi, c’est l’essence de la beauté. Comprenez-vous tout cela ? Donc, nous allons découvrir ce qu’est l’amour. Parce que, si on peut le découvrir, notre vie peut-être totalement différente. On peut vivre sans conflit, sans contrainte, sans aucune espèce d’effort. Nous allons le découvrir.
Tout d’abord, comme nous le disions l’autre jour, il y a l’action positive et une qui est une non-action. J’ai étudié cela, D’accord ? Est-ce que je dois y revenir ?
Dans l’action positive, on fait quelque chose à propos de ce que l’on éprouve, on le maîtrise, on le réprime, il y a effort, domination, on l’esquive, on l’explique, on le rationalise, et, dans ce processus même d’analyse, de rationalisation, il y a une action qui est considérée comme positive, on fait quelque chose à propos de ce qui est éprouvé. D’accord ? Et, nous disons qu’il y a une action, une non-action, qui n’est pas reliée à l’action positive, qui n’en est pas l’opposé et qui consiste à observer sans action. Alors, cette observation même, comme nous l’avons souligné, amène une transformation radicale de ce qui est observé. C’est la non-action. Comprenez-vous cela ? Un petit peu ? Ça ne fait rien. C’est votre vie. Nous sommes si accoutumés à faire quelque chose de positif ! D’accord ? « Je dois », « Je ne dois pas », « C’est juste », « C’est faux », « C’est correct », « Cela devrait être », « Cela ne doit pas être », « Je vais le réprimer, le maîtriser ». Tout cela c’est la lutte avec le moi, qui est l’essence du désordre, qui est l’essence du conflit. Si vous voyez cela, non pas verbalement ou intellectuellement ou optiquement, mais si vous voyez réellement la vérité de cela, alors, il y a non-action, une non-action dans laquelle il n’y a pas d’effort. La simple observation elle-même transforme ce qui est observé.
Donc, nous demandons : qu’est-ce que l’amour ? Et nous avons dit que nous avons eu beaucoup d’opinions à son sujet. Opinions de spécialistes, opinions de gourous. Votre femme dit ou votre fille dit : « L’amour c’est cela ». Ou vous dites qu’il est en rapport avec le sexe, etc., etc., etc.
Est-ce vrai ? Est-il en rapport avec les sens ? Des sens, le désir surgit. Avez-vous suivi cela ? Le désir est le mouvement, le mouvement concentré du désir. Le mouvement des sens est le désir, évidemment. N’ayez pas l’air perplexes !
Je vois une belle chose, c’est-à-dire que mes sens sont éveillés et je désire la chose.
Avancez ! Regardez par vous-mêmes. Vous voyez. Nous disons que, lorsqu’il y a un mouvement de la totalité des sens, de tous les sens et non d’un sens particulier, le désir est alors inexistant. Vous examinez cela.
Donc, l’amour est le mouvement des sens, avec le désir qui l’accompagne. D’accord ? Pour exprimer la chose différemment, l’amour est-il le désir ? Sexuellement, les sens sont en opération, le souvenir, les tableaux, les images, les sensations, tout le temps. Et le mouvement de tout cela est considéré comme étant l’amour. L’amour, autant qu’on puisse s’en rendre compte, est partie du désir. Allez lentement. Nous n’avons pas encore développé cela. N’ayez pas l’air déconcertés, ou ne dites pas : « Non, ça ne peut pas être ainsi ». Nous allons étudier la chose. L’amour est-il attachement ? Vous comprenez ? Je suis attaché à ma fille ou à mon fils. Je les possède. Donc, l’attachement est-ce l’amour ?
Toute notre vie est basée sur l’attachement — l’attachement aux biens, à une personne, l’attachement à une croyance, à un dogme, au Christ, au Bouddha, à qui ou à quoi que ce soit — être attaché. Est-ce l’amour ? Quand vous êtes attaché, dans cet attachement, il y a douleur, il y a peur, jalousie, anxiété, la peur de perdre. Donc, nous demandons : lorsqu’il y a attachement, y a-t-il amour ? Quand vous observez, et que vous êtes profondément préoccupé, très profondément préoccupé de découvrir ce qu’est l’amour, alors l’attachement devient sans importance, il n’a pas de valeur. Parce que cela n’est pas l’amour. Donc, l’amour n’est pas le désir. Il n’est pas le souvenir. Il n’est pas l’attachement. D’accord ? Ce n’est pas que je vous le dise et que vous l’acceptiez. C’est ainsi. Et l’amour est-il plaisir ? N’ayez pas l’air si déprimés (rires dans l’assistance). Je regrette (Krishnamurti rit). Cela ne veut pas dire que vous ne puissiez pas tenir la main d’une autre personne. Mais, nous verrons ce qu’il en est, si vous comprenez cela.
Vous voyez, le désir qui est le produit de la sensation ; la sensation attachée à la pensée, la pensée attachée à la sensation et, à partir de cette sensation, le désir. Et ce désir veut se réaliser et nous appelons cela l’amour. Est-ce l’amour ? Est-ce que l’attachement est l’amour ? Dans l’attachement, il y a conflit, il y a incertitude et, par conséquent, plus il y a d’incertitude, plus vous avez peur de la solitude et plus vous devenez attaché, possessif, dominateur, affirmatif, exigeant, et, de là, naît le conflit dans les rapports. Et ce conflit, pensez-vous, fait partie de l’amour. Nous demandons : est-ce l’amour ? Et le plaisir est-il l’amour ? Le plaisir est le mouvement, l’émergence d’un souvenir. D’accord ? Ne gardez pas cette phrase en mémoire (Krishnamurti rit). Écoutez-la simplement.
Je me souviens combien vous étiez gentille, et combien agréable, combien tendre, réconfortante, combien sensuelle, ceci, cela et autre chose encore. Je me souviens de cela. Et je dis : « Chérie, je vous aime ». L’amour est-ce cela ? Et faut-il renier le plaisir. Vous devez vous poser toutes ces questions que je me pose.
Est-ce que vous n’avez pas plaisir à regarder les eaux d’un torrent ? Qu’y a-t-il de mauvais dans ce plaisir ? N’avez-vous pas plaisir à regarder un arbre solitaire dans un champ ? Est-ce que vous n’avez pas plaisir à voir la lune au-dessus des montagnes, comme la nuit dernière ? Peut-être l’avez-vous vue ? Quelques-uns d’entre vous ? C’était un grand ravissement, n’est-ce pas ? Qu’y a-t-il de mauvais en cela ? Mais le trouble commence quand la pensée dit : « Que c’est beau ! Je dois le retenir. Je dois m’en souvenir. Je dois l’adorer. J’espère le revoir ». Alors, le mouvement du plaisir vient en opération. Et, ce plaisir, nous l’appelons l’amour.
L’enfant, le bébé avec la mère. Elle est pleine de tendresse affectueuse. Elle a le sentiment de le tenir dans ses bras. Est-ce l’amour ? Je vous en prie ! Ne me sautez pas dessus. Simplement, je pose la question.
Ou, est-ce que l’amour fait partie de votre hérédité ? Avez-vous vu des singes tenant leurs bébés. L’éléphant qui prend infiniment soin du petit ! Il se peut que nous ayons hérité de cette réponse instinctuelle à l’égard d’un bébé. Et puis, vous dites : « C’est mon bébé ». — Ne secouez pas vos têtes ! — « C’est mon bébé, il est de mon sang, de mes os, de ma chair, je l’aime ! ». Et, si vous aimez si fort vos bébés, tous devriez veiller à ce qu’ils soient convenablement éduqués, veiller à ce qu’ils ne soient jamais violents, à ce qu’ils ne soient pas tués ou n’en tuent pas d’autres. Mais, vous n’en avez pas souci. Vous prenez souci de ce petit bébé seulement jusqu’à ce qu’il ait environ quatre, cinq ou six ans, et puis vous le jetez aux loups ! D’accord ?
Donc, l’amour est-ce tout cela ? Maintenant, l’action positive, c’est de dire : « Non, je ne veux plus m’intéresser au sexe ». Vous savez ? Je veux faire cela, je veux me débarrasser de cet attachement, me libérer de cet attachement, je veux travailler au sujet de l’attachement. Vous suivez ? Travailler, faire quelque chose au sujet de cela, tout le temps. Tandis que l’action négative, c’est de voir la chose dans sa totalité. Dès lors, vous aurez une perception pénétrante et immédiate (insight). Alors, vous verrez que l’amour n’est aucune de ces choses.
Mais, parce que l’amour est là, à partir de cet amour, tous les rapports sont transformés.
Vous savez, les ascètes, les moines, les sannyasins en Inde, en Europe, et les moines dans le monde entier, ils ont dit : « Pas de désir, pas d’intérêt accordé au sexe, ne regardez pas une belle femme. Si vous le faites, pensez qu’elle est votre sœur ou votre mère. Ou, si vous la regardez, concentrez-vous sur son aspect divin ! » Vous suivez ? Et tout le reste ! Et ils sont brûlants à l’intérieur. Au-dehors, ils nient, mais, en eux-mêmes ils brûlent. Et c’est ce qu’ils appellent une vie religieuse ! Ce qui signifie qu’ils n’ont pas d’amour. Ils ont une idée de ce qu’est l’amour. L’idée n’est pas l’amour. L’idée, le mot, ne sont pas l’amour. Mais, seulement quand vous avez vu tout le mouvement du désir, de l’attachement, du plaisir, alors, de cette profondeur de perception surgit cette fleur étrange, avec son extraordinaire parfum. C’est l’amour.