A.-M. Cocagnac
L'apocalypse et ses images

Les mythes originels sont les propositions sémantiques de la vie elle-même. Cette vie est à la fois extérieure et intérieure. Elle rejoint, d’une part, l’environnement cosmique et, de l’autre, elle descend dans la profondeur du cœur pour rejoindre ce que Tauler nommait le Grunt, la couche profonde de l’être, « celle que l’on atteint en le débarrassant de toutes ses superstructures… des images fabriquées par la raison et par les sens »

(Revue Question De. No 25. Juillet-Août 1978)

D. H. Lawrence est mort, en 1930, à quarante-cinq ans, en laissant derrière lui une œuvre considérable. Connu d’abord par le scandale que lui valut son roman l’Amant de Lady Chatterley, il devait vite retenir l’attention des lecteurs attentifs. Le talent d’invention et d’écriture révélait en effet un esprit aigu qui se donnait pour objectif de faire une percée dans les remparts de la culture et de la morale de son temps. Au plein sens du terme, D.H. Lawrence apparaît comme l’homme des connexions. Il souffre des ruptures que la conscience moderne a créées entre la nature (entendez la totalité cosmique) et la société : entre la vie et certaines formes morales ; entre l’art et la réflexion philosophique ; entre l’intuition religieuse (connectante) et les déterminations ecclésiales. Ceux qui ont aimé le romancier sont tout à fait surpris de lire, par exemple, le recueil d’essais présenté en France par Marcel Marnat sous le nom d’Homme d’abord ; on y trouve, entre autres, des réflexions sur la psychanalyse naissante qui étonnent par leur lucidité. Crépuscule sur l’Italie, Sardaigne et Méditerranée, Matinées mexicaines ont révélé un Lawrence qui fait figure d’« anti-touriste ». Peut-on appeler d’ailleurs « roman » le Serpent à plumes qui, s’il met en jeu des personnages fictifs, n’en demeure pas moins une longue méditation sur la permanence des mythes anciens dans la conscience des Mexicains contemporains et même dans l’esprit de l’homme d’aujourd’hui ?

Lawrence est hanté par ce qu’il pense être le malheur de notre temps : la perte du sens de la totalité. Il considère avec terreur le pouvoir diviseur d’une forme d’intelligence. Cette division est pour lui le préambule à l’exercice d’un pouvoir dominateur et destructeur. L’homme, détaché de ses liens cosmiques, devient un individu déraciné. Il cesse d’être un arbre pour devenir du bois d’œuvre que les puissants manipulent à merci. Dans la lumière de cette intuition, Lawrence passe au crible de son impiété critique les mots sacro-saints du monde occidental contemporain : liberté, individu, démocratie. On imagine immédiatement le tollé que peut soulever une telle agression, un tel blasphème. Les injures ne sont pas loin : « nazi »,  « fasciste »,  aussi bien que « socialiste dément ». « Utopiste », diront ceux qui ignorent que l’utopie peut être aussi une manière de réfléchir sur la réalité. « Panthéiste », crieront les doctrinaires, sans se rendre compte que neuf fois sur dix ce mot ne veut rien dire.

Oui, Lawrence est l’homme des connexions. Il considère l’homme comme un domaine très particulier, doué de conscience, certain de ne pouvoir vivre qu’intégré dans des domaines plus vastes. Que le domaine ultime soit nommé « Cosmos » par les uns ou « Dieu » par les autres ne gêne guère son propos. Il veut avant tout stigmatiser une pseudo-indépendance qui fonde finalement le pire des esclavages. Pour Lawrence, le citoyen de l’Univers ne sera jamais qu’un pion sur l’échiquier des puissants. S’il n’est ni roi ni reine, il sera peut-être la tour imprenable ou le fou insaisissable. Sur ce terrain de jeu, Lawrence ressemble plutôt au cheval ou, mieux, au Centaure. Sa démarche déroute, car ses écarts sont, en fait, des éclairs de conscience qui dévient la trajectoire impulsive de l’animal.

L’APOCALYPSE DE D.H. LAWRENCE

Les Editions Balland viennent d’offrir au lecteur français une excellente traduction de l’Apocalypse de Lawrence. Cent soixante-treize pages constituent une grosse marmite fumante en laquelle certains trouveront leur provende et d’autre le « bouillon d’onze heures ». Faut-il lire l’Apocalypse avant ou après les autres œuvres de Lawrence ?

Ceux qui connaissent déjà la pensée de cet auteur entreront de plain-pied dans une réflexion de style quelque peu abrupt. Je pense toutefois que cette Apocalypse est suffisamment explosive pour susciter une curiosité profonde de l’auteur et de son œuvre. L’Apocalypse biblique est une forteresse qui résiste depuis des siècles aux tentatives d’explication. La prolifération des symboles de ce style juif très caractéristique déroute la logique occidentale, efface ses repères historiques, géographiques, cosmiques.

Les multiples portes d’entrée de ce bastion inspiré conduisent toutes à un dédale dont personne, en définitive, ne connaît le plan. Lawrence refuse le jeu des repérages impossibles : il tire à boulets rouges sur ce château imprenable par les voies de la stratégie habituelle. Il démantèle littéralement un texte fait d’un conglomérat de symboles anciens.

Il remarque tout d’abord que ces symboles ne sont pas très frais. Ils viennent d’une réserve millénaire. Ils sont nés sous d’autres cieux que celui de Patmos, ils sont les fruits d’autres pensées religieuses. L’Apocalypse les a quelque peu fagotés. Ils ont perdu dans l’opération leur ardeur originelle. Le symbole est devenu allégorie. « Même enfant, je haïssais l’allégorie », s’exclame Lawrence.

Ce processus d’abstraction est, pour Lawrence, une première déconnexion en laquelle il voit le signe et la cause d’autres ruptures plus fondamentales.

Les mythes originels sont les propositions sémantiques de la vie elle-même. Cette vie est à la fois extérieure et intérieure. Elle rejoint, d’une part, l’environnement cosmique et, de l’autre, elle descend dans la profondeur du cœur pour rejoindre ce que Tauler nommait le Grunt, la couche profonde de l’être, « celle que l’on atteint en le débarrassant de toutes ses superstructures… des images fabriquées par la raison et par les sens » (Claire Champollion : « le Vocabulaire de Tauler », in la Mystique rhénane, ouvrage collectif (Paris, P.U.F., 1963).

Pour Lawrence, « cette imagerie est totalement a-poétique, arbitraire, certaines images sont mêmes horribles… ce cavalier qui trempe sa chemise dans le sang de l’agneau. Des phrases aussi comme la « colère de l’agneau » sont elles-mêmes ridicules». (L’Apocalypse Paris, Balland, 1978, p. 44).

L’Apocalypse peut se prêter à des interprétations désastreuses

Après cette première salve, l’Apocalypse de Jean de Patmos semble mise hors combat, reléguée parmi les grandes machines hors d’usage et finalement sans intérêt. Lawrence, pourtant, va continuer son analyse. Il procède alors à une opération dont on ne sait jamais très bien s’il s’agit d’une autopsie ou d’une intervention chirurgicale. En fait, il se passe une chose étrange, assez comparable à l’acte d’un chirurgien qui, commençant une autopsie, s’apercevrait que le corps qu’il se propose de découper est encore vivant et, du même coup, le ranime.

Il va donc passer en revue les grands ensembles thématiques de ce texte difficile. Il en détache les parties sclérosées, il raccorde les mots aux images, les images aux courants de vie qui les ont suscitées. Qu’il s’agisse du cheval ou du dragon, des coupes ou des trompettes.

De la prostituée ou de la femme couronnée de soleil, on sent renaître, derrière les formulations apocalyptiques, le corps ancien de la pensée mythique millénaire. Lawrence, qui n’aime pas beaucoup Ezéchiel et son cléricalisme intempérant, opère cependant comme le prophète qui, sur l’ordre de Dieu, réorganisait des vivants à partir de quelques os desséchés, épars dans le désert. Au-delà des invectives, des sarcasmes, des jugements sans appel, le texte ancien reprend vie, s’actualise parce qu’il retrouve ses origines, comme un arbre dont les feuilles prospèrent révèle du même coup que ses racines ont « pris » dans la terre. Lawrence pourtant est net : l’Apocalypse se prête facilement à des interprétations désastreuses. Nous lui laissons, pour notre part, la responsabilité d’un jugement trop sommaire pour s’appliquer à l’Eglise en tant que communauté historique et universelle. Il semble, en fait, considérer le christianisme par la lorgnette d’une Eglise anglaise puritaine qu’il lui est facile de stigmatiser. On pourrait semblablement réduire le champ de vision en partant de l’Eglise inquisitoriale espagnole ou du jansénisme français. Cette extrapolation est donc sujette à caution : la même Italie a produit un Savonarole, dont les complicités apocalyptiques étaient inquiétantes, et un François d’Assise, dont les connexions avec le cosmos n’altéraient pas sa tendresse pour un Christ très humain et crucifié.

Les mots de l’Apocalypse ont été dégradés par le temps

Lawrence, cependant, propose des évaluations qu’un chrétien ne saurait mépriser. Il n’a pas confiance en des mots dont le sens, déterminé par des traditions douteuses, peut devenir source d’erreur, d’oppression et de mort. Pour lui, les forts ne sont pas ce que nous nommerions les puissants, car la force dont il s’agit est faite de douceur et de sensibilité. Ceux qui se nomment les faibles sont parfois de faux humbles avides de pouvoir. Lawrence est persuadé que l’Apocalypse, livre fondamentalement équivoque, a cautionné un travers de l’esprit qui est à l’origine des dégradations religieuses et politiques de notre temps.

« La grande autorité biblique champion de cette clameur, c’est l’Apocalypse. Les faibles et les pseudo-humbles vont balayer toute puissance, gloire terrestre et richesse de la surface du globe, puis, eux, les vrais faibles, ils vont régner. Nous en aurons pour un millénaire de saints pseudo-humbles, affreux à regarder. Mais c’est bien ce à quoi tend la religion actuellement : à bas la vie libre et forte, que les faibles triomphent, que les pseudo-humbles règnent. La religion de l’autoglorification des faibles, le règne des pseudo-humbles. Tel est l’esprit de la société  d’aujourd’hui, tant religieux que politique. » (Ibid., p. 52)

Lawrence n’entend pas se laisser leurrer par les mots qui s’opposent : aristocrates/démocrates, forts/faibles, puissants/pauvres. Il pense que l’équivoque apocalyptique a justifié une certaine perversion de l’esprit du Nouveau Testament, et cette perversion a nom : « L’esprit du pouvoir » (Ibid., p. 55). Il sait que ce pouvoir tend à rassembler les hommes en collectivités manipulables à merci. Lawrence pressent ici que la seule résistance possible à ce collectivisme aliénant est le développement de l’individu. Ce développement suppose toutefois que ce même individu réalise son appartenance à la totalité cosmique. C’est là qu’il trouvera sa force, sa puissance de résistance à une oppression qui tend à le réduire au rang de rouage d’une machine sans âme. Ainsi, paradoxalement, derrière les coups de boutoir de ce texte se dessine la nostalgie des vraies valeurs du Nouveau Testament : ce sens communautaire suppose aussi le sens de ce plérome, de cette totalité mystérieuse dont le Christ est le principe, « car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la plénitude » (Saint Paul aux Colossiens, I, 19).

Ce terme de plénitude (en grec : plèrôma) a sidéré des générations de théologiens. C’est bien l’Univers tout entier rempli par la présence de Dieu et, pour saint Paul, régénéré par le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption.

Lawrence reproche à l’Apocalypse d’avoir remplacé l’unité du Cosmos par celle d’une ville cristalline qui lui semble bien artificielle. Il oppose ce qui est organique, total, vivant, à ce qui lui paraît trop organisé. Poète, il avait peur des images vitrifiées, spectres des formes vivantes inexprimables dans la langue du cœur. Les grandeurs de Lawrence définissent aussi ses limites, mais une vérité demeure : la grande contemplation chrétienne, celle qui dépasse les simples « pouvoirs » de la vision et de la prophétie, s’est plus nourrie des paroles de Jésus et des lettres de Paul que des fulgurances de l’Apocalypse. Astre étrange, ce livre garde une face cachée que nul esprit n’a pu ici-bas contempler. Une suspicion tombera toujours sur ceux qui prétendent avoir bouclé la circumnavigation de cette planète fabuleuse.

L’APOCALYPSE ET LES IMAGES DU JUGEMENT DERNIER

Pour comprendre la portée spirituelle de l’Apocalypse dans la tradition chrétienne, il est intéressant de suivre les images qui tentent de refléter la lueur insoutenable du Jugement dernier. Les cheminements de l’Orient et de l’Occident chrétiens ne sont pas identiques. Les images de Byzance, l’iconographie russe, les manuscrits grecs restent en général plus proches des données du texte apocalyptique. Certes, un choix est fait dans le matériel symbolique qu’offre le livre de Jean de Patmos ; la composition n’est souvent qu’une juxtaposition de thèmes littéraires transcrits en images (Voir, par exemple, le manuscrit grec 74 de la Bibliothèque nationale, folios 51 93, 112). Cet assemblage quelque peu simpliste traduit un double souci. Il entend tout d’abord respecter une certaine humilité devant le texte que l’on tente de copier par des formes plastiques. Ainsi, l’ange qui roule le ciel étoilé fait pratiquement le même geste en manipulant le même objet qui ressemble à un rouleau de toile imprimée.

Cette représentation « copie » la phrase empruntée au prophète Isaïe (34, 4) et reprise par l’Apocalypse (6, 14) : « Le ciel disparut comme un livre qu’on roule. »

Les représentations « orientales » n’ont de plus aucun souci de perspective. Le domaine du sacré échappe à la vision terrestre, et la perspective se prend à partir de l’œil charnel. L’organisation de la représentation ne peut se faire par l’illusion de la troisième dimension spatiale. Radicalement plane, elle demande l’intervention de l’œil de l’esprit qui seul peut échapper à l’espace comme au temps.

Longtemps cette conception orientale influera sur l’art de l’Occident. A une époque où le Moyen Age finissant commence à prendre ses libertés, les « Grecs » de Venise et de Ravenne maintiennent encore cette influence. Une visite à l’église de Venise-Torcello suffit à nous révéler dans toute sa plénitude cet art « appliqué » à tous les sens du terme : il se méfie de son invention, il « colle » au texte, il est le fruit de la contemplation de l’« œil spirituel » qui cherche à transcender l’espace.

L’Occident, en revanche, a détaché les représentations du Jugement dernier des illustrations « serviles » de l’Apocalypse. Certes ces dernières existent, comme l’Apocalypse de saint Sever, manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de Paris. Ce sont là des images austères, littérales, nues, qui n’ont rien à voir avec les élégances des tapisseries d’Angers, cette Apocalypse travestie à la mode du XVe siècle.

L’Apocalypse et son imagerie moyenâgeuse

Sur les tympans occidentaux des églises du Moyen Age français se manifeste une évolution notable de l’imagerie apocalyptique. Ces reliefs font face au soleil couchant et s’attachent à représenter progressivement le Jugement dernier d’une manière de plus en plus frappante pour les fidèles. On constate un éloignement progressif de la lettre du texte de Jean de Patmos pour tenter une vision plus directe du mystère eschatologique chrétien.

Le tympan de Moissac présente un Christ en majesté qui s’offre à la vénération dans l’éclat de la pompe d’un empereur byzantin. Parmi les quatre gardiens immédiats de cette gloire, on compte trois animaux mythiques qui ressemblent à un aigle, à un taureau et à un lion. Il faut ajouter à cette triade la mystérieuse figure humaine qui semble les dominer puisqu’elle occupe la place d’honneur, en haut, à droite du Christ. L’Apocalypse empruntait déjà cette garde d’honneur au prophète Ezéchiel. Lawrence a toutefois bien remarqué le glissement progressif qui, du prophète ancien jusqu’à la tradition chrétienne, devait « dégrader » le symbole en le personnalisant.

« Dans Ezéchiel, chacune des créatures est aussi les quatre à la fois, avec un visage différent tourné dans chaque direction. Mais, dans l’Apocalypse, chaque bête a son propre visage. Et, à mesure que l’idée cosmique s’affaiblissait, nous trouvons les quatre natures cosmiques des quatre créatures appliquées d’abord aux grands chérubins, puis aux archanges personnifiés, Michel, Gabriel, etc., et enfin aux quatre évangélistes, Matthieu, Marc, Luc et Jean : ‘Y a quatre Évangiles…”. » Tout au processus de dégradation ou de personnification d’un grand concept ancien, le reste du tympan de Moissac est occupé par les vingt-quatre vieillards (quelque peu abstraits) du texte de l’Apocalypse. (P. 183. Une image de cette transition se trouve, par exemple, dans le manuscrit du Trésor de la cathédrale de Gérone en Espagne. Beatus F° 2. Cf. Symboles, collection Zodiaque, planche ill.)

Le thème subit peu à peu de notables transformations. L’apparition du Christ s’opère dans une auréole en forme d’amande qui laisse pressentir l’au-delà de l’espace divin. Le Jugement semble se dérouler dans un « lieu » intermédiaire. Il s’agit bien d’une opération de justice : on sépare les bons des méchants, mais le scénario tend à s’étoffer. Le thème de la pesée des âmes (thème que l’on retrouve dans le Livre des morts égyptien et qu’illustre un papyrus de la XVIIIe dynastie) tend à prendre alors une importance capitale. Cette « psychostasie » revêt à Autun un caractère profondément dramatique. Ange et démon s’accrochent à chaque plateau pour faire pencher le fléau de l’instrument judiciaire en la faveur du paradis ou de l’enfer.

La terrible balance existe bien à Amiens mais, au niveau supérieur, le Christ est entouré de saints intercesseurs, et les anges eux-mêmes présentent les instruments de la Passion comme de puissants rappels de l’amour miséricordieux du Seigneur.

Un franciscain figure parmi les élus de Bourges. L’esprit de saint François, son sens de la tendre et miséricordieuse humanité du Christ sont déjà à l’œuvre. Les anges portent les corps nus des élus avec un sourire de bonheur. Bien sûr, les damnés vont rôtir dans la marmite infernale en forme de monstre dévorant, mais ces diables sentent le théâtre populaire des mystères médiévaux, et cette verve tombe un peu dans les excès imaginatifs que suscitaient jadis les défilés des élèves des Beaux-Arts dans les rues de Paris !

Que dire enfin de la transformation radicale qu’apportera la Renaissance ? Les anges de Signorelli sont puissants, mais les élus réincarnés s’embrassent tendrement. Le ciel ici a plus de vérité que l’enfer, qui s’accommode mal des restes de l’imagination médiévale. Le geste du Christ, à la Sixtine, semble terrifiant, mais Michel-Ange, sur les quatre cinquièmes de la surface de son Jugement dernier, réalise les plus étonnantes assomption et glorification de la chair qui se puissent imaginer.

Nous sommes loin de l’Apocalypse, littéralement copiée par des images qui se veulent fidèles mais qui souvent ne sont que serviles. Ainsi l’esprit du Christ, la présence charnelle du Seigneur incarné à la communauté glorieuse des ressuscités, retrouve les pleins droits de l’Evangile : la puissance d’une force infinie de Miséricorde qui est l’apanage de Dieu. Les éclats de D. H. Lawrence sont peut-être des propos « offensifs pour les oreilles pies » : reste à se demander si une oreille « pie » est une oreille qui se veut sourde aux revendications de la vérité. Lawrence a voulu retrouver la chair des symboles qu’utilise l’Apocalypse de Jean de Patmos, il a stigmatisé les déviations que pouvait susciter un style apocalyptique trop abstrait et donc équivoque. La brève enquête que nous avons menée dans les images d’Occident a confirmé le bon sens d’une tradition chrétienne soucieuse de rendre sa chair à la communauté des croyants. La lecture de l’Apocalypse restera longtemps une aventure.

A.-M. Cocagnac