Bert Olivier
L’autorité n’est plus ce qu’elle était

Traduction libre 15 février 2024 Lorsque l’on formule l’évolution actuelle du monde — qui peut être formulée de différentes manières — en se demandant si l’affaiblissement progressif de l’autorité au fil du temps, en particulier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pourrait éclairer la crise actuelle, la réponse peut en surprendre plus d’un. Quand […]

Traduction libre

15 février 2024

Lorsque l’on formule l’évolution actuelle du monde — qui peut être formulée de différentes manières — en se demandant si l’affaiblissement progressif de l’autorité au fil du temps, en particulier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pourrait éclairer la crise actuelle, la réponse peut en surprendre plus d’un.

Quand on pense à la facilité apparente avec laquelle les « autorités » (ce mot sonne creux aujourd’hui) ont pu soumettre les populations du monde entier (à l’exception de la Suède et de la Floride) à des mesures Covid draconiennes, on peut se demander ce qui a poussé les gens à accepter leur « autorité », alors que le comportement qu’elles exigeaient était si clairement en conflit avec les droits constitutionnels de la population.

Il est certain que la peur a été un facteur déterminant face à un « virus » qui avait été présenté comme un arrêt de mort en cas d’infection. Il y avait aussi la « confiance » mal placée dans les gouvernements et les agences de santé (qui ne sont pas dignes de confiance). Mais en lisant le livre de l’un des plus grands penseurs européens, le Néerlandais Ad Verbrugge, je suis convaincu que ce qu’il découvre explique en grande partie le fait que la plupart des gens étaient facilement manipulés par les néo-fascistes du soi-disant nouvel ordre mondial.

Le titre du livre, traduit en anglais, est The Crisis of Authority (De Gezagscrisis ; Boom Publishers, Amsterdam, 2023), dont Verbrugge retrace l’origine à différents niveaux, et guidé par quatre questions, en gardant à l’esprit qu’il se préoccupe avant tout des Pays-Bas, bien que sa compréhension de cette crise place son propre pays dans un contexte international plus large.

La première concerne la « légitimité de l’autorité », une question suggérée par la prise de conscience d’une crise de l’autorité. Cela permet au philosophe néerlandais de distinguer différents types d’autorité, chacun d’entre eux nécessitant une légitimation distincte. En effet, Verbrugge qualifie l’autorité d’un type particulier de « pouvoir(s) légitime(s) » et souligne qu’elle présuppose l’accord volontaire d’un individu (adulte) pour (ou l’« autorisation de ») l’exercice du pouvoir.

Lorsque cela se produit, il arrive généralement que ceux qui acceptent la légitimité d’un certain type d’autorité partagent les mêmes valeurs que ceux qui sont autorisés à exercer l’autorité. Il est clair que cela s’applique aux démocraties à un certain stade de leur développement historique, mais cela ne doit pas nécessairement rester ainsi, en fonction des changements culturels, sociaux et technologiques qui surviennent en cours de route.

Dans le contexte d’une exposition de « l’éthique de la vertu » remontant à Aristote, Verbrugge souligne que même si, dans les démocraties d’aujourd’hui, l’intérêt pour les « vertus » des personnalités politiques et des dirigeants individuels peut avoir diminué, le public votant a toujours besoin d’une démonstration de vertus telles que « des réalisations politiques exceptionnelles, l’expérience, de la sagesse pratique et de la vision » (p. 63) de la part des personnalités qui sont dotées d’une autorité légitime. Il cite à titre d’exemple le défunt Nelson Mandela de l’Afrique du Sud. On est tenté de mesurer les soi-disant « leaders » politiques d’aujourd’hui selon ces critères : Joe Biden présente-t-il l’une de ces vertus, par exemple ? Mérite-t-il même le nom de « leader » ?

La deuxième question soulevée par Verbrugge porte sur les raisons historiques et culturelles de la crise actuelle de l’autorité et remonte à la « révolution » culturelle des années soixante, avec la « libération » vantée des individus à l’époque du « faire l’amour, pas la guerre » des hippies, de Bob Dylan et de l’assassinat du président John F. Kennedy. Il retrace également la signification totalement différente (en fait, diamétralement opposée) de la liberté individuelle, en termes économiques, lors de la « révolution » suivante, à savoir celle du néolibéralisme dans les années quatre-vingt. Cette dernière a jeté les bases de ce qui est devenu la « société en réseau » actuelle, qui a depuis généré des attitudes opposées : ceux qui la vivent encore comme une libération, et un groupe croissant qui la perçoit comme une menace — une divergence qui sert à creuser les fondements de l’autorité. Plus d’informations à ce sujet ci-dessous.

Troisièmement, la question est posée de savoir ce qui arrive réellement à l’humanité — principalement aux Néerlandais, mais aussi au monde entier. Verbrugge caractérise l’esprit « postmoderne » d’aujourd’hui en termes de dynamique sociale et culturelle, où la culture consumériste des « expériences », dans laquelle les médias jouent un rôle dominant, a sapé la notion de citoyenneté et les relations d’autorité, et a exacerbé la polarisation. Il montre en outre que le processus de mondialisation a donné naissance à des forces divergentes et convergentes, avec leurs conséquences politiques concomitantes, comme l’illustre le phénomène du « Brexit ».

La quatrième question concerne l’affaiblissement de l’autorité des gouvernements — comment l’expliquer ? Verbrugge attire l’attention sur les facteurs responsables de ce phénomène, qui découlent des changements systémiques enracinés dans les années 1980 et qui ont conduit à la négligence progressive des principes d’équité et de bien commun, qui ont toujours été fondamentaux pour la légitimité de l’État.

Verbrugge attire l’attention sur plusieurs événements importants symptomatiques du « déracinement » culturel et politique qui s’est produit dans les années 1960 et 1970, tels que l’assassinat de Martin Luther King et de Robert Kennedy, qui — comme le frère assassiné de Robert, John — ont promu la vision d’un avenir meilleur de réconciliation avant d’être réduits au silence (évidemment par ceux, toujours présents aujourd’hui, qui ne voulaient pas d’un tel avenir). Il décèle dans la culture populaire de l’époque un courant sous-jacent particulièrement « sombre » (qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui) dans la musique des Doors et de Jim Morrison — pensez à leur chanson « emblématique », « The End » — et établit un lien entre ce courant et le film de Francis Ford Coppola de la fin des années 1960, Apocalypse Now, qui dénonçait la folie de la guerre du Vietnam (p. 77).

La culture hippie et les manifestations relativement pacifiques des années 1960 ont été suivies, rappelle Verbrugge, par la « polarisation idéologique » des années 1970, lorsque les protestations contre l’engagement militaire américain au Vietnam se sont multipliées dans le monde entier et sont devenues violentes. Il est significatif que cette période marque également l’émergence de la critique du pouvoir exercé par le « complexe militaro-industriel » et que les activités « terroristes », en Europe, de l’Armée rouge et du groupe Baader-Meinhof aient servi d’expression concrète à la remise en question et au rejet croissants de l’autorité établie (p. 84).

Toutes ces convulsions culturelles et politiques semblaient avoir été « neutralisées » par le retour au « business as usual » des années 1980, lorsque la réapparition du type « manager », associée à une réévaluation de la sphère économique comme « neutre » par rapport à d’autres domaines de l’activité humaine tels que le social et le culturel, annonçait l’émergence d’une ère plus « optimiste » par rapport à la morosité et à la sinistrose de la décennie précédente.

Il est intéressant de noter que Verbrugge, qui a lui-même été une pop star dans sa jeunesse, voit dans l’album de David Bowie de 1983 — Let’s Dance — une manifestation de ce Zeitgeist modifié. Son observation selon laquelle les idéaux sociaux et moraux des deux décennies précédentes ont été remplacés dans les années 1980 par « des aspirations de carrière, une ambition sans limites et un style de vie sans scrupules et avide d’argent » (ma traduction du néerlandais ; p. 93) est moins prometteuse.

La « société en réseau », qui a fait son apparition dans les années 1990, a été symboliquement annoncée par la chute du mur de Berlin en 1989, selon Verbrugge. Elle s’est accompagnée d’un esprit de triomphalisme, peut-être mieux exprimé dans La fin de l’histoire de Francis Fukuyama, qui a proclamé l’avènement de la démocratie libérale — médiatisée par le capitalisme néolibéral — comme l’accomplissement du telos de l’histoire. Cela constitue en soi un baromètre de l’affaiblissement de la force de l’autorité conférée à des figures dignes de confiance dans le domaine politique. Après tout, si la démocratie est qualifiée par le terme libéral, dont tout le monde savait qu’il se référait avant tout à la liberté économique, ce n’était qu’une question de temps avant que les processus économiques et financiers ne fassent « autorité », dans la mesure où cela était concevable (malencontreusement).

La révolution des TIC (technologies de l’information et de la communication) des années 1990, sans laquelle la « société en réseau » est impensable, a inauguré une « nouvelle économie ». Non seulement elle a fondamentalement transformé l’environnement de travail des individus, mais elle a également déclenché une métamorphose complète de l’économie mondiale et des structures de gouvernance. Comme on pouvait s’y attendre, cela a entraîné l’abandon de tout semblant de « règle sage » de la part des gouvernements et des responsables ; à la place, il y a eu le recalibrage du monde en tant que « système fonctionnel » économique (et financier).

Ce qui comptait désormais, c’était l’individu « rationnellement autonome » en tant que « consommateur et producteur ». Est-il vraiment surprenant que le glas de l’autorité en tant que telle, qui ne peut être raisonnablement confiée qu’à des personnes, ait retenti autour de cette époque (p. 98) ? Verbrugge voit dans la chanson de Queen de 1989, « I Want It All », l’expression de l’ambition insatiable du « sujet réalisateur » néolibéral de l’époque.

Dans sa discussion sur le « nouveau millénaire », Verbrugge se concentre sur les dangers et les incertitudes générés par le nouveau système mondial, déjà visibles dans la crise Dot.com, où des pertes importantes ont été subies à la bourse. Mais plus encore, les événements du 11 septembre doivent être considérés comme le tournant du 20e au 21siècle et comme une attaque extérieure contre le « système ». Quelle que soit la causalité de ce désastre, sa signification symbolique ne peut être négligée : un rejet fondamental de la puissance économique, politique et militaire des États-Unis en tant que représentant du monde occidental (p. 105).

La crise financière de 2008, en revanche, a signifié des problèmes au sein du « cœur du capitalisme lui-même » (p. 110 ; ma traduction). Le fait que les banques aient été déclarées « trop grandes pour faire faillite » et qu’elles aient donc été « renflouées » par des injections financières colossales de l’argent des contribuables est une manifestation sans équivoque de l’endroit où se situent les vraies valeurs de la société néolibérale. Comme le remarque Verbrugge, cela témoigne d’une intuition marxiste familière, à savoir que « les profits sont privatisés et les pertes socialisées ». Encore une fois, qu’est-ce que cela nous apprend sur l’autorité ? Qu’elle n’est plus investie du pouvoir politique et de la responsabilité des démocraties. Le système dicte les mesures financières et économiques à prendre.

En partie à cause de cela, et en partie à cause des crises financières qui se sont succédé (Grèce, Italie), où le système financier mondial s’est avéré capable de faire ou de défaire des pays entiers (p. 117), plusieurs critiques approfondies du nouveau système mondial sont apparues entre 2010 et les années 2020, notamment Capital in the 21st Century (2013 ; tr fr Le capital au XXIsiècle) de Thomas Piketty, et — visant la capacité de la surveillance d’Internet à manipuler le comportement économique et politique des gens — The Age of Surveillance Capitalism — The Fight for a Human Future at the Frontier of Power (2019 ; tr fr L’âge du capitalisme de surveillance) de Shoshana Zuboff.

La discussion de Verbrugge de la « fissure apparue dans la structure du système » dans les années 2020 se concentre en grande partie sur la crise du Corona aux Pays-Bas, mais dans l’ensemble, à la mesure de ce qui a été vécu par les gens dans le cadre du confinement, de la distanciation sociale, du port de masques et de la disponibilité éventuelle de « vaccins ». Ce qui frappe, c’est qu’il reconnaît que la manière dont le gouvernement néerlandais de Mark Rutte a géré la « pandémie » a suscité des critiques importantes de la part de nombreux citoyens néerlandais (ce qui n’est pas surprenant, étant donné que Rutte est l’un des chouchous de Klaus Schwab), tandis que d’autres ont suivi les directives du gouvernement. Il apparaît également que, comme ailleurs, un gouffre s’est rapidement creusé entre les « vaccinés » et les « non-vaccinés », et que Verbrugge lui-même est très critique à l’égard de l’utilisation de « vaccins » expérimentaux sur des populations vulnérables.

En gardant à l’esprit cette brève reconstitution du point de vue de Verbrugge sur la crise de l’autorité — qui fournit une toile de fond éclairante sur le statut actuellement douteux de nombreuses institutions qui jouissaient d’une certaine autorité avant 2020 —, qu’est-ce que cela signifie pour la crise mondiale actuelle, bien plus vaste ? Eh bien, compte tenu du triste état des lieux de l’effritement des fondements historiques de l’autorité dans nos prétendues démocraties, et plus récemment — depuis 2020, pour être précis — de la dissonance cognitive et morale provoquée par l’arrivée déroutante d’un « virus » dont la létalité a été pour le moins exagérée, l’impact sur les notions d’autorité a été, semble-t-il, double.

D’une part, les « moutons » — comme Theodor Adorno les aurait décrits, sont le genre de personnes qui « ont besoin d’un maître ». Soit ils étaient trop faibles pour résister à la manière autoritaire dont les confinements ont été imposés dans le monde entier (à l’exception de la Suède), soit, pour être charitable envers eux, ils étaient trop hébétés pour penser à résister initialement, et dans certains cas, ils ont repris leurs esprits plus tard. Ou bien ils ont accepté ces mesures autocratiques avec empressement, croyant que c’était la seule façon d’être discipliné face à la crise sanitaire qu’on leur a fait miroiter. Ce type de personne possède la structure de personnalité qu’Adorno, en pensant aux Allemands qui ont embrassé Hitler et les nazis, a appelé la « personnalité autoritaire ».

D’un autre côté, il y a les personnes dont la première réaction a été olfactive : elles ont senti l’odeur distincte d’une ordure (et n’ont découvert que plus tard qu’elle s’appelait « Fauci » et qu’il faisait partie d’une meute d’ordures appelée Gates, Schwab, Soros et autres camarades rongeurs).

Ceux qui appartiennent au premier groupe, ci-dessus, ont accepté l’« autorité » infondée du CDC, de la FDA et de l’OMS sans poser de questions, ou ont cru, peut-être avec indulgence, et dans certains cas seulement dans un premier temps, que ces organisations avaient leurs meilleurs intérêts à cœur, comme elles auraient dû le faire, idéalement parlant. Les membres du second groupe, en revanche, guidés par ce que l’on peut supposer être une saine et profonde méfiance (l’« inhumain » incolonisable que Lyotard a théorisé) à l’égard des signes révélateurs, n’ont accepté aucune de ces autorités fallacieuses, comme il s’est avéré.

Dans mon propre cas, ma méfiance a été déclenchée par les impératifs contradictoires du ministre sud-africain de la Santé et du ministre de la police. Lorsque des confinements très stricts ont été imposés en mars 2020 (en accord avec les autres pays qui se sont mis au diapason de Schwab du FEM), l’ancien ministre a annoncé que l’on était « autorisé » à quitter sa résidence pour faire de l’exercice — une question de bon sens, pensais-je — avant d’être renversé par le ministre de la police, qui interdisait tout luxe de ce genre. Ne voulant pas être privé de mon exercice quotidien, l’escalade des montagnes autour de notre ville, j’ai décidé de continuer à le faire, par tous les moyens, et j’ai continué à grimper la nuit, armé d’une lampe de poche et d’une knobkierie (pour éloigner les serpents venimeux) [1].

Parallèlement, j’ai commencé à écrire des articles critiques sur ces mesures draconiennes sur le site web d’un journal appelé Thought Leader, auquel je contribuais depuis le début des années 2000. J’ai continué à le faire jusqu’à ce que le rédacteur en chef de la section — manifestement captivé par le discours dominant — commence à censurer mes articles, à mon grand dam. J’ai cessé d’écrire pour eux et j’ai commencé à chercher d’autres organisations en ligne véritablement critiques, et j’ai trouvé Left Lockdown Sceptics (aujourd’hui Real Left) en Grande-Bretagne et finalement Brownstone.

En résumé : comme pour d’autres personnes « éveillées », mon rejet définitif des prétentions à l’autorité du « courant dominant » s’est produit lors de la débâcle de Covid. Seul l’avenir nous dira si un nouveau sens revitalisé de l’autorité légitime pourrait éventuellement être généré à la place des prétentions fallacieuses à l’autorité de la part des représentants du supposé « Nouvel Ordre Mondial » qui détiennent encore le pouvoir.

Bert Olivier travaille au département de philosophie de l’université de l’État libre (Afrique du Sud). Il effectue des recherches sur la psychanalyse, le poststructuralisme, la philosophie écologique et la philosophie de la technologie, la littérature, le cinéma, l’architecture et l’esthétique. Son projet actuel est « Comprendre le sujet en relation avec l’hégémonie du néolibéralisme ».

Texte original : https://brownstone.org/articles/authority-isnt-what-it-used-to-be/

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1 Knobkierie : terme d’origine sud-africaine qui désigne un bâton court et épais, généralement avec une boule ou un nœud à l’extrémité. Traditionnellement, il était utilisé comme arme de poing par certaines tribus d’Afrique australe. De nos jours, le terme est parfois utilisé de manière informelle pour désigner un bâton ou un gourdin.