Salomon Lancri
Les lois de l'évolution spirituelle

Tout être humain est plus ou moins influencé par son passé. Certains névrosés sont tyrannisés par le leur. Ils conservent des habitudes anormales contractées pour réagir à des circonstances depuis longtemps disparues mais qui ont laissé des cicatrices sur leur âme. Ils ne peuvent guérir qu’en se décrochant de leur passé. L’aspirant à la sagesse doit aussi refuser d’être empalé sur le sien. La phase initiale de l’œuvre alchimique correspond à ce décrochage du passé. Ses noms d’Œuvres au Noir, de Putréfaction évoquent bien la lente décomposition d’un passé obscur dont on se détache et qu’on laisse mourir. C’est ce processus que les Alchimistes appelaient la mort du vieil homme Adam.

(Revue Le Lotus Bleu. Novembre 1972)

L’évolution spirituelle entraîne une vision différente du monde. Elle aboutit à un total changement du mode de vie, à un complet renversement des valeurs c’est-à-dire de ce qui est digne d’être recherché, selon la définition de Le Senne. C’est à juste titre qu’on a dit que l’échelle des valeurs correspond à la hiérarchie des êtres. Progresser spirituellement c’est cesser d’être empêtré dans ses tendances inférieures, ses travers et ses préjugés mesquins, ses routines et ses obsessions quotidiennes.

Certains soutiennent que ce n’est pas possible, car c’est devenir autre que ce qu’on est et personne ne peut devenir ce qu’il n’est pas. Cependant l’homme n’est pas seulement ce qu’il parait être. Car il vit à la surface de son être et sous cette croûte, l’homme extérieur, il y a un homme intérieur, l’homme céleste dont parlait Saint Paul (I, Corinthiens, XV, 47). Progresser moralement n’est donc pas devenir autre que ce qu’on est, mais placer l’homme extérieur sous la dépendance de l’homme intérieur, ou, selon les termes de « La Clef de la Théosophie » (p. 227), contrôler et vaincre le soi inférieur par le Soi supérieur.

Le mode de vie spirituel estompe le sentiment d’être séparé des autres. Il fait ainsi graduellement passer du monde de la multiplicité à celui de l’unité. C’est un style de vie impersonnel et altruiste. L’être spirituel ne se considère pas comme le centre de l’univers et ne se préoccupe pas exclusivement de ses propres intérêts ; bref, il n’est pas égocentrique. Son altruisme ne se confine pas au stade verbal. Il se concrétise par des actes charitables.

L’intention serviable n’est pas suffisante. Au désir d’aider doit s’ajouter le discernement et la connaissance qui font aboutir les impulsions généreuses à l’action juste. La « double activité d’apprendre et de faire est des plus nécessaire », car il faut faire le bien « correctement et avec connaissance », nous dit Mme Blavatsky. Seul un Adepte, déclare-t-elle, peut savoir à coup sûr « qui soulager de sa peine et qui laisser dans le bourbier, son meilleur instructeur ». C’est parce que, ajoute-t-elle, il faut être « très sage pour accomplir de bonnes actions sans risquer de faire un mal incalculable » que les théosophes « ne peuvent prétendre être un groupement de philanthropes, quoique secrètement ils puissent s’aventurer sur le sentier des bonnes actions » (C.W., VIII, 169, 170).

Tout homme est un champ de bataille où s’affrontent le Bien et le Mal, symbolisés dans le Zoroastrisme par Ormuzd et Ahriman. Ce dernier ne sera vaincu que par Sosiosh. Ce Messie du Zoroastrisme est identique au « Fidèle et Véritable » de l’Apocalypse, au dixième Avatar de Vichnou et au Bouddha Maitreya.

Quelle est la signification ésotérique de ces allégories ? Mme Blavatsky répond que le dernier avatar de Vichnou qui viendra sur terre sur le cheval blanc Kalki symbolise « la Sagesse Unique » qui « s’incarnera dans toute l’Humanité et non dans un seul Initié » (C.W., III, 185). Vers le milieu de la septième Race, nous prédit-elle, la lutte entre Bouddhi et Kama-Manas, le siège des passions inférieures, sera presque terminée, l’Âme Spirituelle prenant nettement le dessus sur son adversaire. Les hommes vicieux et cruels seront éliminés par des fléaux, « des convulsions géologiques et autres moyens de destruction ».

Pendant les trois premières Races et demie, l’humanité est, selon la « Doctrine Secrète », sur l’arc descendant de l’évolution où l’Esprit est centrifuge et la Matière centripète. Pendant le reste des sept Races, elle gravit l’arc ascendant où l’Esprit est centripète et la. Matière centrifuge (D.S., II, 273). En d’autres termes, à partir du point tournant, l’Esprit s’affirme de plus en plus dans les hommes, alors qu’au contraire la Matière s’échappe d’eux, pour ainsi dire, par l’effet de sa force centrifuge. Dans cette phase d’évolution spirituelle, s’effectue, selon une loi immuable, une « remontée des profondeurs de la matérialité » avec « une dissipation correspondante de la forme concrète et de la substance » (D.S., I, 680) ou « des organismes concrets » (C.W. V, 174).

Par l’effet de cette loi, dans la sixième Race, l’humanité « croîtra rapidement hors des liens de la matière et même de la chair » et retournera « à l’astral, hors de la boue de la vie physique ». En d’autres termes, les hommes n’auront plus de corps physique, mais seulement des corps éthérés. Cela donnera une puissante impulsion à leur progression spirituelle, car, selon les termes de Mme Blavatsky, la « rédemption de la chair signifie une rédemption proportionnelle du vice ». Mais cette transformation du genre humain ne se produira que dans des millions d’années (D.S., II, 275, 465).

Notre civilisation est loin d’être parfaite. L’humanité de nos jours est fière de ses découvertes scientifiques et de ses réalisations techniques. Mais ce progrès est de peu d’importance au regard de celui que l’espèce humaine accomplira, selon la Science Occulte, dans ses prochaines Races. Ce progrès futur sera une véritable mutation de l’homme, qu’aucune réalisation technique, aussi spectaculaire soit-elle, ne peut produire. Cette mutation se réalisera par la défaite de Melek Taous, l’Ange Paon du Zoroastrisme, symbole de l’égoïsme et de la vanité.

Emprisonnés dans le labyrinthe de la vie, nous ne pourrons nous en évader qu’avec le fil d’Ariane qu’est la Science Occulte, appelée Léviathan dans la Bible et dans certains diagrammes des Gnostiques. Thésée, le héros grec qui, enfermé dans le labyrinthe construit par Dédale, en trouva la sortie, est le type de l’Initié qui parvient à découvrir, dans les méandres de la vie, le chemin de la Libération. C’est le même symbolisme qu’avaient les labyrinthes dessinés, au Moyen-Age, sur le sol de certaines églises. Leur parcours, à genoux, par les fidèles représentait aussi le cheminement ardu sur le Sentier de la spiritualité.

Sur ce Sentier aucun progrès n’est possible quand on se contente de se mentir à soi-même et de tromper les autres pour se croire et paraître meilleur qu’on ne l’est. Ce manque de sincérité caractérise le perfectionniste. Les psychologues appellent ainsi celui qui s’efforce de se convaincre de sa prétendue perfection et d’en donner l’illusion aux autres. Il s’applique à paraître bon, affable et loyal. En fait, il joue un rôle. Il a peur de se voir tel qu’il est, égoïste et malveillant, avec un fort sentiment d’infériorité,

Il est sage d’éviter toute préoccupation de prestige personnel. L’orgueil est un redoutable obstacle au progrès spirituel. Il convient de s’en garder, mais aussi de ne pas entretenir un complexe d’infériorité que l’on trouve à l’origine de nombreuses névroses.

Tout être humain est plus ou moins influencé par son passé. Certains névrosés sont tyrannisés par le leur. Ils conservent des habitudes anormales contractées pour réagir à des circonstances depuis longtemps disparues mais qui ont laissé des cicatrices sur leur âme. Ils ne peuvent guérir qu’en se décrochant de leur passé.

L’aspirant à la sagesse doit aussi refuser d’être empalé sur le sien. La phase initiale de l’œuvre alchimique correspond à ce décrochage du passé. Ses noms d’Œuvres au Noir, de Putréfaction évoquent bien la lente décomposition d’un passé obscur dont on se détache et qu’on laisse mourir. C’est ce processus que les Alchimistes appelaient la mort du vieil homme Adam.

Éperonné par son idéal, l’aspirant à la Sagesse doit hardiment aller de l’avant, en évitant toute rigidité qui s’oppose au changement, quel qu’il soit, donc au perfectionnement moral. Souplesse, confiance et persévérance, tels sont les mots-clefs du succès dans l’indispensable tâche de purification. Celle-ci est comparable à l’entraînement d’un athlète qui veut devenir champion olympique. Comme le disait Épictète, « cela n’arrive pas sans sueur ».

Se détournant de son côté obscur, l’aspirant à la vie spirituelle s’efforce de découvrir sa face lumineuse, le meilleur de lui-même. C’est le propre de l’être humain de se révéler à lui-même. Ce dévoilement progressif le mènera à la découverte du Réel, l’essence de son être.

Il doit s’opérer par une énergique prise en main de soi-même afin que les nobles aspirations ne soient pas journellement contredites par le comportement. Il est aisé d’avoir un idéal. Il ne l’est pas de mettre ses actions en harmonie avec cet idéal. Nombreux sont ceux qui n’y parviennent pas. C’est pourquoi Montaigne déclarait qu’il existe généralement un singulier accord entre des opinions super-célestes et des mœurs souterraines. Il employait un euphémisme, ce singulier accord étant en réalité un profond désaccord.

Toute tentative de progression spirituelle implique un refus de ses propres limites. Pour ne plus être une prison pour nous-mêmes, il faut, suivant le conseil de Teilhard de Chardin, nous centrer en nous, nous décentrer dans les autres et nous sur-centrer au-dessus de nous. Le Mental a accumulé des obstacles sur la voie de notre illumination spirituelle. C’est cependant lui qui nous permettra de les surmonter. Ainsi que l’affirme Shankarâchârya : « Comme les nuages apportés par le vent sont aussi chassés par lui, de même le mental qui a asservi l’homme est l’unique instrument de sa libération » (« Vivekachoudamani », verset 172).

Avec cet instrument nous devons observer les autres, et surtout notre propre cœur. Car c’est en nous seulement que nous pourrons trouver l’illumination, comme l’affirme « La Lumière sur le Sentier ». Il nous faut donc « planter » notre regard en nous, « replier » notre vue en dedans et nous « rouler » dans notre âme, suivant les pittoresques expressions de Montaigne. Comme lui, nous devons pouvoir affirmer : « Chacun regarde devant soi, moi je regarde dedans moi ».

Des aperçus sur l’entraînement occulte sont contenus dans « L’Élixir de Vie », article paru en 1882, dans le « Theosophist ». Il est signé par Godolphin Mitford. Mais, selon Mme Blavatsky, il a été rédigé par son signataire « sous inspection », c’est-à-dire sous la dictée mentale d’un Adepte.

Le désir d’être bon et pur, y lit-on, doit être spontané pour propulser sur le sentier occulte. Il doit être une « impulsion venant de l’intérieur, une réelle préférence pour quelque chose de plus élevé, et non une abstention du vice par peur de la loi, non une chasteté maintenue par crainte de l’opinion publique, non une générosité montrée par amour des éloges » ou bien pour s’épargner les retombées d’un mauvais Karma. Toute conduite vertueuse motivée par la contrainte, par le désir d’un profit matériel ou d’un gain de prestige, ou par l’espoir d’une réalisation spirituelle, ne produit aucun progrès. Par son hypocrisie, une telle conduite ne peut, affirme l’auteur de « L’Élixir de Vie », que contribuer à « empoisonner l’atmosphère morale du monde ». Seule, déclare-t-il, est bénéfique la vertu « pratiquée gaiement et non avec répugnance ou avec peine ».

« L’Élixir de Vie » soulève un coin du voile cachant certaines doctrines occultes, affirmait Dâmodar K. Mavalankar. Celui-ci, qui fut un collaborateur de Mme Blavatsky et le fervent disciple d’un Adepte, déclarait que cet article donne, notamment, une meilleure compréhension de la méditation.

Il est dangereux, disait-il, de mettre en pratique les indications données sur la méditation dans des livres tels que les Yoga Soutras de Patanjali et la Bhagavad Gita sans avoir compris leur sens véritable. Mme Blavatsky, elle aussi, mettait en garde contre le danger de prendre « littéralement les ouvrages exotériques sur le Yoga » qui tous, affirmait-elle, exigent une clef (C.W., X, 398). Une méditation prudente sur son soi inférieur « à la lumière de l’homme intérieur divin » est une chose excellente, disait-elle. Mais ajoutait-elle, il est dangereux de s’adonner au Yoga « avec seulement une connaissance superficielle et souvent déformée de la pratique réelle » (D.S., III, 490). Dâmodar citait deux personnes qui, en méditant suivant des indications dont ils ignoraient la signification ésotérique, n’avaient réussi qu’à se déséquilibrer, l’un en perdant la maîtrise de lui-même, l’autre en déclenchant en lui des pouvoirs psychiques dont il n’avait pas le contrôle.

La vraie méditation, déclarait-il, ne consiste pas à s’enfermer dans une chambre et à regarder le bout de son nez, un endroit sur le mur ou une boule de cristal. Méditer n’est pas, comme certains le croient, se perdre passivement dans l’objet contemplé. Encourager en soi la passivité c’est risquer de devenir médium et donc s’engager dans la mauvaise direction. Car, à l’encontre de l’Adepte qui est intensément actif, le médium est intensément passif et s’expose à devenir la proie d’êtres malfaisants de notre monde ou des mondes invisibles. Le Râja Yoga, selon Dâmodar, « n’encourage aucune comédie et n’exige aucune posture physique ». Car il ne s’occupe que de « l’homme intérieur dont la sphère se trouve dans le monde de la pensée ».

« L’Élixir de Vie » définit la méditation comme l’ardent désir de l’homme intérieur de s’élancer vers l’infini et invite à la pratiquer « en raisonnant du connu à l’inconnu ». Dans son exégèse de cet article, Dâmodar explique que le connu est l’homme extérieur et le monde perceptible avec les cinq sens, monde de phénomènes dont les causes sont dans l’inconnu, le monde nouménal. On peut découvrir ces causes par la méditation qui comporte deux stades selon Dâmodar.

Dans le premier de ces stades, le néophyte s’efforce de bien comprendre les « axiomes » de l’Occultisme. A cette fin, il doit d’abord utiliser la méthode déductive allant des universaux aux particuliers, ou des causes aux effets, puis la méthode inductive procédant en sens contraire. Cette étude est indispensable. Car, avant que l’aspiration à s’élancer vers l’infini « puisse être convenablement dirigée, le but doit être d’abord déterminé ».

Le second stade, auquel nous réservons habituellement le nom de méditation, consiste à réaliser pratiquement ce qui a été théoriquement effectué dans le stade initial. « L’Élixir de Vie » indique, selon Dâmodar, la méthode à employer dans ce second stade. Il montre la relation existant entre l’homme, le « connu », et « l’inconnu », et révèle au néophyte la nature de ses facultés intérieures et comment les développer.

Le désir des pouvoirs supranormaux, affirme Dâmodar, n’est pas forcément égoïste. En tout cas, l’aspirant à la Sagesse, pour les éveiller en lui, s’efforce de s’identifier avec la Nature toute entière et de se considérer non comme un être isolé, mais comme relié à tout l’Univers. Il déploie des efforts intenses pour atteindre « la pureté de la pensée, la pureté de la parole, et la pureté de l’action », discipline qui tend à susciter en lui un Amour Universel (« Five Years of Theosophy », pages 25 à 30).

Le but de la méditation, pour Dâmodar comme pour Mme Blavatsky, est de transférer la conscience à des niveaux de plus en plus élevés jusqu’à ce que soit atteint le septième principe. Dans « La Voix du Silence », Mme Blavatsky donne quelques indications sur les sept stades du Râja Yoga. Pendant Dhâranâ (la Concentration), l’extase du sixième stade, le corps, précise-t-elle dans « Isis Dévoilée », est dans une totale catalepsie et l’âme peut « percevoir les choses subjectivement » (I.D., II, 591). C’est en rendant le cerveau passif au cours de la méditation, dit-elle, qu’on passe à un plan supérieur. Lorsqu’un Adepte, ajoute-t-elle, atteint ainsi le plan Mânasique (Mental), il voit « les Noumènes, l’essence des phénomènes », c’est-à-dire la « réalité des choses » et ne peut donc être induit en erreur (D.S., III, 581, 582).

Comme Dâmodar, Mme Blavatsky ne désapprouvait pas les efforts faits pour développer les pouvoirs non seulement spirituels, mais aussi psychiques. Dans « La Clef de la Théosophie », publiée deux ans avant sa mort, en 1889, elle définit le troisième but de la Société Théosophique comme l’étude et la recherche des pouvoirs psychiques et spirituels (p. 28). A la question : Comment « développer dans l’homme ses pouvoirs spirituels ou psychiques » ? Elle répond : Au moyen de « publications, dans les endroits où ni conférences, ni enseignements personnels ne sont possibles » (p. 33). Aussi trouve-t-on dans le « Theosophist », dont elle était la directrice, une invitation adressée aux membres de la Société Théosophique à s’exercer à la voyance à l’aide de miroirs magiques et à adresser le compte rendu de leurs expériences à ce journal (Supplément d’octobre 1884, p. 138).

Sa position à cet égard ressort nettement, aussi, d’une note ajoutée par elle à un article publié en 1883 dans le « Theosophist ». L’auteur, un Théosophe, relatait les expériences de voyance faites au moyen d’une carafe pleine d’encre noire où sa femme voyait apparaître de nombreuses scènes. Dans son commentaire, Mme Blavatsky recommandait l’usage d’un tel miroir magique et donnait l’assurance aux membres de la Société Théosophique qu’ils pouvaient être aidés non seulement par des Chelas ou Disciples, mais même par des Adeptes dans toute recherche pratique dans une « branche licite » de la Science Occulte, à condition d’observer une discipline de vie spirituelle (C.W., IV, 356).

Un des « axiomes » énoncés dans « L’Élixir de Vie » est que le corps physique et les corps invisibles de l’homme changent lentement leur matière, les nouveaux atomes étant attirés suivant la Loi d’Affinité. En d’autres termes, les pensées et désirs d’un homme attirent dans ses corps des particules propres à leur donner expression, en remplacement de celles qui en sont expulsées. L’aspirant à la Sagesse doit donc surveiller son activité mentale et émotionnelle afin que, par son aimantation sélective, elle ne fasse pas entrer en lui de la matière non adaptée à son progrès.

Il convient pour progresser, enseigne « L’Élixir de Vie », de devenir physiquement plus éthéré et plus sensitif, mentalement plus pénétrant et plus profond et moralement plus enclin à l’abnégation. On admet aisément que, selon les termes de l’Initié K.H., « au progrès spirituel supérieur doit correspondre parallèlement le développement intellectuel » (« Lettres des Maîtres de la Sagesse », I, 86). La nécessité d’un perfectionnement physique parallèlement au progrès de l’âme est moins évidente et certains ne l’admettent pas. Cependant, le corps physique est une des composantes de l’homme et celles-ci agissent constamment les unes sur les autres. En outre, le développement spirituel exige un cerveau capable de recevoir correctement les influences des plans supérieurs. Le raffinement du corps physique s’impose donc sur le sentier spirituel.

Pour obtenir ce raffinement, il y a lieu de commencer, selon « L’Élixir de Vie », par l’abstention de l’alcool sous toutes ses formes. Car l’alcool « provoque la violence dans l’action et un mouvement impétueux de vie » dont la tension ne peut être soutenue que par des molécules très denses et grossières. Celles-ci sont attirées dans le corps du buveur d’alcool, suivant la Loi d’Affinité, au cours du renouvellement incessant de ses atomes.

Ensuite vient l’abstention de toute nourriture carnée. Celle-ci entraîne les mêmes conséquences que l’alcool, mais à un degré moindre. Elle augmente, déclare l’auteur de « L’Élixir de Vie », « la rapidité de la vie, l’énergie de l’action et la violence des passions ». Bonne pour un guerrier, elle ne l’est pas pour un Sage,

En troisième lieu vient la répression des désirs sexuels. Ceux-ci provoquent une perte considérable d’énergie et attirent dans l’homme des particules grossières qui, seules, rendent possibles les sensations physiques les plus intenses.

Quant à la purification morale, selon « L’Élixir de Vie », elle doit commencer par l’élimination des défauts les plus graves, dans l’ordre suivant : l’avarice, la peur, l’envie, l’orgueil, le défaut de charité, la haine, l’ambition et la curiosité.

Les Adeptes, nous dit-on, vivent bien plus longtemps que les mortels ordinaires. « L’Élixir de Vie » explique comment ils obtiennent cette longévité. Dans le genre humain, comme dans chacune des espèces animales, il y a un âge-limite au-delà duquel la vie d’un individu ne peut normalement se prolonger. Pour tout être humain ordinaire, il vient une époque où les particules de son corps, principalement les plus grossières, obéissent à la tendance héréditaire conduisant irrésistiblement à la mort. Les Adeptes franchissent sains et saufs ce cap dangereux. Lorsqu’ils l’atteignent, ils se sont, en effet, débarrassés des particules grossières de leur corps, par suite de leur vie spirituelle et en vertu de la Loi d’Affinité régissant le renouvellement atomique.

L’âge-limite est un « point tournant » dans l’existence de l’Adepte. Après ce point tournant il peut aider puissamment l’humanité. Mais jusqu’à ce qu’il l’ait atteint, il doit avoir une attitude « purement négative ». Il lui faut s’abstenir de se consacrer à une cause quelconque, aussi noble soit-elle. Dépenser généreusement son énergie pour une telle cause lui rapporterait une récompense karmique, mais raccourcirait son existence aussi sûrement, déclare l’auteur de « L’Élixir de Vie », qu’une vie de débauche. C’est pourquoi, ajoute-t-il, de très grands hommes, des martyrs, des héros nationaux, des libérateurs de nations, s’étant voués corps et âme à de grandes causes, ne sont pas devenus des Adeptes. En dépit de leur pureté et de leur élévation morale, le point tournant atteint, ils ne pouvaient que mourir, soumis comme les autres mortels à l’inexorable loi limitant la durée de la vie humaine.

L’Adepte s’entraîne à raccourcir graduellement ses Dévachans pendant lesquels il n’est d’aucune utilité aux autres. Il parvient, nous dit Mme Blavatsky, à les remplacer par une sorte de sommeil spirituel dont il apprend à sortir de plus en plus vite, pour renaître sur terre et y poursuivre son travail.

Puis, le choc de la mort ne l’étourdissant plus, il obtient la faculté de passer sans transition d’une existence terrestre à une autre, prenant un nouveau corps physique quand l’ancien n’est plus utilisable.

Pour opérer ce changement de corps, il a le choix entre trois procédés. Il peut naître comme un homme ordinaire. Ou bien il peut utiliser le procédé nommé Avesha dans l’Inde, c’est-à-dire s’approprier le corps de quelqu’un qui vient de mourir. C’est ce que fit le grand Sage Shankarâchârya qui, dit-on, pénétra dans le cadavre du roi Amarâka, le réanima et y poursuivit son existence terrestre (D.S. III, 62 ; C.W., II, 217). Il peut enfin avoir recours à un troisième procédé auquel la « Doctrine Secrète » fait une brève allusion, renvoyant aux explications plus détaillées qu’en donne « L’Élixir de Vie ». L’Adepte qui utilise ce procédé pour changer son corps consolide son double éthérique, se fabriquant ainsi un nouveau corps physique entièrement semblable à l’ancien. Quant à son vieux corps, il le rejette comme un serpent se dépouille de sa vieille peau. Parvenu à ce stade de « vie continue », l’Adepte a vraiment vaincu la mort et on peut dire qu’il a atteint sa dernière incarnation (C.W., VI, 245).

Le progrès spirituel s’effectue par une bonne orientation du Mental inférieur. Celui-ci est « tel qu’il se fait lui-même » (D.S., III, 591). D’une nature identique à celle du Mental Supérieur dont il est une émanation, comme ce dernier il ne peut, tout seul, produire une impression quelconque sur la matière physique et il est incapable d’en recevoir aucune. Il s’enveloppe dans « l’essence de la Lumière Astrale », le « degré le plus élevé du Plan Astral », ce qui le relie au plan physique, mais le sépare du Mental supérieur (D.S., III, 560, 578).

Comme le Psychique des Gnostiques qui s’incline soit vers le Pneumatique ou Spirituel, soit vers l’Hylique (matière subtile composant le Plan Astral ou Lumière Astrale), le Mental inférieur dirige ses énergies vers le haut et vers le bas (« Lucifer », juin 1890, 319; D.S., III, 591). II se scinde ainsi en deux parties qui restent d’ailleurs mêlées ensemble pendant toute l’existence physique. L’une d’elles, le Mânomayakosha du Védânta, s’unit étroitement à Kâma, en d’autres termes cède à l’attrait des plaisirs matériels. L’autre partie, « l’arome » du Mental inférieur qui échappe à cette attraction, est le Vijnânamayakosha du Védânta et l’Antahkarana.

Ce dernier, après la mort, se sépare de la mauvaise partie du Mental inférieur, celle qui a été souillée par les passions inférieures. Conservant la mémoire des nobles actions du défunt, il s’unit au Mental Supérieur et à Bouddhi. Dans la Gnose, l’Antahkarana est Jésus, le Fruit Commun du Plérome, le Pontifex ou Faiseur de Pont, ainsi nommé parce qu’il est seul susceptible d’établir un pont entre l’Ego supérieur ou Individualité (Manas) et l’Ego inférieur ou personnalité (« Lucifer. », mai 1890, 233, 5e note).

Tout le sort d’une incarnation humaine dépend de l’aptitude de l’Antahkarana à maîtriser le Kâma-Manas, la mauvaise partie du Mental inférieur (D.S., III, 580). Dans l’une de ses significations Osiris représente le Mental Supérieur et Horus, son fils, personnifie alors le Mental inférieur. Dans de nombreux monuments égyptiens on voit Horus tuant Apap (Apophis en grec), le Serpent du Mal, incarnation de Typhon. Cette allégorie, comme celle de Saint-Georges terrassant le dragon, représente la victoire du Mental inférieur sur ses penchants inférieurs (T.G., 25, 26). La naissance d’Horus, fils d’Osiris et d’Isis, a d’ailleurs bien d’autres significations que l’émanation du Mental inférieur hors du Mental supérieur. Comme le signale Mme Blavatsky, elle a un triple sens spirituel et un septuple sens psycho-physique (D.S., III, 460).

Le Maitre de Sagesse a un parfait contrôle de ses principes inférieurs. Son Mental est « immergé dans les sixième et septième principes ». Ces derniers. Atmâ et Bouddhi, constituent ensemble ce que Mme Blavatsky appelait la Monade. Celle-ci est le Maitre intérieur, le divin Instructeur ou Gourou (D.S., II, 120).

Analysant le mécanisme de la conscience humaine, Mme Blavatsky déclarait que chaque message sensoriel est envoyé du corps physique à la Monade en passant par tous les principes intermédiaires. Il produit en Bouddhi une impression spirituelle qui est aussitôt transmise au cerveau par le même circuit. Si certains principes ne sont pas pleinement développés, ces transmissions ne se font pas correctement et les perceptions spirituelles du cerveau sont imparfaites. C’est pourquoi des personnes très douées mentalement sont néanmoins insensibles, par exemple, à la beauté d’un paysage Certains géants intellectuels sont ainsi affligés d’une atrophie de leurs facultés spirituelles (D.S., III, 592).

Tel est le mode normal de communication entre le cerveau et la Monade. Il en existe un autre qui n’est à la portée que de l’Occultiste avancé. Celui-ci, dit Mme Blavatsky, peut établir une liaison directe entre le corps physique et Bouddhi en paralysant les quatre principes intermédiaires (C.W., IV, 101, 102).

Similairement, un Adepte peut exercer ses pouvoirs occultes, ainsi que le révèle l’Initié K.H. dans l’une de ses lettres (M.L., 177). En provoquant une paralysie complète ou partielle de sa constitution physique et mentale inférieure, c’est-à-dire de l’homme extérieur (le « geôlier »), il libère l’homme intérieur qui est l’Adepte lui-même, car celui-ci ne s’identifie plus à ses quatre principes inférieurs. L’homme intérieur peut ainsi exercer ses facultés bien supérieures à celles de son « geôlier ».

Cet homme intérieur est, comme l’indique Mme Blavatsky, Manas, le Mental Supérieur, le cinquième principe humain, l’Ego supérieur, « l’Entité véritable et immortelle en nous » (T.G., 156). Le Mental supérieur et le Mental inférieur « sont un, mais séparés en deux lors de la réincarnation ». Le Mental inférieur « s’insère dans le cerveau et les sens du fœtus à la fin de son septième mois », tandis que le Mental Supérieur ne s’unit pas à l’enfant avant que ne soient écoulées les sept premières années de sa vie. L’homme extérieur est le « tabernacle », le « temple », non de l’Ego supérieur mais de la Monade divine dont cet Ego est lui-même le véhicule. Le royaume des cieux sera conquis par la violence, nous dit Mme Blavatsky, non par l’homme intérieur, encore moins par le tabernacle, l’homme de poussière, mais par Atmâ-Bouddhi, la Monade (D.S., III, 63, 66, 2e note, 511).

Celle-ci est la Pierre Philosophale des Alchimistes. Eliphas Lévi déclarait que le Sage préfère garder cette « Pierre » dans ses coques ou enveloppes naturelles, sachant qu’il peut l’en extraire par l’effort de sa volonté et « une simple application de l’agent universel ». Il faisait ainsi allusion à la paralysie des cinq principes inférieurs. Car, comme l’explique Mme Blavatsky dans un commentaire de ces affirmations du célèbre Kabaliste, ces principes sont les « enveloppes naturelles » dont il parlait. En provoquant cette paralysie temporaire, l’Adepte libère sa Monade, son Maître intérieur, et permet son action directe ici-bas.

Eliphas Lévi, employant le langage hermétique, désignait par « agent universel », la Vierge Céleste ou Sidérale des Alchimistes. Cet agent est l’Akâsha des Hindous (ou plus exactement sa première différenciation, l’Aether), la Vâch des Brahmanes, la Kwan-Yin des Bouddhistes et la Shekinah des Kabalistes. Il est le Grand Agent Magique, l’électricité occulte indispensable pour toute opération magique utilisée par « les adeptes et les magiciens de tous les pays », la force au « mouvement vibratoire » à laquelle les Martinistes ont donné le nom de Lumière Astrale. Cette force universelle est, selon l’Initié K.H., « l’énergie suprême » qui « réside dans la Bouddhi, latente quand elle est soudée seulement à l’Atman, active et irrésistible quand elle est galvanisée par l’essence de Manas ». Cette énergie est la Mère Immaculée, la Vierge Marie des Catholiques Romains, et le Saint-Esprit féminin des premiers Chrétiens et des Gnostiques. C’est de cette force dont parlait Jésus lorsqu’il disait, selon l’Évangile des Hébreux : « Ma mère, le Saint-Esprit, me prit par un cheveu de la tête et me transporta sur le mont Thabor », c’est-à-dire sur la montagne où eut lieu sa transfiguration (I.D., I, XXVII, 113, 508 ; D.S., I, 372, 377 ; D.S., II, 537 ; C.W., V, 280 ; C.W., X, 54, note).

Mme Blavatsky devait en parler en connaissance de cause, car elle a confié, en 1882, à l’un de ses amis, qu’elle avait obtenu la Pierre et la Vierge (H.P.B. Speaks, II, 67), en d’autres termes la Pierre Philosophale et l’Agent Universel ou Vierge Céleste. Elle déclarait qu’Atmâ et Bouddhi sont trop sacrés pour être projetés hors de leurs « enveloppes naturelles » simplement pour satisfaire la « curiosité du vulgaire ». L’Adepte, disait-elle, s’abstient d’exposer cette Pierre Philosophale aux « mauvaises influences magnétiques de la foule » (C.W., IV, 291).

Nous lisons dans « Isis Dévoilée » que l’Adepte sait « comment suspendre l’action mécanique du cerveau ». Il peut, de la sorte, avoir des visions mystiques non déformées par l’intervention de ce qu’Ammonius Saccas appelait « mémoire » et Olympiodore « fantaisie », c’est-à-dire par l’interférence de la personnalité inférieure. L’Adepte a entièrement assujetti cette « mémoire » à sa volonté. Il a donc la faculté, selon les termes de Mme Blavatsky, de recevoir « directement des impressions de son esprit », car « aucun intermédiaire obstructeur » ne vient s’interposer entre « son soi subjectif et son moi objectif ». C’est ce que Mme Blavatsky appelait la véritable voyance spirituelle (I.D., II, 591).

Les Initiés sont classés d’après le nombre de principes qu’ils ont sous leur parfait contrôle (C.W., X, 253). Cependant, d’une façon générale, selon Mme Blavatsky, un Adepte est « quelqu’un qui a obtenu la maîtrise de ses quatre principes inférieurs » constituant le « tabernacle » ou l’homme extérieur. C’est parce qu’il les paralyse pendant son repos nocturne qu’il ne rêve jamais, comme l’affirmait Mme Blavatsky (C.W., X, 255). Pendant ce sommeil artificiel, « le cerveau ne rêve pas plus que s’il était mort ». Chaque heure passée dans cet état « provoqué généralement au début de la nuit pour remplacer les heures de repos, est une heure gagnée pour la prolongation de la vie humaine ». Car, pendant cette condition de totale léthargie que l’Adepte peut, à son gré, faire durer des heures, des jours et même des mois, l’activité physiologique est entièrement suspendue et l’usure du corps physique est en conséquence arrêtée. En particulier, les cheveux, la barbe et les ongles ne poussent plus, alors que leur croissance ne cesse ni pendant le sommeil naturel, ni même après la mort. L’Adepte met donc en réserve, pendant ce sommeil artificiel, l’énergie vitale qu’aurait utilisée le fonctionnement organique de son corps dans le sommeil naturel (C.W., II, 460, 461, 468, 469).

La manifestation du génie dans un homme est due, selon Mme Blavatsky, aux efforts de l’homme intérieur ou Ego Supérieur pour communiquer avec l’homme extérieur. Aucun Ego Supérieur « n’est différent d’un autre Ego dans son essence », affirmait-elle. Ce qui produit le génie, c’est seulement la capacité du corps physique de capter la lumière de l’homme intérieur (le Daimon de Socrate). Cette aptitude est d’ailleurs le résultat du Karma. Le génie ne doit pas être confondu avec sa contrefaçon. Celle-ci n’est pas due, comme lui, à l’action de l’Ego Supérieur, mais à celle d’un puissant intellect soumis à un entraînement intensif. Le vrai génie ne requiert aucune culture excessive du mental. Il ne demande pas davantage le dérèglement des sens préconisé par Rimbaud dans sa « Lettre du Voyant ». Il est spontané et ne se manifeste par aucune excentricité. L’homme de génie ne copie cependant jamais, ses réalisations créatrices portant toujours l’empreinte d’une profonde originalité (« Lucifer », nov. 1889).

Dans tous les Mystères de l’antiquité étaient étudiées les étapes de l’évolution de l’âme humaine, le Mental inférieur appelé Pistis-Sophia dans le traité gnostique ayant ce nom pour titre. Comme l’a expliqué Mme Blavatsky, ce traité relaie l’histoire de la chute de Pistis-Sophia ou Sophia-du-dehors dans notre monde matériel où elle subit les assauts d’Ildabaoth, le Pouvoir à l’apparence de lion (le symbole de Kâma). Puis il indique comment elle est sauvée, d’abord par Jésus, sa syzygie (l’antahkarana), puis par la Lumière (Manas ou Mental Supérieur), ensuite par le Premier Mystère regardant dehors, c’est-à-dire par Bouddhi-Manas ou le Manas-Taijasi[1], enfin par le Premier Mystère regardant dedans, le « Père » (Atmâ-Bouddhi) (« Lucifer », juillet 1890, 495, déc. 1890, 294, 295).

L’ascension spirituelle est le travail secret du roi Hiram qui fit alliance avec le roi Salomon et dont parlent beaucoup les Kabalistes (D.S., II, 119 ; T.G., 142 ; I, Rois, V). Elle transforme les hommes en génies et même en véritables Dieux sur terre. Cet état divin ne sera atteint que très lentement par la grande masse de l’humanité qui suit la large route de l’évolution naturelle. Une minorité progresse beaucoup plus vite sur le sentier escarpé de l’Adeptat. L’Occultiste qui passe par la porte étroite des Initiations approche en quelques milliers d’années seulement, selon Mme Blavatsky, « le type d’évolution qu’atteindra l’humanité ordinaire dans les sixième et septième Rondes » (CW., VI, 245). L’homme, prédit Mme Blavatsky, utilisera le Grand Agent Magique, la « terrible Force sidérale » nommée Mash-mak par les Atlantes et Vril par Bulwer-Lytton dans son ouvrage « La Race qui vient ». Ainsi cette force deviendra « la propriété commune » de Races futures, comme elle a été celle de « races maintenant éteintes » (M.L., 2).

Parvenu au terme de sa progression, l’homme découvrira son Dieu personnel. C’est celui-ci qui est son Soi Supérieur, son septième principe, et non Atmâ qui n’est pas un principe individuel mais une « radiation du Logos non manifesté » (C.W., III, 321 ; D.S., III, 445). Ce Dieu Personnel, comme le Premier Mystère regardant dedans, le « Père » de Pistis-Sophia, est Atmâ-Bouddhi. Il est le « Dieu le plus haut, la Sur-Âme de l’être humain ». Il n’est cependant pas la Monade, mais le prototype de celle-ci. A défaut d’un meilleur terme, Mme Blavatsky lui donne le nom de Kâranâtma (Âme causale) manifesté. Il est, dit-elle, l’Ego divin, « l’Entité divine ou la Flamme » dont émane le sixième principe humain (Bouddhi) (D.S., III, 57, 58, 65 2e note, 363).

Le Dieu Personnel d’un homme ordinaire n’entre jamais en celui-ci. Il se borne à l’adombrer, selon l’expression de Mme Blavatsky, « à des fins d’instruction et de révélation » (D.S., III, 57). Il ne pénètre que dans l’homme qui a atteint un haut niveau spirituel. Les Néoplatoniciens appelaient Théophanie cette pénétration, véritable incarnation du Dieu Personnel. Cette union ou communion du Dieu Personnel avec l’homme qui est « son représentant et son agent sur terre » était, selon Mme Blavatsky, appelée Ishvara par les anciens philosophes mystiques de l’Inde qui donnaient ainsi à ce mot un sens différent de celui de « Seigneur » qui lui est généralement attribué (I.D., II, 591, note). Dans ce dernier sens, dit-elle, Ishvara est exotériquement, pour les Hindous, ce que les Chrétiens entendent par Dieu. Mais, ésotériquement, il est le « dieu personnel, Esprit divin dans l’homme » (T.G., 158). Cette signification ésotérique est conforme, remarquons-le, à celle donnée à Ishvara par Patanjali qui, dans ses « Yoga Soutras », le définit comme un Esprit particulier (Pouroucha vishesha) (I., 24).

La Théophanie, que Plotin déclarait avoir obtenue six fois est, nous dit Mme Blavatsky, l’extase appelée Samâdhi par les Hindous et atteinte au stade ultime du Yoga (I.D., II, 591; T.G., 256). L’Adepte K.H. indique qu’elle survient quand l’individualité est centrée dans Bouddhi, le sixième principe (M.L., 338) constitué du sixième état de la matière (D.S., II, 778 ; C.W., IV, 558). Le Samâdhi est l’état de conscience le plus haut « qui puisse être atteint sur terre, dans le corps » (D.S., III, 570). Le Nirvâna est plus élevé. C’est, selon le même Initié, la condition « d’existence dans le septième état de la matière » (M.L. 398).

Le Samâdhi est ainsi « l’Union avec Dieu », la réunion du Père et du Fils, car l’homme est l’émanation de son Dieu Personnel (D.S., III, 57). Seul le mérite personnel produit par de bonnes actions peut provoquer la Théophanie et en déterminer la durée. Celle-ci peut aller de quelques secondes à plusieurs heures. Dans le cas d’Adeptes Parfaits, tels que le Bouddha, elle persiste jusqu’à la mort. Tant qu’elle dure, l’homme est « doté d’omniscience et d’omnipotence relatives » (D.S., III, 60).

On ne peut atteindre l’Adeptat sans se lier indissolublement avec son Dieu intérieur. On peut, cependant, obtenir une Théophanie sans aucune initiation, car elle est rendue possible par le parfait contrôle de la personnalité inférieure, ce qui demande une longue suite d’efforts dans plusieurs existences terrestres. La domination du corps physique est particulièrement malaisée. La chair est « la chose la plus difficile à assujettir ». Même l’Adepte le plus haut, nous dit-on, doit, lorsqu’il occupe un nouveau corps physique, lutter contre celui-ci et il trouve difficile de le maîtriser (D.S., III, 570).

Le Dieu Personnel d’un être humain n’est naturellement pas le Dieu personnel du Monothéisme exotérique, créateur unique de l’univers. Car, comme le précise Mme Blavatsky, « autant d’hommes sur terre, autant de Dieux dans le Ciel » (D.S., III, 449). A chaque homme correspond l’un de ces Dieux qui est le « Veilleur ou le Divin Prototype » dont il est l’ombre ici-bas. Ce Dieu est le Dhyân Chohan dont une partie de l’essence constitue son sixième principe (Bouddhi). II est le Dhyâni-Bouddha relié à son Individualité (D.S., I, 285, 626). Ce Dieu Personnel est le Vainqueur d’Ahriman et le Grand Instructeur dont Shekinah, la Grâce Divine, est symboliquement l’épouse (D.S., II, 117, 226, 503).

Tout Adepte connaît son Dieu Personnel, son propre Dhyâni-Bouddha dont, au cours de la suprême Initiation, il aperçoit la brillante image avec laquelle il est confronté (D.S., I, 626). Jésus, nous dit Mme Blavatsky, affirmait l’identité de sa Monade avec son Dieu Personnel en disant : « Moi et mon Père sommes un » et leur « illusoire » différenciation en déclarant : « Mon Père est plus grand que moi » (D.S., I, 627). Pour employer un terme du Zoroastrisme, le Dieu Personnel d’un être humain est son Fravarshi ou Ferouer, c’est-à-dire, selon la définition donnée par Mme Blavatsky, son Double Eternel qui le précède et lui survit (« Lucifer », mars 1891, 1re note). Ainsi, l’adage occulte « Demon est Deus inversus » s’applique à l’homme qui est le double matériel, l’ombre ou l’inverse de son Dieu Personnel. Ce qui signifie non pas qu’ils sont « deux réalités séparées, mais deux aspects ou facettes de la même Unité », comme le précise Mme Blavatsky (D.S., I, 256).

Ainsi que cette dernière l’a dit, à notre époque où les cloches de tous les temples de l’exotérisme n’ont qu’un seul son, celui de l’ennui, la Société Théosophique propage des enseignements semblables à ceux des Sages de l’antiquité et, notamment, des anciens mystiques grecs et Néoplatoniciens, les Theodidaktoï ou instruits par Dieu (leur Dieu Personnel). Ses trois buts peuvent être résumés par les mots Amour, Science, Vertu, comme l’indique Mme Blavatsky (C.W., X, 117).

Proclus, dont la doctrine est un vaste syncrétisme, se disait prêtre de toutes les religions. La Théosophie moderne, elle aussi, est syncrétique. Elle explique l’ésotérisme de toutes les religions. Elle préconise un développement qui « fait appel à tous les principes de l’homme, à ses facultés intellectuelles comme à ses facultés spirituelles », selon les termes de Mme Blavatsky (C.W., X, 118, 119). Comme celle-ci l’a déclaré, la théosophie incite à une « culture mutuelle » au sein de groupes cimentés par la fraternité et non à une culture de soi isolée et égoïste (C.W., VII, 160).

Comme Saint Paul, la Théosophie affirme l’existence dans tout être humain d’un homme terrestre, simple « âme vivante », et d’un homme céleste qui est un « esprit vivifiant », c’est-à-dire d’un homme extérieur et d’un homme intérieur. Comme lui, elle déclare que l’homme qui n’a pas la charité n’est qu’un « airain qui résonne ou une cymbale qui retentit », même s’il est un puits de science et s’il possède une foi capable de transporter des montagnes, et quand bien même il distribuerait tous ses biens pour nourrir des affamés et livrerait son corps pour être brûlé (I Corinthiens, XIII, 1 à 3, XV, 45 à 48).

La Théosophie montre à l’être humain un chemin où il éprouve une joie croissante, à mesure qu’il progresse plus ou moins vite suivant la façon dont il aide, par ses propres efforts, le processus évolutif de la Nature, jusqu’à ce que, étant retourné à son Père dans le Ciel, il atteigne la plus extrême félicité. Car, comme l’énonce la Taittiriya Oupanishad : « De la joie tous les êtres sont nés, par la joie ils existent et, grandissant, à la joie ils retourneront » (III, 6).

S. LANCRI

NOTE : Les initiales C.W., T.G. et D.S. indiquent respectivement le recueil « H.P. Blavatsky – Collected Writings » et les ouvrages « Theosophical Glossary » et « The Secret Doctrine » (édition anglaise en trois volumes) d’H.P. Blavatsky. Les initiales M.L. désignent « The Mahatma Letters to A.P. Sinnett ».


[1] Le Corps Aurique ou Soûtrâtmâ qui, pendant la vie terrestre, enveloppe le corps physique, « assimile après la mort l’essence de Bouddhi et Manas » dont il devient le véhicule et « monte comme Manas-Taijasi dans l’état dévachanique » (D.S., III, 446).