Rupert Sheldrake
Les rationalistes se trompent sur la télépathie

Traduction libre Le négationnisme de Steven Pinker révèle les préjugés de l’establishment scientifique Steven Pinker aime à se présenter comme un exemple de la science luttant contre une marée ascendante de déraison. Mais lorsqu’il s’agit de phénomènes qui vont à l’encontre de ses propres croyances, il est lui-même remarquablement irrationnel : il affirme que les […]

Traduction libre

Le négationnisme de Steven Pinker révèle les préjugés de l’establishment scientifique

Steven Pinker aime à se présenter comme un exemple de la science luttant contre une marée ascendante de déraison. Mais lorsqu’il s’agit de phénomènes qui vont à l’encontre de ses propres croyances, il est lui-même remarquablement irrationnel : il affirme que les preuves ne sont pas nécessaires pour évaluer la réalité de phénomènes auxquels il ne croit pas, car il est impossible qu’ils soient vrais. Comment un champion de la rationalité peut-il adopter de telles doubles normes ?

Dans son nouveau livre Rationalité, Pinker s’oppose catégoriquement à la télépathie et aux autres types de perception extra-sensorielle (PES). Il affirme que ces phénomènes n’existent pas parce qu’ils ne peuvent pas se produire. Il admet volontiers qu’il préjuge les preuves en affirmant que ces prétendus phénomènes sont extrêmement improbables, leur attribuant une infime « probabilité préalable », dans le langage des statistiques bayésiennes. Il reconnaît que « croire en quelque chose avant d’avoir examiné les preuves peut sembler être le summum de l’irrationalité », mais il justifie son refus d’examiner les preuves en classant ces phénomènes comme « paranormal », les mettant dans le même sac que des sujets apparemment sans aucun rapport comme l’homéopathie, l’astrologie et les miracles.

Il invoque ensuite un argument du 18siècle de David Hume contre les miracles. Comme le disait Hume, soit les miracles sont impossibles parce qu’ils « violent les lois de la nature », soit parce qu’« aucun témoignage n’est suffisant pour les justifier » et qu’ils contredisent « ce que l’on a fréquemment observé comme se produisant ». Dans la paraphrase de Pinker : « Qu’est-ce qui est le plus probable — que les lois de l’univers telles que nous les comprenons sont fausses, ou qu’un type s’est trompé ? »

Pour étayer son argumentation, Pinker invoque la physique. N’étant pas physicien lui-même, il s’appuie sur l’autorité de Sean M. Carroll, un physicien théoricien qui affirme que les lois de la physique excluent la perception extrasensorielle. D’autres physiciens ne sont pas d’accord. Pinker conclut sa discussion en citant le mantra de Carl Sagan : « Les affirmations extraordinaires exigent des preuves extraordinaires. »

Dans une interview récente parue dans la Harvard Gazette, Pinker explique pourquoi il rejette les « intuitions primitives » qui conduisent la plupart des gens à croire à la perception extrasensorielle. Lui et ses collègues rationalistes « désapprennent ces intuitions lorsque nous adhérons au consensus de l’establishment scientifique — ce n’est pas comme si nous comprenions nous-mêmes la physiologie, les neurosciences ou la cosmologie ». Au lieu de cela, ils y adhèrent comme un acte de foi.

Pour les lecteurs qui se demandent comment les actes de foi peuvent biaiser nos jugements, Pinker identifie utilement « le biais de Moncôté (Myside) » comme « probablement le plus puissant de tous les biais cognitifs, à savoir que si quelque chose devient un article de foi au sein de votre propre coalition, et si le fait de le promouvoir vous donne un statut, c’est ce que vous croyez ». Cela s’applique certainement à lui-même.

L’argument de Hume contre les miracles est-il pertinent pour la perception extrasensorielle ? Hume écrivait sur les descriptions des miracles bibliques. Il avait raison de dire qu’ils ne sont pas fréquemment observés. Mais la télépathie est-elle un miracle unique dont on dit qu’il s’est produit très loin et il y a longtemps ? Non. Elle est fréquemment observée aujourd’hui.

Le type de télépathie le plus courant est lié aux appels téléphoniques. Des recherches menées en Europe et en Amérique montrent que la plupart des gens disent avoir pensé à quelqu’un sans raison apparente, et que cette personne les a ensuite appelé, ou qu’ils ont su qui appelait lorsqu’ils ont entendu le téléphone, avant de regarder le numéro de l’appelant ou de répondre. Des types similaires de télépathie se produisent avec les messages textuels et les courriels. (Je donne des détails sur ces enquêtes et des résumés de tests expérimentaux dans mon livre Les pouvoirs inexpliqués des animaux, en anglais : The Sense of Being Stared At).

Les expériences télépathiques ne sont pas une affirmation extraordinaire, mais une affirmation ordinaire. C’est Pinker qui fait une déclaration extraordinaire en affirmant que la télépathie ne peut pas se produire et que la plupart des gens se trompent sur leur propre expérience. Où sont ses preuves extraordinaires ? Il n’en a aucune et, pire encore, il croit qu’il n’en a pas besoin.

La télépathie est fréquemment observée chez les animaux. Lors d’enquêtes aléatoires menées auprès de ménages au Royaume-Uni et aux États-Unis, près de la moitié des propriétaires de chiens ont déclaré que leur animal anticipait le retour d’un membre de la famille en attendant devant une porte ou une fenêtre, parfois plus de 10 minutes à l’avance. Environ 30 % des chats faisaient de même. Dans de nombreux cas, les personnes interrogées ont déclaré que cela se produisait lorsque la personne rentrait à la maison à une heure inhabituelle, dans les transports publics ou dans des véhicules non familiers telles que les taxis. Les réponses des animaux n’étaient pas simplement liées à la routine ou au fait d’entendre des véhicules familiers approcher ; elles semblaient dépendre d’un autre type de connexion entre les propriétaires et leurs animaux.

Les sceptiques pourront raisonnablement se demander si les gens ne se trompent pas en faisant ces observations. Peut-être que les gens savent qui appelle parce qu’ils connaissent les habitudes de ceux qui les appellent et anticipent inconsciemment le moment où ils seront appeler. Ou peut-être pensent-ils fréquemment à des personnes et oublient-ils toutes les fois où personne ne les appellent. Peut-être que les gens adorent leurs animaux de compagnie et sont victimes d’un vœu pieux, se souvenant des moments où leur chien ou leur chat semblait les attendre, en oubliant les moments où il ne les attendait pas. Peut-être, ou peut-être pas.

Heureusement que la science et la raison offrent une voie à suivre : la méthode scientifique. Les scientifiques testent des hypothèses. Plusieurs chercheurs, dont moi-même, ont effectué des centaines de tests expérimentaux de télépathie par téléphone afin de déterminer si les suppositions aléatoires expliquent les résultats ou s’il se passe autre chose. Pour ces tests, les sujets ont choisi quatre personnes qu’ils connaissaient bien pour servir d’appelants potentiels. Puis, au cours d’expériences filmées, ils se sont assis à côté d’un téléphone fixe, sans l’identification de l’appelant. Pour chaque essai, l’un des quatre appelants potentiels était choisi au hasard et invité à appeler le sujet.

Lorsque le téléphone sonnait, le sujet disait à la caméra à qui il pensait, par exemple « Jim ». Il avait raison ou tort. Il ne pouvait pas prévoir que Jim appellerait en connaissant ses habitudes, car celui-ci était choisi au hasard. Par hasard, environ 25 % des réponses étaient correctes. En fait, dans des centaines d’essais, le taux de réussite moyen était de 45 %, ce qui statistiquement est extrêmement significatif. Vous pouvez voir le film de l’une de ces expériences et les résultats de nombreuses expériences randomisées publiées dans des revues à comité de lecture ici. Nous avons constaté des effets positifs similaires dans des expériences de télépathie par courrier électronique et par SMS.

J’ai également réalisé plus d’une centaine d’expériences filmées avec des chiens qui se comportent comme s’ils savaient à quel moment leurs maîtres allaient rentrer. Les preuves filmées ont montré que les chiens anticipaient l’arrivée de leurs maîtres, même lorsque ceux-ci rentraient à des heures aléatoires, inconnues d’eux à l’avance, et dans des véhicules inconnus. Vous pouvez voir un test filmé de manière indépendante par l’unité scientifique de la télévision publique autrichienne (ORF) et les résultats de nombreux tests publiés dans des revues spécialisées ici.

Pinker n’est pas le seul à adopter une position négationniste ; c’est un membre éminent d’une organisation de défense appelée le Committee for Skeptical Inquiry (CSI), qui publie le Skeptical Inquirer : The Magazine for Science and Reason. Parmi ses collègues du CSI figurent Richard Dawkins et le philosophe Daniel Dennett. Les campagnes bien financées de CSI sont conçues pour discréditer « les affirmations du paranormal » dans les médias sérieux et le système éducatif. Le scepticisme organisé est remarquablement efficace, et le CSI dispose d’un réseau international de groupes affiliés, ainsi que de nombreuses sections locales de sceptiques et de justiciers en ligne, toujours prêts à « discréditer » le paranormal. (Au Royaume-Uni, les sceptiques organisés utilisent l’orthographe américaine avec un « k » plutôt que l’orthographe britannique « sceptic » pour indiquer leur affiliation au mouvement sceptique américain).

Avec leur soutien, Pinker pense avoir adhéré au « consensus de la science établie » — mais ce consensus est parfois illusoire. Sa conception du consensus scientifique ne repose pas sur des données empiriques, telles que des enquêtes sur l’opinion des scientifiques du monde entier ou sur des recherches expérimentales, mais plutôt sur les convictions de ses collègues de la CSI. Il fait confiance à une coalition négationniste dans laquelle la rationalité est malheureusement rare. Leur chambre d’écho s’est considérablement élargie grâce à Wikipédia. La CSI encourage des groupes comme « Guerrilla Skeptics on Wikipedia » à former des sceptiques engagés comme éditeurs et administrateurs.

Les sceptiques dogmatiques contrôlent actuellement pratiquement toutes les entrées de Wikipédia sur les sujets qu’ils considèrent comme « paranormaux », ainsi que les pages de biographie de ceux qui font des recherches sur ces sujets tabous, moi y compris. L’entrée de Wikipédia sur la parapsychologie dépeint l’ensemble du sujet comme de la « pseudo-science ». L’entrée sur les pseudosciences les définit comme « des déclarations, des croyances ou des pratiques qui prétendent être à la fois scientifiques et factuelles, mais qui sont incompatibles avec la méthode scientifique ».

Selon ce critère, Pinker est un praticien de la pseudoscience. Il fait des déclarations qui se prétendent scientifiques et factuelles, mais qui violent la méthode scientifique en ignorant les preuves. Son type particulier de pseudoscience est particulièrement dommageable. En tant que professeur de psychologie à Harvard, il modèle le dogme et les préjugés au sein de l’establishment scientifique.

Quelle différence avec l’un de ses prédécesseurs à Harvard, William James, qui faisait preuve d’une ouverture d’esprit rafraîchissante et d’une grande curiosité à l’égard des expériences qui ne pouvaient être facilement expliquées. Si Steven Pinker est prêt à défendre son point de vue contre la télépathie lors d’un débat public, présidé par UnHerd, je serais heureux de faire valoir qu’il est plus rationnel et scientifique d’examiner les preuves que de les ignorer.

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Texte original : https://unherd.com/2021/11/rationalists-are-wrong-about-telepathy/

Rupert Sheldrake est biologiste et auteur, son récent livre : Science et pratiques spirituelles.

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Sur le même sujet, une mise au point par Brian Josephson:

Commentaires sur le point de vue de Steven Pinker sur le paranormal par Brian Josephson

22 mars 2022

Prof. Brian Josephson, Laboratoire Cavendish, Université de Cambridge. Prix Nobel de physique

Lors d’une intervention dans le cadre de sa série « Think with Pinker (Penser avec Pinker) » sur Radio 4 de la BBC, Steven Pinker s’est demandé « pourquoi tant d’entre nous croient à tant d’impostures et de balivernes », qualifiant la perception extrasensorielle de « paranormal non-scientifique (woowoo) ». Je peux imaginer qu’un tel langage s’échappe au cours d’une conversation ordinaire, mais sur la BBC, dans une émission où le texte doit avoir été soigneusement pensé à l’avance ?

Quelque chose a dû conduire à ce que cela soit dit d’une manière aussi peu critique, j’ai donc pensé envoyer un courriel à Pinker pour savoir ce qui l’avait amené à parler ainsi du paranormal. En réponse, il a avancé deux arguments. Le premier a, à première vue, un certain degré de plausibilité, et est le suivant : s’il existe réellement des personnes dotées des prétendues capacités paranormales, elles pourraient les utiliser pour gagner régulièrement aux paris, et nous l’apprendrions. Cependant (comme le décrit un récent article du Guardian), il semble que cela ne se produise pas, car lorsque de telles personnes commencent à gagner des sommes importantes, les bookmakers en prennent note et réagissent à la menace qu’elles représentent en imposant des limites aux montants qu’elles sont autorisées à parier. Par conséquent, nous ne pouvons pas déduire sans risque qu’il n’existe pas de personnes capables d’utiliser leurs capacités paranormales pour gagner de grosses sommes aux paris.

Qu’en est-il du second ? Dans un courriel, Pinker écrit : « Lorsque, dans mon livre Rationality, je cite les arguments de Sean Carroll à l’appui de l’affirmation selon laquelle la perception extrasensorielle est incompatible avec les lois de la physique, il ne s’agit pas d’un argument d’autorité ». C’est peut-être le cas, mais le fait est que la position de Pinker présuppose la validité de l’analyse de Carroll. Cette analyse était-elle valide dans les faits ? En réponse à ma demande de plus de détails, voici sa réponse :

Elle part de l’observation banale que, dans les phénomènes quotidiens à l’échelle humaine, de la nanotechnologie aux fusées lunaires et tout ce qui se trouve entre les deux, les lois de la physique sont parfaitement adéquates. Nous n’avons pas besoin de nouvelles forces ou de nouveaux champs étranges pour expliquer le fonctionnement de ma bicyclette ou le phénomène des éclipses. L’argument de Carroll, expliqué dans le livre, est que la compréhension est si complète que nous pouvons aller plus loin, que les lois actuelles prédisent que s’il existait des champs non encore identifiés en plus de ceux qui sous-tendent la gravité, l’électromagnétisme et ainsi de suite, nous pourrions être en mesure de les détecter, et nous ne le faisons pas.

-Steven Pinker

Est-ce un bon argument ? Non. Dans le domaine scientifique, il arrive souvent que les gens considèrent, sur la base des preuves disponibles à l’époque, qu’ils ont une bonne compréhension d’un état de fait particulier. Mais ensuite, on découvre quelque chose de nouveau qui ne correspond pas au schéma existant et, par conséquent, les modèles doivent être ajustés pour en tenir compte. La physique future ne peut tout simplement pas être prédite de cette manière sur la base du passé. De plus, les physiciens dérivent leurs lois en étudiant des situations où un certain modèle est facile à tester, ce qui ne nous apprend pas grand-chose sur la situation générale. Ainsi, l’idée que nous pouvons avoir une « compréhension complète » de la nature dans un domaine particulier est une idée fausse.

Pinker est loin d’être le seul à rejeter le paranormal sur la base d’un raisonnement inadéquat de cette manière. C’est en partie le résultat de ce type de raisonnement promulgué par des organisations telles que la Skeptics Society, dont l’approche bayésienne présume, avec un soutien inadéquat, qu’il existe de véritables raisons de considérer le paranormal comme essentiellement impossible. Lorsque de telles raisons ne peuvent être produites, l’application de la méthode bayésienne se résume à l’affirmation « Je n’y crois pas, donc ce n’est pas vrai ».

L’organisation QAnon, critiquée par Gabriel Gatehouse dans sa série de la BBC The Coming Storm, propage ses « vérités » d’une manière assez similaire, une situation mise en évidence par des aphorismes tels que : Paul Simon : « Un homme entend ce qu’il veut entendre et ne tient pas compte du reste » (chanson The Boxer) ; The Coming Storm : « Celui ou celle qui conduit le récit conduit le résultat » ; et Marshall McLuhan : « Le support est le message ». Nous méritons mieux.

Je n’ai pas tenté ici de répondre à une demande qui m’a été faite de fournir des preuves convaincantes de la réalité du paranormal, puisqu’« être convaincu » est une question de psychologie, autant que de données. Mon objectif était purement de discuter de la psychologie et de la sociologie impliquées dans le processus de croyance en question.