A. A. Adedire
L’esprit n’est pas ce qu’il semble être : Sur le fondement mental du monde

Traduction libre 2024-04-14 Une brève introduction A. A. Adedire est titulaire d’une licence en neurosciences et en biologie comportementale, ainsi que d’une licence en philosophie, toutes deux obtenues à l’université Emory d’Atlanta (Géorgie). Il a effectué des travaux de recherche à l’Allen Institute for Brain Science, au NIMH Laboratory of Neuropsychology SCNI et au département des […]

Traduction libre

2024-04-14

Une brève introduction

A. A. Adedire est titulaire d’une licence en neurosciences et en biologie comportementale, ainsi que d’une licence en philosophie, toutes deux obtenues à l’université Emory d’Atlanta (Géorgie). Il a effectué des travaux de recherche à l’Allen Institute for Brain Science, au NIMH Laboratory of Neuropsychology SCNI et au département des neurosciences de l’université de Georgetown.

Dans cet essai court et direct, A. A. Adedire défend un point philosophique essentiel : ceux qui s’opposent à l’idéalisme en partant du principe que l’ordre et la régularité de la nature sont incompatibles avec l’esprit confondent l’esprit avec le moi personnel. Ce dernier, souligne-t-il, n’est qu’un récit créé par l’esprit, auquel l’esprit s’identifie à tort. Ce qui définit véritablement l’esprit — la seule constante derrière toute expérience — c’est la conscience même de l’expérience. La constance de cette conscience, affirme Adedire, est tout à fait cohérente avec la nature ordonnée du monde, ainsi qu’avec sa continuité, et peut donc constituer le fondement même du monde.

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Au fil des siècles, la philosophie a été confrontée à l’idée de décrire le monde avec précision. Quelle est la nature fondamentale du monde ? Pourquoi le monde est-il tel qu’il est ? Et comment pouvons-nous comprendre les fondements de la réalité ? La conscience elle-même semble si évidente qu’elle ne peut être niée, mais comment extrapoler ce sentiment de conscience personnelle au monde tel qu’il existe en dehors de nous ?

Une objection courante à l’idéalisme est qu’il va à l’encontre de nos intuitions sur le monde extérieur. L’idée est qu’il existe une réalité commune qui suit des lois naturelles. Cette réalité commune existe et persiste sans interruption. Il existe un ordre naturel des choses, qui semble presque aussi évident que notre propre conscience. En effet, un physicaliste peut poser la question suivante : comment l’idéalisme peut-il ignorer la permanence évidente des lois naturelles et la continuité de la réalité ? Le monde qui persiste n’est-il pas fondamentalement différent de mon propre esprit individuel, qui semble chaotique et peu fiable ? Ces questions reflètent un appel à la loi naturelle : il existe un ordre naturel à la base de la réalité, que nous pouvons percevoir. Cet ordre naturel semble aussi évident que notre propre conscience. Mais lorsque nous regardons vers l’intérieur, nous constatons que l’esprit est chaotique, peu fiable et instable. Dès lors, comment un monde mental qui ne serait pas lui aussi chaotique, peu fiable et instable pourrait-il exister ?

Dans ce qui suit, je soutiens que l’appel à l’ordre naturel peut être réfuté par la tradition védantique hindoue d’investigation de soi, qui démantèle également la notion de moi personnel. L’objection de l’ordre naturel postule que l’esprit est chaotique, peu fiable et instable, mais je soutiens que ce n’est pas l’esprit qui présente ces caractéristiques, mais le moi personnel, qui est une fantaisie de l’esprit.

Tout d’abord, établissons que le moi personnel est ce dont il est question dans l’objection. Lorsqu’on les presse, ceux qui font appel à l’ordre naturel déclarent que « l’esprit » correspond aux pensées et aux états émotionnels, tels qu’ils interagissent avec le monde ou les autres expériences censées être produites par le cerveau, qui sont alors synonymes de l’histoire du moi personnel : le sentiment tenace d’un « je » caché dans le corps, au centre de l’expérience. Le « moi » égoïste de l’esprit n’est pas aussi ordonné que le fondement de la réalité — c’est du moins ce que prétend l’objection. Il est vrai que le moi personnel est intrinsèquement enclin à la fragmentation, à l’incohérence et à l’illusion. Il est soumis aux caprices des émotions, au flux des pensées et aux biais de la perception, ce qui le rend peu fiable et en opposition directe avec les lois naturelles, qui sont inébranlables. Mais le moi personnel n’est pas la conscience consciente.

La tradition védantique hindoue d’invetigation de soi est un projet personnel visant à comprendre la nature illusoire du moi personnel et la primauté de la conscience. Le processus d’investigation sur soi est généralement associé au sage hindou Ramana Maharshi. Né Venkataraman Iyer, il était un maître spirituel vénéré du 20siècle, réputé pour ses enseignements sur l’enquête sur soi et la non-dualité. En 1896, à l’âge de 16 ans, Maharshi a eu une prise de conscience spontanée et aiguë de la mort. Il a enseigné à ses disciples à prêter une attention particulière au sens tenace du « je » et leur a demandé de l’éliminer par la négation, un processus connu en sanskrit sous le nom de neti neti :

Je ne suis pas ce corps physique, constitué des sept éléments subtils (dhâtu), ni les cinq organes de perception sensoriels, c’est-à-dire l’oreille, l’œil, la langue, le nez et la peau, et leurs fonctions correspondantes : l’ouïe, la vue, le goût, l’odorat et le toucher. Je ne suis pas les cinq organes d’activité, c’est-à-dire les organes vocaux, les mains et les pieds, l’organe de procréation et l’anus, et leurs fonctions respectives : le langage, les mouvements du corps physique, la jouissance et l’excrétion. Je ne suis pas les cinq forces vitales, le prâna (vyâna, samâna, apâna, udâna), etc. qui permettent d’accomplir leurs fonctions correspondantes. Même l’esprit pensant je ne le suis pas ; et pas non plus cet état d’ignorance inconsciente dans lequel ne se trouvent que les impressions des objets, et non les objets eux-mêmes et leurs fonctions. Après avoir rejeté tout ce qui a été mentionné ci-dessus comme n’étant « pas ceci ni cela », cette pure Conscience qui seule demeure — CELA je suis. (Ramana Maharshi, Qui suis-je ? Tiruvannamalai, Tamil Nadu : Sri Ramanasramam, 2006).

L’enquête sur soi commence par une question fondamentale : qui suis-je ? En d’autres termes, qu’est-ce qui se cache derrière mes pensées, mes actions et mes perceptions sensorielles ? En un mot, qu’est-ce qui se cache derrière cette continuité du moi ? Une investigation approfondie de soi permet ensuite d’éliminer une à une les pensées, les actions et les perceptions sensorielles et de se rendre compte qu’elles ne peuvent constituer le « Je » persistant en raison de leur manque de continuité. Le processus d’enquête sur soi se termine par l’idée que la seule continuité à travers toute expérience est la conscience même de l’expérience.

Ainsi, l’apparence supposée de l’esprit comme étant chaotique, peu fiable et désordonné est une apparence du moi personnel comme étant chaotique, peu fiable et désordonné. Une fois que le moi personnel est retiré de l’esprit, le fondement de l’esprit se révèle être simplement la conscience de nos expériences, telles que nos pensées, nos sentiments et nos perceptions sensorielles. Il existe donc un fondement continu, immuable et fiable de l’esprit, et ce fondement continu de la conscience fondamentale est de la même nature que le fondement continu de l’ordre naturel ou de la loi naturelle. Par conséquent, l’objection de l’ordre naturel contre l’idéalisme reflète, en ce sens, une simple confusion sur la nature fondamentale de l’esprit. Si nous définissons l’esprit comme le moi égoïste, nous le voyons comme chaotique et désordonné ; il est constamment tiraillé par des émotions en constante évolution et par le flux incessant des pensées, ce qui obscurcit la conscience. En revanche, si nous définissons l’esprit comme la conscience fondamentale, il s’ensuit qu’il existe une « non chose » fiable, stable et continue qui agit comme le « contenant » des pensées, des états émotionnels et des perceptions sensorielles.

La tradition védantique hindoue de l’enquête sur soi ne se contente pas d’éliminer l’illusion du moi personnel, elle révèle également la véritable nature de l’esprit. L’affirmation selon laquelle l’esprit est fondamental relie la conscience fondamentale découverte par l’investigation de soi au fondement même de la réalité ; elle extrapole cette conscience fondamentale au-delà du contenant de « mes pensées », « mes actions » ou « mes sentiments ».

L’appel à l’ordre naturel contre l’idéalisme est une confusion de termes que l’on retrouve fréquemment dans les objections à l’idéalisme. Ces objections reflètent une mauvaise application des hypothèses physicalistes aux concepts idéalistes, ainsi qu’un besoin d’anthropomorphiser les revendications centrales de l’idéalisme, qui sont alors considérées comme absurdes. De même, de nombreuses objections physicalistes sont imprégnées de l’idée que la conscience est un épiphénomène émergent de la matière. Les physicalistes sont souvent incapables de concevoir une vision du monde où cette conception de la conscience n’est pas un premier principe. Pourtant, pour s’engager équitablement dans une position philosophique, il faut le faire dans les termes mêmes de cette position. La compréhension doit précéder la réfutation.

Texte original : https://www.essentiafoundation.org/mind-is-not-what-it-seems-on-the-mental-foundation-of-the-world/reading/