Albert Blackburn
L’Illumination

Traduction libre Lorsque l’égocentrisme cesse, il y a une énergie entièrement différente qui crée l’insight, qui apporte l’illumination et le parfum de la compassion. Gabriele Blackburn : Le mot « illumination » est utilisé avec tant de désinvolture de nos jours. Que signifie l’illumination pour toi ? Albert Blackburn : Eh bien, le mot « illumination » suggère un état statique, un […]

Traduction libre

Lorsque l’égocentrisme cesse, il y a une
énergie entièrement différente qui crée
l’insight, qui apporte l’illumination
et le parfum de la compassion.

Gabriele Blackburn : Le mot « illumination » est utilisé avec tant de désinvolture de nos jours. Que signifie l’illumination pour toi ?

Albert Blackburn : Eh bien, le mot « illumination » suggère un état statique, un état dans lequel il n’y a pas de mouvement. Je préférerais utiliser le mot « illuminer », parce que c’est un verbe et que, selon le dictionnaire, il signifie éclairer, fournir des connaissances, instruire ou donner un insight spirituel à toute question qui se pose à un moment donné. Je pense que je préférerais aborder le sujet sous cet angle.

Cependant, il existe apparemment un état dans lequel une personne fait l’expérience d’une transformation spirituelle, car on en parle dans de nombreux contextes. Par exemple, la religion bouddhiste parle de la réalisation de soi comme d’un retournement au siège le plus profond de la conscience. La religion chrétienne parle de régénération, ou de la renaissance du Christ, ou de la renaissance de l’intelligence au plus profond de l’individu. Certains psychologues, comme Jung et Maslow, parlent d’individuation, et Krishnamurti parle d’une révolution intérieure. Les gens de nombreuses sociétés différentes dans le monde ont connu des états similaires, car de telles expériences ont apparemment été décrites depuis l’existence des archives historiques.

Je pense qu’il est important d’explorer le sujet de l’illumination. Je suis heureux que tu as posé la question, parce qu’il y a tellement de sectes religieuses, d’organisations et de gourous différents dans le monde d’aujourd’hui qui distribuent de la littérature sur l’illumination et disent : « Écoutez-nous et vous serez illuminé. »

Selon un sondage réalisé par le Los Angeles Times il y a quelques années, au moins 30 % des personnes interrogées avaient connu un changement religieux dans leur vie, ou avaient atteint un point où elles avaient soudainement perçu une certaine vérité ; 20 % ont déclaré qu’elles avaient connu un changement profond et fondamental dans leur style de vie à la suite de ce qu’elles avaient soudainement découvert sur leur religion, ou leur philosophie. Dans mon propre cas, je suis devenu théosophe vers 1933, et mes valeurs et mes idées sur la vie ont changé. Mes intérêts ont radicalement changé, et pendant les dix années qui ont suivi, j’ai adhéré à ce système de croyance particulier. Mais je pense que le mot « illumination » est utilisé trop couramment de nos jours.

G : Comme le mot amour.

A : Il n’a plus la vie ou la signification qu’il avait auparavant. Nous recevons des lettres par la poste disant : « Si vous suivez notre cours particulier, ou si vous faites la chose particulière dont nous parlons, vous atteindrez l’illumination ». Cela implique, bien sûr, que les personnes qui promulguent cette idée particulière sont elles-mêmes illuminées ! Je m’interroge à ce sujet ; je me demande combien de personnes dans ce monde sont réellement illuminées.

Je pense que nous devrions explorer la question de savoir ce que signifie réellement l’illumination. Bien sûr, toute spéculation que nous faisons sur l’illumination, à moins d’avoir fait nous-mêmes une expérience radicale, n’est que spéculation. Toute information de seconde main obtenue dans les livres ou la tradition doit être remise en question. Comme Jésus est censé l’avoir dit, « Vous les reconnaîtrez à leurs actes ».

Peut-on séparer les idées sur l’illumination de l’illumination elle-même ? De mon point de vue, il y a une grande différence entre une idée sur quelque chose et la chose elle-même. Si l’illumination réellement existe, quels types de changements apporte-t-elle dans la vie d’une personne ? Est-ce quelque chose que l’on atteint soi-même ? Est-ce le résultat de nos propres efforts ou est-ce quelque chose qui vient de l’extérieur ?

G : Regardons d’abord ce qui pourrait éventuellement créer l’opportunité pour l’illumination de se produire. Qu’est-ce qui pourrait l’amener ? Parlons de l’illumination réelle, pas seulement du petit bout d’insight qui semble avoir du succès ces jours-ci, comme dans les séminaires qui sont offerts, et qui disent que vous verrez quelque chose sur vous-mêmes et donc vous serez illuminé.

A : Je pense que nous devrions peut-être commencer là où nous nous trouvons en ce moment. Être éclairé sur quelque chose, selon le dictionnaire, signifie faire la lumière sur un sujet particulier. Ainsi il peut y avoir un état d’illumination, ou il peut y avoir un moment réel d’illumination, sur tout sujet particulier. Si nous voulons être éclairés sur quelque chose, quelle est la première étape ?

G : Enquêter.

A : Tu dois investiguer ; cela demande une enquête. Par conséquent, je dirais que la condition préalable à toute illumination – qu’il s’agisse d’une petite illumination, d’un simple éclair d’inspiration, d’une vision profonde ou de quelque chose qui nous change fondamentalement – doit être une enquête approfondie. Si j’investigue un problème scientifique sur lequel je travaille, je dois l’approfondir autant que possible. C’est apparemment ce qui est arrivé à Einstein, ainsi qu’à d’autres personnes qui ont travaillé sur des projets scientifiques. Ils ont développé et utilisé leur intellect jusqu’à ses limites, pour découvrir tout ce qui était connu sur un sujet particulier, et l’illumination est soudainement arrivée.

Ainsi, on pourrait dire que, d’une certaine manière, l’illumination est synonyme d’insight Nous avons un certain insight dans une situation, et apparemment cet insight vient de l’extérieur de nous-même, n’est-ce pas ? Il ne vient pas de l’intellect ; ce n’est pas un produit de la pensée. L’intellect prépare le terrain ; il débarrasse le sujet de tout ce qui est connu en l’étudiant et en découvrant que les informations connues ne mènent pas à des réponses. Cela déblaie le terrain et ouvre la porte – vide la coupe, pour ainsi dire – pour que l’insight ou l’illumination se produise sur ce sujet particulier.

G : Oui, il a été souvent dit que les solutions aux problèmes mathématiques et scientifiques n’arrivent que lorsque la personne concernée a pris une pause, qu’elle a dormie dessus, qu’elle s’est promenée ou qu’elle a atteint un état dans lequel elle ne peut plus penser ou spéculer sur le problème. Lorsque l’esprit se relâche, lorsque le cerveau se relâche, alors la réponse semble venir, de ce que tu appelles l’extérieur. Mais allons plus loin ; ne parlons pas seulement d’un petit insight fragmentaire, qui fait partie, peut-être, du fondement de l’illumination totale. Penses-tu que l’illumination totale existe ? En d’autres termes, l’illumination a-t-elle une fin ?

A : Je ne vois pas l’illumination comme un état statique ; et si ce n’est pas un état statique, il n’y a évidemment pas de fin. Il y a illumination d’instant en instant. C’est évidemment la façon dont cela fonctionne dans notre vie quotidienne. Toi et moi avons été illuminés sur de nombreuses choses différentes au cours de notre vie. Je ne pense pas qu’il y ait une fin à cela, parce que le monde me semble être une combinaison tellement incroyable de choses et d’événements que je ne vois pas comment cela pourrait se terminer un jour. Tu peux être illuminée sur tout ce qui existe sur cette planète particulière, mais penses au nombre de planètes qu’il y a dans l’univers.

Nous avons discuté, plutôt, de ce qui était nécessaire pour provoquer l’insight, et nous avons décidé qu’il s’agissait de pousser le connu à ses limites ; lorsque nous atteignons les limites du connu, alors quelque chose d’autre peut se produire. Par conséquent, je dirais que la condition préalable nécessaire à l’illumination est la libération du connu.

Qu’est-ce que le connu ? Le connu est tout ce que nous avons appris ; toutes nos idées, toutes nos philosophies, toutes nos idées religieuses et tous nos concepts traditionnels sur la vie. Voilà ce qu’est le connu ; et ce n’est pas seulement mon connu, c’est le connu de toute l’humanité. C’est la somme totale de ce que nous appelons la conscience humaine. Nous ne savons pas quelles sont les limites de cette conscience, mais la conscience telle que nous la connaissons est le lieu où nous, les êtres humains, fonctionnons. La conscience, qui a été développée par les réactions individuelles à la vie au cours d’innombrables générations, s’est développée en ce que nous appelons la conscience humaine, et c’est le connu.

Par conséquent, s’il existe un état d’illumination, ou un plateau que nous pouvons atteindre, ou qui peut se produire au cours de notre vie, il faudrait qu’il s’agisse d’une condition dans laquelle on est libre du connu. Nous devrions être libérés du connu. Non pas que nous n’utilisions pas le connu, parce que nous devons utiliser le connu pour communiquer ; nous devons utiliser le connu pour écrire des livres ; nous devons utiliser le connu pour entrer en relation avec les autres.

G : Tu dois utiliser le connu pour fonctionner.

A : Tu dois l’utiliser pour fonctionner ; tu dois l’utiliser comme un outil, mais sois libre de lui afin qu’il y ait une possibilité d’explorer ce qui est au-delà.

G : Tu veux dire que tu dois être libre du contenu psychologique, du contenu émotionnel.

A : Oui ; pas libre de choses factuelles, mais libre de nos idées à leur sujet et de nos liens psychologiques avec elles.

G : En d’autres termes, le « je » ne peut pas être illuminé ; en fait, il est ridicule de penser de cette façon, du « je » atteignant l’illumination. Tant que je travaille à partir du connu, motivé par mon ego, par mon désir, par ce que j’aimerais atteindre (aussi grand et glorieux que soit le but), je ne peux pas l’atteindre.

A : Non, car si ton objectif est de te libérer du connu, tu ne peux pas l’atteindre en passant du connu à l’inconnu. Tu peux explorer le connu et tout ce qui se trouve dans le domaine du connu ; tu peux aller aux quatre coins de la terre et explorer ce que l’humanité a découvert, mais tu ne peux pas faire ce pas supplémentaire. En d’autres termes, nous n’avons pas fabriqué le bateau qui nous permettra de traverser la rivière. La rivière peut être traversée, mais nous ne pouvons pas la traverser par nos propres efforts, ou au moyen d’un bateau ou d’un autre moyen de transport que nous avons créé par la pensée.

G : Alors comment aborder le problème ? Je vois une impulsion fondamentale sous-jacente – peut-être une passion, au sens propre du terme – chez les gens. Beaucoup d’entre nous semblent avoir ce désir de clarté, un élan intérieur vers l’unité avec la vie, comme je le dirais. Comment l’aborder alors ? Parce que je pense que l’illumination est le but fondamental de la vie.

A : Oui, il semble y avoir une poussée évolutive dans la vie. Tel que je le vois, la vie cherche continuellement des moyens de s’exprimer. Elle s’exprime à travers toutes les formes de vie qui existent sur la planète. Je pense que la seule chose qui puisse interférer avec la poussée de la force vitale ou l’évolution des formes de vie, c’est le développement de ce que nous appelons l’ego, le développement des activités personnelles égocentriques de nos processus de pensée individuels. Je considère que c’est la seule chose qui s’y oppose.

G : Oui, cela va dans la direction opposée, n’est-ce pas ?

A : C’est certainement le cas, car la plupart des gens essaient désespérément de maintenir leur mode de vie égocentrique. On nous dit constamment de nous affirmer, de développer notre ego, de développer notre personnalité, de défendre nos droits, de nous battre pour nos droits. Toutes ces choses sont des manifestations de la pulsion de l’ego, n’est-ce pas ?

G : Oui, on dit même que pour méditer sur le soi, il faut étudier tout ce que les gens ont dit sur le sujet. En d’autres termes, rassembler tout ce qui est connu à ce sujet, que ce soit vrai ou faux. On a aussi écrit beaucoup de bêtises à ce sujet. Tout cet effort d’accumulation d’idées pour devenir un méditant ne va pas apporter l’illumination. Je pense que cela nous en éloigne encore plus.

A : C’est exact, cela nous éloigne de la vie. Par exemple, si tu regardes les beaux arbres, les plantes, les fleurs, les animaux et toutes les autres belles choses de la nature, tu ne vois aucune pulsion d’ego dans aucun d’entre eux. Tu peux être sûr que l’arbre là-bas n’essaie pas de rivaliser avec l’arbre à côté de lui. Il pousse naturellement vers la lumière du soleil de toutes les manières possibles ; celui qui a le meilleur système de racines, celui qui est le plus nourri dans le sol, celui qui reçoit le plus d’humidité, celui qui a la meilleure opportunité, deviendra le plus grand et recevra finalement le plus de lumière du soleil. N’en est-il pas de même pour nous ? Nous sommes amenés à croire que sans la pulsion de l’ego, nous ne serions rien. Nous ne comprenons pas que toute la poussée évolutive de la force vitale opère en nous, comme dans toute autre manifestation de la vie, et qu’elle nous mènera inévitablement à notre véritable destination, où qu’elle soit.

G : Oui, c’est ce que je voulais dire auparavant : l’intérêt sous-jacent, même s’il est mal nommé, mal utilisé et mal orienté.

A : Tu sais, nous le voyons en nous-mêmes ; je le vois, certainement, en moi. Je peux constater qu’à différents moments de ma vie, j’étais très curieux de certaines choses, et que ma curiosité m’a conduit à l’illumination concernant ces sujets particuliers. Je pense que l’élan fondamental vers la recherche – l’élan fondamental qui nous pousse à explorer – fait partie de la vie, de la nature. On le retrouve dans tout. On le voit chez les animaux, par exemple ; les bébés animaux explorent le monde et découvrent ce qu’est la vie. Je pense que la curiosité est une chose naturelle, normale, et que sans elle, nous resterions évidemment tous dans un état statique, et très peu de choses se produiraient.

G : « Cherchez et vous trouverez. »

A : C’est vrai. Tu connais le vieux dicton, « La curiosité a tué le chat. » Eh bien, je l’exprimerais différemment. Je le paraphraserais, et dirais que la curiosité a tué l’ego ! Parce que la curiosité qui développe l’ego – qui nous pousse à aller de l’avant, à en rajouter toujours plus dans notre recherche de ce que nous considérons comme du plaisir, de la sûreté et de la sécurité – finit par être la chose qui cause réellement notre perte. Il nous tue. C’est la fin de l’ego. Ce n’est peut-être pas la fin à ce moment précis, mais c’est le début de la fin.

Lorsque tu découvres ce qui fait vibrer l’ego – cette horloge que tu remontes depuis des siècles, que l’humanité remonte depuis des siècles – c’est le premier pas vers la liberté. Au début, nous sommes intéressés par le tic-tac ; nous pensons que le tic-tac est formidable, et nous nous y abandonnons et continuons à remonter l’horloge pour qu’elle tique de plus en plus vite. Cependant, nous arrivons finalement à un endroit où le tic-tac nous rend fous. Il te rend fou, car tu vois que le tic-tac t’empêche de comprendre la vie qui t’entoure. Et puis tu découvres soudain que c’est toi qui remontais l’horloge ! Ce n’est pas Dieu qui remonte l’horloge, ce n’est pas Jésus-Christ qui remonte l’horloge, ce n’est pas Bouddha qui remonte l’horloge. Personne ne remonte l’horloge à part toi. Lorsque tu découvres que c’est toi qui remontes l’horloge, qui cause le tic-tac, qui cause tous les problèmes et les conflits, alors chaque fois que tu te surprends à la remonter, tu la laisses tomber, n’est-ce pas ? C’est la fin du remontage, et l’horloge s’arrête enfin, parce qu’il n’y a plus d’énergie dépensée dans cette direction particulière.

G : Donc une chose que l’on peut faire est de laisser l’horloge de l’ego s’épuiser.

Tu avais parlé de notre désir inné d’explorer et de comprendre. Quoi d’autre faisons-nous, ou ne faisons-nous pas, pour bloquer l’état d’illumination ? Il semble que tant de choses que nous faisons ferment les rideaux au lieu d’ouvrir les fenêtres pour que la Lumière puisse entrer.

A : En premier lieu, voulons-nous vraiment l’illumination ? L’illumination apporte beaucoup, beaucoup de changements ; elle induit un style de vie complètement différent. Je pense que les gens doivent avoir examiné toutes les facettes de leur vie, pour découvrir s’il y a quelque chose qu’ils n’ont pas achevé, avant même d’y penser.

La plupart des gens pensent que s’ils avaient plus d’argent, ils seraient heureux, ou s’ils avaient une bonne santé, ou une femme ou un mari différent, ou des relations différentes, leur vie serait différente.

Une personne ne doit-elle pas examiner toutes ces choses, jusqu’à ce que chacune d’elles se transforme en cendres dans sa bouche ? Bien sûr, qu’en fin de compte, elles vont toutes devenir des cendres dans nos bouches, n’est-ce pas ? Quand la mort arrive, c’est la fin. On abandonne tous les biens que l’on a accumulés, et c’est la fin : point final, arrêt complet. Mais si vous pensez qu’une certaine chose va résoudre vos problèmes dans la vie et vous apporter le bonheur, vous devriez essayer de l’obtenir. J’ai le sentiment que l’illumination, la régénération ou la révolution intérieure (ou tout autre nom que vous voulez lui donner) est réservée à très peu de gens.

G : Donc tu dis que nous devons vivre la vie pleinement.

A : Pour savoir si une chose particulière a de la valeur, il faut avoir la liberté d’expérimenter. En d’autres termes, pour moi, la vie est comme un grand magasin, et nous pouvons y trouver tout ce que nous voulons. Tout ce que nous devons faire, c’est payer le prix ; mais nous pouvons avoir n’importe quoi dans ce monde.

G. Mais tu ne parles pas de se faire plaisir, tu parles d’autre chose.

A. Oui, je parle de découvrir par soi-même si l’une de ces choses apporte une paix permanente. Un état d’illumination – qui, à mon avis, n’est pas un état statique – doit être très différent de tout cela. Il ne peut s’agir simplement d’avoir plus de voitures ou plus d’argent à la banque.

G : Non, bien sûr que non ; nous ne parlons pas de cela. Nous parlons de la paix intérieure, du calme intérieur.

A : Mais les idées des gens sur la paix intérieure et la tranquillité sont généralement une échappatoire à ce qui se passe dans leur vie extérieure. Ils n’ont pas une bonne relation avec leur famille ou leurs amis, peut-être, et ils veulent donc la paix.

G : Ils se disent : « Je pense que je vais faire une retraite ; je vais aller dans les montagnes et m’asseoir tranquillement parce que ma vie est un désordre, et peut-être que je peux trouver l’illumination et tout sera résolu. »

A : C’est exact ; je pense que c’est exactement la raison pour laquelle la plupart des gens recherchent l’illumination. J’ai le sentiment qu’être illuminé, dans le sens véritable et profond dont nous discutons ici, est le résultat d’un mouvement évolutif, ou de développement, dans la vie. En d’autres termes, je pense qu’il faut avoir une certaine maturité. L’illumination ne peut pas venir à vous si vous êtes encore coincé au stade juvénile de vouloir plus d’argent, plus de voitures et plus d’aventures amoureuses ; vous devez d’abord être une personne mature.

Si l’illumination est l’aboutissement de quelque chose d’autre que les idées et les aspirations d’une personne, alors le terrain doit être préparé très à l’avance. Une personne doit être moralement mûre. J’ai l’impression que c’est l’une des qualités qui manque le plus dans la plupart des idées des gourous sur l’illumination ; la plupart d’entre eux vendent l’illumination pour un certain prix. Mais je considère que cette qualité de maturité est totalement absente. Personne ne parle de développement moral ou de caractère moral, personne ne parle de bonté réelle dans la vie, ou de relations justes, ni de rien d’autre. Ils parlent de l’illumination comme de quelque chose qui va leur donner des pouvoirs psychiques, ou quelque chose qui va les aider à faire l’expérience de « rebondir entre les planètes », de voir des lumières colorées.

G : Oui, tout se mélange. Les domaines psychique et spirituel sont considérés par les gens comme étant la même chose. Ils semblent ne plus faire de distinction entre la religion et la philosophie, ou entre les questions psychiques et spirituelles.

Regardons maintenant les faits de l’illumination, les changements qui s’opèrent et comment vit-on différemment.

A : Comme nous l’avons dit précédemment, j’ai l’impression que cela entraîne un tout nouveau style de vie. Il induit de nouvelles valeurs, et nous voyons les choses d’un point de vue différent.

Il semble y avoir deux types d’énergie différents que nous pouvons découvrir par nous-mêmes. Nous sommes tous familiers avec le type d’énergie qui est généré lorsque nous sommes mêlés à la pulsion de l’ego. Nous voyons une certaine chose, ou la vie nous présente une certaine situation, et notre esprit commence à travailler dessus ; nous rêvons à une image, et nous nous imaginons vivre cette chose particulière. Cela crée une énergie que nous appelons désir, et nous rêvons de moyens d’accomplir ce que nous voulons accomplir. Nous connaissons tous ce genre d’énergie, mais elle prend fin lorsque le désir particulier est réalisé. Si le désir n’est pas satisfait, l’énergie peut être transférée vers un autre objet ou un autre but. Cette énergie est diminuée si nous avons une mauvaise santé, ou si nous sommes trop fatigués. Lorsque la vieillesse nous rattrape, nous n’avons plus d’énergie ; et lorsque la mort survient, c’est la fin de cette énergie, point final.

Mais toi et moi savons qu’il existe un autre type d’énergie. Par exemple, il y a l’énergie que tu manifestes toi-même lorsque tu guéris les gens ; tu peux travailler toute la journée. Je t’ai vu travailler sur 35 ou 40 personnes en une journée et être, en soirée, aussi en forme que tu l’étais au début. Tu utilises donc manifestement un autre type d’énergie, n’est-ce pas ?

G : Oui, je n’utilise pas ma propre énergie.

A : Tu n’utilises pas ta propre énergie, car si tu l’avais fait, tu serais absolument épuisé à la fin de la journée.

G : Oui, je le serais

A : La même chose s’applique à moi. Je peux me sentir mal physiquement, ou être fatigué, mais si quelqu’un vient et veut parler de la conscience du moment présent ou de sujets similaires, j’ai de l’énergie, je peux rester debout toute la nuit et parler. Je peux être fatigué quand je m’arrête, mais pendant que je parle, cette énergie est là. Je pense que c’est l’énergie de la vie. En d’autres termes, lorsque nous ne sommes pas engagés dans une activité égocentrique, cette autre énergie est là pour nous permettre de passer à travers et d’amener le résultat qu’elle veut amener.

Une autre chose que nous devons apprendre est comment fonctionner sans le centre du moi (égocentrisme), parce que nous sommes habitués à fonctionner avec lui constamment, jusqu’à ce que l’illumination (ou cette révolution intérieure) se produise, nous fonctionnons à partir de notre centre du moi. Tout ce que nous faisons vient du moi. Nous sommes toujours en train de tendre la main vers quelque chose que nous voulons, ou de nous replier vers l’intérieur, loin de quelque chose que nous ne voulons pas. Nous faisons donc constamment la navette entre notre centre du moi et l’objet de notre désir.

Mais lorsque le centre du moi a été éliminé, ou est en train de l’être parce que nous ne remontons plus l’horloge de la vie, il y a un mouvement tout à fait différent. Il y a alors un jaillissement vers l’extérieur en permanence. Il ne s’agit pas seulement d’un flux provenant d’un centre ; l’énergie de la vie est canalisée à travers vous et accomplit certains résultats dans le monde extérieur. Nous devenons un canal pour la vie, et il n’y a pas de centre dans un canal. Si un canal avait un centre, l’énergie serait arrêtée à mi-chemin. Dans ce cas, le centre doit être éliminé, afin que l’énergie et la force vitale puissent être canalisées pour circuler à travers nous et accomplir des choses dans le monde extérieur. Je pense que c’est un critère précis.

Un autre aspect à prendre en compte est l’ordre. L’ego crée un certain ordre dans notre vie ; en d’autres termes, nous avons réussi à convaincre les gens de faire les choses à notre façon. Nous avons tout arrangé comme nous le voulons – ou du moins aussi près que possible. Je pense que c’est typique de beaucoup de personnes qui, par choix ou par nécessité, doivent vivre seules. Je pense qu’il est très facile de tomber dans un certain schéma de comportement. Mais cet ordre est très égocentrique, n’est-ce pas ? Ce n’est pas l’ordre de la vie, et c’est ce dont nous parlons : s’adapter à l’ordre de la vie.

Un autre facteur qui intervient dans tout cela est la régénération. Si la régénération est un fait, ce qui semble être le cas de mon point de vue, d’où pourrait-elle provenir ? Elle ne peut évidemment pas provenir d’une idée, car toutes les idées font partie de la conscience humaine. Si j’ai l’idée que je deviens de plus en plus vertueux, que je m’intègre dans l’ordre de la vie, etc., ce n’est qu’une idée. Pour moi, la régénération a vraiment lieu dans l’état de conscience du moment présent, dans un état de vigilance, un état d’observation.

Je sens que la régénération se produit en fait à un niveau différent de celui de la pensée. Elle n’est pas le résultat d’une idée, elle ne fait pas du tout partie de la pensée. Je pense qu’il est très important de le comprendre. La régénération entraîne un changement imperceptible et fondamental à tous les niveaux de l’être humain, et se traduit par une vision complètement nouvelle de nos valeurs, de nos modes de vie, de nos façons de penser et de nos façons d’utiliser la pensée. Au lieu d’utiliser la pensée comme un moyen égocentrique d’obtenir quelque chose que nous voulons, et d’éviter quelque chose que nous ne voulons pas, la pensée est utilisée comme un outil pour créer l’ordre et la beauté dans l’environnement dans lequel nous vivons.

G : Si nous ne nous déplaçons plus vers l’extérieur du soi afin d’atteindre, de rassembler, de gagner ou d’accumuler, protégeons-nous encore ce que nous appelons le soi ?

A : Tout ce que je peux faire, c’est parler de ma propre expérience. Lorsque tout cela m’est arrivé en 1944, ma vision de la vie s’est radicalement transformée. Depuis lors, il n’y a plus le sentiment d’autoprotection. Il faut évidemment protéger son corps, car si celui-ci n’est pas protégé, on ne peut pas du tout fonctionner dans ce monde. Mais il n’y a pas de protection psychologique, et c’est là toute la différence. Avant cela, il y avait la protection psychologique à tout prix.

G : C’est ce que je veux dire.

A : Après cela, après avoir fait l’expérience d’une révolution intérieure, il n’y a plus du tout d’autoprotection psychologique, car il n’y a rien à protéger.

G : C’est vrai.

A : Tu vois alors que ce que tu protégeais est ce qui causait tous les problèmes. Lorsque tu perçois que, réellement, il n’y a pas de soi, il ne peut y avoir aucune autoprotection.

G : Donc on est très ouvert, très vulnérable.

A : Absolument vulnérable, et je pense que cette vulnérabilité est l’une des caractéristiques de ce dont nous parlons. Quelqu’un qui prétend être illuminé est-il psychologiquement vulnérable, ou bien cette personne est-elle encore très protectrice de l’image qu’elle a d’elle-même ?

Un autre point que je voudrais souligner est qu’il n’y a pas de peur psychologique de perdre. Il n’y a pas de crainte que quelqu’un te prenne quelque chose.

G : Lorsqu’on perd l’ego, c’est la perte ultime, n’est-ce pas ? Il n’y a plus rien à perdre !

A : Oui, mais l’ego ne meurt pas soudainement. Formulons le ainsi : il a reçu une blessure mortelle, mais il n’est pas encore mort. Il y a toutes sortes de conditionnements accumulés à l’intérieur d’une personne qui doivent être éliminés. Ce qui m’a intéressé, c’est qu’à partir de 1944, j’ai été capable d’observer objectivement le fonctionnement de mon propre esprit, alors que je ne le pouvais pas auparavant. Auparavant, j’étais impliqué dans le processus, je m’y identifiais, et il n’y avait aucune objectivité. Il se peut que je me sois réveillé de temps en temps et que je me sois rendu compte consciemment que je venais de faire une certaine chose, ou de penser une certaine chose, mais il y avait alors une continuité immédiate sous une autre forme. Mais, après cette révolution intérieure, j’étais apparemment capable d’utiliser une partie de mon esprit comme un miroir, ou j’avais une nouvelle façon de regarder les choses de manière objective.

G : L’ego continue de dresser sa tête hideuse, comme un monstre à plusieurs têtes dont on tue une partie à la fois.

A : Tu en prends conscience, et dès que tu t’éveilles au fait que cela s’est produit, la pensée disparaît.

G : Vivre dans le présent tue toujours le dragon de la pensée.

A : Comme l’a dit Krishnaji, le premier pas est le dernier pas. Tu fais le premier pas ; tu prends conscience de tes intérêts particuliers, et au lieu de faire un autre pas pour t’impliquer davantage ou pour continuer le même rêve, tu te surprends à faire ce premier pas et immédiatement la pensée disparaît. Et quand elle disparaît, tu es à nouveau à l’air libre, et tous les canaux sont ouverts et disponibles pour toi, pas seulement un.

G : Oui. C’est ce qui fait que la peur s’arrête ?

A : Non, je pense que ce qui arrête la peur, la peur psychologique, c’est le fait que tu perçois comment tu as créé ton monde de pensées par toutes tes pensées, par toutes tes réactions à la vie. Tu perçois que c’est toi qui l’as créé, et que sans cette idée d’ego, sans cet égocentrisme, le monde entier t’est ouvert. La perception elle-même met fin à la peur à cet instant-là. Elle peut revenir si tu es inattentive, mais chaque fois qu’il y a une prise de conscience, la peur disparaît.

G : Voir ce qui est, comme il est.

A : La peur semble surgir en conjonction avec l’autoprotection. Au moment de la prise de conscience, tu vois qu’il n’y a rien à protéger. Tu vois que l’ego n’est rien d’autre que la pensée. Et tu vois que lorsque la pensée n’est pas présente, l’ego n’existe pas. Il n’y a pas d’ego séparé de la pensée. Ainsi, lorsque la pensée est silencieuse, l’esprit est silencieux ; la peur n’existe pas. Mais tu ne peux pas par la pensée te débarrasser de la peur. Tu peux remplacer une idée de la peur par une autre, te forcer à penser une pensée soi-disant positive et penser que tu t’es débarrassée de la peur, mais tu ne fais que la dissimuler. Elle réapparaîtra lorsqu’un nouveau défi se présentera. Mais si tu te surprends à poursuivre le problème, ce moment de prise de conscience te libère et tu es en plein air. Et à ce moment-là, il n’y a plus de peur. Tu dois donc constamment être consciente des faits de ta vie, de ce que sont les faits à chaque instant, et alors il n’y a plus de peur.

G : Il y a une énorme sécurité là-dedans.

A : Oui, c’est la seule véritable sécurité psychologique. Il n’y a pas d’autre sécurité, puisque bien sûr il n’y a pas de sécurité physique ultime.

G : Non, la sécurité ne vient que lorsqu’il n’y a pas de peur.

A : La sécurité vient lorsque tu comprends que « tu » n’es rien d’autre que la pensée. Bien sûr, nous sommes aussi un corps physique et un canal pour la force vitale. Mais égoïstement parlant, ou psychologiquement parlant, nous ne sommes rien. Nous sommes une accumulation de tous les conditionnements qui ont été ajoutés à notre champ de conscience, et au champ de conscience de l’humanité. Et quand tu vois ce qui est, ça tombe ; au moment de la prise de conscience, c’est parti.

Nous avons parlé plus tôt de l’illumination comme étant la libération du connu. Eh bien, une partie du connu consiste en toutes les idées que l’humanité a imaginées. L’une de ces idées est celle du nationalisme, l’idée que je suis américain et qu’une autre personne est russe, ou autre. L’un est un ennemi et l’autre un ami, en fonction de la situation économique ; étiqueter l’autre est très important pour la plupart des gens.

Dans l’état de la conscience du moment présent, rien de tout cela n’a d’importance, car on comprend que nous sommes des citoyens du monde, nous sommes tous des êtres humains. La planète sur laquelle nous vivons est l’affaire et la responsabilité de chacun d’entre nous. Ce n’est pas seulement mon petit terrain de jeu privé où je peux faire ce que je veux. Nous devons avoir un sentiment de responsabilité envers l’ensemble, car nous ne sommes pas ici tout seuls. Les animaux, les arbres, les oiseaux, les fleurs et toutes les autres choses vivent sur cette planète, et nous sommes tous mutuellement responsables de notre existence.

G : Oui, bien sûr.

A : Cela suggère d’autres points, comme l’ambition. L’ambition de devenir quelque chose est une autre chose qui m’a quitté. Les gens disaient : « Eh bien, sans ambition, que faites-vous, vous restez assis et vous végétez ? ». Non, je ne m’assois pas et je ne végète pas. S’il n’y a pas d’égocentrisme pour arrêter le flux de la vie, alors la vie nous utilise comme un canal et elle accomplit des choses dans le monde, n’est-ce pas ?

G : Exactement.

A : En d’autres termes, nous devenons une aide pour le monde. Nous faisons tout ce que la vie exige de nous, et nous le faisons du mieux que nous pouvons, à condition que cela coïncide avec l’ordre de la vie. Si une fleur a besoin d’être arrosée, tu l’arroses. Si un arbre a besoin de soins, tu le soignes. Si ta relation avec ta famille nécessite une certaine quantité d’amour et d’attention, c’est ce que tu donnes. Tu sais, instant après instant, exactement comment s’insérer dans l’ordre de la vie d’une manière totalement impersonnelle et désintéressée. Tu es donc vraiment un canal, n’est-ce pas ?

G : La vie semble s’ouvrir lorsque nous nous ouvrons, et cela nous apporte une formidable énergie nouvelle, ainsi que de nouvelles façons d’exprimer cette énergie dans nos vies. Soudain, des opportunités dont nous n’avions pas rêvés il y a dix ou vingt ans se présentent devant nous, et nous pouvons les saisir. Nous ne nous y engageons pas pour notre propre bénéfice, mais pour le bénéfice du monde dans lequel nous vivons, et celui des personnes avec lesquelles nous sommes en relation, et dont nous touchons la vie.

A : Tout cela requiert de l’honnêteté, n’est-ce pas ? Nous devons être honnêtes dans nos relations avec les autres. Nous devons être honnêtes en nous-mêmes. Tu sais, les vertus dont on parle – comme l’honnêteté, l’intégrité et toutes ces qualités différentes – se manifestent à différents niveaux. Quelqu’un peut être honnête parce qu’il a peur d’être malhonnête, parce qu’il a peur des conséquences.

G : C’est comme ça qu’on nous apprend ; ne vole pas, ou tu iras en prison.

A : C’est vrai ; mais dans cette nouvelle façon de vivre, on voit que l’honnêteté fait partie de la vie. Tu n’es pas honnête parce que tu as peur d’être pris en train de faire quelque chose de malhonnête, tu es honnête parce que cela fait partie de l’ordre de la vie. C’est une qualité fondamentale de la vie.

G : Tu ne peux pas être autre chose.

A : Non, tu ne peux pas.

G : Parce que lorsque tu vis dans le « ce qui est », tu ne peux démarrer qu’à partir de cela, affirmer et agir à partir de cela.

A : C’est exact, parce que ce flux de vie (cette force ou énergie vitale) contient toutes les prétendues vertus, n’est-ce pas ? Il contient l’honnêteté, l’intégrité, la compréhension et toutes les autres qualités évoquées.

G : Quand on fonctionne à partir de l’ego, la pensée change les choses pour notre propre bénéfice.

A : Il contamine tout.

G : C’est vrai.

A : Je sens que la vie doit couler librement à travers nous, sans être arrêtée par le centre de l’ego, et bien sûr, cela crée une situation dans laquelle il n’y a pas de conflit. Il pourrait donc ne pas y avoir de conflit dans la vie, n’est-ce pas ? Il pourrait ne pas y avoir de conflit dans tes relations, ou de conflit entre toi et la nature ; il pourrait ne pas y avoir de conflit avec quoi que ce soit. L’énergie libre de la vie s’exprimerait à travers toi instant après instant. Tu apprends à vivre sans conflit. La plupart des gens, je pense, vivent généralement dans un état de conflit, et d’une certaine manière, le conflit crée une certaine énergie, parce qu’être en conflit, du point de vue de l’ego, nous stimule. Cela t’incite à éviter le conflit d’une manière ou d’une autre. Tu changes ton style de vie, ou tu trouves de nouveaux associés, ou tu changes de position dans la vie, et ainsi de suite, et cela crée une certaine énergie et favorise l’idée que tu progresses.

G : La plupart des actions semblent naître d’une idée : je pense avoir raison, donc je vais te poursuivre en justice ; et cette idée crée toutes sortes de conflits, non seulement dans ma propre vie, mais aussi dans celle des autres.

A : Voulons-nous vraiment vivre sans conflit ? Je m’interroge sur ce point dans de nombreux cas. Je pense que beaucoup de gens ne veulent pas vraiment vivre sans conflit. Je ne pense pas vraiment que certains de nos hauts responsables gouvernementaux souhaitent renoncer à un conflit avec les Russes, les Nicaraguayens ou d’autres. Mais je ne suis pas personnellement intéressé par le conflit, et je ne vois pas de conflit dans ma propre vie. Il y a eu une absence de conflit dans ma vie au cours des quarante dernières années, et c’est merveilleux de vivre dans un état de paix.

G : Oui, la conscience du moment présent apporte vraiment une paix intérieure.

A : Elle apporte une paix intérieure, elle apporte la liberté. Elle apporte la liberté de faire et de dire ce que nous ressentons vraiment et ce que nous pensons vraiment, parce que nous n’avons plus peur du conflit. Et les personnes qui ne sont pas intéressées par la paix ne recherchent pas notre compagnie, n’est-ce pas ? Les personnes qui recherchent notre compagnie sont celles qui s’intéressent à ce genre de choses, qui, je pense, impliquent une manière de vivre complètement différente.

G : Oui, il n’y a pas de jeux.

A : Elle apporte aussi l’intégrité, n’est-ce pas ? Le mot intégrité, bien sûr, est lié au mot intégrer, et être intégré signifie que tous les morceaux fragmentés de l’être d’une personne ont été rassemblés en un tout ; en d’autres termes, nos émotions ne sont pas en conflit avec nos actions, nos actions ne sont pas en conflit avec nos idées. Il y a eu une intégration complète de toute votre personnalité. C’est peut-être une autre façon de décrire l’illumination, ou la révolution intérieure, ou la réalisation de soi, ou tout autre nom que tu veux lui donner.

G : Notre vie quotidienne est très différente.

A : Oui, car il n’y a plus de conflit. Tu vois ce qui doit être fait à un moment donné, et s’il n’y a pas d’idées pour interférer, l’action est réalisée spontanément. Tu fais ce qui est nécessaire parce que tu vois que cela doit être fait, donc il n’y a pas de conflit. Et le type d’environnement qui te permet de vivre de cette manière est créé autour de toi. Évidemment, si tu vis de cette manière, le type d’occupation que tu poursuis pour gagner ta vie doit être en harmonie avec ton style de vie. Par exemple, tu ne pourrais pas travailler pour quelqu’un qui te demande de faire des choses qui sont en conflit avec ton jugement intérieur sur ce qui est bien ou mal, ce serait impossible. Tu auras à chercher un emploi dans lequel tu seras libre de faire spontanément les choses que tu perçois comme justes. Tu ne pourrais plus te prêter à des actions que tu juges mauvaises, des actions qui ne favorisent pas le bien-être général de l’humanité, ou celui du reste du monde. Ce serait impossible.

G : Exactement.

A : Je sens que je vis maintenant dans un état d’amour, et c’est la différence majeure que j’ai remarquée dans ma vie. Avant que tout cela n’arrive il y a quarante ans, j’aimais ma femme et j’aimais mes biens, mais d’une manière personnelle. Je les considérais comme ma propriété. J’étais très jaloux du maintien du statu quo, et de tout le reste. Mais lorsque cette transformation intérieure s’est produite, il y a eu un grand changement dans mes sentiments d’amour ; à partir de ce moment-là, je me suis retrouvé à tout aimer de manière égale. Il n’y avait aucune distinction, de mon point de vue, entre ce que j’appelais mes possessions personnelles et le monde extérieur. J’aimais les arbres, j’aimais les oiseaux, j’aimais les animaux, j’aimais les gens. Je n’aimais pas certaines des choses que les autres faisaient, mais j’ai compris pourquoi ils les faisaient. Je me suis rendu compte qu’ils étaient endormis et qu’ils faisaient des choses dans un état de rêve ; ils ne pouvaient manifestement pas s’en empêcher, pas plus que je n’avais pu m’en empêcher avant que tout cela ne m’arrive.

Cela te donne un sentiment de compassion pour les autres. Tu reconnais la vérité de l’adage : « C’est par la grâce de Dieu que je suis arrivé. » Comme c’est vrai ! Parce que c’est seulement cet insight, ou cette « autreté » qui entre dans la vie d’une personne sans y être invitée, qui te permet de vivre ce genre de vie. Nous ne savons pas, moment par moment, ce qui va nous arriver. Et il n’est pas en notre pouvoir de provoquer les défis soudains de la vie, ni de les changer. Tout ce que nous pouvons faire, c’est préparer le terrain et enlever les mauvaises herbes, et « savoir » que la vie va prendre le dessus – pour finalement apporter le défi ultime : la mort.

G : Cette compassion émane de toi, car je l’ai ressentie lorsque des personnes viennent te parler. Ils sentent aussi que tu parles à partir de cette paix intérieure et de ce sentiment de compassion pour eux.

A : C’est particulièrement vrai si je n’ai pas d’idées préconçues ; si j’ai de telles idées, cela ne fonctionne pas du tout. La paix intérieure te donne un sentiment d’innocuité. Tu ne veux pas nuire à la vie. Tu ne veux pas aller couper un bel arbre ; tu ne veux pas couper quoi que ce soit qui soit de beau, et tu vois la beauté partout où tu vas.

G : C’est merveilleux.

Maintenant, j’aimerais revenir à un autre point. Tu as dit tout à l’heure qu’il n’y a pas d’autoprotection, mais qu’il doit y avoir soin du corps ; le corps doit être soigné pour que tu aies physiquement l’énergie nécessaire pour vivre dans cet état d’ordre que nous décrivons. Il est donc très important de prendre soin de son corps, de bien manger, de faire de l’exercice, de dormir suffisamment, etc.

A : Oui.

G : Si toutes les conditions que nous avons discutées se rapportent à l’illumination, que considères-tu comme la principale condition préalable à sa floraison ?

A : Je pense que l’essentiel est d’avoir l’esprit tranquille, comme je l’ai déjà dit à de nombreuses occasions. Ce qui soulève la question suivante : comment avoir un esprit calme ? Il est évident que nous ne pouvons pas commencer par un esprit calme, n’est-ce pas ? L’esprit est constamment occupé par toutes sortes de choses ; même après l’illumination, on constate que l’esprit est occupé la plupart du temps par des réactions à son conditionnement. Il faut donc explorer le sujet ; il faut être prêt à s’engager sur la voie de la découverte de soi.

L’illumination, de mon point de vue, n’est pas un résultat final. Ce n’est pas quelque chose que l’on atteint soudainement, après quoi on peut s’asseoir et profiter de toutes les merveilles de la vie. Ce n’est que le premier pas sur le chemin du retour ; c’est la naissance de l’intelligence au plus profond de l’être. Et avec cette intelligence, on commence à explorer le monde. On commence à explorer les mondes au-delà de la pensée, comme nous l’avons déjà dit.

G : Tu commences à comprendre (lucidité) certains de tes conditionnements et tes réactions aux choses.

A : Tu dois commencer à comprendre le résidu ou le conditionnement qui existe. Il doit y avoir une volonté de le voir pour ce qu’il est vraiment, et de ne pas lui appliquer de noms. Lorsque nous voyons que nous sommes jaloux, nous ne devons pas être prêts à l’excuser, à le justifier, à l’appeler par un autre nom (comme « amour »), à penser positivement plutôt que négativement – nous ne devons pas être prêts à faire tout cela. Tu dois être prête à t’asseoir là et à l’observer, à te mettre sur l’autel de la vie et à dire : « Très bien, la vie, fait ta volonté sur moi, quelle qu’elle soit. »

Ce qui en résulte est de l’alchimie ; pour moi, c’est le véritable processus alchimique. C’est une mutation de la matière conditionnée en son essence, et je sens que l’essence devient une partie de l’esprit universel, une partie du processus de la vie, une partie de la vraie réalité qui se cache derrière tout ce que nous voyons autour de nous.

G : Donc, l’illumination est un état d’insight dans l’instant.

A : Oui, c’est très vrai. Je pense que l’illumination consiste à voir, instant après instant, la réalité de ce qui existe à un instant donné, et à agir spontanément et correctement en accord avec cette réalité plutôt qu’en réponse à une idée. Ainsi, l’illumination n’a rien à voir avec les idées, elle n’a rien à voir avec la tradition, elle n’a rien à voir avec ce que nous avons connu dans le passé, ou ce dont nous rêvons dans le futur, car elle ne concerne que le présent. Si quelqu’un dit : « Je suis illuminé » (ce qui signifie un état statique), il fait une déclaration incorrecte. L’illumination doit impliquer une perception instantanée de la clarté et de la réalité de chaque moment particulier, et rien d’autre.

G : Cela ne t’emmène-t-il pas au-delà ?

A : C’est l’au-delà. Il ne t’emmène pas au-delà parce qu’il n’y a pas de « toi » dans le paysage. En voyant une chose telle qu’elle est, en voyant les faits tels qu’ils sont, il n’y a pas de centre à partir duquel la vision est faite. Il y a la perception, et la perception existe dans l’au-delà. C’est l’au-delà ; il n’y a pas d’aller au-delà. Il n’y a pas du tout de dualité dans le processus. C’est ce qui est si merveilleux à ce sujet. Il n’y a rien que tu puisses faire consciemment dans l’instant pour le provoquer ; tout ce que tu peux faire, c’est t’assurer que tu ne fais pas quelque chose qui l’empêche de se produire, par exemple en apportant une idée égocentrique ou une occupation dans laquelle tu pourrais être impliquée. C’est très simple, si simple que tout le monde passe à côté.

La tradition a reconnu le phénomène de l’illumination, mais a renforcé à tort la croyance selon laquelle on peut en faire l’expérience par l’utilisation de certaines techniques ou par la méditation. Cette approche procède toujours du connu, qui fait partie de la conscience humaine.

L’illumination implique de sortir du connu, dans les mondes au-delà de la pensée.