Mattias Desmet
Masculinité et féminité aux Jeux olympiques

Note : Le site de 3e Millénaire n’est pas un site d’actualités et n’a pas l’intention de le devenir. Si, de temps à autre, nous publions des articles en lien direct avec l’actualité, c’est que certains événements révèlent des tendances plus profondes qui méritent réflexion et éclaircissement. Nous croyons qu’examiner, aussi clairement que possible, l’extérieur et […]

Note : Le site de 3e Millénaire n’est pas un site d’actualités et n’a pas l’intention de le devenir. Si, de temps à autre, nous publions des articles en lien direct avec l’actualité, c’est que certains événements révèlent des tendances plus profondes qui méritent réflexion et éclaircissement. Nous croyons qu’examiner, aussi clairement que possible, l’extérieur et l’intérieur fait partie de toute démarche de connaissance de soi.

4 août 2024

Ces derniers jours, j’ai suivi avec intérêt le débat sur le match de boxe entre l’Algérienne Imane Khelif et l’Italienne Angela Carini. Ce match a suscité une vive polémique. Carini a abandonné après avoir reçu quelques coups, 46 secondes seulement après le début du combat. L’émotion a été vive, tant pour Carini que pour une partie du public, ce qui a donné lieu à des manifestations d’indignation : ce match était une honte. Imane Khelif n’est pas une femme, mais un homme. Et avec une brutalité éhontée, il a cassé le nez de Carini ainsi que son hommage olympique à son défunt père.

Imane Khelif est-elle un homme ? Il y a pas mal de confusion à ce sujet. L’indignation initiale a semblé supposer que Khelif était transgenre, né homme, mais contraint à un semblant de féminité par la chirurgie. Beaucoup ont vu dans ce match de boxe une nouvelle escalade de la folie du wokisme, qui permet à un homme de se faire passer pour une femme et de déchaîner son sadisme mesquin dans des compétitions féminines afin de gagner de l’argent.

Des personnalités comme J.K. Rowling et Elon Musk se sont rangées du côté de l’indignation, et le conflit a rapidement pris la forme d’une guerre culturelle mondiale. Au départ, j’ai également ressenti un sentiment d’indignation. Je me suis rangé du côté de J.K. Rowling et j’ai publié un message sur X (anciennement Twitter) pour le préciser. Mais une heure plus tard, la raison m’a incité à la prudence et j’ai supprimé mon message.

Rowling mérite sans aucun doute une statue — et bien plus que cela — pour sa prise de parole infatigable et sincère, jour après jour et à chaque occasion, sur des points où d’autres restent silencieux alors que notre culture avance de manière absurde et destructrice. Mais peut-être que l’indignation s’est exprimée trop rapidement ici et n’a pas tenu compte de la complexité de la question. Elle est peut-être aussi devenue quelque peu insensible à l’égard d’une personne que la nature a déjà placée dans une situation extraordinairement difficile.

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Imane n’est pas une « transgenre » ; elle fait partie des rares personnes dont le corps n’entre pas facilement dans les catégories sexuelles de la nature. La discussion sur ses caractéristiques sexuelles offre un spectacle social intéressant. Des biologistes de différents horizons idéologiques débattent âprement sur les médias sociaux, en s’appuyant sur la plus grande expertise technique. L’un prouve qu’Imane est une femme et l’autre, tout aussi convaincu qu’Imane est un homme. Nulle part ailleurs on ne voit mieux qu’ici que l’expertise rationnelle finit toujours par servir des forces irrationnelles.

Certains pensent que les chromosomes déterminent le sexe, d’autres les hormones, d’autres encore les récepteurs hormonaux ; certains s’appuient sur les caractéristiques sexuelles externes ; ici et là, un biologiste estime que la réponse doit être trouvée dans la psychologie et que seul ce que l’on ressent détermine son genre.

Personnellement, je trouve que le critère biologique le plus convaincant pour déterminer le genre est la présence d’ovaires ou de testicules (externes ou internes). Mais même ce critère est loin d’être absolu : peut-on dire qu’une personne qui a des testicules internes, mais les caractéristiques externes d’une femme est un homme ? Par exemple, une femme hétérosexuelle serait-elle spontanément excitée sexuellement à la vue de ce corps ?

En ce sens, l’indignation est quelque peu justifiée : il est absurde de laisser une femme se faire battre par quelqu’un qui, à certains égards, n’appartient manifestement pas à la catégorie féminine. Mais affirmer avec assurance qu’Imane appartient à la catégorie des hommes et devrait y démontrer son courage, c’est peut-être aussi aller trop loin.

En substance, on ne peut que conclure : Imane appartient au très petit groupe de personnes que la nature, dans un moment d’hésitation et de doute, n’a pas placé de manière décisive dans la catégorie des femmes ou des hommes. Imane démontre que le symbolique est parfois insuffisant pour déterminer le genre par rapport au réel — nous ne pouvons pas vraiment la classer dans la catégorie symbolique des hommes ou des femmes. La réponse la plus sage concernant le genre d’Imane pourrait être : nous ne savons pas.

Le fait que le Comité olympique ait d’abord déclaré Angela Carini perdante, mais ait ensuite décidé de lui remettre l’argent du prix de la gagnante montre précisément qu’il ne le sait pas non plus. Mais ils n’osent pas l’admettre. Ils doivent savoir. C’est précisément ce qui est le plus difficile pour notre culture rationaliste : accepter que nous n’ayons finalement aucune réponse rationnelle aux grandes questions de notre existence.

Les mots de Keats (1817) me viennent à l’esprit : « J’ai tout de suite été frappé par la qualité d’un homme de mérite… lorsqu’un homme est capable d’être dans l’incertitude, les mystères, les doutes, sans s’irriter des faits et de la raison ».

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Devrions-nous alors laisser Imane et seulement Imane décider pour elle-même si elle est un homme ou une femme ? Et cela s’applique-t-il à tout le monde ? Si l’on considère la machinerie complexe des gènes, des hormones, des récepteurs, des caractéristiques sexuelles internes et externes, ne trouve-t-on pas toujours un mélange de féminins et de masculins dans une certaine mesure ? En d’autres termes, les partisans de la mouvance « woke » ont-ils raison ? La conception binaire de l’homme et de la femme est-elle dépassée ?

La distinction homme-femme est la polarité la plus fondamentale de l’existence humaine, et ce n’est pas parce qu’un groupe extrêmement restreint de personnes ne peut pas être clairement catégorisé dans cette distinction que la distinction elle-même doit être rejetée. Abandonner la pensée binaire parce qu’elle échoue dans un nombre extrêmement restreint de cas revient à éluder la plus grande tâche de l’existence humaine : devenir le genre que son corps lui impose.

L’impératif de Nietzsche « Deviens ce que tu es » s’applique également ici : « Deviens l’homme ou la femme que tu es ». Et c’est bien le corps qui représente l’être, c’est notre corps qui donne l’ordre. Ce que ces mots de Nietzsche (qu’il a en fait empruntés à la culture grecque antique, mais leur a insufflé une nouvelle vie) évoquent magnifiquement, c’est que l’homme est un être pour lequel l’Être est une tâche.

Pour devenir ce que nous sommes, nous devons laisser derrière nous l’ordre des apparences, nous devons transcender notre ego et notre narcissisme d’être. J’approfondirai cette question dans mon prochain livre : Je ne peux pas l’aborder pleinement ici. Je me contenterai d’ajouter ceci : l’ambition woke affichée de permettre à chacun de « choisir » son propre genre, simplement sur la base de ses préférences, est essentiellement une tentative égocentrique d’échapper à la tâche d’être.

L’effort entier de se débarrasser de l’« hétéronormativité » est un échec : la norme en termes de sexualité humaine est bien une relation entre un homme et une femme. Sans cette norme, une société se retrouve dans une confusion digne de Babel. Nous en faisons peu à peu l’expérience.

Mais cette remarque est fondamentale pour éviter de finir dans une société ultraconservatrice (et ultra hypocrite) : cette norme ne doit pas être imposée de manière oppressive. C’est une aiguille de boussole qui guide le navire de la société, mais la main qui dirige le navire ne doit pas manipuler le volant de manière implacable et tendue. La capacité à s’écarter de la norme est une marque de maturité culturelle (comme je l’ai expliqué dans un article précédent et que je ne développerai pas ici). C’est précisément parce que le navire a une boussole à bord qu’il peut se permettre de faire des excursions et des explorations à gauche et à droite du cap indiqué par la boussole.

Et la « norme » ne peut être utilisée pour stigmatiser. Loin de là. Ce qui s’écarte de la norme peut être (beaucoup) mieux que ce qui s’y conforme. Par exemple, Michel-Ange et de Vinci, tous deux probablement homosexuels, peuvent difficilement être considérés comme des êtres inférieurs à la « moyenne ».

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Retour aux Jeux Olympiques. Que faire concrètement avec Imane et d’autres cas similaires ? Tout d’abord, nous devons accepter que nous soyons fondamentalement incertains. Et c’est précisément difficile dans notre culture actuelle. Nous prenons le sport très au sérieux — extrêmement au sérieux. Tout sens de relativité et de légèreté a disparu de la culture sportive. Et c’est en soi un problème. Dans une société où l’Âme l’emporte sur l’Ego, où l’Amour l’emporte sur le Narcissisme, le sport est une forme de jeu et de divertissement.

Par exemple : dans un groupe d’hommes qui s’aiment et qui sont unis par l’amitié, un match de football est une occasion de légèreté et de rire. Si l’un gagne, il est heureux parce qu’il a gagné, et si l’autre gagne, il est tout aussi heureux pour l’autre. Toute rivalité n’est qu’un éclat de rire dans un chaleureux océan d’Amour.

Mais dans une société où l’ego prévaut, le sport devient pure compétition et rivalité. Il faut inventer de plus en plus de règles pour contenir l’agressivité sous-jacente et nourrir le narcissisme. Au bout du compte, quelqu’un doit pouvoir se taper la poitrine et prétendre qu’une évaluation et une mesure sans faille des capacités l’ont désigné comme le vainqueur des vainqueurs.

Cette obsession des règles n’est pas propre au sport ; toute la bureaucratisation de notre société en est une manifestation. Toujours plus de règles pour contenir l’agressivité et la déconnexion croissantes dans les relations interpersonnelles. Et cette obsession des règles s’accompagne toujours d’une envie correspondante d’enfreindre les règles.

Ainsi, la société devient un récipient à haute pression qui doit continuellement épaissir ses murs pour résister à la pression croissante qui s’exerce à l’intérieur. L’Âme finit par s’étioler derrière les murs d’une prison pseudorationaliste qui étouffe ses doux cris avant qu’ils n’atteignent les oreilles de l’Autre.

La domination de l’Ego sur l’Âme est en fin de compte une conséquence de notre foi aveugle en ce que nos yeux nous montrent comme « objectif ». Cette foi nous fait littéralement nous perdre dans la superficialité, c’est-à-dire dans la surface visible des choses. Cela pourrait faire l’objet d’un essai : ce que les yeux nous montrent est, dans un certain sens, toujours un négatif de l’Être véritable.

Considérons l’observation des couleurs : les couleurs que nous voyons sont celles des fréquences lumineuses qui ne sont pas absorbées par l’objet que nous observons ; ce sont celles que l’objet repousse et ne veut pas absorber. Les couleurs que nos yeux voient sont celles que l’objet n’est pas. Ou encore, l’identification de nous-mêmes à notre image dans le miroir, qui est à la base de l’ego. L’image que nous voyons dans le miroir est une inversion gauche-droite de notre image réelle.

Ainsi, la quête objectiviste du Réel aboutit à l’apparence radicale et à l’inversion de toute vérité. C’est précisément la caractéristique principale de cette culture objectiviste et rationaliste : elle prétend dire la Vérité, mais représente le mensonge. Le phénomène de la « propagande » — le mensonge systématique — n’est pas par hasard l’essence de notre culture. Dans une société où l’apparence, la tromperie et la manipulation sont cultivées sans retenue, dire la Vérité devient inévitablement interdit et sanctionné comme un crime.

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Et nous rencontrons encore un autre problème dans la culture sportive contemporaine. Tout l’effort pour promouvoir les compétitions féminines et les rendre aussi attrayantes que les compétitions masculines atteint ses limites. Cela finit par une contradiction. Dans un bon nombre de sports, il s’avère qu’en tant que femme, on réussit d’autant mieux que l’on est moins femme et plus homme.

Ainsi, nous nous retrouvons dans la situation assez particulière où deux personnes (Imane Khelif et la Taïwanaise Lin Yu-Ting) se retrouvent en finale de la boxe féminine alors qu’elles ont non seulement l’apparence d’un homme, mais aussi les principales caractéristiques génétiques d’un homme (le chromosome XY). Le pas vers une position conservatrice est vite franchi : la seule façon de réussir en tant que femme dans les sports de haut niveau est de cesser d’être une femme. Conséquence : certains sports ne sont pas faits pour les femmes. Il faut donc cesser de promouvoir les compétitions féminines dans ces sports.

En soi, il y a une certaine logique à cela, mais nous avons besoin d’une réflexion beaucoup plus fondamentale pour surmonter la confusion sur la sexualité humaine en tant que culture. La différence physique entre les hommes et les femmes correspond à une différence psychologique.

À la fois physiquement et psychologiquement, être une femme implique l’absence de quelque chose, un vide béant, et être un homme implique d’avoir quelque chose qui s’adapte à ce vide. Physiquement, cela n’exige guère d’explications ; psychologiquement, cela signifie que la position archétypale de la femme est d’avoir le courage d’exprimer sa vulnérabilité et son manque de savoir par des mots à l’autre. Et la position masculine consiste à entendre le manque de la femme dans ses mots avec toute la tendresse et l’intégrité voulues et à donner une réponse qui comble temporairement ce vide. Les sexes physiques doivent toujours tourner autour de ces deux positions psychologiques, mais la femme aura toujours une préférence archétypale pour la première position (exprimer son manque) et l’homme pour la seconde (donner des mots qui font cesser le Manque pour un moment). Je reviendrai sur ce sujet dans d’autres articles et dans mon prochain livre.

Ainsi, la polarité homme-femme est nécessaire à la naissance de la Vérité. Le phénomène de la Vérité se réalise pleinement à ce moment précis : quelqu’un articule en toute vulnérabilité quelque chose que l’Ego garde normalement caché et inexprimé ; quelqu’un d’autre écoute avec sensibilité et intégrité, sans juger ni condamner à partir de son Ego et de son narcissisme. L’apparition de la Vérité représente donc le moment où l’amour entre le mâle et la femelle se réalise et le moment où l’Âme transcende l’Ego.

Texte original : https://words.mattiasdesmet.org/p/masculinity-and-femininity-at-the