Sri Nisargadatta Maharaj
N’ayez confiance que dans votre expérience

(Extrait du journal Aurores no 36 Sept-Oct 1983) Le titre est de 3e Millénaire Ces entretiens se sont déroulés en 1979 et 1980, un an avant sa mort. Ils ont été recueillis et traduits par Paul Vervisch. En voici un extrait. Visiteur : Nous naissons, nous mourons. En gardons-nous le souvenir ? Maharaj : Ce savoir « nous naissons » que vous […]

(Extrait du journal Aurores no 36 Sept-Oct 1983)

Le titre est de 3Millénaire

Ces entretiens se sont déroulés en 1979 et 1980, un an avant sa mort. Ils ont été recueillis et traduits par Paul Vervisch. En voici un extrait.

Visiteur : Nous naissons, nous mourons. En gardons-nous le souvenir ?

Maharaj : Ce savoir « nous naissons » que vous possédez, quel rang lui donnez-vous ? Appartient-il à la première, la deuxième, la dixième naissance ?

V.: Je ne lui donne pas de rang.

M. : N’essayez pas de raisonner, laissez votre intellect tranquille. Dites-moi seulement si ce savoir est en vous pour la première ou la seconde fois ?

V. : Pour moi c’est la première fois.

M. : C’est une évidence, intellectuellement, il est inutile d’aller plus loin. Jetez tout ce que vous avez entendu dire ou lu au cours des années, jetez tout ça. Si ce soir une ombre vous parle, n’ayez pas la conviction que c’est un fantôme parce que cela correspond à ce que vous avez entendu dire. Rejetez cette rumeur et examinez le phénomène. Similairement, parlez-moi ici du produit de votre seule expérience. Si quelqu’un vient me dire — comme c’est arrivé — qu’il est parfaitement informé de tout ce qui me concerne depuis onze incarnations, je réponds « ce sont là vos idées, je ne vous connais pas. Vous affirmez me connaître depuis onze incarnations mais moi je ne me reconnais existant qu’en cet instant et je suis ancré dans cette seule expérience “je suis”. Cela je le sais ». Quiconque accorde du crédit aux autres ne réussira jamais rien.

V. Vous avez pourtant dit qu’il faut faire confiance à quelqu’un. Le Jnani est-il la seule personne en qui on puisse avoir confiance ?

M. : Il ne faut avoir confiance que dans votre expérience et parler à partir de cette expérience. Si vous êtes dans le sommeil profond qu’expérimentez-vous ? La seule expérience possible est « je suis éveillé, je suis présent » mais tout le reste, tout ce que vous voyez, vous le connaissez parce qu’on vous l’a appris. Mais tout comme j’ai une expérience, vous avez une expérience. C’est l’expérience commune du « je suis ».

V. : Le monde est violent, la violence est partout et je ne crois pas que l’on puisse s’en sentir séparé, pourtant vous refusez cette violence.

M. : Ce que vous expérimentez est commun à tous les humains. Si vous ressentez le besoin de réagir à cette violence, c’est très bien mais n’oubliez pas qu’il y a déjà eu de très grands hommes et, quoi qu’ils aient entrepris, ils n’ont jamais réussi à changer quoi que ce soit à ce qui est : la conscience, la manifestation, Maya. Personne n’est jamais parvenu à transformer la moindre particule de conscience ou de manifestation. Ce que vous avez à faire est d’observer, attendre et voir. Être le témoin de ce qui arrive sans rejeter, sans accepter.

V. : On dirait, quand on étudie l’histoire du monde, que la souffrance physique d’une partie des populations est inévitable. J’aimerais savoir si la souffrance d’une partie du monde est nécessaire pour que l’autre moitié se porte bien ?

M. : Continuellement, l’histoire nous apprend qu’il a existé de grands guerriers, des érudits, des hommes éminents mais quel changement ont-ils apporté à la pièce qui se joue dans ce grand théâtre qu’est le monde ?

V. : Ce que je vous ai demandé, c’est si la souffrance physique des uns est nécessaire au bien-être des autres ?

M. : Quand une situation présente un problème, il n’y a pas d’échappatoire possible, il faut le surmonter. Supposons qu’en me rendant quelque part je rencontre une rivière. Traverser la rivière peut représenter un problème, malgré tout je suis obligé d’entrer dans la rivière, n’êtes-vous pas d’accord ? Quand je suis dans la rivière, ou je nage, ou je me noie. Voilà la situation, notre comportement nous est dicté par les circonstances.

V. : Beaucoup de gens souffrent, leurs souffrances aident-elles les autres à ne pas souffrir ?

M. : La réponse à cette question qui vous tient à cœur ne peut être obtenue qu’en vous établissant dans votre véritable nature. Il vous faut résoudre votre propre problème : ce que vous êtes et toutes vos questions seront alors résolues. Découvrez ce que vous êtes. Depuis combien de temps êtes-vous associé à vous-même, combien de temps cela va-t-il durer, cela au moins vous pouvez le découvrir. Que pouvez-vous faire même si vous occupez un rang dans la société ? Quelle peut-être votre efficacité ? Vous pouvez, au mieux, vous efforcer de ne pas faire de mal à personne mais disposez-vous d’un pouvoir quelconque vous permettant de de diminuer la souffrance des autres ?

V. : Non, je ne peux rien faire.

M. : Ce que vous pouvez faire de plus utile est de n’ennuyer personne. Comprenez seulement ceci : vous êtes. Le fait d’être est le film dans lequel tout se produit. Vous êtes le centre de ce monde. Si vous souhaitez une aide trouvez-la dans la forme de ce monde de rêve parce que vous êtes ce monde de rêve.

V. : Alors comment expliquez-vous la loi du karma ?

M. : Intellectuellement, il est impossible de la comprendre. Il faut vous découvrir vous-même, comment il vous est arrivé d’être, comment vous avez été créé. Trouvez la manière dont votre fonctionnement a débuté, quelle en est la cause ? A présent, vous êtes, cela veut dire que votre mouvement, vos actions sont là. Recherchez ! Comment se fait-il que vous soyez ce que vous êtes ? Quelle en est la cause-racine ?

V.: Ce sont mes parents.

M. : Seulement dans le film. Quand le film a commencé à se connaître lui-même, à s’appréhender comme « je suis » vous avez appris « j’ai été créé par mes parents, etc. » Mais avant de vous connaître, saviez-vous ces choses ?

V. : Avant, je n’étais rien !

M. : Ce n’est qu’après la formation du film que vous avez commencé à comprendre les parents, le monde et tout le reste — mais auparavant ?

V. : Je n’étais rien.

M. : C’est ce que vous avez à comprendre.

V.: J’étais avant ma conception et je serai après ma mort.

M. : Si vous avez compris cela, ce n’est plus la peine de demeurer ici. Au niveau des mots, vous pouvez parler de tout ce que vous avez entendu, de tout ce que vous avez lu, mais pour exprimer réellement quelque chose qu’employez-vous ?

Sans que cette touche de « je suis » soit présente, pourrait-il y avoir Dieu, Ishwara ? La condition nécessaire à l’existence de Dieu est d’abord que vous soyez ; mais en considérant votre corps et votre esprit comme vous-même, il s’est produit une chute, la sagesse a été recherchée dans l’intellect. C’est cette connaissance « je suis », c’est le matériau même de ce grand jeu du monde qui vous retient prisonnier.

V. : C’est donc dans la conscience que les choses apparaissent et disparaissent ?

M. : Oui, la manifestation se dresse dans la conscience et se dissout ensuite dans la conscience. Votre conscience individuelle se lève lorsque vous vous éveillez et se couche ensuite au creux de vous-même dès que vous êtes endormi.

Que vos questions soient uniquement dirigées sur ce « qui suis-je, que suis-je ». La connaissance « je suis » est là présentement et c’est en son sein que se déploie le jeu du monde. Sans cette connaissance, il n’y a pas de monde. Cette compréhension, ce sens du « je suis » est apparu de lui-même, a explosé, devenant ce monde en action, ce monde dynamique, habile, avec ses cinq éléments, ses trois gunas, etc. Bien que ce monde ait son siège dans votre conscience, vous n’êtes pas cette conscience, vous êtes, vous, l’Absolu, simple témoin de cette conscience. Je perçois cela mais je ne suis que ce qui rend cette perception possible.

V. : Je crois qu’il est très difficile de comprendre cela sans être en relation avec quelqu’un qui le vit, un homme réalisé.

M. : Ce principe est le Guru qui assiste à l’apparition et la disparition de cette conscience d’être.

Traducteur (après consultation avec Sri Maharaj) : Je viens de demander un éclaircissement à Maharaj parce que le Guru peut avoir deux significations. Le premier Guru est un humain, un Jnani qui a compris que la conscience de « je suis » apparaît et disparaît au sein d’un état supérieur. C’est le Guru qui se tient au niveau du « je suis » de l’ensemble de la manifestation, le premier Guru. Devenir un avec cette manifestation, avec ce Guru, résider uniquement dans ce « je suis », est le premier stade. Le second est le Sat-Guru, le Guru supérieur, c’est-à-dire celui qui observe l’apparition et la disparition du Guru manifesté, qui observe celui qui agit en utilisant la notion « je suis ». Quand on se stabilise dans l’état parfait, dans l’Absolu, on trouve l’état qui est le principe-même Guru mais, au départ, il nous est nécessaire de rencontrer ce principe dans un être qui soit un lien direct avec l’Absolu, un Sat-Guru. Maharaj vient de me confirmer la nécessité d’être en contact avec ce principe et il affirme que quiconque est possédé par le besoin de comprendre rencontre nécessairement un tel Sat-Guru. Je pense que c’était le sens initial de votre question ?

V. : Oui.

M. : Mon état originel n’avait pas de forme, ne contenait pas de pensées. Je ne savais pas que j’étais. Mais soudain est apparu un autre état dans lequel j’avais une forme avec la pensée « je suis ». Ceci est l’état secondaire, l’état primordial n’a ni aspect, ni forme, ni « je suis » mais cet état secondaire a surgi de l’Absolu. Comment cet état a-t-il pu apparaître ? Celui qui fournit des explications sur cette apparition est le Guru parce qu’il connaît toutes ces apparitions et transformations. Il peut devenir un Sat-Guru s’il se maintient dans l’état primordial et laisse la Vérité faire son chemin à travers cette notion « je suis », s’il expose la façon dont ce « je suis » est apparu.

D’autres Gurus, au lieu d’exposer cela, vous enferment dans le sillon d’un rituel, de disciplines « faites ceci, faites cela… » Ils vous fournissent encore plus de concepts sur votre destinée, vos précédentes incarnations mais ils ne vous donnent jamais la connaissauce de vous-même. Le Sat-Guru n’enrichit pas vos connaissances, il est connaissance. L’un fournit la compréhension du monde, comment vous conduire, comment agir, etc. L’autre fournit la compréhension spirituelle.

V. : Dans le Raja-Yoga, il y a beaucoup de rituel et une discipline très dure afin de réveiller ce qu’ils appellent Kundalini.

M. : Raja-Yoga signifie yoga royal. Ce qui existe de plus royal est le fait d’être. Il n’y a rien de plus royal que ce « je suis ».

V. : Quand un être réalisé meurt et qu’il revit ensuite dans une nouvelle vie est-il immédiatement réalisé ?

M. : Un Jnani, un être réalisé, ne serait pas assez stupide pour prendre un autre film quand il sait parfaitement bien que tout l’univers réside en lui.

Une seule chose est d’étudier : comment cette forme est-elle apparue du sein du sans aspect, du sans forme ? Cette conjonction du sans forme à la forme doit être comprise. Il s’agit d’un point essentiel qu’il vous faut étudier, sonder, mais il se trouve que cela ne vous intéresse pas ! Les autres domaines, ceux concernant les états transitoires, retiennent eux toute votre attention, vous êtes prêts à leur consacrer tout votre temps..

Après être venu m’écouter, beaucoup d’entre vous sont déçus, ils n’ont pas obtenu les réponses qu’ils souhaitaient. Ils voulaient une certaine catégorie de réponses concernant une certaine catégorie de questions. On ne fournit pas cela ici. Le sens du « je suis » ne dure pas assez longtemps, il est lié au temps.

V. : Ce « je suis » est lié au temps et à l’espace pour maintenir ce corps en vie. Du moins, cela apparaît ainsi, mais j’ai la conviction que ce n’est pas la réelle signification de ce « je suis ».

M. : La conscience dans le corps est l’essence de ce corps-nourriture. Comme le sucré est inhérent au sucre, ce savoir « je suis » est inhérent à cette essence du corps-nourriture.

V. : Mais cela ne sert à rien, c’est inutile. Ne peut-on pas s’en affranchir ?

M. : Cela ne changerait rien. Si vous appréhendez tout ceci en tant que Maya, pure illusion, ce « je suis » est bien sûr inutile et transitoire. Vous pouvez alors le transcender pour vous stabiliser au sein de l’Absolu. Vous êtes l’Absolu et l’Absolu est dépourvu de désir, ce « je suis » existant dans le manifesté ne sert donc à rien. Dans les deux cas, il est superflu.

V. : Ayant compris cela, le « je suis » peut s’inquiéter pour ce corps parce que si je n’ai pas d’aliments à fournir à mon estomac, il va se dessécher et mon corps dépérira.

M. : Pourquoi vous inquiéter puisque vous n’êtes pas cette conviction « je suis ». Laissez ce corps tranquille.

V. : Je m’inquiète parce que je n’ai pas complètement brisé cette identification.

M. : Quand vous aurez profondément compris ce qu’est ce phénomène « connaissance » cette sale blague, alors vous saurez que c’est vain, superflu. Lorsque vous aurez compris que cet état de conscience est une tromperie, une illusion, une fraude, alors un état nouveau va prévaloir, un état qui ne se connaît pas lui-même. Qu’est-ce qui demeurera ? L’Absolu, et l’Absolu ne se connaît pas comme « je suis ».