Paroles recueillies

À l’instant même où l’objet du désir est obtenu surgit une brève explosion de joie intense dont la cause est attribuée à tort à l’objet désiré, qu’il s’agisse d’une chose, d’un être, d’une situation ou d’une réussite. Mais cette joie s’émousse, alors qu’on la voudrait perma­nente. La répétition des conditions qui, croit-on, l’ont initialement procurée, n’apporte plus la même intensité, la même saveur exaltante. Ainsi est-on amené à chercher une autre source de joie. Ainsi s’égare-t-on dans la dans la poursuite sans fin des êtres et des choses.

(Revue Être. No 1. 3eannée. 1975)

Saint-Paul, un jour d’août 1974

Quelle est la cause profonde de la recherche spirituelle ?

Chercher procède du besoin de faire cesser en nous ce qui est éprouvé comme une absence, un manque, une insatisfaction à la base de notre existence, ce qui a créé une inquiétude et un déséquilibre au plus profond de nous-mêmes.

Comme la perspective juste de l’approche de la Réalité informelle ne peut être trouvée d’emblée, on projette tout naturellement ce qu’on croit capable, une fois obtenu, d’assurer le bonheur définitif auquel on aspire, ce qu’on conçoit comme étant le souverain bien, lequel varie avec chacun et suivant les différentes époques de l’existence. Les aspirations du vieillard ne sont plus celles de l’adulte, ni celles de l’enfant.

Dans tous les cas on projette ce qui se trouve déjà en mémoire, ce dont on a l’image ou le concept, donc le connu. On surimpose au désir de la Plénitude sans désir l’image des conditions formelles que nous croyons garantes du bonheur. Nous focalisons ainsi notre énergie dans le désir de posséder tel objet, ou tel autre, d’obtenir telle situation ou de connaître telle réussite.

À l’instant même où l’objet du désir est obtenu surgit une brève explosion de joie intense dont la cause est attribuée à tort à l’objet désiré, qu’il s’agisse d’une chose, d’un être, d’une situation ou d’une réussite. Mais cette joie s’émousse, alors qu’on la voudrait perma­nente. La répétition des conditions qui, croit-on, l’ont initialement procurée, n’apporte plus la même intensité, la même saveur exaltante. Ainsi est-on amené à chercher une autre source de joie. Ainsi s’égare-t-on dans la dans la poursuite sans fin des êtres et des choses.

Quand, enfin, la vanité de toutes nos tentatives de substitution pour parvenir au bonheur ultime nous apparaît clairement, alors commence la vraie recherche que rien à partir du connu n’a pu satisfaire.

Comment est-il possible de faire entièrement abstraction de ce que nous connaissons, de ce que nous sommes, pour nous tourner vers l’inconnu d’une manière désincarnée pourrait-on dire ?

Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas dans la perspective présente de nier, de rejeter ou de renoncer à ce que l’on est, mais de voir lucidement ce que nous sommes jusque dans nos derniers retranchements. Nous sommes le produit d’une complexion particulière et tout ce qui nous a été imposé, le plus souvent à notre insu, par notre milieu, nous a façonné depuis la prime enfance. Nous sommes le résultat des événements inscrits dans notre mémoire. Il s’est créé en nous tout un réseau de valeurs, d’habitudes, de pensées, de schémas et de conditionnements sécurisants qui sont devenus de véritables réflexes et que nous suivons aveuglément à la manière de la piste tracée dans le sable que l’on prend pour traverser le désert en sûreté. Ainsi voulons-nous, sans quitter la piste du connu, nous diriger vers l’inconnu. La réponse à la recherche essentielle ne peut jamais être trouvée dans le cadre de ce que nous connaissons déjà, résulter du passé.

Dès lors comment faire taire ce que nous sommes, notre connu ? En définitive, comment faire taire nos pensées ? Quelles méthodes employer ?

Répétons-le, ce qui se produit ici n’est pas le résultat d’une action volontaire pour l’élimination ou la cessation de ce que nous sommes, des pensées, à l’aide de moyens plus ou moins contraignants, voire  »mutilants ». De cette manière on refoule ce qui est toujours prêt à resurgir avec d’autant plus de violence que la contrainte a été plus grande.

Ici la perspective sers l’ultime Réalité n’entraîne pas de pertes en vue, de gains jugés supérieurs. Il ne s’agit pas non plus d’atteindre volontairement des degrés de pureté ou des états de plus en plus élevés.

Tout simplement l’évolution spirituelle va amener les habitudes de penser, les schémas et les désirs à s’estomper d’eux-mêmes du fait que l’accent n’est plus mis sur eux, au fur et à mesure qu’il deviendra de plus en plus évident en nous qu’ils ne peuvent jamais être les instruments pour l’obtention du bonheur ultime. Il se produit, sans que nous intervenions, une atténuation progressive du moi et une lente distanciation vis-a-vis de soi, des êtres et des choses qui ne sont rien d’autre que la réintégration de soi, des êtres et des choses à leur juste place dans l’ordre universel, comme conséquence de l’approche de plus en plus étroite de la Réalité. Au terme de cette réintégration surgit soudain l’homme nouveau, l’accès à la Plénitude.

On dit que celui qui vit la Plénitude en a parfaitement conscience. Cette constatation n’est-elle pas encore une sensation, une émotion ou une pensée ?

Le vécu de la Plénitude n’est pas objectivable mesurable, localisable, descriptible. Il échappe au temps et à l’espace. Et pourtant, pour celui qui s’y trouve, ce vécu immuable est plus vivant que tout ce qui peut être appelé vivant dans l’univers. C’est « l’existant » par excellence qui se connaît lui-même par lui-même. Comme tel ce ne peut être une sensation, une émotion ou une pensée qui sont soumises à la naissance, à la variation et à l’extinction. Rien ne peut en rendre compte. Seul le silence est acceptable.

Celui qui vit la Plénitude ne peut ni la décrire ni la donner. Mais il est bien forcé d’utiliser les moyens humains à sa disposition, c’est-à-­dire la pensée et le langage, et de s’exprimer par analogie, pour témoigner de la Plénitude de telle manière que ceux qui seront touchés sentent naître en eux une aspiration vers Elle.

Mais pas plus qu’il n’est possible de savourer un gâteau à partir du dessin qui en est fait, si ressemblant soit-il, les sensations, les émotions et les pensées ne peuvent faire connaître la Plénitude. Elles n’en seront jamais que le pâle reflet.

Peut-on atteindre seul la Plénitude ou l’aide d’un instructeur est-elle nécessaire et quel est son rôle ?

Certains êtres exceptionnels peuvent accéder sans aide extérieure au vécu de la Plénitude. Cette saisie directe de l’être par la Plénitude ne saurait être en aucun cas le résultat d’une option délibérée de l’individu. Nul ne peut prétendre de son propre chef choisir une telle voie. Dans la perspective qui nous concerne, l’aide d’un Instructeur s’avère nécessaire pour ceux qui sont appelés à la suivre, car on ne peut quitter volontairement le processus mental.

Celui qui, établi dans la Plénitude, a pour mission de favoriser l’éclosion spirituelle chez celui qui le consulte, agit par ce qui se transmet à travers sa présence et sa parole, sans qu’il soit lui-même engagé ou touché de quelque manière que ce soit. Il ne donne pas de solution, n’enclot pas la question posée dans une réponse explicative. Ce serait rester seulement sur un plan verbal, ajouter des mots aux mots et ainsi entretenir le jeu stérile de l’intellect. La réponse véritable est au-delà de toute question. Elle ne peut être que vécue. Par contre, en répondant à une question par une autre, plus proche de l’Essentiel, la première se dissout dans la seconde plus centrale. Ainsi le consultant se trouve-t-il amené de proche en proche à une interrogation plus fondamentale jusqu’au point où la réponse ne peut plus être apportée que par la Plénitude elle-même. Dans cette maïeutique, les mots n’opèrent aucun blocage, aucun conditionnement intellectuel ou psychique.

Mais surtout à travers la présence et la parole de l’Instructeur est transmis le ferment spirituel grâce auquel va s’établir l’orientation de la totalité de l’être vers l’Ultime; à condition qu’il soit reçu dans une parfaite écoute silencieuse, dans un état de disponibilité et de réceptivité totales, donc sans qu’il y ait un moi pour saisir, s’appro­prier et ensuite interpréter, en fonction de son connu personnel, le message reçu.

Celui qui est destiné à entrer dans cette perspective va se trouver engagé sans le vouloir et sans s’en rendre compte, du moins au début.

D’abord une lente germination dans la nuit de l’être va se produire ensuite viendra l’émergence d’intuitions intellectuelles fulgurantes qui feront reconnaître comme évidence et vérité le message reçu initialement, mais seulement en apparence, d’une manière uniquement verbale. Dans ces éclairs d’intuition lumineuse la non-dualité un instant est vécue, ouvrant chaque fois l’être à plus d’ampleur, de clarté et d’harmonie.

Ainsi s’établit progressivement la réintégration de l’être dans la Conscience unitive. À la fin surgit l’accès à la Plénitude qui seule désormais illumine l’être.