Jean Coulonval
Quand l'esprit explose dans le quotidien

L’infini ne peut s’atteindre par accumulation de morceaux. Cette démarche, en tant qu’ouvrier m’était profondément étrangère. C’est celle de l’étudiant et du chercheur, de l’«homme d’étude». Cependant, il m’était apparu que le fait d’être catholique, ou protestant, ou musulman, ou capitaliste, ou communiste, en religion, philosophie, science et tutti quanti, n’était que le résultat de conditionnements sociaux, géographiques, historiques, sentimentaux, scolaires etc. Et tous disent: «C’est ma vérité». Ça fait beaucoup trop de vérités alors que par définition il ne peut y en avoir qu’une. Tout cela n’est qu’«opinion», condensat psychique né de circonstances conditionnantes familiales, raciales, sociales, géographiques et autres. Et aucune opinion ne peut être «la vérité». Se casser la gueule pour défendre ce qui n’est qu’opinion c’est la connerie des conneries et pourtant c’est ainsi que le monde fonctionne.

(Revue 3e Millénaire. No 5 ancienne série. Novembre-Décembre 1982)

L’extraordinaire vision de Jean Coulonval

Le 25 octobre 1941, Jean Coulonval alors garde forestier en Algérie, reçoit une vision qui lui fait percevoir dans une image fulgurante la globalité du réel. Ce fut pour lui un bouleversement de sa vie. Il lui restait alors à faire partager la fulgurance de la vision aux scientifiques, aux philosophes, aux théologiens. Cela a représenté pour lui 40 ans de travail et bien des échecs.

C’EST une bien étrange et prodigieuse aventure qui est arrivée à Jean Coulonval le 25 octobre 1941 à Constantine. Une vision fulgurante a jailli dans son cerveau. En quelques minutes il a vu et compris. Sa vie en a été bouleversée.

Comment? Pourquoi? C’est bien l’un des mystères les plus épais de notre condition d’homme. Insignifiant si souvent et quelques fois relié à la connaissance, sans raison apparente, sans logique, parfois sans préparation, éclate la vérité, profonde, totale, unifiante.

Pour Jean Coulonval, nous allons le voir, rien ne laissait penser qu’une vision aussi forte allait lui être donnée. Dans une lettre qu’il nous a envoyée, il raconte ce qu’a été sa vie et quel chemin il a su accomplir après ce choc. Mais cette vision, comment s’est-elle passée pour lui? Il le raconte, tant bien que mal, car nos mots sont trop pauvres pour s’en rapprocher réellement.

Vous me demandez «l’essentiel de la vision, de la forme qu’elle a prise, de mes réactions sensorielles, le temps qu’elle a duré.»

Je dis cela en des explications éparpillées dans les lettres que j’ai réunies dans mon livre «Synthèse et temps nouveaux» paru à la librairie Giard à Lille. La forme? C’est ce symbole, mobile, qui figure page 75 du livre, accompagné simultanément d’une injection de «sens»; le symbole et son sens m’étaient donnés ensemble, d’une façon indissociable et indissociée. Ce «sens» était donné sans mot, sans langage, comme dans le vertige d’une intuition absolue de la globalité de tout le «connaissable» par l’intellect.

Réactions sensorielles? Difficile à dire. J’ai vu sans voir puisqu’il n’y avait rien à voir de matériellement concret. Pourtant le spectacle était extérieur à mes yeux, pas intérieur comme dans le rêve. Du reste, j’étais bien éveillé. J’ai lu, je ne me souviens plus où, une expression qui pourrait me servir pour vous répondre: voir avec l’œil de l’œil. Comme il m’est arrivé d’entendre avec l’oreille de l’oreille. Le temps que cela a duré? Impossible à dire. Ça se passe en un lieu, en un étage de perception autre que celui du spatio-temporel de notre vie ordinaire. Dans un temps, bien sûr, mais pas un temps d’horloge.

Pour dire la distinction entre ce temps de la vision et le temps de l’horloge, j’ai dit quelque part la différence entre l’espace-temps-mouvement  méta-physique (dans le sens de avant-physique), et l’espace-temps-mouvement que vivent nos sens physiques. J’ai essayé de le dire par analogie du rapport entre la chose photographiée et la photo.

Il y a inversion des images. C’est pourquoi je n’ai pas été étonné quand j’ai appris que la science actuelle (voir Costa de Beauregard), postule la réversibilité du temps. Bien sûr, je ne pige rien aux mathématiques qui conduisent les scientifiques à cette idée, mais il est étrange que, en l’occurrence, l’ignorant et le savant se rencontrent.

Autre rencontre étrange: la vision (je ne dis pas «ma vision» puisqu’il est flagrant qu’elle n’est pas ma propriété), m’a présenté l’existant en deux hémisphères (ou deux cotylédons d’un haricot):

Cela rappelle ce que les neurologues disent du cerveau: des hémisphères, l’un qui s’occupe spécialement de l’abstrait, l’autre du concret. L’hémisphère droit commande le côté gauche du corps, l’hémisphère gauche le côté droit. Là encore, analogie avec la photo. A-t-on remarqué que le point focal des lentilles optiques, bien que n’étant idéalement ni une surface, ni un volume, aucun réel concret, rien qu’un concept, contient pourtant d’une certaine façon, l’objet photographié plus la photo. Création ex-nihilo.

La matière s’engendre au point focal de la rencontre du méta-physique et du physique sensible. C’est ce que découvrent la science des quantas et les incertitudes d’Heisenberg.

Dieu a créé le Ciel et la Terre. Ex-nihilo.

***

Maintenant nous avons une petite, très petite idée de ce que fut cette vision pour Jean Coulonval. Mais ce n’est pas suffisant. Nous publions également de larges extraits de la lettre qu’il nous a écrite et vous verrez alors quel étonnant chemin cet homme a parcouru. De temps en temps, il fait allusion à son livre, préfacé par Aimé Michel. C’est un recueil de lettres [1] qu’il a adressé à tous ceux qu’il pensait être intéressés par ce qu’il avait si bien compris. Rares sont ceux qui l’ont écouté.

Lorsque nous avons reçu cette lettre de Jean Coulonval, cela a été un choc pour tous. Au moment même où nous décidions de consacrer l’essentiel du n° 5 au thème de l’imaginaire, il y avait comme un clin d’œil du destin qui mettait entre nos mains le type d’aventure exemplaire pour ce thème.

Que ce destin soit ici remercié du fond de l’âme.

La lettre de jean Coulonval à 3e millénaire

Mon ami Giard, le libraire qui a décidé la publication de ce bouquin dont vous a parlé Aimé Michel, m’a communiqué voici seulement quelques jours votre lettre et la revue 3e Millénaire. Avec beaucoup de retard.

Le bouquin, je vous l’envoie et je vais essayer de l’accompagner de quelques pages. Je dis «essayer» parce que ma tête fonctionne maintenant au ralenti et je n’aime guère écrire, ce n’est pas mon métier. J’ai 70 ans. Ouvrier en retraite, veuf, j’habite un bâtiment des vieux de l’Aide sociale de la ville.

Etrange destin que le mien. Ouvrier dès l’âge de 13 ans, sans aucun diplôme ni désir d’en décrocher, pas même un C.A.P. (ça n’existait pas dans ma jeunesse), sans ambition autre que celle de gagner honnêtement ma croûte, presque toujours en usine, forge, fonderie, machines-outils. Si peu d’ambition que deux fois, j’ai refusé l’emploi de contremaître, que je n’ai jamais eu le désir d’apprendre à conduire une bagnole, pensant que je ne serais jamais assez riche pour en posséder une; ce qui fut, et c’est encore.

Selon tout sens commun rien ne me destinait à l’aventure spirituelle qui m’est survenue, à prendre contact avec des ecclésiastiques, des philosophes, et surtout des scientifiques. Pourtant, c’est dans ma vieillesse que Mgr André Combes, prof. au Latran, ayant eu connaissance à mon insu de quelques notes au sujet d’un de ses écrits au sujet de Teilhard, m’a contacté pour me demander de garder copie de mes lettres aux grands de ce monde plus souvent pour engueuler que pour dire mon accord. Ce que j’ai fait. C’est dans ma vieillesse que j’ai pris contact avec Aimé Michel, que Costa de Beauregard m’a contacté, et vous aujourd’hui.

Le 28.6.82, Costa de Beauregard m’annonce la réussite de l’expérience d’Aspect qui confirme la mécanique quantique et la réalité du paradoxe E.P.R. Choses qui, comme tous les problèmes évoqués dans 3e Millénaire, était implicite dans la vision que je reçus le 25 octobre 1941 qui a bouleversé ma vie. Ce fut un cataclysme, un déluge, que j’essaie de dire dans toutes mes lettres de ce recueil. J’avais 28 ans.

A l’origine, donc, aucune ambition intellectuelle ou de compréhension des théories scientifiques en vogue à l’époque pour la bonne raison que je les ignorais. J’avais seulement eu vent d’une certaine idée de 4e dimension, chose bizarre; je ne voyais pas comment pourrait s’ajouter une 4e dimension à la longueur, largeur et hauteur qui suffisent pour constituer un volume spatial. Rien d’autre que le besoin de comprendre le pourquoi de la guerre que je venais de vivre, le pourquoi de l’existence des partis politiques qui avaient tous raison par certains côtés et tort par ailleurs, le pourquoi de la pluralité des religions qui fait qu’on se casse la gueule au nom de l’amour, de Dieu pour nous ou de nous pour Dieu. Besoin de trouver les ficelles qui font fonctionner ce théâtre de guignols.

Comment trouver? avec quoi? J’étais vierge de toute orientation par l’éducation scolaire ou religieuse, et pas même familiale, n’ayant jamais eu le plus petit brin de conversation avec mon père ou ma mère. Je savais seulement que seul le travail, l’argent gagné, donne le droit de vivre et j’étais assez surpris de constater que c’est ceux qui ne foutent rien qui vivent le mieux. Cela me posait un problème. De quoi devenir communiste. En quoi j’étais largement dans l’erreur parce que je ne concevais guère qu’être un intellectuel, travailler de la tête comme les bœufs, c’est aussi un travail. Dans ma sensibilité d’ouvrier, travailler c’était œuvrer avec les mains et les muscles. Encore maintenant, je trouve étrange qu’un étudiant plongé dans ses bouquins puisse dire «je travaille». J’appelle ça une occupation. Ainsi, en ce moment où j’écris, il me serait monstrueux de dire «je travaille». Je m’occupe seulement. J’occupe ma vieillesse. Je ne peux plus travailler parce que je suis atteint d’un glaucome qui rétrécit mon champ de vision; il reste juste assez pour lire et écrire. Je ne pourrais plus faire un jardin, mes lombaires sont démolies et je ne puis plus rester baissé. Peut-être parce qu’il fut un temps où je manipulais chaque jour quinze à vingt tonnes.

Donc, dans ces lettres qui font le bouquin, il est question d’une vision qui a tout déclenché. Il semble qu’aucun de ceux qui l’ont lu n’a remarqué qu’elle ne fut possible que parce que j’étais un ignorant, que ma cervelle n’était encombrée que par un minimum de choses apprises au sens scolaire. Pour essayer de le faire comprendre, je vais recourir à un schéma que je trouve à la page 46 du n° 2 de 3e Millénaire.

Jean Charon dit: «L’observateur possédait(?) un esprit qui, à la manière d’un projecteur, venait peu à peu éclairer un certain nombre des phénomènes de l’ensemble.»

Ce rapport connaissant-connu n’était pas dans mes préoccupations pour la bonne raison que je n’avais jamais eu le désir, le besoin de «faire des études», en aucun domaine, pas même de technique, bien qu’étant ouvrier. Lors d’un séjour à l’hôpital pour un ulcère du duodénum, un médecin m’a qualifié de cérébral-musculaire. C’est assez vrai. Jusqu’à la vision seul le musculaire avait eu de l’importance, seule l’activité de mes muscles m’avait donné le droit de vivre. J’avais droit de manger parce que j’avais moi-même produit des biens matériels. Le cérébral n’a pris de l’importance qu’avec la vision. J’avais 28 ans.

L’étudiant vit sa vie comme sujet connaissant face à un connu qu’il apprend à l’école et qu’il s’agit d’agrandir jusqu’à englober tout le connaissable, ce qui est pure chimère. L’infini ne peut s’atteindre par accumulation de morceaux. Cette démarche, en tant qu’ouvrier m’était profondément étrangère. C’est celle de l’étudiant et du chercheur, de l’«homme d’étude». Cependant, il m’était apparu que le fait d’être catholique, ou protestant, ou musulman, ou capitaliste, ou communiste, en religion, philosophie, science et tutti quanti, n’était que le résultat de conditionnements sociaux, géographiques, historiques, sentimentaux, scolaires etc. Et tous disent: «C’est ma vérité». Ça fait beaucoup trop de vérités alors que par définition il ne peut y en avoir qu’une. Tout cela n’est qu’«opinion», condensat psychique né de circonstances conditionnantes familiales, raciales, sociales, géographiques et autres. Et aucune opinion ne peut être «la vérité». Se casser la gueule pour défendre ce qui n’est qu’opinion c’est la connerie des conneries et pourtant c’est ainsi que le monde fonctionne.

Aucune opinion ne peut atteindre une victoire définitive pour la simple raison que ce ne sont pas les hommes qui disposent et décident du «vrai».

Aucun homme ne peut décider que, à partir de demain, 2 + 2 ça ne fera plus 4 mais 6, ou 5, ou 3.

Donc je n’ai jamais vécu la situation psychologique de l’étudiant, du sujet-connaissant face à un connu qu’il s’agit d’agrandir. Par contre je connais le travail de fonderie, je sais ce qu’est un moule et la pièce qu’on y coule. Je sais que la pièce ne décide pas de sa forme qui est conditionnée par le moule. Or, toute opinion est conditionnée par un moule, éducatif, social, géographique, racial, scolaire, religieux ou anti-religieux (être contre la religion est encore une façon d’être religieux, c’est-à-dire de professer ce qu’on tient pour vrai). Tout ce qui conditionne le psychique et qui vient d’en bas, du monde senti, anti-pôle du spirituel qui vient d’en haut en toute liberté. Nous vivons dans un monde où règne la confusion du psychique et du spirituel. Même les curés ne voient pas la différence; pour eux, être un bon chrétien est un état psychique, et, comme le disait un jésuite: on est bon chrétien au-dessus de 1000 F au denier du culte. C’est outré, mais juste.

En tant qu’ouvrier qui sait que ce n’est pas la pièce coulée (l’opinion), qui décide de la forme du moule, j’ai cherché ce qu’est ce moule, où les opinions prennent forme, se fabriquent. En somme, l’œuf qui, dans le dessin de Charon, s’appelle «le connaissable»? Virtuel, bien sûr, en potentialité. Il lui a donné la forme d’un œuf de poule bien que les œufs de tortue soient ronds comme des boules de billard. Ne chicanons pas.

Hors de ce moule, neuf concepts bouclés sur Dieu, il ne peut rien exister (ex-ister). 3 fois 3 = 9, bouclés sur Dieu qui est à la fois rien et tout? ça fait 10. Principe de la numération décimale. Rien et tout, comme le centre de la circonférence qui n’est ni surface, ni volume engendre pourtant la surface et le volume. Le double circulus évolution-involution, de ces neuf concepts engendre tout existant, Ciel et Terre. Il est l’Etre, contenant de tout existant, de tout intellectualisable, de tout verbe possible. Aucune opinion ne peut atteindre cet absolu, c’est-à-dire la coquille de l’œuf de tout connaissable selon la figure de Jean Charon que je rencontre à propos, qui vient à mon secours pour m’aider à dire ce que j’ai à dire.

Malheureusement, il est des opinions qui savent si bien prendre le vent des appétits psychiques d’une époque (la corde à virer le vent, comme disent les marins), et les utiliser, qu’elles parviennent à prendre le masque de l’absolu, et sont ainsi les ersatz du divin. Tels m’apparaissaient en 1940 le nazisme et le communisme. J’espérais que les Américains le comprendraient et se débarrasseraient des deux à la fois. Ils le pouvaient. Je n’avais pas encore compris qu’ils n’ont que des dollars dans le crâne, que pour eux, Dieu même se mesure en dollars, que le dollar est leur Saint-Esprit, et que s’ils avaient été les seuls vainqueurs, les termes du problème de la «Paix» auraient été différents mais sans plus de solution.

Hélas! chaque peuple a son style de connerie et y tient. Les Français aussi sont restés aussi cons qu’avant guerre. Seuls peut-être les Allemands ont changé parce qu’ils ont un psychisme très malléable. Ils sont passés sans problème du nazisme au communisme. Ils changent facilement de système intellectuel. Keyserling dit: (Analyse spectrale de l’Europe) Si un Allemand à sa mort se trouve devant deux portes, l’une marquée «accès au paradis», et l’autre «conférence sur le paradis», il ira à la conférence. L’Allemand est toujours disponible pour changer d’opinion. Le Français, au contraire, met son honneur à ne jamais en changer, s’il voit que c’est une connerie, il ne l’avouera jamais, pas même à lui-même. Il s’y attache comme une patelle à son rocher.

Tous les hommes, individus ou peuples, ont besoin d’axer leur vie sur des valeurs ultimes. Qu’elles soient vraies ou fausses importe peu pourvu qu’ils y trouvent motif à sacrifice pour ce qu’ils croient être la vérité. Le besoin de se sacrifier est plus fort que le besoin de vérité. On meurt volontiers pour défendre des sottises. Ils ont cru que c’était vrai et c’est leur pardon. «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.»

Tous les hommes se sentent obscurément «globalité cosmique», condensé de toutes les dimensions de l’Etre. Le problème est que l’idée qu’ils se font de ce condensé peut se présenter sous deux formes:

1° — En mode d’opinion. C’est alors le monde du sensible vécu qui décide du vrai, mais, parce qu’il ne peut exister deux individus qui vivent le sensible de façon identique, pour la bonne raison qu’il ne peut y avoir deux «vécus» historiques, sociaux, raciaux, etc. identiques, pas plus que deux empreintes digitales, il ne peut exister deux opinions identiques. Les agglomérats d’opinion qu’on appelle partis politiques, racismes, nationalismes ou même religions constituées en ismes ne sont que cristallisation autour d’un noyau psychique, relèvent de l’instinct de la ruche ou de la meute. L’individu ne supporte pas la solitude, il a besoin de semblables. (En vérité ou en bêtise, peu importe). Il a besoin d’une étiquette sociale, d’un «isme», comme les articles d’épicerie qui sont en concurrence, Omo contre Ariel et Bonux qui semblent se faire concurrence alors qu’ils dépendent de la seule marmite financière di Unilever, comme toutes les opinions de la marmite de l’orgueil qui invite tout individu à posséder «sa vérité», bien à lui, en toute propriété personnelle ou collective, comme un immeuble en co-propriété. Y compris l’opinion dite catholique ou protestante ou tout autre succédané du christianisme et qui n’est qu’un agglomérat, une cristallisation des sensibilités psychiques autour d’un même noyau. On parle couramment de sensibilité politique ou religieuse, bien qu’il soit évident que la vérité en soi ne peut dépendre de nos états d’âme. En reprenant la figure de Charon, l’opinion est seulement le connu, ou seulement ce qu’on croit connu, mais qui s’imagine être le Tout, et tout ce qui n’y trouve pas place est déclaré faux.

2° — En mode d’inspiration de l’esprit, celui où la vision m’a plongé. Il fonctionne à l’inverse de l’opinion. Pour le comprendre, il faut inverser ce que dit le dessin de Charon. L’absolu, globalité du connaissable, n’est plus un but à atteindre par expansion du connu à partir du sensible spatio-temporel, c’est au contraire l’absolu qui vient donner un «sens» au monde du sensible. Ce n’est plus l’intellect et son appétit de possession d’une vérité qui a l’initiative, c’est une instance qui lui est extérieure et n’est pas dans le spatio-temporel.

Comment se fait-il que cette instance, extérieure à mon «moi», a-t-elle pu un jour venir m’in-former ? A posteriori, je puis dire ceci: en recherchant, non plus l’opinion la plus valable, la plus vraie (au sens ironique car aucune opinion ne peut être vraiment vraie, ne peut sembler vraie que dans un certain contexte de conditionnements). Le communisme n’est vrai que pour les communistes, le socialisme que pour les socialistes, le catholicisme que pour les catholiques, l’islamisme que pour les musulmans, seule la finance a un langage universel, au sens général, parce qu’elle est au-dessus de toutes les opinions, parce qu’elle concerne la tripe jouisseuse (frotter le pouce sur l’index est un signe compris dans le monde entier, sans mots). Mais le moule global dans lequel se coulent toutes les opinions, le moule des moules, je tenais pour nulles toutes les petites idées sociales, politiques et autres, dont ma tête pouvait être encore encombrée. Il est vrai que toute opinion se forme dans un contexte de conditionnements (sociaux, géographiques, éducatifs. etc.), conditionnements qui limitent nécessairement la vision du réel. Si je pige quelque chose dans les mathématiques modernes, je dirai que ces systèmes spécifiques de conditionnement sont des sous-ensembles, qui ne trouvent leur sens, leur légitimité, que dans la globalité, mais qui pourtant se croient le Tout. Toujours l’appétit de possession. J’ai cherché le moule des moules, le moule global, originel. Ainsi, je venais de me vider de toute activité mentale de forme «opinion». L’esprit est venu occuper ce qu’il a trouvé vide. Les chrétiens appellent cela la grâce. Vision fulgurante, éclair, déluge, une sorte de Sinaï.

La vision est venue me vacciner contre tous les virus mentaux que sont les «ismes», religieux, politiques ou scientifiques. Quant aux virus intellectuels et scolaires, j’en ai été préservé du seul fait que je n’ai pas fait d’études. Bienheureux les ignorants, au moins quand ils se savent ignorants.

* *

Le 3e millénaire sera le temps de l’«Esprit». Le règne de l’opinion prend fin. La science est arrivée à la suture de l’Esprit et du sensible. C’est la fin du dualisme Esprit-Matière, spiritualisme, matérialisme, religion-laïcité, etc. Plus de conflit des contraires mais accord, symphonie, complémentarité dans la duellité et non plus conflit dans la dualité. Plus de duel par les armes pour la défense d’illusions, de fantômes.

Quand la vision m’a enseigné qu’il ne peut y avoir de Paix dans un monde qui fonctionne à l’opinion (comme on dit qu’un moteur fonctionne à l’essence), je me suis senti investi de la charge d’en avertir ceux qui dans le monde ont des responsabilités de par leur situation sociale. Il y a de cela 41 ans. Sans résultat bien sûr mais ma naïveté me faisait persévérer. Aujourd’hui la science débouche sur le métaphysique et même le théologique, arrive à l’idée de globalité, de synthèse et ça va s’arranger. Bien que ce que découvre la nouvelle science était implicite, en filigrane, dans la vision, je n’y aurai été pour rien, et je me sens démobilisé.

J’ai toujours trouvé étrange que l’Esprit m’ait chargé de cette tâche. Bien que par ma situation sociale, je dusse fatalement échouer. Enfin, l’esprit n’a pas des raisons d’homme. Sa logique n’est pas la nôtre. Aujourd’hui, cela commence à être compris, sans moi, et c’est bien. Mais il y aura un cataclysme, un événement diluvien pour déblayer le terrain et le préparer à une nouvelle semence.

La logique de l’esprit, celle d’en haut, n’est pas celle des hommes qui vient d’en bas. La Paix ne sera que quand cette contradiction ne sera plus. Synthèse, aucun autre espoir.

L’esprit souffle où il veut

Les penseurs, les «fabricants d’«ismes», n’hésitent jamais à affirmer leurs opinions, car ils ne savent pas qu’il ne s’agit que d’opinions.

Les spécialistes des prétendues «sciences sociales» voudraient dominer et régir les phénomènes psychiques, sociaux, comme si du haut de leur «science» ils n’en étaient pas participants. Orgueil satanique.

Toutes les religions constituées, coulées dans des moules sociaux, résultent de l’oubli de l’Esprit pour le profit des psychismes collectifs. Mais l’esprit est au-delà de tout adjectif, de tout psychisme particulier, dans l’indifférencié de la vision globale.

L’Eglise a réalisé ce miracle de faire de l’enseignement du Christ, l’indifférencié absolu, la religion des religions qui surplombe toute opinion, un «isme» social: le catholicisme, monstre étymologique = catho = universel, Isme = particularisme, «partiellité», cloisonnement. Complètement idiot! Pas étonnant que le communisme a pu prendre la relève. En faux, bien sûr.

Extraits d’une lettre de Jean Coulonval à M. Bardet, auteur de « Le trésor sacré d’IShRAËL ».

Pour mieux comprendre «la vision»

Cette lettre explique un peu plus encore la vision de Jean Coulonval. Il la commente ici fort bien et donne quelques aperçus de ce qu’elle lui a fait comprendre.

…c’est ce monde non spatial que j’appelle le monde métaphysique, non perceptible par les sens physiques dans leur contact avec le physique discontinu. Je ne suis donc pas d’accord avec une métaphysique qui ne serait qu’une certaine idée du non-physique conclue logiquement et médiatement à partir du visible. Pour qui n’a pas eu d’expérience métaphysique immédiate, c’est mieux que rien, bien sûr, mais tellement scabreux! Voir la philosophie marxiste et soviétique qui tend, d’une façon tout à fait illusoire, à la perception d’une globalité logique continue par agglutination des acquis de la science dans le spatio-temporel discontinu. Recherche parfaitement légitime, car toute intelligence tend à l’absolu, mais par une voie «intrinsèquement perverse».

Pour le marxiste, dans le principe était la matière et non le verbe. J’ai là une étude de Bernard Jeu, professeur ici à Lille, ancien attaché culturel en Russie, qui dit fort bien à quelles apories se heurte ce besoin de globalité intellectuelle du soviétisme. Illusoirement il croit, en agglomérant du discontinu scientifique, créer du continu.

La perception intellectuelle immédiate du métaphysique est continue, contemplation indifférenciée. Mais, pour s’exprimer, elle doit se couler dans les mots, dans une géométrie syntaxique, c’est-à-dire dans du discontinu. La vision métaphysique continue n’est pas didactiquement communicable. Elle descend de l’indifférencié intellectuel dans le différencié verbal et grammatical. Inversement, la méthode didactique part du différencié verbal pour invoquer le sens au sein de l’indifférencié métaphysique. La Pensée est de l’ordre de l’indifférencié continu. L’Opinion de l’ordre du discontinu sensible à partir duquel on tend, par un besoin naturel mais par une voie aberrante, non plus à atteindre le lieu spirituel d’une pensée continue, mais à la forger soi-même par syncrèse, agglutination de conclusions tirées des expériences spatio-temporelles.

Cette distinction de l’intellect métaphysique continu et de l’intellect didactique discontinu est analogue à la distinction de l’anté-matière continue, non euclidienne, et de la matière euclidienne discontinue: Ce doit être cette distinction qu’avait perçue de Broglie en écrivant Continu et discontinu en physique quantique.

…En effet, il n’est rien dans le discontinu dont l’essence ne soit originellement dans le continu, ce qui implique qu’il subsiste nécessairement dans le discontinu des rapports logiques avec sa source, même si nous ne les percevons pas. Hasard, coïncidences, ne sont que des mots pour justifier notre ignorance.

On peut cependant parler de deux spirales et c’est ce que j’ai exprimé en disant que Dieu travaille des deux mains avec le schéma de la Création «Trinitairement trinitaire» qui me fut enseigné, (ci-dessous).

Le schéma donne cette notion: le point central figure le Fils au centre de sa Création, comme le Christ en gloire, joint au Père par le Rayon. Ce rayon se dédouble pour une double spiration, les deux sens coïncident dans une opposition polaire Dieu-Matière.

Cette notion du Père, du Fils et de l’Esprit est analogue à ce que j’avais dit de l’Espace-Temps-Mouvement avant la vision (une demi-heure ou une heure avant, je ne sais). J’avais cherché les concepts de plus en plus simples, ce qui m’avait donné:

1° L’Espace. Je peux concevoir l’espace, le vide, le néant où rien n’existe, pas même le temps et qui, donc, n’est précédé d’aucun autre concept.

2° Le Temps, nécessaire pour me transporter en pensée d’un point à un autre, et donc pour penser la ligne droite.

3° Le Mouvement, pour établir une triangulation, la première figure fermée, le circulus.

Cette trilogie me donnait le concept de pré-matière, que l’on appelle aussi anté-matière. Par filiation, complexité de concepts, j’arrivais à la matière euclidienne, celle que perçoivent nos sens en volume spatial constitué, la seule qui, dans le langage courant, mérite le nom de matière.

Puis, j’arrivais à mes sens physiques qui transmettent des informations, par le truchement de la matière euclidienne, à mon intellect, qui tend à comprendre, à tirer un sens de ces informations, d’où le besoin de science; et aussi à ma volonté, régie par le besoin incoercible d’appréhender, de posséder la globalité de l’existant en mode d’absolu, c’est-à-dire, en fait, de re-liement, de religion.

Je remarquai alors que, parti du concept d’espace, le plus simple, je découvrais que le neuvième terme, la volonté, bien qu’issu du premier par génération, est aussi un concept simple, en ce sens qu’il peut fort bien se libérer de sa filiation et l’appréhender au contraire comme des choses qu’il possède et régit à sa guise. Je peux me faire du monde une idée fausse, sans que pour autant mon besoin d’absolu disparaisse, ce qui implique une liberté des rapports entre ma volonté et tout l’existant: je peux concevoir l’existant, non pas tel qu’il est en soi, mais selon ce que mes appétits désirent qu’il soit. Ces neuf termes, conçus ainsi en une suite linéaire, me posaient un problème.

C’est alors que la vision m’enseigna le circulus et la double spiration: Evolution — Involution.

Je n’avais au départ que le besoin, le souci d’éclairer les problèmes sociaux et politiques dont je vivais intensément le drame, de par le lien social de ma naissance, la guerre que je venais de vivre et le spectacle de deux civilisations, chrétienne et musulmane, qui ne pouvaient s’amalgamer, comme l’huile et le vinaigre. Je ne pensais pas du tout découvrir au bout la vérité de l’Église catholique romaine, dont il ne me restait que de vagues formules de catéchisme, dont je n’avais retenu que l’expression formelle, mais non un sens spirituel. Je cherchai à saisir l’essence des problèmes politiques et non pas des problèmes religieux. J’avais seulement perçu, au contact des Musulmans, qu’il y avait une imbrication du religieux et du politique, ce que je n’avais jamais perçu en France. En fin de compte, cette vision m’a appris qu’il n’y a pas de problèmes hétérogènes, isolés (politiques, religieux, sociaux, économiques, scientifiques, etc.) mais une globalité, comme un polyèdre à mille faces, chacune didactiquement indépendante mais inséparable du polyèdre qui lui confère son sens et son rôle.

Qu’il me soit arrivé cette aventure est un des signes que notre époque réclame la synthèse. Non pas la synthèse conçue comme reconstitution d’un puzzle, qui ne serait que syncrèse, mais comme la perception, en un acte intellectuel unique, de tout l’existant, de la matière à Dieu, sans hiatus ni solution de continuité, le circulus Trinitaire conférant l’unité à toutes choses. En remarquant toutefois que Dieu n’ex-iste pas, mais qu’Il est.

Après la vision de 1941, j’ai essayé de définir la trilogie Longueur-Largeur-Hauteur, non plus comme les trois dimensions euclidiennes d’un parallélépipède, apprises à l’école, mais en disant :

1° Longueur = surface sphérique réalisée par rotation du circulus Espace-Temps-Mouvement.

2° Largeur = sphère intérieurement plénifiée par l’énergie.

3° Hauteur = projection d’énergie extérieurement à la sphère, d’où génération de sphères (ou corpuscules). Pour qu’il y ait volume euclidien, matière spatialement constituée, il faut qu’il y ait au moins circulus entre trois sphères.

Tout désordre dans les concepts religieux, politiques, scientifiques, est un trouble de l’ordre Trinitaire normal et il n’y a de synthèse donc d’équilibre et de paix que par la Trinité.


[1] Ces lettres, Jean Coulonval les a adressées à diverses personnalités des mondes des Lettres, de l’Eglise, des Sciences, dont Raymond Abellio, Aimé Michel, Jean Charon, Raymond Ruyer, Arthur Koestler, Ionesco, L.E. Huyghe, Maziers, Matagrin.